[2017] Ce ciel est il le notre ? [Orias]

Combien de lune s’est levée depuis qu’il s’est éveillé dans cette réalité ? Des semaines qui se sont fait mois et durant lesquelles il a été forcé d’apprendre afin de s’acclimater à cet univers qu’il ne connaît pas. Ce monde qui n'est pas le sien. Sans doute ne pourra t-il jamais l’être. Rien n’est semblable à celui qu’il a laissé lors de son trépas. Les siècles l’ont transformé, tant et si bien que hormis le ciel, il lui semble que tout a changé. Et lui, fantôme du passé, erre entre les réalités.

A vrai dire, souhaite t-il réellement s’y faire, à ce nouvel univers ? A cette nouvelle vie qu’il n’a pas choisi ?

Il l’ignore lui-même, seul le décalage reste là. Lui, le revenant d’un temps ancien qui se perd dans ces nouveaux codes, dans ces nouveaux biens, dans cette culture dont il ne comprend rien. Alors il s’isole dans ce lieu dont il a fait son domaine et que l’organisation à laquelle il appartient désormais lui a fait faire - à son image. Une forge au milieu de ce complexe dans lequel la technologie est omniprésente. Elle est partout, si ce n’est ici. Sur son territoire, cette dernière est presque bannie, inexistante, si ce n’est quelques rares particularités bien nécessaires pour faire fonctionner une telle installation ici. Cela lui convient, lui permettant de continuer ce pourquoi il a toujours été doué. Ce pour quoi il est né. Et ce marché n’est, à son sens, pas si cher payé pour continuer à faire ce qu’il a toujours apprécié. Pour s’améliorer. Se perfectionner et repousser toujours plus loin ses capacités.

Ils peuvent bien les utiliser comme il leur plaira.

Pourtant, une pensée demeure dans son esprit depuis qu’on lui en a fait part. Un autre revenant appartient à cette organisation. L’Ultima Necat. Un revenant qui se trouve être à son origine. En partie. Une part de lui s’en intrigue. L’autre s’interroge. Quel genre d’homme peut-il être ? De quelle époque vient-il ? Et lui, comment vit-il ici ? Des questions qui demeurent dans un coin de son esprit et auxquelles il souhaite trouver réponse aujourd’hui. Il n’est pourtant pas homme à se prêter aisément à des activités sociables, y préférant plus volontiers le tintement du métal, mais une part de lui attend quelque chose de cet échange. De cet rencontre. Un quelque chose qu’il ne parvient à définir. Peut-être est-ce une sorte de besoin. Celui de savoir si dans ce monde lui étant si étranger, une autre personne pouvait…

Redressant la tête, le forgeron s’incline poliment face à son accompagnateur un peu troublé qui l’abandonne devant une porte close. Le bureau du King se trouve juste derrière. Orias. Vêtu d’un kimono sombre sans fioriture si ce n’est quelques motifs semblant former des vagues sur la ceinture de son obi rouge sombre, le revenant toque et attend. Un sac en tissu pend à sa main, dissimulant son contenu à la vue de tous.

… Comprendre.

Était-il King parce qu’il était l’un des premiers, ou bien avait-il été choisi si rapidement parce qu’il en avait justement l’étoffe ? Vaste question dont il serait bien entendu impossible d’obtenir une réponse, les choix de ceux qui avancent dans l’ombre n’ont pas à éclater en pleine lumière. Il ne le sait que trop bien, lui qui privilégie la pénombre. Doué dans les tours de passe-passe, il lui convient mieux de montrer juste ce qu’il souhaite afin qu’à la dérobée il puisse entreprendre ses réelles actions. Orias savait faire cela, et au final la seule question qu’il se posait réellement vis à vis de son rôle au sein de l’organisation, c’était de savoir s’il était efficace dans son travail ou non. Et cela, il n’en doutait pas.

Débrouillard, inventif, optimiste et déterminé, il faisait un Roi des Pièces somme toute assez correct, estimait-il. Lui, l’animal nocturne, jouait par assez de ses talents pour que le monde invisible le demeure, sans prendre le risque d’éveiller les dormeurs. Au prix de quelques vies au passage, mais l’ancien pirate ne savait que trop bien qu’il fallait parfois en passer par là pour remplir de plus opportuns bénéfices. S’il en avait été capable pour gonfler ses propres richesses, alors il n’allait pas faire la fine bouche si cela devait être pour la survie de l’espèce humaine, pas vrai ?

Et pourtant, cela le minait parfois. Assez que pour assombrir son humeur à chaque fois qu’il se laissait à observer le ciel, comme une carte supposée lui indiquer son chemin. Ça et le fait que tout être vivant lors de sa première existence n’étaient plus. Plus rien, rien que de la poussière. Qui de mieux que lui pour incarner cet état de fait, au fond ? Sur son bureau, des piles de documents, pêle-mêle, dans des états divers. Il avait accès à une technologie dernier cri, mais trouvait que cela prenait plus de temps d’apprendre à s’en servir que de simplement faire comme il l’avait toujours fait. La plume aussi agile que la langue, obscurcissant trait par trait des pages d’informations qu’il recoupait, d’ordres qu’il donnait, de rapports qu’il livrait. C’est alors que l’on frappa à sa porte, ce à quoi il répondit chaleureusement d’entrer. Sans trop lever la tête de ses dossiers dans un premier temps, avant de reposer sa plume dans son encrier et d’observer son visiteur. Un roux, ça comme par hasard !

- Salut et félicité ! Devez-vous être un lointain voyageur pour posséder pareille chevelure, ah ! Je m’en croirais presque revenu en des terres oubliées, là où la nature appliquait bien plus de diversité que sur cette île d’Orient ! Mais ne me laissez pas tant divaguer, je pourrais ne jamais en avoir fini sinon, héhé. Dites-moi plutôt ce qui vous amène en mon antre !?

Une voix chaleureuse lui répond d’entrer, aussi s'exécute-t-il sans tergiverser refermant derrière lui la porte. Son regard mordoré examine la pièce. Contrairement aux bureaux dans lesquels il a pu se retrouver depuis son arrivée en cette ère, celui du revenant semble dénué de la moindre technologie faisant pourtant la fierté de ses pairs. Des feuilles, une plume, un encrier et des documents qui, pêle-mêle, décorent le bureau derrière lequel travaille son hôte. Patient, il attend que ce dernier ne finisse son œuvre avant que leur regard ne finisse par se croiser.

De par son nom et les quelques informations glanées, Katsuo n’ignore pas que le king est un étranger, ce qui, malgré ce qu’il semble supposer en l’accueillant, n’est pas son cas. Son expression est d’une certaine neutralité demeurant sur la réserve. Un visage qu'il arbore de coutume. S’inclinant légèrement face à l’homme, le forgeron se permet de répondre à sa question. « Shinken Katsuo. » Commence t-il, se présentant simplement à son interlocuteur en faisant preuve d’une politesse formelle et inhabituelle en ce temps. « Je crains que vous ne fassiez erreur sur ma personne. » Une manière polie de lui indiquer qu’il n’est pas un étranger à ces terres contrairement à ce qu’il semble croire, néanmoins, il ne s’en offusque pas. Factuel. Pour autant, ce n’est pas là la raison de sa venue et si il en connaît la teneur, il lui semble tout à coup plus complexe de la présenter à son interlocuteur.

Ses prunelles mordorées détaillent un instant le bureau sur lequel demeure le travail de ce dernier avant de commencer à répondre à son interrogation première. « Je ne souhaitais pas vous déranger pendant votre travail, néanmoins… » Une légère pause. Peut-être une gêne évanescente ou un léger malaise avant qu’il ne reprenne le cours de sa phrase. « J’aurais voulu m’entretenir avec vous. » Une situation rare pour lui, dans laquelle il ne semble pas être le plus à son aise. Il n’a jamais été très sociable, et il s’est bien plus souvent retrouvé dans la position de l’invité que de l’invitant. Pour autant, il demeure ici pour une raison aussi ne se laisse t-il pas décourager par cette inhabituelle invitation.

« Même si je ne suis pas un étranger en ces terres, j’en suis un en cette ère. C’est pour cette raison que j’aurai souhaité pouvoir échanger avec vous, car je n’ignore pas que vous êtes dans cette même situation. » Alors que les mots s’échappent de ces lèvres, le forgeron s’interroge une fois de plus sur cette étrange volonté qui est la sienne. Pour autant, il laisse l’interrogation mourir au creux de ses pensées. Il est ici à présent. « Mais si cela vous dérange, je peux me retirer. » Il ne souhaite nullement s’imposer.

- Oh, je vois.

Ponctue-t-il à la révélation tant du nom que de l’origine supposée, et donc erronée, tout en croisant des bras pour ne pas qu’ils en tombent. Bon, faire erreur ne le dérangeait pas trop, pas plus que de se donner en spectacle dans des suppositions foireuses. Son estime personnelle ne se mouvait pas de subir un revers ou l’autre. Juste que c’était encore là chose étonnante pour lui, mais après tout les choses avaient changé. Ou que son œil n’en avait pas vu encore assez. Bref, les conclusions hâtives risquaient de devenir ses ennemies et mieux valait sans doute rester ouvert sur ces questions, ce qui ne lui posait pas vraiment souci au fond. Il n’en fallut que quelques secondes cependant pour qu’il retrouve pleinement son sourire et sa bonhommie.

- Ne craignez absolument pas de déranger allons, ma porte est toujours ouverte ! Je vais être honnête avec vous – peut-être un peu trop – mais lorsque je ne souhaite pas être dérangé, je file travailler aux toilettes ! J’ai découvert qu’en ces temps présents, c’est aux latrines que l’on rechigne le plus à heurter la tranquillité individuelle !

Orias en rit brièvement, semblant beaucoup plus détendu que ce que sa tâche pourrait laisser présager. Bien qu’il reprenne un peu de sérieux à l’évocation de leur sort commun.

- Oh je vois. Outre notre unité capillaire, nous nous rassemblons également en cette particularité plus rare encore, si j’en crois mes estimations. L’on nous appelle les Revenants, mais je dois bien admettre que j’ignore qui a choisi ce terme. C’est plus charmant que « les anciens qui sont morts mais qui ne le sont plus » ou encore « les ancêtres ». Moi j’aurais bien proposé « les cénobites tranquilles », mais c’est peut-être un peu trop monastique… Cela vous dirait-il de marcher un peu, voire même de prendre l’air ? C’est avec joie que je profiterais d’une discussion avec vous, permettez-moi juste d’en profiter pour en faire également le cadre d’une pause bien méritée. Et où que vous souhaitiez aller prendre un petit casse-croûte peut-être même ? – vous pourrez me faire part en chemin de ce que vous souhaitez aborder au sujet de notre… condition !

Et d'ores et déjà levé, se tiendra prêt à le suivre ou même à le guider, suivant ses envies.

Une légère déconvenue à ses mots que le forgeron ne relève pas davantage, n’en étant lui-même que peu affecté. Il peut comprendre la méprise au vu de certaines de ses particularités physique. Bien vite cependant, son hôte reprend la parole, bien plus éloquent que le revenant ne pourra jamais être. Un flot de parole qui se déverse avec aisance là où son interlocuteur demeure davantage sur la réserve, plus concis dans ses dires et explications. Et sans doute moins… étrange.

Un clignement de paupière surpris vient commenter les premières paroles du king sans qu’il ne se voit commenter quoi que ce soit sur le sujet. Ce n’est pas comme si lui même pouvait se permettre de travailler dans ce genre d’environnement - non pas qu’il en aurait eu l’intention cela dit. Mais la discussion reprend un tournant plus sérieux par la suite. Revenant. Le terme est, à son sens, plutôt bien choisi pour les nommer. Comment appeler autrement des êtres officiellement morts dans un passé lointain et revenus des limbes ?

Revenus des limbes… mais pour quelle raison ?

Une question qui le trouble probablement plus que toutes les autres. Un acquiescement est premier à répondre à sa proposition avant qu’une question ne soit finalement posée. Le forgeron observe l’étranger à ses côtés un instant avant de parler. « Si vous n’avez pas eu l’occasion de vous restaurer, peut-être serait-ce la meilleure option. » Même si dans son cas, il avait déjà mangé, cela ne le dérange pas outre mesure de l’accompagner pour un encas. Si il y avait bien une chose qu’il appréciait dans cette ère, c’était la variété de leur nourriture quand bien même cette opulence pouvait par moment le déranger.

Il laisse le king ouvrir la marche, le suivant à quelques pas de lui. Par une habitude ancrée par des années de services auprès du seigneur de ses terres. Des terres qui ne sont plus. Un seigneur qui ne l’est plus non plus. Comme tous les êtres ayant pu partager sa vie. Ses pensées le troublent. Des pensées qu’il finit par enfouir au plus profond de son esprit. Non. Il ne veut pas s’y attarder. Il n’est pas ici pour se confier sur ce sujet après tout, il est là pour…

Lentement, sa voix s’élève, son ton demeure calme presque imperturbable. « J’aimerai en apprendre plus sur cette… condition qui est là notre. Il y a des choses que je ne comprends pas et je me demandais si il s’agissait de questions auxquelles vous auriez pu avoir des réponses. » Autant commencer de manière plus évasive avant de toucher à des questions bien plus précises. Pour comprendre la raison. Cette raison qu’il ignore. « A mon arrivée, l’organisation ne m’a rien révélé concernant la raison de cette… ‘réincarnation’ forcée et cette question reste entière aujourd’hui encore pour moi. C’est… ce genre de sujet que je souhaite aborder. »

Ce genre et sans doute d’autres tournant autour de cette même question. De ce sujet qui les rassemble quand bien même semblent-ils si différents.

Son interlocuteur semble à l’occasion troublé, ou en tout cas peut à l’aise dans cette interaction. Un timide, hein ? Bon, Orias ne l’avait jamais été, alors forcément l’astromancien avait un peu de mal à se mettre à sa place, mais au moins pouvait-il admettre que certaines personnes n’avaient pas son aisance sociale, quant bien même il ne se reconnaîtrait pas lui-même comme « particulier » en la matière. Un peu de bagou, tout au plus, allons allons ! Tout du moins, ils parvinrent à s’accorder sur une petite collation. Ce que l’ancien pirate appréciait le plus en cette ère, c’était que l’Ultima Necat filait du buffet à volonté. Et il n’y avait pas de meilleure bouffe que celle gratuite à n’en pas douter ! De son temps, il fallait ruser pour manger. Ici, il suffisait de tendre la main. Mais comment donc s’arrangeait-il pour ne pas être déjà obèse, à rouler plutôt que marcher ?

Pour le coup, cela servirait toutefois surtout de prétexte. C’était tout de même plus commode pour discuter d’avoir un petit quelque chose entre les mains, et de quoi s’occuper la bouche quand on écoutait, pas vrai ? Ce qu’ils firent donc, comme Katsuo posait ses premières réflexions. Il opina du chef, compréhensif. Ces quelques, ils se les étaient posées également.

- Cela m’a intrigué tout autant, aussi je ne saurais que partager votre trouble. Je crains cependant que personne d’autre que celui qui nous a ramené ne possède une réponse fiable. Malheureusement, celui-ci a disparu, sans doute vaincu… Même les étoiles n’ont su m’apporter de réponses.

Orias grignote, réfléchit. Pas tant sur ce qu’il souhaite dire que sur la manière dont il va l’exprimer.

- En ce qui me concerne, je me suis « réveillé » à Tokyo. En cette ère qui ne correspond à rien de ce que j’ai connu. Certains ont pu le voir, il paraît. Celui qui nous a fait ça. C’est ce que j’ai entendu en tout cas, mais je suis sans doute un idiot qui cherche trop à se fier à sa propre expérience. Pour moi, cela se limite donc à « un jour j’étais mort, le lendemain je ne l’étais plus ». Personne n’a rien attendu de moi, sinon l’organisation qui m’a rapidement recruté et permis de… m’adapter, en quelque sorte, même s’il me reste sans doute encore beaucoup de travail. Alors, « la raison »… Semer le trouble, peut-être. Comme balancer une couverture infestée de puces dans la chambre d’un mauvais payeur !
Il est aussi possible que nous n’ayons été qu’une première étape. Mais qu’il n’ait eu le temps de procéder à la suite. Ainsi, nous serions les déchets d’une expérience avortée. Hum… tout cela est peu flatteur j’en conviens. Parasites et déchets nous rabaissent sans doute par trop, mais dans l’idée… ah ! Qui sait ? J’ai tendance à me dire en tout cas que face à la grandeur de ce monde, nous ne sommes rien. Sans doute ma vision du monde, opposant les tout petits rouages que nous sommes face à l’implacabilité des astres s’élevant bien au-dessus pour les siècles des siècles, joue-t-elle dans ma façon de voir le rôle que nous jouons dans cette grande comédie.
Alors, permettez que j’y ajoute une pensée ! La raison de notre retour joue moins que la raison que nous souhaitons donner à notre nouvelle existence. Ce que d’autres ont décidé pour nous importe moins que ce que nous déciderons de faire de cette seconde chance. Nous avons déjà eu une existence, et profitons d’une autre afin, je pense, de partager notre expérience. À nous d’en tirer le meilleur, pour que nous qui venons d’hier puissions offrir ce jour d’hui un meilleur avenir pour demain ! Ahah, je suis content, j’ai réussi à bien la sortir, ça faisait un moment que j’y pensais, j’avais peur de me mélanger les pinçons ! Ahah !

Eh oui, qu’est-ce qu’il pouvait causer quand il s’y mettait… de quoi lui donner soif assurément, et ça tombait bien, il avait un godet à côté de lui pour faire passer le grignotage, qu’il s’empressa de vider.

Le lieu de la discussion décidé, Katsuo suit son interlocuteur, l'accompagnant avec une maigre pitance. Cela ne le dérange pas foncièrement de manger un peu plus, et même si il n’est pas ici depuis aussi longtemps que le King, lui aussi s’est bien vite rendu compte que la nourriture ne serait pas ce qui lui manquerait dans cette nouvelle vie. Un des quelques avantages qu’il parvient à trouver à cet ère aujourd’hui, pour l’heure cela dit, il peine à en trouver beaucoup plus.

Assit face à l’astromancien, le forgeron demeure attentif, écoutant ses dires sans intervenir, grignotant quelques grains de riz avant de laisser de côté ses baguettes. L’aisance sociale du King est sans commune mesure avec la sienne propre. Katsuo n’a jamais été très doué pour aller vers les autres, et n’a jamais été d’un naturel très bavard non plus, mais avoir un interlocuteur aussi loquace ne le dérange pas pour autant. Au contraire à cet instant, cela l’arrange bien de ne pas avoir à poser davantage de question et en apprendre plus sur cette condition qui est la sienne.

Qui est la leur.

Peut être que ça le rassure aussi un peu de ne pas être seul dans cette situation, quand bien même ne semblent t-ils pas le vivre de la même manière. Oui, ils sont très différents sur ce point là aussi… « Nous ne pouvons donc que faire des conjectures quant à notre présence ici… Et même ces personnes qui l'auraient rencontrés n'en savent rien ? » Un souffle, une question, son regard se perd un instant dans le vide. Est-il surpris de ne pas avoir de réponse claire et définie ? Pas réellement, à dire vrai, il avait un certain pressentiment sur le sujet qui ne l’a pourtant pas empêché de venir voir le King.

Leurs nouvelles existences. Ses prunelles mordorées viennent observer son interlocuteur dont le message se fait espérance. Lui ne voit ici que ce qui lui a été pris. Ce qui n’est plus. Ce qui est perdu. Une part de lui s’insurge et l’autre, résignée, ne fait qu’avancer. Comme il l’a toujours fait. « Peut-être que vous avez raison. » Semble t-il convaincu ? Difficile à dire, le visage du forgeron gardant une expression indéchiffrable.

Il vient récupérer entre ses doigts sa tasse de thé pour venir porter le breuvage à ses lèvres avant de reprendre. « La seule chose que je peux offrir à ce… monde, se sont mes compétences en forge. Il semble qu’ici, mon métier soit tombé en désuétude. » Il en éprouve un rien de peine et autant de trouble. A son époque, être un forgeron de son calibre offrait une reconnaissance certaine qui n’a plus autant de valeur ici. Il doit encore faire ses preuves quand bien même a-t-il déjà pu montrer certaines de ses capacités liées à son propre pouvoir.

- Pas que je sache, en tout cas.

Rétorque-t-il avant de s’enfourner une bouchée. Il n’avait jamais vraiment cherché à savoir, ni creuser. Jamais mené d’interrogatoire sur les autres dans une condition similaire à la sienne. Et il est vraisemblable que le Shinigami responsable n’avait pas plus de but pour eux, simples humains, que ceux qu’il avait évoqué. Tout du moins à ses yeux bien entendu, personne ne lui avait demandé de rendre des comptes, personne ne lui avait confié un objectif, une raison d’être autre que celle qu’il s’était trouvé pour lui-même.

En tout cas les réponses, maigres, du Roi des Pièces ne semblaient pas devoir être suffisantes pour combler les attentes de son interlocuteur. Même si lui n’y avait pas voué une curiosité excessive – il avait déjà ses étoiles pour répondre à toutes ses questions les plus primordiales – il pouvait aisément comprendre que ce genre de questionnement pouvait grignoter un être. C’était l’éternelle ritournelle ! « Qui suis-je, que fais-je ici, pourquoi exister ? ». Être et ne pas être, tout ça tout ça. Pour répondre à ces questions, chacun finissait par se raccrocher à ses propres croyances, afin de n’être écrasé par le poids de ces interrogations existencielles. Ainsi, les Dieux avaient vu le jour. Dans toutes les civilisations, sous bien des façettes. Au moins, en tant qu’éveillés, avaient-ils là dessus une longueur d’avance !

Puis il pouffe. Manque de s’étouffer, se tapote le torse du poing en levant la tête pour faire passer. Rire en avalant, c’était pas dingue comme expérience. Ce n’était même pas une franche hilarité en plus, juste un léger ricanement qui avait mal tourné. Heureusement, cela passe, il n’aurait pas à mourir pour la seconde fois aujourd’hui. Enfin, il explique la raison de son amusement.

- Imaginez… moi j’étais pirate ! Je sais me diriger au milieu de l’océan, je sais la différence entre babord et tribord, je sais souquer les artimuses… Je dois faire quoi de ce savoir ! Héhé. Mais je pense que cela va plus loin que cela. Il ne s’agit pas que de nos compétences, de nos savoir-faire. Mais nous avons un vécu différent. Un point de vue décalé sur le monde. L’expérience de nos vies, personne de nos contemporains ne peuvent s’en targuer, sinon nous-même. Il nous revient ensuite d’en tirer le meilleur parti. Je vous accorde volontiers que ce n’est pas chose facile cependant. Que pouvons-nous faire de mieux ?

Un léger sourire qui s’étire, respirant l’amabilité et la compassion. Face à la rigueur de l’existence, mieux valait sans doute une pointe de philosophie.