Wolf & Spirit [Pv. Jinro]

Longtemps, j’ai cru que je passerai le reste de l’éternité à errer dans les bas-fonds du Rukongai, à fuir mes responsabilités et la douleur de la mort de ceux qui m’étaient chers. J’ai envisagé de mettre fin à mes jours plusieurs fois à cette époque, sans pour autant avoir le courage nécessaire pour cela. J’imagine que, sans la pression spirituelle qui m’a permis de rejoindre les rangs de l’armée, je ne serai encore qu’une âme vide et terne, longeant les murs des districts les plus profonds du Rukongai, à la recherche d’un but précis. Malheureusement, cet objectif, il s’est imposé à moi à la mort de mon frère. Je suis devenu shinigami pour accomplir son rêve, à lui qui n’a pas eu l’opportunité de le faire. J’ai eu un moment l’impression de trahir sa mémoire, mais je me dis aujourd’hui qu’il doit être fier d’observer son frangin évoluer vers les hautes sphères, s’élever dans la hiérarchie comme il l’a toujours désiré.

Voilà déjà un moment que j’ai rejoins les rangs de la Septième division. Celle-ci est chargée principalement de la défense du Seireitei en cas d’attaque, même si les tâches dont je me suis acquitté jusqu’à présent relèvent plus du bons sens que d’un réel besoin de protéger le recoin des éveillés. Mes compétences grandissants sans même que je n’ai eu l’envie de progresser outre mesure, j’ai réussi à atteindre le prestigieux troisième siège, que je partage avec un certain Komamura Jinto. La hiérarchie étant ce qu’elle est, nous assumons donc conjointement les responsabilités attenantes à ce poste, et j’imagine que cela fait de nous une sorte de binôme que les autres doivent respecter.

Pour autant, plutôt solitaire dans l’âme, j’ai des difficultés à me dire qu’il me faut ainsi partager avec quelqu’un d’autre. De toute manière, je ne compte pas stagner à ce grade bien longtemps. Je sais que je dois faire en sorte de m’élever toujours plus haut, jusqu’à atteindre les sommets que mon frère aurai ambitionné.

Ce matin-là, je dois retrouver ce binôme à l’allure bestiale – ne cherchez pas à comprendre – près de l’un de nos quartiers. On s’est donné rendez-vous afin de discuter sur les éventuelles évolutions attenantes à la division, mais c’est uniquement un prétexte afin de pouvoir en apprendre plus l’un sur l’autre. Il faut dire que je suis à ce poste depuis peu de temps, et qu’il va bien falloir que j’apprenne à m’accommoder de cette autre personne non-désirée si je ne veux pas faire trop de conneries.

J’arrive sur le lieu où nous avons convenu de nous retrouver, à savoir un petit parc à ciel ouvert présent non loin des quartiers de notre division. Je suis un peu à l’avance, aussi en profitais-je pour signer quelques formalités administratives attenantes à la gestion de la Septième division. Le rôle de troisième siège n’est pas le plus prisé, principalement parce que c’est bien souvent à lui que reviennent les tâches ingrates dont le vice-capitaine et le capitaine ne veulent pas. Plongé dans mes papiers, je sifflote doucement. Une étrange journée en perspective.

Pour être tout à fait honnête, je suis à chaque fois surpris par l’apparence de mon acolyte, malgré le fait qu’on se cotoie au sein de la même division depuis un moment déjà. Il faut dire qu’il est plutôt rare de croiser un être à l’apparence de loup antropomorphe, se distinguant de l’humain uniquement par le physique. Selon certaines rumeurs, ceux qui sont frappé de cette apparence sont originaires d’une contrée lointaine, mythique du nom de Royaume des bêtes. J’ignore si elle existe vraiment, et il me semble bien impoli de poser la question à mon collègue. De toute façon, de là où il vient ne m’est que peu utile : moi-même, j’ai grandi dans le Rukongai, lieu pas forcément plus fréquentable au demeurant. Et sans les politiques de recrutement qui ont suivi la guerre contre les Datenshi, j’y résiderai certainement encore.

- « Salut, Jinro. »

Son entrée en matière est quelque peu détachée. Il faut dire que l’on ne se connaît pas vraiment, et j’ai souvent ressenti une forme de tension entre nous. Pas quelque chose de palpable, mais disons qu’il semble me tolérer plus que m’apprécier. C’est peut-être réciproque, ou tout du moins est-ce ce que je dois faire transparaître dans nos échanges. Non pas que j’ai quelque chose contre lui, mais simplement que nous ne connaissons pas assez pour entretenir des relations autre que cordiales.

- « J’ai signé la plupart des rapports. Des formalités administratives pour des demandes de modification d’horaires de certains professeurs, en majorité. Tes collègues semblent aimer faire cours en matinée plutôt qu’en fin de journée. », dis-je en agitant les papiers sous son nez.

Je sais Jinro enseignant au sein de l’Académie des Arts spirituels. Une fonction qu’il assume conjointement à ses obligations de troisième siège et de shinigami, chose que je ne peux que louer. Moi-même, avec mes seules responsabilités, j’ai l’impression d’être débordé la plupart du temps. Je me vois mal, en plus de cela, donner des cours à de futures recrues potentielles. Même si le passage de flambeau est important, je laisse volontiers cette tâche à ceux qui ont la fibre pédagogique.

Devant le regard insistant de Jinro, je comprends que c’est certainement la fin de sa phrase qui l’inquiète le plus : « Tu voulais qu'on se parle ? ». C’est suite à une introspection sur mes propres prérogatives en tant que shinigami que j’en suis venu à la conclusion qu’il va falloir que j’accepte de m’ouvrir légèrement aux autres, ne serat-ce que par soucis de devoir assumer à l’avenir certaines obligations sur le champ de bataille.

- « Le prend pas mal, mais j’ai l’intime conviction que l’on ne se connaît quasiment pas. Non pas qu’il soit dans mes intentions de faire ami-ami avec mes collègues, mais il me semble important que nous apprenions à être au moins familier l’un à l’autre, en vue de nos fonctions respectives. Une guerre n’est jamais loin, et il nous faudra pouvoir compter les uns sur les autres. Du coup, j’me disais qu’on pouvait peut-être profiter de cette rencontre pour discuter. »

Tout en parlant, je baisse la tête. Pour un introverti et taciturne comme moi, difficile d’assumer pleinement cette phrase. Et même si ça me demande un effort considérable, je suis conscient que c’est certainement la meilleure des choses à faire pour espérer progresser dans le confort de notre division. Si les troisièmes sièges, anomalie de la hiérarchie, ne parviennent pas à s’entendre et ne se connaissent sous aucun aspect, difficile d’envisager un avenir prospère que celle qui, comme le jonc odorant dont elle est floquée, se doit de représenter le courage au sein du Gotei 13.

L’avantage avec les shinigamis, c’était qu’ils préféraient mille fois la franchise aux langues de bois. Sûrement un trait propre aux soldats en général, mais je n’en avais croisé que trop peu d’autres lors de mes séjours dans le monde humain pour savoir si ce trait de caractère était commun à toutes les professions de garde. Ceux que les humains appellent « militaires » me semblent être du même acabit que la plupart des hommes du Gotei 13, à savoir des personnes droites, martiales et vertueusement exempte d’ambitions opposés à celle de la cause suprême.

Jinro, lui, ne trahit pas à cette image. Il ne s’appesantit pas de mes quelques remarques qui auraient pu en vexer d’autre, et se contente d’approuver. Après tout, difficile de contredire quand on observe de près le lien que nous entretenons depuis un moment. Et ses paroles sont emplies d’une forme de sagesse qui m’échappe encore. Bien loin d’être l’amalgame entre un pieu et un vertueux, je ne sais pas donner de conseils s’armant de mon expérience, et je me contente généralement de les recevoir, d’observer ceux qui m’entourent d’un œil songeur et admiratif. Pourtant, du haut de mon siècle de vie, il n’est pas difficile de dire que j’ai acquis un semblant d’expérience. Mais ne la mettant pas à profit, je n’en fais pas profiter les autres.

- Je n’ai pas la prétention de m’imaginer Capitaine avant toi, Jinro. Mais je comprends le fond de ta pensée.

L’homme-loup me domine de sa hauteur, son sabre dans le dos. À ses paroles, je me rends compte que je ne connais rien de ses capacités. Nous n’avons jamais eu l’occasion de nous entraîner conjointement, et il est souvent de coutume pour les gradés de ne pas dévoiler leur sabre, même à des camarades proches. Pourtant, comme il le laisse entendre, il va bien falloir que l’on apprenne à connaître les capacités de l’un et de l’autre pour devenir pleinement efficace si affrontement il venait à y avoir à l’avenir.

- Mes ambitions ? Question bien vaste. Je suis devenu shinigami pour faire honneur à la mémoire d’un ami. Mon ambition s’arrêtait donc à l’accession à ce seul poste. Pourtant, avec le temps, j’ai compris que je pouvais rêver de plus. Aujourd’hui, je me dis qu’un grade supérieur pourrait me convenir. Même si ce poste de troisième siège est assez important, je pense que je peux encore m’élever un peu plus.

Compliqué de crier un rêve aussi commun sur tous les toits. Après tout, c’est l’adage même des shinigamis que de vouloir s’élever dans la hiérarchie. Je ne déroge aucunement à la règle, et mon ambition se trouve somme toute être une simple mesure similaire à tous les rangs de l’armée. Peut-être n’étais-je qu’un idéaliste ambitieux, finalement.

- Je te retourne la question, camarade. Qu’envisage-tu pour l’avenir ?

En écoutant le récit de mon collègue, je me rends compte des épreuves qu’il a du traverser. Sa condition fut certainement un frein à sa progression dans l’armée. Certains des plus conservateurs doivent voir d’un mauvais œil les quelques membres du clan Komamura qui èrent aujourd’hui dans les rues du Seireitei. D’après les échos que j’ai du passé du Gotei 13, l’ancien capitaine de la septième division était lui-même un homme-loup, bien qu’il le cachait la plupart du temps. Il a disparu suite à la guerre contre le Vandenreich, et on a plus entendu parler de lui depuis. Certains disent qu’il serait retourné à l’état sauvage, même si je n’ai jamais compris comment cela était possible.

- J’ai cru comprendre qu’il existait encore une forme de spécisme envers les membres de ton clan. C’est d’une bassesse d’esprit que je ne pensais plus voir de nos jours.

Même si, à vrai dire, les discriminations ne manquent à la Soul Society. Rien que le principe de séparation des richesses entre le Seireitei et le Rukongai entraîne forcément une dichotomie entre les âmes. Qu’une personne à l’apparence anthropomorphe soit victime de brimades, c’est finalement pas si étonnant que cela même si profondément exécrable. Quoiqu’il en soi, Jinro avait tout de même le mérite d’avoir réussi à se hisser dans la hiérarchie, et à devenir professeur pour l’académie.

- Et à ce que j’ai cru comprendre, tu t’en sors vraiment bien dans ton rôle de professeur. Les élèves semblent te respecter autant que craindre ta force. Le mérite de ta réussite, tu ne le dois qu’aux prix des efforts que tu as dû fournir pour en arriver là.

Apparemment, il n’aspirait à rien de plus que les fonctions qu’il occupait déjà. Une bien belle façon de mener sa vie, sans ambition profonde mais simplement mû par le désir de protéger ce que l’on possède. Les rêves et les idéalismes ne sont pas forcément bien vu dans une société comme la nôtre de toute façon, où le besoin d’accomplir les missions pour le plus grand nombre et dans l’intérêt d’une divinité supérieure passe avant toute ambition personnelle.

Malgré cela, je dois reconnaître que les paroles que prononce mon partenaire de poste résonnent en moi. Cette histoire de prise de conscience de ce qu’implique mon travail, ce qui fait tourner notre division. À vrai dire, c’est le temps qui m’a permis de comprendre ça, de ne plus être un simple combattant avide de prouver sa valeur. Certes, je me dois toujours de montrer aux autres que je ne suis pas en berne. Pour autant, même mon travail de bureau a son importance dans les rouages bien huilés de la Soul Society.

- J’ai pris conscience du rôle primordial de notre division récemment. Auparavant, j’étais dans une forme de dénis et d’abnégation envers les obligations de la Septième. N’ayant pas la fibre de l’enseignement, je suis, depuis mon arrivée, relégué aux tâches administratives. Pour autant, j’ai fini par comprendre l’importance de ce que cela implique. Former les générations futures, contribuer à la pérénité de notre ordre, à la protection des différents mondes.

Assis sur mon banc, les mains derrière la tête, j’observe le colosse me dominer de sa hauteur. Il fait beau ce jour-là, et cette petite discussion me change les idées. Depuis quelques temps, j’ai l’impression que le souvenir de mon frère revient bien trop régulièrement frapper à la porte de mon esprit en apparence calme. Même les échanges réguliers que je peux avoir avec Hōgaku, l’esprit de mon Zanpakutō, ne parviennent pas à réellement m’apaiser.

- Pour être honnête, j’ai l’impression d’être une sorte d’imposteur. J’ai intégré le Gotei 13 après la guerre avec les Datenshi. À l’époque de gloire des armées de la cours, je pense que je n’aurai même pas pu prétendre au poste que j’occupe actuellement. Peut-être est-ce un mal pour un bien, mais j’ai l’amère conviction de n’être pas assez fort pour espérer me hisser à la hauteur de nos prédécesseurs. Tu n’as jamais ce sentiment, toi ?