Fleurs de nuit - Akemi

« Vous reprenez des forces. C'est une bonne chose. » Un acquiescement timide est seul à me répondre, et mon sourire s'accentue, se fait un rien plus doux. Le regard d'argent de la jeune femme assise face a moi demeure baissé, a moitié dissimulé par ses cheveux sombres attachés lâchement par un simple cordon de soie. La demoiselle a bien meilleure mine qu'il y a plusieurs mois, lorsque je l'avais vu pour la première fois, alité et malingre. A présent, le kimono et le haori qu'elle portait ne semble plus pendre sur ses épaules comme une veste prendrait sur un cintre et cela me ravit en tant que médecin.

J'examine une dernière fois le bracelet à son bras avant de prendre congé, donnant aux domestiques le traitement à lui donner et les recommandations liées. Toujours les mêmes, mais je ne peux m'empêcher d'insister.

J'ai à peine le temps de passer la porte qu'une voix m'interrompt dans mon avancée. Une voix de femme fluette et un rien empressée. « Capitaine …!» Je me détourne, voyant ma patiente se rapprocher, un livre serré entre ses mains. « Vous avez oublié votre livre. » Mon sourire s’accentue, se fait un rien plus amusé.« Vous m’avez dit être intéressée par les plantes, non ? C’est un bon livre sur le sujet. Vous pouvez le garder, je le connais bien maintenant et j’ai bien suffisamment de livres sur le sujet pour ne pas être gêné par son absence. » Embarassée, la demoiselle ne sait que dire. « Je… mais… vous…» Mon rire finit par l'interrompre. « Prenez le, ce n’est qu’un livre. Il vous sera plus utile à vous qu’à moi. » Rougissante, elle baisse la tête, finissant par acquiescer. « Merci. » Un sourire simple lui répond. « Vous devriez rentrer, la nuit commence à tomber. Ce serait dommage que vous attrapiez froid. » Comme prise en faute, elle sursaute, avant d’acquiescer, s'inclinant profondément face à moi pour me remercier une dernière fois. Mes lippes demeurent ourlées mais un rien de trouble se glisse dans mon regard alors qu’elle rentre escortée par ses domestiques dans cette maison traditionnelle.

Un rien austère. Mes paupières s’éteignent et je m’éloigne de la demeure de la noble famille Furukawa.



Mes pas me mènent dans les quartiers de la huitième division. Mon haori sur les épaules, mes cheveux coiffés dans une tresse épaisse pendant sur mon épaule, je suis tranquillement le shinigami qui m’amène jusqu’au vice capitaine de sa division. Le soleil s’est couché mais au vu de la direction prise, je me doute que Akemi n’est pas en train de se reposer présentement.

Je n’en suis pas spécialement surpris.

Il s’incline avant de me laisser après un remerciement de bon alois. Lorsque je me glisse dans la pièce, je ne peux empêcher un sourire un rien désabusé de glisser sur mes lèvres.

« Encore en train de travailler ? » Ma voix demeure badine, un peu amusée malgré cette habitude bien ancrée. Je ne peux pas la blamer.

La Shugoshin était à son bureau comme souvent. Il faut dire qu’entre le Vice Capitaine qui avait prit la poudre d’escampette et le journal à gérer, elle avait beaucoup à faire. Présentement, elle lisait un article rédigé par l’association des femmes shinigami portant sur la mode et les nouveautés en matière de bikini. Le rouge aux joues, la jeune femme trouvait cela tout à fait déplacé et inconvenant. Trop pudique peut-être, une ancienne aux allures de jeunes demoiselles, elle avait conservé cette réserve que l’on avait à l’époque vis à vis de son corps. De nos jours il étaient habituel de montrer sa peau. Si elle faisait avec, respectant l’évolution des mentalités, pour sa part elle n’en ferait rien. Que l’on ne vienne pas lui demander de porter ce genre de chose ! Une sortie à la plage ne lui déplairait pas, au contraire. Mais dans ce cas, elle porterait tout de même une robe à minima. L’article en question était correct, sans plus. Pas d’obscénité. Après avoir corrigé quelques tournures de phrases ici ou là, elle n’aura plus qu’à le renvoyer pour que l’auteur en valide ses modifications.

Tandis qu’elle travaille à la reformulation, une voix l’extirpe de sa réflexion. Elle en sursaute même. D’une part parce qu’elle ne s’attendait pas à recevoir de la visite et d’une autre, parce qu’elle s’attendait encore moins à ce que ce soit cet homme qui vienne la voir. Elle étire ses lèvres en un grand sourire.

« Hirō ! Quelle bonne surprise ! Et oui comme tu le vois… Le travail ne se fait pas tout seul malheureusement. Quel bon vent t’amène ? C’est rare de te voir ici. Aurais-tu besoin de mon aide ? »

Alors qu’elle s’était levée, délaissant son matériel de côté, elle se dirige machinalement vers la bouilloire après lui avoir désigné un fauteuil où il pouvait s’asseoir s’il le souhaitait. Ne sachant pas s’il aurait besoin d’elle tout de suite, ou s’ils allaient simplement discuter, elle attendit avant de servir du thé.

Une bonne surprise. Visiblement, ses paroles s’accordent avec ses pensées puisque sur son visage s’affiche un sourire accueillant à mon égard. J’ai bien fait de faire ce petit détour avant de rentrer pour me reposer. Je m’avance dans la pièce après avoir soigneusement fermé la porte du bureau derrière moi, me dirigeant d’un pas tranquille vers le siège qu’elle m’a désigné alors qu’elle s’occupe de préparer du thé. Mon sourire demeure sur mes lèvres alors que je l’observe davantage.

Ne semble-t-elle pas plus fatiguée que la dernière fois que nous nous sommes vues ?

Il me semble que oui, mais son nouveau grade n’y est sans doute pas étrangé. Akemi a toujours été une travailleuse acharnée, et devenir vice-capitaine n’a pas dû arranger cette habitude. La preuve au vu de l’heure actuelle. « Je ne viens pas en tant que Capitaine mais en tant que simple ami, si ça peut te rassurer. » Autant la détendre sur ce point. Pas d’affaires urgentes ou de missions sur lesquelles échanger ce soir, juste un ami qui vient prendre des nouvelles d’une de ses amies. Rien de plus et rien de moins.

Enfin… peut-être y a-t-il un peu plus que ce ‘juste prendre des nouvelles’ mais pour l’heure, ça n’a pas grande importance. Je viens m’asseoir dans le fauteuil, la remerciant d’un geste de la tête pour son invitation avant de reprendre. « J’étais dans les parages pour visiter un patient, je me suis dis que c’était une bonne occasion pour venir te voir. Je n’ai pas eu l’occasion de te féliciter en personne pour ta promotion. » Je lui avais envoyé un message avec un pochon d’un mélange de thé énergisant pour la féliciter mais le temps m’avait manqué ces dernières semaines pour passer la voir. Les soins de Seiichi et son rétablissement, notamment, m’avait beaucoup occupé.

« Et donc félicitation Akemi pour ton poste. » Mon sourire est plus présent sur mes lèvres à ces mots. Je trouve qu’elle a tout à fait les épaules pour ce poste. « Tu t’en sors ? » Une petite mine réflexive avant que je reprenne. « Enfin, j’ai souvenir que tu t’occupais déjà de ces tâches lorsqu’il y avait le précédant vice-capitaine, si je ne m’abuse. » Nous en avions parlé lors de notre petit échange à l’hôpital. Son vice-capitaine à l'époque ne semblait pas être un travailleur aussi acharné qu’elle ne l’est elle même… Ce qui ne me surprend pas vraiment.

Visite amicale donc. Alors la jeune femme sert le thé, un blanc fin et délicat avec quelques notes de jasmin. Contrairement aux autres thé, afin de ne pas abîmer les feuilles longues et fragiles, l’eau n’est pas bouillante, juste assez chaude. Cela demande un savoir faire et un raffinement qui caractérise bien la Shugoshin. Lorsque les tasses sont servies, Akemi sourit et porte la sienne à ses lèvres. L’avantage de ce thé, c’est que l’on ne se brûle pas la langue. Il est tout de suite consommable. Pas besoin de patienter qu’il refroidisse un peu avant de pouvoir profiter de son goût si particulier.

« Merci. Cela ne change pas grand-chose à mon quotidien en effet. Déjà en tant que troisième siège je m’occupais de tout. Là j’ai un peu plus de légitimité aux yeux des autres et un peu plus de pouvoir aussi peut-être… Mais pour les Shinigamis de ma division, cela ne fait pas grande différence. »

Elle sourit avec douceur puis tourne la tête vers la pile de documents qu’il reste à traiter. Elle se souvient de la courte période où la Huitième a eu un Vice Capitaine. Se souvient surtout de ses appréhensions, de ses inquiétudes et de sa possessivité vis à vis de ces responsabilités qu’elle avait l’impression de se faire voler. Et puis elle avait expérimenté un peu ce que cela faisait de partager le travail. Même s’il ne faisait pas grand-chose côté paperasse, il fallait reconnaître que sa présence l’avait aidée d’une certaine manière.

« Je ne vais pas te mentir, c’est épuisant. Je ne sais pas où a disparu mon ancien Fukutaisho, mais je regrette presque qu’il soit parti. Je crois… Que mon obsession pour l’ordre m’a fait perdre de vue l’essentiel. »

Ses yeux bleus fatigués se posent sur son ami. Décidément, il était toujours là au bon moment.Ou au mauvais ? Enfin à celui où elle a le plus besoin d’avoir quelqu’un à qui parler alors ça tombait bien. Le pauvre quand même, à chaque fois qu’ils se voient elle lui déballe tous ses tracas…

« Je voulais devenir Capitaine pour que tout reste sous contrôle. La crainte du désordre m’a un peu aveuglée. Mais au final toutes ces responsabilités, je ne suis pas certaine que c’est vraiment ce dont j’avais envie. Mon devoir de protectrice passe au second plan, je me retrouve mêlée à des histoires louches et mise en examen… Tout ça c’est trop pour une seule personne. Je commence à croire que l’arrivée d’un Capitaine serait un soulagement. Enfin ça dépend dudit Capitaine… S’il se met à semer paresse et désordre je risque de frôler la crise d’angoisse ! »

Sourire en coin sur les lèvres, elle exagère peut-être un peu, ou pas. Qui sait ? Fatigue et stress ne font pas bon ménage !

Un sourire accueille la tasse qu’elle me dépose en guise de remerciement. Je la laisse tranquillement prendre le fil de mes questions alors que je viens doucement récupérer le contenant pour le porter à mon visage. L’odeur est douce, un peu fleurie, et je reconnais le mélange de fragrance qui s’en dégage. Ses propriétés ne seront pas superflus pour mon amie. Je viens gouter du bout des lèvres le breuvage alors que les paroles de la jeune femme s’échappent de ses lèvres. Mon regard suit le sien, détaillant la pile de documents sur son bureau et je la laisse continuer, préférant ne pas l’interrompre dans le fil de ses pensées. J’ai l’impression qu’elle a besoin de parler, alors je me fais oreilles attentives.

Après tout, c’est aussi pour cette raison que je suis ici aujourd’hui.

Épuisant. Au vu de la fatigue que je décèle dans son visage, je ne doute pas de la véracité de ses paroles. Et connaissant le caractère perfectionniste de la jeune femme, aucun doute qu’elle s’épuisera encore pour parvenir à réduire cette pile sur son bureau. Mon regard se fait compatissant. J’ai connu ça aussi lors de mes premiers pas de capitaine aussi, je ne peux que comprendre ce qu’elle ressent aujourd’hui. Être Vice capitaine ou capitaine n’est pas si différent lorsqu’il nous manque un maillon dans la chaine hiérarchique, qu’il soit l’un ou l’autre. Mes paupières s’éteignent à sa conclusion.

Peut être n’est elle pas fait pour cette position. Peut-être n’aime t-elle pas cette position. Ou peut-être que le contexte n’est pas propice à cela.

Je viens déposer la tasse sur la table face à moi avant de commencer. « La fameuse maxime du “on est jamais mieux servi que par soi même”. Je la connais bien. » Mon sourire se fait amusé. Après tout c’est un peu à cause de cette maxime que je suis devenu Capitaine. Mon ton se fait un peu plus sérieux par la suite. « Il s’est passé beaucoup de choses ces derniers temps pour toi. J’en ai entendu parler. » Mes prunelles se font plus troubles puis s'éteignent un instant. En tant que capitaine de la quatrième division, il y a certains éléments que j’ai pu avoir en ma possession mais je n’irai pas plus loin sur le sujet. Les rumeurs aussi sont parvenues jusqu’à moi par l’entremise de Shun. Il connait mes liens avec la Shugoshin. « L’accumulation de tous ces évenements et ta prise de fonction officielle doivent en effet être pesante. Etre un siège même en remplissant le rôle d’un vice capitaine et devenir officiellement vice capitaine, ce n’est pas la même responsabilité ni la même charge - mental ou de travail. » Les gens doivent venir plus à elle qu’auparavant, certains doivent même se décharger auprès d’elle vu qu’elle est officiellement à la tête de la division en attendant un capitaine compétent… Un capitaine qu’elle semble attendre avec impatience ! Mais pour l’heure, c’est un peu compliqué à envisager et elle ne peut se permettre d’attendre un messie.

« Tu connais le secret des bons Capitaine ou vice capitaine ? » Mes lippes s’ourlent d’un sourire en coin. Autant la faire réfléchir un peu à cette question.

Le secret des bons Capitaines ? Akemi suppose que cela doit dépendre dudit Capitaine. Certains s’en sortent mieux en équipe. D’autres excellent quand il n’y a personne pour leur mettre de bâtons dans les roues. Le fameux « jamais mieux servi que par soi-même » comme venait de le citer Hirō. Y a t’il quelque chose de commun à toutes ces façons de faire ? Akemi ne voit pas. Elle réfléchit pourtant tout en buvant son thé.

« Je ne sais pas non. Sinon je ne serai pas là à me plaindre ! »

Elle sourit en coin, amusée par sa propre réponse. Ce n’était pas faux après tout. Ceci dit, une idée lui vient. Peut-être pas la bonne, mais c’est quelque chose qui peut être commun à tous.

« Savoir prendre du temps pour soi ? Hum… Non y en a qui prennent trop de temps. Je me souviens de ce Capitaine de la Treizième qui passait ses soirées à faire la fête dans son Bankai Taverne. Ça ne lui a pas réussi de toute évidence. Il a disparu. Je ne sais même pas ce qui lui est arrivé. »

Trop de détente, ça ne doit pas être si bon que cela si elle en croit cette information. Mais si ce n’est pas cela, qu’est ce que c’est alors ? Viennent alors en vrac tout un tas d’idées. La bonne est peut-être parmi elles, qui sait ?

« Savoir déléguer ? Tout faire soi-même ? Être bien entouré ? Ou bien organisé ? »

Elle affiche une petite moue.

« Quel est ce secret ? »

Elle n’imagine pas son ami autrement que débordé, prêt à tout donner pour son travail, pour l’hôpital et ses patients. Mais alors à côté de cela, à quoi peut bien ressembler sa vie ? Les occasions de le côtoyer ont été assez peu diverses. Cours, moments de pause pour un thé ou un repas ou encore intervention commune sur des cas difficiles… Cela remonte à loin maintenant. Il est plaisant de le voir dans un autre cadre que les murs de la Quatrième Division.

« Et toi ? Prends-tu suffisamment le temps de te reposer ? Que fais-tu quand tu ne prends pas soin des autres ? »