Retour du fils prodigue

- Je te crois. Je suis sûr que tu m'as dit la vérité. Tu ne prendrais tout de même pas le risque de faire tuer ta fille, après tout.

Droit face à l'homme attaché au mur, Muzan l'observait alors qu'il venait de clairement menacer sa fille. A dire vrai, ce n'était même pas une vraie menace mais plutôt une explication de ce qui risquait d'arriver si jamais il mentait. Effectuer ce genre de tâche ne lui plaisait pas forcément. Mais ne lui déplaisait pas non plus. En réalité, il s'en moquait. Il avait une dette envers un de ses employeurs et s'évertuait donc à la payer à sa manière. Si pour cela, il devait se débarrasser de quelques individus, peu importe finalement.

L'homme se mit à pleurer. Jurant qu'il avait tout dit. Muzan lui adressa un petit sourire et se rapprocha de lui. Murmurant à son oreille quelques mots inaudibles pour les autres personnes présentes. Le prisonnier se tût d'un coup, une peur plus intense que jamais dans le regard.

- Voilà qui est mieux. Bien, ce n'est pas tout ça mais j'ai encore des petites choses à régler moi. Faites moi sortir.

Son regard se porta sur un homme dans l'ombre qui donna son accord. Deux colosses escortèrent alors l'homme à la canne hors de la planque. Le soleil commençait à être haut dans le ciel et c'est avec un plaisir évident qu'il se dirigea en direction du port. Il les avait aperçu en arrivant et comptait bien se délester de ce fardeau maintenant qu'il en avait terminé avec la première mission. De quoi ? Et bien de ces deux Hollow qui semblaient avoir pris pour cible un vieil hangar à bateau.

Je sais que revenir, cela signifie reprendre la mission de protection de la ville. Et je n'ai rien contre, en effet. Il est important de nettoyer tant qu'on le peut. Même si ce travail rapporte forcément moins que l'autre. Il faut bien que je puisse prouver que je reprends du service après tout. Bien. Ils sont passés où, ces chers petits ?

La zone était désertée depuis bien longtemps. Ici au moins n'aurait-il pas à faire trop d'effort pour cacher ce qu'il était. Pas âme qui vive... En dehors de ces drôles de créatures qui l'observaient avec appétit. Il eut un sourire en les remarquant. Muzan n'était ni le plus rapide, ni le plus doué pour détecter les créatures. Au point qu'il utilisait d'ordinaire une petite machine que les Cups lui avaient donnés. Une sorte de détecteur. Ici, il n'en aurait pas besoin.

Maintenant qu'il était seul et hors de vue, il allait pouvoir travailler. Canne à la main, il leva cette dernière avant de frapper deux fois au sol.

- Eveille-toi, Terra !

La canne s'enfonçait déjà dans le sol alors que de la terre apparaissait et se propageait sur une surface autour de lui, remplaçant le bitume. Sans canne, il ne pouvait se mouvoir très facilement. Mais en réalité, il n'en avait pas besoin. Son style à lui, c'était l'immobilisme. Il leva les deux bras.

- Dépêchons nous, je ne souhaite pas louper le déjeuner.

L’air marin était vivifiant en cette fin de matinée. Les sons des mouettes se mêlaient aux cornes de brume des navires que l’on voyait naviguer au large, se dirigeant vers des destinations inconnues. Le port de Tokyo était un endroit très fréquenté, les pêcheurs vendant directement leurs prises aux passants avides de poissons frais. Pourtant, en s’éloignant simplement d’une centaine de mètres, on pouvait tomber sur d’immenses hangars déserts destinés au stockage de marchandises pour les longs courriers. En dehors des horaires de chargement, il n’y avait jamais un chat. Ces petits coins étaient l’endroit parfait pour trouver des Hollows à la recherche de personnes isolées ou perdues qu’ils pourraient dévorer tranquillement sans attirer l’attention des Shinigamis.

Shikara Tanjô comptait bien mettre la main sur un spécimen pour l’étudier. L’idéal pour son projet serait de pouvoir observer de ses propres yeux un Hollow se nourrir d'un humain pour analyser l’interaction entre la matière physique et spirituelle. Enfin, il n’allait tout de même pas utiliser un citoyen en appât pour cela. Bien que provenant d’une époque où la vie humaine n’avait pas beaucoup de valeurs, lui-même ayant sacrifié beaucoup de cobayes pour ses expérimentations, il savait que ce serait mal vu au XXIe siècle. Il se contenterait donc d’analyser la façon dont le physique pouvait tuer le spirituel. C’était tout aussi intéressant.

Radar en main, il déambulait sur les docks à la recherche d’un surplus de reiatsu qui pourrait signifier la présence d’un monstre venu du Hueco Mundo. Cela faisait plus d’une heure qu’il marchait sans savoir réellement où aller. Au bout d’un moment, lassé par ses allées et venues stériles, le King of Cups se demanda s’il ne ferait pas mieux de rentrer et de retenter sa chance à la nuit tombée. Alors qu’il s’apprêtait à baisser les bras, l’appareil se mit à biper frénétiquement.

-Ha, on dirait que j’ai une prise !

Sans perdre une seconde, il commença à courir entre les grandes caisses métalliques qui jonchaient le port après avoir mis son radar en mode silencieux. Son entraînement chez les ninjas lui avait appris à se mouvoir vite et sans se faire remarquer. Il ne voulait pas que les créatures prennent la fuite en l’entendant arriver ou en sentant son énergie spirituelle. Le radar affichait à présent trois sources de reiatsu, l’une bien plus grande que les deux autres. Pas réellement inquiet à l’idée d’affronter trois monstres simultanément, il était tout de même intrigué. Pourquoi un Hollow aussi puissant s’encombrerait-il de deux petites frappes ?

Au détour d’un conteneur, il tomba nez à nez avec un homme, immobile, les bras levés vers le ciel. Face à ce dernier, deux Hollows s’approchaient d’un air de défi. De très nombreuses images se mirent à défiler dans l’esprit de Tanjô. Il avait déjà vu cet homme dans un des documents officiels de l’Ultima Necat. Toujours soucieux de tout savoir, il avait épluché absolument tous les rapports et tous les fichiers du personnel de l’organisation lorsqu’il avait obtenu le rang de King. Ce type n’était pas de sa section. C’était un Club. Il s’approcha du Fullbringer en tentant de sortir plusieurs instruments de sa sacoche.

-Vous êtes Koganei Muzan, c’est ça ?

Sans attendre la réponse qu’il connaissait déjà, il sortit d’énormes lunettes bardées de composants électroniques aux foyers très épais et les posa sur son nez. Puis, il accrocha deux dispositifs à ses oreilles et révéla un carnet de notes.

-Shikara Tanjô, roi des Cups. Vous tombez trèèèèèès bien ! Vous pouvez essayer de les tuer lentement ? Et l’un après l’autre. J’ai besoin de vérifier quelques phénomènes.

Il lui octroya un grand sourire. Tout son équipement lui donnait un air ridicule, mais sa demande était toutefois très sérieuse.

Le regard se posa sur l'homme qui venait d'apparaître. L'autre le connaissait et ne s'offusquait nullement de le voir ainsi immobile alors qu'à ses pieds, la terre semblait s'étendre, remplaçant le bitume et les pierres. Ce qui signifiait que l'homme appartenait de fait à l'organisation.

La réponse lui fut donnée rapidement. le King of Cups, rien que ça. L'homme semblait prendre le temps d'appareiller plusieurs gadgets inconnus du Koganei. Un autre que lui aurait certainement été intrigué, aurait posé des questions. Mais Muzan n'était pas ainsi. Il lui importait finalement que peu de voir pareille démonstration tant qu'on ne le forçait à rien.

- Vous êtes perspicace. Je suis bien Muzan. Pour ces deux-là, cela ne devrait pas être bien difficile.

Pas de question. Simplement, il reporta l'attention sur la créature la plus proche qui lui arrivait dessus. Des racines sortirent rapidement du sol pour s'enrouler autour de lui, le maintenant sur place mais décalant son corps sur le côté pour qu'il ne soit pas un obstacle face au second qui fondait aussi sur lui.

- Praefixi !

Une unique fleur apparue à ses pieds. Rapidement. Les pétales s'ouvrirent sur le coeur même de la fleur, laissant apparaître une épine qui fut projetée dans la direction de la pauvre créature. Touchée, cette dernière s'effondra presque immédiatement sur le sol. Le poison la maintiendrait sur place quelques instants, il n'en doutait point. Il n'avait toujours pas esquissé le moindre pas, reportant son attention sur la créature coincée par les racines. D'un simple geste de la main, il laissa ces dernières se refermer peu à peu sur le monstre, dont la prison rapetissait inexorablement. Les épines pénétraient sa chaire tandis que les racines poursuivaient leur oeuvre, détruisant lentement le démon qui finalement disparu.

- Je ne sais pas pourquoi vous m'avez demandé de prendre mon temps mais sachez que le second est paralysé. Néanmoins conscient. Il ne pourra pas vous attaquer. Je présume que vous vouliez étudier quelque chose sur eux. Il est donc à vous.

Je déteste les Hollow, il est vrai. Les tuer lentement ou rapidement, cela ne fait strictement aucune différence pour moi. L'on dit de moins que je manque de compassion. Ce n'est pas faux. Ce n'est pas que je ne ressens rien. Simplement cela ne me touche pas, je ne parviens pas à me mettre à la place des autres. Moins encore des monstres de ce type. Je laisse au Cups le soin de s'approcher s'il en a envie. Sinon... Et bien je terminerai le travail.

Car déjà une seconde plante était apparue à proximité de la première, bardée d'épines dangereuses. Attendant de les projeter vers le Hollow incapable de réactions.

Tanjô apprécia l’efficacité de son interlocuteur. Il ne perdit pas de temps à discuter et s’exécuta sans même poser la moindre question. Beaucoup auraient commencé par essayer de comprendre les raisons de la demande. Ce qui en soi serait tout à fait légitime, toutefois, il ne devait pas y avoir plus de trois ou quatre personnes sur la planète qui aurait été en mesure de comprendre les explications derrière la requête. De plus, lorsque Shikara Tanjô se mettait à expliquer les tenants et les aboutissants de ses expériences à quelqu’un, seul un grand coup derrière la nuque pouvait le faire taire. Là, il avait besoin d’efficacité, les Hollows n’allaient pas attendre bien gentiment qu’ils aient fini leur conversation.

Justement, le premier tenta une charge, mais des racines l’enveloppèrent rapidement. Intéressant, ce Muzan semblait avoir un contrôle total sur les plantes. À moins qu’il ne les crée de lui-même. Les fiches du personnel n’étaient pas aussi détaillées qu’il l’aurait souhaité, il n’avait qu’une description très sommaire des compétences de chacun et encore, parfois les Fullbrings n’étaient même pas évoqués. Le second Hollow fut fauché en pleine course par une épine empoisonnée et s’effondra inerte. Son corps ne se décomposa toutefois pas, signe qu’il était paralysé, mais bien en vie.

Tanjô s’accroupit et se rapprocha du Hollow empêtré tout en bidouillant son scanner. Il sortit un petit dictaphone de sa poche et l’enclencha.

-Premier cobaye. Des racines l’enserrent et l’immobilisent. Le Reishi de ce hollow est donc physiquement bloqué par le Kishi. Preuve que leurs fréquences sont semblables.

Un trait de lumière émergea du scanner et se mit à balayer la créature de long en large tandis que la prison végétale se resserrait pour le broyer petit à petit. C’était fascinant. Tant le pouvoir que l’interaction entre les deux matières supposées antagonistes.

-Excellent, excellent. Passons au second à présent.

Malheureusement, la présence de ce poison dans l’organisme du monstre risquait de fausser toutes ses données. Comment savoir comment le produit interagissait avec les cellules et quelle modification apportait-il à sa structure profonde ? Le scientifique s’approcha du Hollow et modifia quelques paramètres sur sa machine. Il installa le scanner au sol et l’enclencha. À nouveau, la lumière se mit à briller pour collecter un maximum d’information. Le King posa son doigt contre la tempe de la créature démoniaque et fit pousser son ongle très lentement. Centimètre par centimètre, la griffe s’enfonça dans le crâne, brisant les os et traversant les chairs. Après quelques secondes, le Hollow disparut. Tanjô se redressa et récupéra son matériel.

-Merci pour toutes ces données. Mais j’ai un problème. Vous pouvez me transpercer aussi avec cette fameuse épine ?

D’un geste, il souleva sa tunique pour laisser son ventre apparent sans protection. D’un sourire un peu forcé, il tenta d’inciter son interlocuteur à l’attaquer. C’était le seul moyen pour lui de déterminer les effets exacts de ce fameux poison pour qu’il puisse le soustraire des données recueillies précédemment.

Il observait tandis que l'homme débutait ses différentes analyses. N'étant pas versé dans cet art lui même, Muzan n'essayait même pas de comprendre ce qui se tramait. En réalité, il avait toujours été ainsi. Forcer les choses n'étant pas dans sa nature, il s'adaptait en permanence à la situation. Et si certaines choses lui échappaient, cela ne lui importait que peu. Sur cette Terre, il n'était de toute façon pas possible de tout comprendre. Alors pourquoi essayer ?

Quoi qu'il en soit, Tanjô paraissait maitriser son domaine et s'appliquait dans ses prises de note. Statique, Muzan laissait passer son regard de lui aux créatures, restant simplement sur ses gardes en cas de problème. Il était un Gardien, après tout. Son rôle étant d'assurer la sécurité de cette ville, il veillait aussi sur ses habitants. Même s'il était évident que le King serait en mesure de se défendre seul.

Il est méticuleux et je dois dire que j'apprécie ce genre de caractère. En un sens, nous sommes semblables. Il ne semble prendre aucun plaisir à tuer la créature même s'il parait passionné par son étude. Je peux percevoir assez clairement qu'il est du genre "précis".

- Si vous insistez.

Il n'était pas nécessaire de discuter outre mesure sur ce point. Il lui demandait une chose, Muzan étant en mesure de la lui accorder, il le ferait. Et si un autre que lui aurait hésité sans connaître les effets que pouvaient avoir le poison sur son organisme, le Koganei n'avait pas cette problématique. Il fit donc un simple geste de la main et la fleur propulsa une nouvelle épine empoisonnée, directement sur la zone dévoilée. Puis, préférant ne pas maintenir son pouvoir outre mesure - ne serait ce que pour éviter que des civils voient cela - il le scella. De la terre sortie sa canne, tandis que le bitume refaisait son apparition autour de lui.

- Le poison agit normalement instantanément. Vous devriez ressentir une gêne qui va gagner vos membres pour finalement rendre vos mouvements plus difficile. Pour un simple Hollow, cela équivaut à une paralysie brutale?. Mais pour vous, cela devrait être moins impressionnant.

Il était important de lui expliquer. Un poison n'avait pas toujours pour vocation de tuer. Ici, la plante créée lui permettait d'entraver les ennemis. Simplement.

- Pardonnez ma franchise mais votre curiosité est dangereuse, non ? Se faire piquer soi même par un poison que vous ne connaissez pas, cela pourrait s'apparenter à de la folie... Après, je ne vous juge pas. Je suis même admiratif. Et si j'ai pu vous être utile, alors vous m'en voyez ravi.

Certes, cela ne se voyait pas sur lui. Stoïque en toute circonstance, il n'affichait finalement aucune émotion visible. Pas de sourire, pas de grimace. Rien. Comme s'il était figé.

Il n’eut pas besoin d’insister un seul instant. À peine quelques secondes après avoir dévoilé sa peau, la fleur se contracta à nouveau avant de relarguer une nouvelle épine qui vint se ficher juste au-dessus de son nombril. La douleur fulgurante qui résulta de la pénétration du pieu dans sa chair le fit grimacer, mais il s’en moquait. Ce n’était pas cette sensation-là qui l’intéressait. Il voulait focaliser tous ses neurones sur l’analyse des effets qui allaient suivre.

Il n’eut pas à attendre longtemps avant de remarquer quelques difficultés à bouger certains de ses muscles, ainsi qu’un ralentissement de son système digestif, signe d’un dérèglement important de son métabolisme. Après seulement quelques secondes, son rythme cardiaque s’amenuisa. Certes, ce n’était pas au point de représenter un danger vital, mais assez pour diminuer l’apport en oxygène dans les muscles et ainsi affaiblir la créature dans laquelle il s’infiltrait. Pourtant, il ne ressentit pas de gêne respiratoire, on pouvait donc éliminer l’aconitine. C’était clairement une drogue paralysante et pas un poison à proprement parler. Immobile, le chercheur restait planté là, l’épine toujours bien fichée dans son abdomen, à essayer de découvrir la molécule active de cette substance.

-Pas de doute, c’est de la tubocurarine. Assez simple à synthétiser.

D’un geste, il arracha le pieu de son ventre et la plaie se referma en quelques secondes. Sa division cellulaire accélérée avait bien des avantages. Le premier était de soigner les blessures très rapidement, mais également de renouveler les cellules tuées par un agent étranger, comme du poison. En quelques instants, la substance avait été totalement éliminée de son organisme. Muzan le regardait sans dire un mot. Il semblait attendre simplement, n’exprimant aucune émotion. Toutefois, après que Tanjô se soit ressaisi, il se permit de faire remarquer que la démarche du scientifique pouvait s’avérer dangereuse. C’était probablement vrai pour un humain normalement constitué.

-Je n’ai pas vraiment le choix. Des poisons et drogues peuvent avoir des effets visibles similaires tout en ayant des leviers d’action différents. Deux venins peuvent tuer aussi vite, mais l’un en faisant coaguler le sang dans les veines et l’autre en bloquant les canaux sodiques pour paralyser les poumons et le cœur. D’autres encore peuvent accélérer le rythme cardiaque jusqu’à l’infarctus. Quel meilleur façon de savoir quel mécanisme est en action que de l’expérimenter moi-même ?

Après avoir expliqué les raisons de son geste, Tanjô se fit la remarque que cela rendait sa démarche encore plus suicidaire.

-J’ai déjà assimilé des centaines de molécules et mon organisme est parfaitement capable de les éliminer. De plus...

Il marqua une pause afin de ranger son scanner dans son sac et se releva en souriant.

-Vous m’aviez déjà indiqué que le Hollow n’était que paralysé. Je ne prenais pas beaucoup de risques.

D’un geste ample, il balança son sac pour qu’il reprenne position derrière son dos. Son interlocuteur avait déjà annulé son Fullbring, probablement pour ne pas risquer d’attirer l’attention plus que nécessaire. Il était difficile d’imaginer qu’un combat venait de se dérouler sur ce quai. Un véritable professionnel en somme, il frappait et disparaissait sans laisser la moindre trace. Il n’avait pas démérité sa place au sein des Clubs. Il aurait même pu rejoindre les Coins avec un tel état d’esprit.

Tanjô remarqua que le Fullbringer maîtrisant les plantes se servait d’une canne comme catalyseur de ses pouvoirs. Toutefois, l’objet ne semblait pas avoir qu’une fonction sentimentale ou décorative. Muzan s’appuyait réellement dessus comme s’il avait des difficultés à se mouvoir. Pourtant, ses mouvements étaient fluides. Le scientifique ne constata aucune anomalie au niveau des articulations ou du système nerveux.

-Votre canne là... Vous avez un problème musculaire ? Vous devriez passer à mon labo, je pourrais peut-être jeter un œil à tout ça ?

Il y avait une certaine logique dans sa démarche et il le concédait. Mais finalement, qu'importe la rapidité à laquelle ses cellules se régénéraient, il restait un humain. L'oublier, c'était périr. S'il était impressionnant de constater ses capacités, il y avait toujours une limite à ce que le corps pouvait faire. Même pour un King. Il n'existait aucun humain immortel, n'en déplaise à ceux qui se versaient dans la science à corps perdu.

Quoi qu'il en soit, outre ses prédispositions, Muzan devait admettre qu'il fallait une sacrée dose de courage pour ainsi se laisser atteindre. Cela allait évidemment à l'encontre de l'instinct de conservation et prouvait la force mentale de l'homme face à lui. C'était impressionnant.

- Si simple que cela ?

Ma question est sincère pour une fois. Je me demande s'il est si facile de créer ce genre de drogue ou de poison. Je sais que mes plantes ont la capacités de s'adapter si le poison ne fonctionne pas. Ajoutant ici et là une substance différente. La nature s'adapte à tout, c'est bien connu. Mais que l'Homme soit capable de faire de même, si rapidement ? La science reste impressionnante, je dois bien l'admettre. Moi-même j'use de poison dans mon travail mais j'irai pas jusqu'à dire qu'il est facile de les créer.

La réflexion du Koganei était réelle mais il restait concentré. Autour d'eux, le calme était revenu et ils donnaient l'impression d'être deux camarades qui discutaient simplement. Pour n'importe quel témoin de la scène, rien n'aurait pu paraître anormal.

- En tout cas, je suis véritablement impressionné. Et ce n'est pas si souvent. Je ne crois pas avoir entendu parler de vous souvent mais je dois dire que je me suis absenté quelques temps. Vous êtes à ce poste depuis peu, n'est-ce pas ?

Simple constat. Lorsqu'il avait quitté temporairement la ville pour ses affaires, il était quasiment sûr de ne jamais avoir entendu parler de lui. Mais certains aimaient la discrétion. Peut-être était-ce son cas ? Qu'il soit observateur ne l'étonnait d'ailleurs pas puisque cela allait de paire avec son statut et ses compétences scientifiques. Son regard se posa sur sa propre canne avant de revenir sur son vis à vis. Là encore, il n'avait aucune honte à parler de son handicap. Même s'il doutait que ce dernier puisse réellement faire quoi que ce soit.

Pas nécessairement parce que ce n'était pas possible. Mais aussi parce qu'il s'était habitué à cela. C'était une sorte de rappel. Douloureux parfois. Mais indispensable. Pour un homme aussi posé que lui, géré ce problème n'était clairement pas un souci. D'ailleurs son pouvoir compensait largement cette infirmité.

- Des Yakuza se sont servis de moi pour faire passer un message quand j'étais plus jeune. On peut dire qu'ils l'ont en quelque sorte imprimé dans ma chaire à l'époque. Depuis, je n'ai jamais totalement récupéré la mobilité qui était la mienne.

Une simple explication. Il ne ressentait plus de haine lorsqu'il repensait à cette scène. Il faut dire que cet incident avait eu le mérite de déclencher chez lui son pouvoir. Latent à l'époque. Restait encore l'une des rares douleurs psychologiques qu'il n'était pas parvenu à ignorer : la disparition de sa mère. Elle avait perdu la vie ce jour là.

- Cette douleur fait partie de moi désormais. Le plus souvent, je ne la sens même plus. Mais lorsque je dois marcher, cette canne me permet au moins de maintenir mes appuis. Quant à notre lutte, fort heureusement mon pouvoir me permet de ne pas trop avoir à bouger.

Il eut un sourire. Le premier depuis le début de cette conversation. Il trouvait amusant que le destin lui ait offert le même jour la perte d'une partie de sa motricité et un don lui permettant de pallier à cela.

- Vous devez trouver cela surprenant, je suppose.

Le maître des plantes semblait douter de la possibilité de recréer artificiellement une substance produite par la nature. Pourtant, c’était un véritable jeu d’enfant depuis que l’humanité avait mis au point des spectromètres de masse et des spectroscopes infrarouges. Bien évidemment, lorsqu’il était encore sous le commandement de l’empereur au Xème siècle, la simple idée de pouvoir créer une substance de toute part était aussi fantaisiste que de s’imaginer cracher du feu ou voler. Mais la société humaine avait fait des progrès en un millénaire que personne n’aurait pu ne serait-ce qu’envisager un instant. Dire qu’il y a encore sept ans, il était toujours en train de fabriquer des onguents cicatrisants et des décoctions pour empoisonner les lames des samurais de l’armée impériale... Il en avait parcouru du chemin depuis sa résurrection.

-Rien n’est compliqué à fabriquer tant qu’on sait comment cela est composé. Ce qui est dur c’est d’innover. Synthétiser une substance est infiniment plus simple que d’en créer un. Beaucoup de monde peut monter un ordinateur de toute pièce. Pourtant pas un seul d’entre eux n’aurait été en mesure de l’inventer, vous voyez ? Un mangaka crée une œuvre après des années de travail qu’une simple imprimante peut refaire à volonté.

Afin d’éviter de rentrer dans les détails trop techniques, Tanjô avait préféré essayer des analogies qui parleraient à beaucoup de monde. Mais c’était bien ça la réalité des choses. Inventer était difficile alors que copier les inventeurs ne demandait presque aucune compétence tant qu’on avait la description détaillée. Dans son laboratoire, Shikara pouvait obtenir le mode d’emploi de fabrication de toutes les molécules du monde. Il n’avait alors plus qu’à lier les atomes ensemble.

Enfin, il n’allait pas l’embêter avec tout ça, préférant écouter les explications sur la présence de la canne de support. Ainsi donc il s’agissait d’une ancienne blessure d’enfance qui n’avait jamais disparu. Pour qu’un traumatisme physique agisse encore après tant d’années, il devait y avoir des lésions mal cicatrisées ou alors c’était plutôt psychologique. Dans les deux cas, on pouvait prévoir que cela ne passerait jamais. Mais il semblait que l’homme avait appris à vivre avec et avait déjà fait la paix avec ses démons personnels. Il ne voulait pas sous-entendre qu’il devait absolument se faire soigner.

-Non, ce n’est pas si surprenant. Vous ressentez ça depuis longtemps et l’avez accepté au point de ne pas imaginer vivre sans. De plus j’ai pu remarquer que cela ne vous empêchait nullement d’être efficace. Je voulais simplement que vous sachiez qu’il existait des solutions si jamais vous en éprouviez l’envie ou le besoin. C’est vous qui voyez.

Il ne comptait pas insister plus que ça. Chacun était libre de vivre comme il le souhaitait. Il lui apportait une option supplémentaire, voilà tout. Depuis toujours, Tanjô cherchait à utiliser ses compétences et ses talents pour aider les autres alors là, c’était l’occasion. D’un geste nonchalant, il jeta un œil sur son radar pour s’assurer qu’il n’y avait plus aucun Hollow qui s’approchait pour tenter de les prendre par surprise. Rien à l’horizon. En tout cas, le scientifique nota pour lui-même que des opérations conjointes avec des Clubs pourraient être utiles à l’avenir pour ses études. Bien qu’il n’ait pas de problème à se battre contre les Hollows, il n’était pas simple de manipuler ses instruments en plein combat.

Il comprenait l'idée, évidemment. La science avait atteint un tel point aujourd'hui qu'ils seraient tous passés pour des fous en évoquant certaines avancées rien qu'en remontant dix ans en arrière. Sans doute était-ce le domaine qui évoluait le plus rapidement après tout. Il n'était donc pas si surprenant de déceler une telle confiance dans les propos du King.

D'ailleurs il ne pouvait lui retirer une certaine justesse dans les exemples cités. Et s'il avait été homme à aimer discourir, sans doute aurait-il lui aussi avancé quelques idées pouvant justifier son propre raisonnement. Mais Muzan n'était pas ainsi et le sujet était déjà passé dans la catégorie "souvenir", alors même que le débat n'était pas totalement clos. Ce fut d'ailleurs pour cette raison qu'il n'eut aucune volonté de surenchérir sur le dossier en question.

Concernant sa blessure, il fit simplement un petit signe de tête. Savoir qu'une solution existait, il s'en doutait. Qu'un tel scientifique le lui rappelle permettait d'ailleurs d'avoir foi en cette médecine. Mais il y avait d'autres enjeux derrière. Finalement, une vie entière à supporter cette douleur lui avait permis d'en apprendre plus sur lui. Cela l'avait façonné.

- Je prends note de l'information et vous en remercie. Mais comme vous avez pu l'observer, j'ai la chance de posséder un pouvoir qui me permet de pallier à ce problème. Ou en tout cas qui ne m'empêche pas d'être efficace.

Lorsqu'il libérait cette capacité, il devenait le réceptacle de la nature, ou peu s'en faut. Il était le Tronc, l'entité qui reliait son âme à la nature. Une idée qui lui plaisait en tout cas, une des rares qui avait le bénéfice de le faire réagir.

- Puis-je vous demander à quoi vont servir les informations recueillies ce jour ? Je dois dire que je ne connais finalement que trop peu votre unité, en dehors d'un ami à moi.

S'il n'avait que peu d'intérêt pour la question, il lui paraissait toutefois légitime de poser la question. Il avait aidé à la récolte, même si au départ cela n'avait pas été volontaire. La moindre des choses étant au moins d'essayer de comprendre le but initial derrière la démarche.

Tanjô avait visiblement vu juste, ce Muzan n’avait pas besoin d’une intervention. Ou tout du moins, il n’en avait pas envie et vivait très bien comme il était. C’était bien dommage, le chef des Cups aurait adoré lui créer des jambes artificielles, dotées de gadgets de toute sorte. Cela l’amusait beaucoup de fabriquer ce genre de choses, mais il y avait malheureusement trop de personnes qui se sentaient à l’aise avec l’idée d’avoir des parties du corps mécaniques. Sûrement avaient ils peur de perdre une part de leur humanité.

Enfin, tant qu’il restait capable d’accomplir ses missions, Muzan pouvait bien s’y prendre de la manière qu’il voulait.

-Je cherche à analyser de façon claire l’interaction entre le Reishi et le Kishi. Ce sont deux matières qui sont supposées être totalement incompatibles. Pour preuve, les personnes ayant peu de reiatsu ne peuvent même pas voir les Hollows et les Shinigamis. Pourtant elles peuvent interagir. Je dois percer ce paradoxe pour pouvoir mettre au point mon prochain projet.

Il était encore un peu tôt pour trop en révéler, tout ceci n’était qu’une simple idée qui avait germé dans son esprit. De toute façon, il n’allait pas entrer dans les détails avec un Club qui n’avait de toute évidence ni les compétences scientifiques ni l’intérêt nécessaire pour suivre une longue explication contenant formules, théories et autres données particulièrement barbantes pour ceux qui ne sont pas passionnés.

Voyant qu’aucun autre hollow ne s’approchait, il rangea son radar et haussa les épaules. Ce n’était pas les esprits maléfiques qui manquaient à Tokyo, il aurait d’autres occasions de trouver des sujets pour ses expériences. De toute manière, il avait déjà un paquet de données à analyser pour le moment, cela risquait de l’occuper pendant plusieurs jours. Il allait devoir comparer ces résultats avec ses anciennes expérimentations et tenter de sortir de tous ces chiffres une constante utilisable dans ses prochaines créations.

-À vrai dire, il y aura sûrement de nombreuses étapes nécessitant de tuer ou de capturer des Hollows. Je pensais solliciter les Swords, mais leurs manières d’agir sont un peu trop... radicales. Pourrais-je éventuellement me tourner vers vous à l’avenir ? Pas de façon récurrente, évidemment, simplement si je pense que vos compétences pourraient à nouveau m’être utiles ?

Sa position de King ne lui donnait en aucun cas la possibilité de le réquisitionner étant donné qu’ils n’appartenaient pas à la même branche de l’Ultima Necat. C’était réellement un simple service qu’il lui demandait, d’un homme à un autre.

Bien qu'ayant posé la question, Muzan ne s'était pas forcément attendu à une réponse sincère du King face à lui. Il faut dire que sa confiance en l'humanité était assez proche du néant, son métier n'étant pas étranger à cela évidemment. Il savait certains scientifiques trop secrets sur les recherches qui étaient les leurs pour vouloir les partager, même à ceux qui appartenaient à leur groupe. Mais le King ne semblait pas gêné. Il faut dire que c'était assez technique et qu'il paraissait évident qu'un simple néophyte serait bien incapable de comprendre toute la portée de ces recherches.

Il le remercia d'un signe de tête, se montrant attentif. Alors que Tanjô rangeait son radar, ce dernier lui posa une question. Simple, logique. Il est vrai que les Swords n'étaient pas tous réputés pour faire dans le détail, agissant souvent de façon à éparpiller les adversaires. On ne pouvait le leur reprocher, s'agissant du groupe d'intervention le plus efficace de l'Ultima Necat.

L'on dit souvent de moi que je parais froid. Calculateur. Je n'aime pas ce mot. Je pèse simplement le pour et le contre de chaque situation avant de me lancer dans un projet. Même quelque chose d'aussi simple que la proposition de cet homme. Après tout, je ne connais rien de lui. Et il ne représente rien. Il est un titre. Certes important au sein de l'Organisation mais les Scientifiques font partie d'un monde à part. Ils sont partout. Et nul part à la fois. Seulement... Je me dis que son idée n'est pas si mauvaise. Et je possède précisément les capacités pour permettre ce genre d'intervention. Et puis mon groupe protège la ville. Que les Hollows meurent ou soient capturés, cela m'importe peu tant qu'ils ne sévissent plus.

- J'accepte volontiers. Si cela peut vous aider à progresser dans vos recherches, tout en me permettant de débarrasser notre ville de ces démons, alors je n'ai aucune raison de refuser.

Depuis qu'il était revenu, Muzan s'était aperçu d'un changement notable au sein de l'Organisation. Il y avait de plus en plus d'individualités qui prenaient les devants, qui avançaient leurs propres projets. Est-ce que tous servaient l'UN, il en doutait. Et s'en moquait aussi. Tant que la ville ne devenait pas leur salle de jeu et qu'ils ne mettaient pas les civils en danger.

- Est-ce fréquent les expériences de ce type ? Pour avoir parlé avec certains de vos collègues par le passé, je n'avais jamais entendu parler de telles expérimentations sur ces monstres. Cela m'intrigue.

C'était vrai, pour une fois.

Le scientifique avait craint un refus. L'attitude de Muzan laissait transparaître tellement peu d'émotions qu'il semblait ne porter aucun intérêt pour quoi que ce soit. Pourtant, il paraissait avoir un seul et unique but, l'élimination des hollows qui attaquaient la ville. Objectif tout à fait louable en un sens. Bien qu'enclin à protéger la population de ces horribles créatures, Tanjô savait que c'était des coups dans l'eau. Aussi longtemps qu'il y aurait des humains, il y aurait des hollows, la simple idée de parvenir à les éradiquer était un rêve illusoire. Enfin, tant que leurs objectifs pouvaient s'aligner, c'était le principal. Il était important que les différentes sections de l'Ultima Necat puisse travailler main dans la main s'ils voulaient pouvoir avancer de façon efficace.

-Vous m'en voyez ravi. Je note donc pouvoir compter sur votre concours si certaines opérations incluent l'élimination de Hollows.

A la grande surprise de Tanjô, Muzan semblait vouloir en savoir plus sur ses expérimentations. Un sourire apparut immédiatement sur le visage du scientifique qui était on ne peut plus ravi de partager ses pensées avec quelqu'un qui voulait réellement les entendre. Habituellement, il matraquait ses interlocuteurs de données qu'ils ne désiraient pas et ces derniers avaient tendance à s'enfuir. C'était vraiment dommage car l'ajout de différents points de vue permettait souvent de prendre un problème sous un angle non envisagé et parfois de trouver de nouvelles solutions. En science, comme dans la vie, plusieurs cerveaux valaient mieux qu'un. Même un second cerveau bien moins développé, c'était toujours un gain.

-Par définition, une expérience est nouvelle, ne pensez-vous pas ? Si cela avait déjà été fait par le passé, je n'aurais pas besoin de le faire en ce moment. Mon objectif est d'étudier la différence concrète entre le Reishi et le Kishi. Il s'agit de deux particules fondamentales capables de former de la matière. Mon instinct me laisse penser qu'il est tout à fait possible de faire changer l'état quantique d'une de ses particules pour donner l'autre. Changer le Kishi en Reishi et inversement.

Bien entendu, il s'agissait d'un projet très ambitieux mais avec les ressources quasiment illimitées de l'organisation, tous les rêves les plus fous semblaient possibles. Après tout, n'avaient-ils pas ouvert un portail pouvant mener à un autre monde ? Les applications d'une telle découverte étaient infinies et l'humanité sortirait grandie d'une avancée pareille.

-Je vous laisse imaginer tout ce que l'on pourrait faire si l'on pouvait créer par nous même du Reishi sans avoir à aller le puiser dans le Hueco Mundo au péril des vies de nos membres.

Certes, une telle conversion ne serait pas d'une efficacité absolue et la quantité de matière physique nécessaire pour obtenir autant de Reihi qui n'en apportait Pandora était monstrueuse. Mais comme toute technologie, cela pourrait s'améliorer avec de nouvelles améliorations.

Il opina. S'il pouvait aider, alors il agirait ainsi. Après tout, c'était la ce que l'on demandait à son groupe. En cela, il était un bon soldat. Il aperçut le contentement du King alors que ce dernier s'expliquait sur l'intérêt des expériences. Un véritable passionné, on ne pouvait pas dire le contraire. Cela eut le mérite de le faire sourire, rare quand on le connaissait réellement.

La passion. Il comprenait ce sentiment. Sans doute l'un des rares qu'il tolérait chez lui. Qu'il appréciait même. Cet homme ne semblait pas chercher la reconnaissance des autres. Seulement il avait en tête de multiples projets et faisait en sorte de les réaliser. Muzan respectait cela. Certes, il devait admettre que certains éléments lui échappaient. Il n'était pas un scientifique lui. Mais cette passion... Il n'allait pas la refreiner.

Ainsi écoutait-il sans l'interrompre pour le moment, emmagasinant les infos données par ce puit de Savoir. Visiblement ce projet de reishi lui tenait à coeur. Notamment pour préserver les vies de ceux qui se battaient pour le collecter au sein du Hueco Mundo. Il devait admettre que s'il existait une solution plus pérenne, alors il était utile de s'y pencher. Muzan devait admettre qu'il avait parfois vu les scientifiques de l'Ultima Necat comme de simples couards qui se cachaient derrière leur expérience. Peut-être qu'il s'était trompé finalement.

- Vous m'impressionnez. Je n'ai pas souvent vu une telle passion parmi les nôtres. J'espère sincèrement que vous parviendrez au résultat escompté. Puis-vous poser une question ?

Généralement, on n'attendait pas la réponse. Simple formule de politesse à dire vrai, même si Muzan trouvait cela légèrement idiot.

- Comment parvenez-vous à enregistrer autant d'informations ? Je veux dire, ce chantier parait énorme. Les pistes nombreuses. Si les test permettent d'affiner vos recherches, comment faites-vous pour ne pas vous emmêler les pinceaux. Pour ne pas vous marcher dessus avec les autres scientifiques ?

Il se tut, un instant, reprenant doucement.

- Cela fait plus d'une question, finalement. Enfin, cela ne me regarde sans doute pas, pardonnez-ma curiosité.

Il n'était pas peiné pour un souci à dire vrai mais simuler les émotions était devenu un mode de vie. Aussi facile que de respirer. Si on l'observait, on pourrait alors clairement voir qu'il était gêné. Alors qu'il n'en était rien.

Ce Muzan était décidément charmant. Non seulement il ne s’était pas défilé en entendant les explications du scientifique, mais en plus, il semblait réellement s’y intéresser. Agréablement surpris, Tanjô écouta attentivement les nouvelles interrogations du maître des plantes. Jusqu’ici, il n’avait eu aucune interaction avec des membres des Clubs qu’il imaginait comme de simples gardes assurant la défense de la ville contre les Hollows. Il ne se figurait pas qu’ils puissent s’intéresser à autre chose que les mécanismes de défense ou les armes. Comme quoi, les clichés ont la vie dure.

Il était pourtant prévisible que la création d’un moyen de se fournir en Reishi sans devoir se rendre dans la dimension des Hollows en risquant la vie de tous les missionnaires intéresserait n’importe qui à l’Ultima Necat. Malheureusement, on était encore loin de cet objectif. Pandora raffinait tellement de Reishi en puisant directement dans le monde creux qu’il était assez difficile de la concurrencer.

La question de Muzan lui fit briller des étoiles dans les yeux. Il ressortit le dictaphone de sa poche.

-Ne le soyez pas, la curiosité est la base de la science. Comment j’enregistre tout ça ? Vous allez voir, c’est fascinant. Cet appareil est muni d’une membrane qui vibre à différentes fréquences lorsqu’une onde sonore la touche. Cette vibration crée un courant électrique qui est enregistré. Lorsque l’on repasse l’enregistrement, le courant électrique fait vibrer la membrane qui se met alors à émettre le même son que celui qui l’a fait vibrer à l’ori...

Il s’interrompit soudainement, comprenant que la question du club concernait plutôt sa propre capacité de mémorisation. Tanjô avait vécu il y a plus de mille ans et n’était revenu à la vie qu’il y a quelques années seulement. Il avait dû tout apprendre, extrêmement vite, et pas forcément dans l’ordre chronologique. Tout l’avait impressionné, de la toute dernière technologie high-tech aux découvertes du siècle dernier. L’invention du téléphone avait généré plus ou moins la même émotion chez lui que les toutes nouvelles avancées sur la fission nucléaire. Les cerveaux ayant réussi à découvrir le principe, alors que rien n’existait du genre. Voilà ce qui l’impressionnait.

-Pardonnez-moi, c’est juste que je trouve ce procédé remarquable. Dire qu’avant cela se faisait même sur bandes magnétiques. Les gens utilisent des merveilles d’ingénierie chaque jour sans même savoir comment cela fonctionne. C’est triste.

Il se perdit un instant dans ses pensées, sa voix devenant petit à petit plus faible, parlant plus à lui-même qu’à son interlocuteur. Puis il réfléchit à la véritable question. Comment faisait-il pour mémoriser tout cela ? Tous les projets en cours, sans compter ses recherches personnelles ?

-Et bien, tout est une question d’organisation. Être King, au-delà de l’autorité conférée par ce poste, c’est beaucoup de responsabilités et de paperasses. Toutes les données sont compilées, du plus petit détail à la plus grande avancée. Chaque partie de projet est confiée à un scientifique qui me fait des rapports détaillés. Ce n’est qu’après les avoir tous reçus que je peux avoir une vision globale du projet. Je n’aurais pas le temps de tout effectuer moi-même. Si certaines expériences aboutissent, on creuse. Si cela ne fonctionne pas, on tente un nouvel angle d’approche. L’échec fait partie de l’apprentissage. Savoir qu’une chose ne fonctionne pas est presque aussi utile que de savoir qu’une chose fonctionne.

La démarche scientifique se devait d’être rigoureuse. Pour pouvoir valider une théorie, il fallait la tester dans toutes les conations possibles. Seulement ainsi on pouvait l’affirmer ou l’infirmer de façon certaine. Cela prenait du temps. Beaucoup de temps. Mais c’était le seul moyen d’avancer. Une brique après l’autre. Après s’être assuré de sa solidité. Ce n’était qu’à ce prix que le mur de la connaissance pouvait s’élever.

Sans prévenir, Tanjô se retourna et cracha une substance noire sanguinolente derrière lui. S’injecter du poison volontairement n’était pas un problème, mais il fallait bien l’éliminer d’une façon ou d’une autre ensuite. Cela prenait juste un peu de temps.

-Pardonnez cette grossièreté. Il fallait que j’expulse les toxines définitivement. À ce propos, j’aurais une question. Savez-vous combien de temps votre poison paralysant agit-il sur un hollow ? En espérant qu’il vous soit déjà arrivé d’en laisser un en vie suffisamment longtemps pour avoir la réponse à cette question.

Malgré son manque d'empathie évident, Muzan ne put s'empêcher de sourire. Il faut dire qu'en réalité, rien de ne rapprochait plus de sa propre personnalité qu'un vrai scientifique. Certains avaient de telles convictions qu'ils occultaient bien souvent les émotions humaines pour agir sans la pollution des émotions. L'on pouvait croire que c'était une erreur, surtout pour ceux qui se disaient protecteur de la Terre, toutefois Muzan y voyait une certaine beauté. On ne partageait néanmoins pas souvent son point de vue, ainsi se taisait-il à ce sujet.

Le voir s'extasier devant de pareils objets était même rafraîchissant. S'il n'en comprenait pas tout à fait la raison, et bien que cela ne l'intéresse d'ailleurs pas plus que cela, il appréciait de pouvoir échanger avec ce King. Il y avait là de quoi écrire un bouquin à dire vrai mais ce n'était pas le but du jour.

Alors qu'il expectorait, s'excusant par la suite, le King lui posa une question qui revenait aux principes même de leur échange d'origine. Et s'il connaissait sur le bout des doigts son propre pouvoir, s'il était "ce qu'il était" sans la moindre honte, il n'avait pour autant aucun plaisir à faire durer les choses.

- Je dois bien admettre que je n'ai pas de réponse définitive à ce sujet. Je n'ai aucun intérêt à faire durer le moindre combat, comme vous devez vous en douter.

Et cela pour deux raisons évidentes. Son handicap, tout d'abord. Il paraissait évident qu'un combat qui durerait trop serait un problème pour lui. Et le second point était évidemment lié à son statut de Gardien. Protéger cet endroit, c'était faire en sorte de détruire l'ennemi au plus tôt.

- Ainsi n'aie je jamais tester mes poisons sur la durée. Il m'est bien arrivé une fois de devoir traquer un de ces monstres qui avait été touché mais qui avait résisté en partie. Il m'a alors fallu une demi heure pour le retrouver, étendu et incapable de réagir. Je ne sais pas si les effets auraient pu tenir plus longtemps. Sans doute que cela dépend de la résistance de la créature également.

Il y verrait sans doute l'occasion de tester cela, Muzan n'en doutait pas. L'esprit scientifique n'avait aucune barrière après tout et le King avait prouvé son intérêt évident envers certaines capacités de son vis à vis.

- Il faut savoir que ces poisons sont surtout là pour contrer les Hollow et les autres créatures du genre. Sur un humain, les effets seraient moindres. Disons que la présence d'énergie spirituelle a tendance à accélérer le processus.

Une petite info pour le plaisir. Pour qu'il comprenne que, même sans avoir fait des test poussés, il connaissait son pouvoir et les effets que cela avait sur les corps. Ou les esprits. Il était intéressant de noter qu'un tel pouvoir avait finalement pour but que de protéger l'humanité. Ou peu s'en faut. Il n'allait certainement pas expliquer ici qu'il lui arrivait d'user de certains "dons" dans son propre métier.

- Mais cela ne vous aidera pas beaucoup plus, je pense. Je suppose qu'un esprit tel que le vôtre cherche à mieux comprendre également les pouvoirs de ses alliés, je me trompe ?

Déformation professionnelle. Là où précisément il y aurait un souci en réalité. Car s'il était une chose à laquelle Muzan tenait, c'était le secret qui l'entourait. Il aiderait, sans le moindre doute. Mais ne ferait pas plus permettant à un tiers de percer ses propres défenses. Pas même un allié.

Tanjô ne put retenir sa déception en entendant que Muzan n’avait jamais vraiment eu l’occasion de constater la durée maximale de son poison. Ses bras tombèrent mollement de part et d’autre de son torse et il baissa la tête en soupirant. Mais cela lui donnait tout de même une information importante. Si les affrontements avaient toujours été trop courts pour qu’il puisse en définir la durée, cela signifiait que l’effet était assez long. Il pourrait donc être utile pour capturer un hollow et le ramener à son laboratoire. Il se redressa pour reprendre.

-C’est évident, chaque créature doit avoir une plus ou moins grande résistance aux toxines. D’autant que cela doit également dépendre de la quantité de reiatsu que vous y mêlez. Enfin si j’en crois ce que vous dîtes. S’il agit de façon plus efficace sur les êtres spirituels, cela signifie probablement que votre Reishi s’y mélange à un certain degré. Ce qui veut dire que si je la synthétise, je devrais pouvoir... Il faut voir. Je pourrais y intégrer mon reiatsu moi aussi ? Même si le poison n’est pas intrinsèquement relié à mon pouvoir ? Enfin, il vous serait donc possible de paralyser un hollow pour le capturer et l’enfermer, en théorie ? Quitte à lui réinjecter une dose si l’effet commence à faiblir.

C’était une piste à explorer. Décidément, cette conversation lui faisait faire de bonnes découvertes inattendues. Depuis toujours, le scientifique avait utilisé des poisons dans ses combats, mais ces derniers n’étaient pas synthétisés par son corps. Il les utilisait simplement en enduisant ses armes et projectiles. Mais il était tout à fait envisageable de créer un dispositif pour extraire son propre reiatsu et le mélanger au poison pour en démultiplier les effets.

Muzan lui fit une remarque qui laissa Tanjô perplexe un instant. Il était trop perdu dans ses réflexions pour intégrer ce qu’il venait d’entendre. Chercher à comprendre le pouvoir de ses alliés ? C’était étrange comme question.

-J’aime comprendre absolument tout, donc le pouvoir des alliés qui m’entourent en fait partie bien entendu. Mais également de mes ennemis. L’humanité a fait des progrès fulgurants durant le dernier millénaire dans sa compréhension du monde physique. Mais en ce qui concerne le monde spirituel, nous sommes toujours à l’âge de bronze ou presque comparés aux shinigamis. Donc chaque pouvoir peut apporter une pierre à l’édifice. Montrer une nouvelle façon d’interagir. Mettre en évidence une règle jusqu’ici inconnue. L’enhanced Fullbring en est un exemple remarquable. Ce n’est qu’après de longues expérimentations que le Hierophant a pu mettre au point cette formule.

Tanjô parut soudain comprendre la question qui lui avait été posée initialement. Il n’était pas simplement un scientifique lambda qui faisait ses expériences dans son coin. Il était le King of Cups et avait donc sous sa responsabilité un grand nombre de membres. Mais Muzan n’en faisait pas partie.

-En revanche, je me dois de connaître les capacités de mes subordonnés. Ainsi, en cas de besoin, je peux les envoyer effectuer des tâches où ils seront les plus efficients selon leurs talents. Ou mettre en binôme des agents aux compétences se complétant bien. Cela permet d’augmenter le taux de réussite des missions et éviter des morts inutiles. Donc en ce qui vous concerne, c’est plus de la curiosité que de la véritable optimisation d’effectifs.

Non pas qu'il ne considère pas les autres factions de l'Ultima Necat comme des alliés qui ne méritaient pas qu'il s'y intéresse. Il présumait simplement que ses homologues faisaient de même avec leurs propres troupes.

- Oui, c'est tout à fait possible. Si les conditions s'y prêtent.

Contrairement à l'homme face à lui, où plutôt à ce qu'il croyait percevoir, Muzan avait l'absolue nécessité de libérer son pouvoir pour activer ce mécanisme de poison. Et lorsqu'il le faisait, les choses changeaient autour de lui. Son don jouant sur la nature, il paraissait logique de s'imaginer qu'il ne pouvait pas l'activer à proximité de civils sauf cas d'exception. Et ramener un Hollow vivant pour étude n'appartenait clairement pas à l'exception cité. Car à ses yeux, même si cela paraissait important pour les scientifiques, cela relevait du simple caprice.

- Au moins, cela me permettra d'en apprendre un peu plus sur moi-même.

Simple constat. S'il avait confirmation que son poison durait plus longtemps, est-ce que cela changerait sa manière de faire ? Sans doute pas. Mais cela l'intriguait. Si l'occasion se présentait, ce petit test pourrait l'aider à mieux cerner encore son propre pouvoir. Comme quoi, on apprenait toujours même après des années à utiliser ce don.

Tout comprendre. Tel était plus ou moins l'objectif principal du King dans sa vie. Cela n'étonnait pas vraiment Muzan qui en était déjà arrivé à cette conclusion, plus ou moins. Décrypter, analyser, dépecer et ensuite prendre des décisions pour que tout soit parfait. Cet esprit scientifique avait quelque chose de curieux mais en même temps d'étrangement captivant. Mais Muzan ne pouvait s'empêcher de penser que cela pouvait être pénible pour ses subordonnés au quotidien.

- Je vois. De l'optimisation. Une chose que je comprends. Je me demande comment les autres voient les choses de leur côté. Vous êtes tous si différents. En tout cas j'apprécie d'avoir échangé avec vous. Votre vision des choses n'est pas commune pour moi mais j'ai beaucoup appris.

Et c'était là l'essentiel en réalité. Mais maintenant qu'ils avaient bien parlés, le Five ne désirait qu'une chose : rendre son rapport et prendre un peu de repos. Si sa canne lui permettait de se mouvoir en réduisant la douleur, elle ne l'empêchait pas pour autant. Il adressa un léger sourire au King.

- Je vais retourner au sein de l'Organisation, histoire de rendre mon rapport. Et de prendre un peu de repos. Mais si vous souhaitez faire appel à moi à l'avenir, n'hésitez pas. Je présume qu'un autre tel que vous n'aura aucun mal à me contacter.

Doucement, il s'inclina vers lui. Tendant l'oreille si d'autres éléments lui venaient. Mais avec la ferme intention d'aller ensuite se reposer.

Ce sera ma conclusion ici. Merciiiii

Impeccable. Grâce aux capacités de Muzan, ils pourraient parvenir à capturer un Hollow vivant, chose habituellement impossible. Ils se battaient comme des diables et finissaient toujours par fuir ou par s’effondrer à court d’énergie. Ce qui provoquait irrémédiablement leur mort et leur disparition en un festival de paillettes de Reishi retournant au cycle des réincarnations ou des trucs du genre. Alors pouvoir effectuer des expériences sur un véritable cobaye vivant plutôt que de réaliser de simples simulations, cela lui faciliterait grandement le travail.

Que cela soit pour déterminer l’efficacité d’armes, de poisons ou pour perfectionner ses modules de détection de reishi, tout serait plus simple avec un hollow dans l’enceinte de l’Ultima Necat. Il allait sûrement devoir avertir sa hiérarchie en revanche, afin que les systèmes de défense ne s’activent pas lors de son arrivée.

-Je vais devoir prendre quelques mesures avant, mais le jour où cette opération se déclenchera, vous serez le premier au courant. Je compte sur vous.

Muzan semblait avoir légèrement changé depuis le début de leur conversation. Il parlait plus et ses expressions faciales étaient plus marquées. Il s’était détendu, cela ne faisait aucun doute. Cela laissait penser à Tanjô qu’il le considérait probablement comme un véritable allié désormais. Ou tout du moins quelqu’un sur qui il pouvait compter. Une plus grande collaboration entre les différentes factions de l’Ultima Necat ne pouvait qu’être bénéfique.

-Je vous laisse donc allez remettre votre rapport. Et si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à me solliciter. Après tout, les Cups sont là pour ça, entre autres.

Les armes, les gadgets ou les systèmes de défense, tout ce dont les membres de l’organisation pouvaient avoir besoin, les scientifiques étaient là pour les créer ou les améliorer. Tanjô remit son sac sur son épaule et tourna les talons, bien décidé à se mettre en vitesse à la synthèse de tubocurare.