Une histoire de chaussures

Complètement soignée, Asteria a pris la décision de rester dans le monde des vivants. Si elle veut déverser sa haine sur le commun des mortels, il vaut mieux qu’elle ne reparte pas. Du mont Fuji, elle prend la direction de Tokyo. Sa Segunda Etapa a été scellée et elle a retrouvé une apparence presque humaine. Il ne reste plus que ce bout de masque dans ses cheveux qui pourrait la trahir, encore que, elle pourrait bien le faire passer pour un accessoire de mode. Inutile de se presser, elle prend son temps. Chemin faisant, elle repense à ses anciens camarades et se souvient que Borick avait pour projet imminent de venir sur Terre. Un petit sourire machiavélique sur ses lèvres, elle se dit que ce sera là l’opportunité qu’elle recherche. Et en attendant, elle fera profil bas.

Même si la plupart ne la voient pas, elle doit se préparer à l’éventualité de croiser l’un de ces Fullbringer ou même un Shinigami. Dans ses vêtements habituels, elle n’est pas des plus passe-partout alors la première chose qu’elle fait, c’est de s’approprier quelques vêtements dans une boutique. Elle passe ses journées à attendre, guetter, observer, profiter et parfois lire un livre emprunté. Voire même les deux en même temps comme aujourd’hui.

L’Argentée est installée en terrasse d’un bar. Les vivants n’approchent pas de sa table, comme si leur instinct de survie leur intimait de façon inconsciente d’en rester éloigné. Cela l’arrange bien. D’autant plus qu’aujourd’hui elle est de mauvaise humeur. Le roman qu’elle lit lui rappelle trop ce tout récent ami qu’elle s’était fait. Indéniablement, il lui manque. Ç’en était à se demander si ce vide ne pouvait pas dépasser son esprit vengeur. Mais non. Elle patiente, et c’est là l’une de ses plus grandes qualités. Outre le livre entre ses mains, on peut également voir un grand verre d’Ice tea posé sur la table, accompagné d’une paille et de glaçons.

Faisant une pause dans sa lecture, le livre est posé sur la table et le verre le remplace dans la main de l’Arrancar. Elle en aspire une gorgée de thé glacé. Son regard se pose alors sur une jeune fille aux beaux cheveux blanc comme neige. L’Argentée s’étonne de la voir pieds nus. Se faisant cette réflexion, leurs regards se croisent. Elle l’a vue. Asteria pourrait tout aussi bien détourner les yeux et se replonger dans son roman, mais c’est la curiosité qui prend le dessus. Montrant les pieds de la fillette de son index, elle lui demande :

« C’est une nouvelle mode ? »

Observant la jeune fille, Asteria se demande ce qu’elle est. Il arrive chez certaines personnes plus sensibles que d’autres qu’elles soient capables de voir les morts en de rares cas. Mais elle pourrait aussi être de ces humains dotés de capacités spirituelles non négligeables. Alors elle doit rester sur ses gardes pour ne pas risquer d’alerter l’Ultima Necat. Il est trop tard pour ce qui est de passer inaperçu. Sa propre faute. Mais elle pourra difficilement se faire passer pour un simple plus, n’ayant pas de chaîne pendant de son corps. Un détail, mais qui pourrait lui causer du tort si elle n’y prend pas garde.

Asteria a beau couver une forte haine envers ceux qu’il y a peu elle étudiait avec fascination, elle va devoir montrer patte blanche. Cependant, ce ne sera pas vraiment un souci pour celle qui pense que la vengeance est un plat qui se mange froid. Et puis cette petite n’a pas été présente lors de la dernière bataille, ou du moins, Asteria ne l’y a pas vue.

On en revient donc au sujet de discussion qu’elle a lancé. La réponse de la fillette lui arrache un sourire. Ah si elle savait… Au monde creux, bien des êtres n’ont pas de pieds. Cela dit, ce n’était pas la réponse attendue. Alors elle ferait mieux de préciser sa question.

« Certes. Mais rares sont ceux qui ne portent pas de chaussures. C’est… curieux… Le sol n’est pas douloureux ? Pas trop sale ? Pas trop… brûlant ? »

L’Arrancar se demande si elle n’est pas passée à côté de possibilités, de raisons qui justifieraient l’absence de chaussures. Elle n’a pas l’air pauvre, en tout cas ses vêtements ne sont pas abîmés et elle ne semble pas en sous-alimentation. Un oubli ? Une perte ?

« Les aurais-tu laissées quelque part ? Es-tu perdue ? »

Une petite qui préfère marcher pied nus. Soit. Les enfants ont de ces lubies, et puis, qui est-elle pour juger ? Dans son monde, les Hollow ne sont pas vraiment portés chaussures. Ce doit être un truc d’Arrancar. En tout cas, elle a eu la réponse qu’elle attendait et ne ressent pas le besoin de chercher plus loin une explication autre que celle donnée. La petite ne semble pas très à l’aise. A-t-elle compris ce qu’elle était réellement ? Quelle menace elle représentait ? La petite a l’air si mignonne, presque sans défense. De prime abord du moins. Mais Asteria a changé et il est plus difficile d’amadouer son coeur brisé. Le coin de ses lèvres s’ourle légèrement lorsque la demoiselle mentionne son papa. Asteria ne veut pas d’ennuis, pas aujourd’hui.

« Tout ce que je vais faire aujourd’hui, c’est boire tranquillement le contenu de ce verre. Rassure-toi. Et toi, tu ne vas pas me faire de mal non plus, n’est ce pas ? »

Les enfants disent toujours la vérité paraît-il. Mais il ne faut jamais se fier aux apparences et Asteria sera toujours vigilante. Surtout maintenant qu’elle sait que papa n’est pas loin.

« Tant mieux si ton papa n’est pas loin. Les rues peuvent être dangereuses. Des pickpocket surtout. Tu n’as rien de valeur dans tes poches j’espère ? Enfin. Je dis ça pour toi, ça m’est égal. »

A l’aide de son attitude nonchalante, elle met de la distance entre elle et la jeune fille. Il n’y a pas réellement de stratégie dans son attitude, c’est simplement qu’elle ne veut pas déclencher un combat et que jusqu’à preuve du contraire, son interlocutrice ne doit pas être de grand intérêt. Un peu plus que le commun des mortel quand même, sinon elle ne poursuivrait pas ainsi la discussion. Et puis un peu de divertissement, c’est bon pour tuer l’ennui. Ces derniers jours il ne se passe pas grand-chose. Les occasions de discuter sont rares. Finalement, ce n’est pas si mal de poursuivre un peu.

« Pourquoi ne devrais-je pas être là ? »

L’innocence apparente de la gamine a un étrange effet sur l’Arrancar. Ces derniers temps, elle en était venue à détester les vivants. Plus encore ceux dotés de capacités particulières. Parce que c’est leur faute si elle a failli mourir. Parce que c’est à cause d’eux que son monde risque d’être englouti dans le néant avec leurs expériences égoïstes. A cause des vivants également que les Hollow sont ce qu’ils sont. Alors la gentillesse de la petite l’attriste. Elle ne sait pas vraiment pourquoi. Peut-être qu’elle se dit qu’avec les années, en prenant de l’âge l’enfant changerait et deviendrait comme ces autres qui agissent comme ils l’entendent sous de faux bons prétextes sans se soucier des conséquences. Les sacrifices nécessaires et les dommages collatéraux sont des droits qu’ils se prennent en se croyant tout permis. Mais tel n’est pas le cas. Elle et les autres de l’Acuerdo ne l’entendent pas de cette oreille. Alors forcement, ça fait des étincelles.

« C’est un Bubble Tea. C’est très bon, et les petites perles dedans c’est plutôt amusant. Tu connais ? Tu en veux un ? »

Un endroit pour les vivants. Oui ce n’est pas complètement faux. Asteria aurait bien aimé partir, rentrer chez elle, mais avant cela, elle doit recouvrer ses forces et on ne peut pas dire que la Terre soit le lieu le plus propice à sa régénération. L’Argentée n’est pas d’humeur à chercher la bagarre. En d’autres temps, elle aurait pu sourire amusée. Aujourd’hui elle se contente de pencher légèrement la tête de côté d’un air neutre. Un nouveau pion a fait son entrée. De ce qu’elle détecte, il n’a pas l’air très vivant non plus. Pas un Hollow, ni un Shinigami pour autant.

« On dirait que… Ton papa ? Veut que tu rentres. J’aimerai bien rentrer aussi tu sais, mais je n’en ai pas la force encore. »

Effectivement, en y regardant de plus près, elle n’a pas l’air en très bon état. Ses vêtements camouflent les blessures et des parties d’elle manquantes. Un bout de flanc, de hanche et d’épaule qui la font paraître plus mince qu’elle ne l’est d’ordinaire. D’un air curieux, elle observe la petite et le truc qui l’accompagne. Elle n’a pas bougé d’un pouce. Néanmoins elle détaille les gestes et les postures, prête à fuir s’il le faut.