Visite des archives de la 6ème [PV Shiori]

Depuis la fois où j’avais rencontré le vice capitaine de la sixième division, nos tâches d’attributions respectives purent un peu mieux se combiner. En effet, au sein du Nibantai, il était commun de devoir dépouiller des archives avant d’engager une mission de surveillance sur un individu en particulier. Jusqu’à récemment, nous possédions nos propres archives. Seulement, ce n’était pas le cœur de notre métier. Ce pourquoi, je voulus suggérer quelques mutualisations entre nos deux divisions. Nous transférions une partie de nos archives à la sixième division. En contrepartie, les archivistes établissaient un protocole censé faciliter nos travaux de recherche.

Quelques semaines étaient passées depuis cette rencontre. Depuis, j’avais même entendu qu’une capitaine venait d’être nommée pour décharger un peu Toshizo de trop lourdes responsabilités. Enfin, si j’allais devoir me présenter à elle dans les jours à venir, en premier lieu, je souhaitais constater les changements réalisés dans la bibliothèque du Rokubantai. Pour se faire, j’allais devoir apparaître comme un usager.

Une fois arrivée sur place, je commençais par faire le tour des étagères, un peu curieuse des collections qui y étaient entreposées. Après tout, je venais ici pour la première fois. Oh, bien sûr, je ne pouvais non plus prétendre à un grand enthousiasme du fait de ma modeste éducation, mais je gardais tout de même un certain intérêt à l’aspect solennel de l’ambiance dominante. Pour un peu, j’en serais presque intimidée. Pas suffisamment pour me retenir de chercher un agent du regard.

À ce titre, j’avais vu défiler à gauche à droite un jeune shinigami d’évidence familier des lieux si je me fiais à la pile de bouquins sur sa table. Le profil d’un rat de bibliothèque, si je m’arrêtais aux premières impressions. Auquel cas, il serait bien placé pour me guider un peu. Je devais simplement trouver la bonne approche. Légèrement hésitante, je cherchais à capturer son attention.

– Excusez-moi ?

Je lui montrais l’apparence d’une femme qui se démarquait par deux petites cornes au front. Cette excentricité de côté, je ne possédais rien de vraiment remarquable si ce n’était mon brassard qui attestait de mon rang au sein de la division. Quelques bracelets et colliers de basse facture, que l’on pouvait parfois trouver chez des habitants des districts modestes, venaient orner mes poignets ainsi que mon décolleté. Souriante, je cherchais à m’intéresser un peu à ses occupations avant de continuer plus loin.

– J’espère ne pas trop vous déranger, mais vous me semblez être un habitué ici. Pour moi, c’est tout le contraire. Je me sens un peu perdue et je ne sais pas vraiment comment m’y prendre pour trouver ce que je cherche…

Je posais la situation. Ne restait plus qu’à me présenter plus avant, en espérant que mon titre ne l’intimide pas trop.

– Je suis Naoki Shiori, Vice Capitaine au Nibantai. Puis-je vous demander à mon tour votre nom ?

Ma voix n’était guère vraiment très autoritaire. Je m’efforçais de parler à voix basse car j’avais bien senti qu’ici, l’on ne tolérait pas trop de bruit.

J’eus du mal à garder un visage naturel tandis que mon interlocuteur me dévisageait avec une surprise non contenue. Pour le moment, je me contentais d’un sourire de nervosité. Avais-je dit quelque chose de bizarre ? À moins que cela ne soit que ce jeune homme qui ignorait réagir devant un contact humain ? Une confusion de courte durée, car sitôt terminais-je de me présenter que mon curieux vis-à-vis se reprit. Non pas que ça l’empêchait de me détailler du regard d’une manière un peu gênante. Enfin, je relativisais ça par l’accueil que son Vice Capitaine m’avait réservé et qui, à bien y regarder, ne différait pas vraiment de ça.

À se demander si ce n’était pas une coutume propre à la sixième division. À moins qu’il ne soit un proche parent de Toshizo. C’était aussi possible. Après tout, le Rokubantai n’était-il pas une grande famille ? Ce qu’il fallait retirer de tout ça ? De prime abord, il n’avait pas l’air bien méchant. Et s’il possédait quelques excentricités, je serais bien mal placée pour lui faire la remarque.

Un Kuchiki, donc ? Un nom illustre, s’il en était. De sorte à ce que je doive mesurer mes mots quand bien même j’étais plus avancée dans la hiérarchie du Gotei 13. Après tout, certains hauts dignitaires avaient le bras long ainsi que des protégés disséminés ça et là dans le Seireitei. À sa question, je n’allais pas cacher mes intentions.

– Oh, vous savez, cela fait un moment que je réfléchis à quelques moyens d’améliorer l’organisation entre nos divisions. J’ai déjà discuté avec le Vice Capitaine Kuchiki Toshizo à ce titre, dire d’évaluer comment nous pourrions travailler pour nous faciliter la tâche de gestion.

Je me doutais que les projets que j’avais en vue ne se feraient pas du jour au lendemain. Comme j’imaginais bien que le nommé Toshizo soit trop occupé pour accorder suffisamment de temps à réorganiser ses collections. Celles qui m’intéressaient touchaient bien entendu aux dossiers des shinigamis en fonction dans l’enceinte du Gotei 13.

– Pour l’heure, je cherche simplement à m’y retrouver un peu dans cette immense bibliothèque. Seulement, si je puis vous faire une confession… l’établissement est gigantesque et j’ai rarement eu l’occasion d’en fréquenter de tels. Pour commencer, est-ce que vous pourriez m’accorder une visite ?

Plus détendue, je me prenais de lui adresser un sourire avenant. Je m’intéressais à l’individu plus qu’à la fonction. Ce pourquoi je n’avais pas demandé à ce qu’il me dirige vers l’archiviste en chef ou qui que ce soit de plus habilité à me guider.

– Et puis, cela nous donnera l’opportunité de mieux nous connaître. Vous n’y voyez pas de problème ?

Rare ? Je m’étonnais qu’un noble pure souche en vienne à casser du sucre sur le dos de la noblesse. Devais-je comprendre qu’il était désabusé par ses histoires familiales ? Sur l’instant, je ne sus comment réagir à cette prise de position inattendue. D’autant plus après qu’il se retrouve à porter un mauvais jugement sur la capitaine de la sixième division.

– Oui, je comprends. J’apprécie votre honnêteté, sincèrement. Mais êtes vous sûr que je sois la bonne personne à qui confier ces avis ?

Après tout, ne faisais-je pas parti du Nibantai ? Pire que ça, j’en étais la Vice Capitaine. Soit, un instrument de la chambre des 46. Celle-là même qui était régie par la noblesse. Par ailleurs, je me devais de mettre hors d’état de nuire quiconque serait susceptible de troubler l’ordre au sein du Seireitei. En d’autres termes, les potentiels dangereux.

– Bien sûr, je n’ai nullement l’intention de vous nuire. Je garderai cela pour moi. Mais tout de même, vous devriez faire plus attention.

Sur ces mots, j’étais la plus sincère, la plus bienveillante. Je ne cherchais pas particulièrement à étouffer les opinions divergentes. Pour un peu même, j’étais susceptible de le rejoindre sur la réserve à trouver à l’encontre des membres de la noblesse. Seulement, ce n’était pas mon rôle de juger. Et parfois, je voudrais oublier certains de mes devoirs. Ce qui m’amenait ici à prévenir Shizuka qu’il devait se méfier de moi. Tant pis si ça allait à l’encontre de mes intérêts. Je n’étais pas venue ici pour fliquer qui que ce soit.

Oui, j’étais venue pour mieux me familiariser avec cette bibliothèque. Et je serais heureuse de trouver une âme passionnée pour me la faire découvrir. Cet intérêt que je portais à son discours, je ne m’en cachais pas.

– Je me sens un peu ignorante, je dois vous avouer. Et je n’ose pas imaginer toutes les connaissances que votre famille s’est retrouvée à réunir ici. C’est admirable !

Je me réjouissais en tout cas de constater que mon interlocuteur ne rechignerait pas à m’offrir une visite qui promettait d’être enrichissante.

– Très bien, alors faisons cela ! Je vous suis !

Ce faisant, je m’en allais l’accompagner tandis qu’il me guiderait dans les allées les plus récentes de la bibliothèque. Sur le chemin, je songea aux mots que je pus lui adresser. Une forme de culpabilité qui gagnait du chemin. Ce qui me conduit à revenir sur ce que je dis plus tôt.

– Concernant ce que je vous ai dit tout à l’heure… Je tiens à m’excuser. Je vous avoue que je ne m’étais pas attendue à entendre ce genre de remarques de la part d’un Kuchiki. J’espère ne pas vous avoir blessé. Ce n'était pas mon intention...

J’étais sensible à ce que mon entourage pouvait ressentir, même quand ça concernait une personne que je venais de rencontrer.

Je sentais à l’attitude de ce jeune homme que mes mots l’avaient mis mal à l’aise. Un constat qu’il ne me plaisait pas de faire. Seulement, je jugeais qu’ainsi, je ne virerai pas à la malhonnêteté. Quand bien même j’avais pu surinterpréter ses remarques, au moins, le risque encouru était porté à son attention.

Lorsque nous arrivions dans la collection la plus récente de la bibliothèque, je m’approchais des ouvrages minutieusement classés par les archivistes en fonction. J’en lisais rapidement les titres sur le dos afin d’en identifier rapidement l’objet. Seulement, je serai interrompue dans mon geste par le guide qui se prenait de me répondre. Il souhaitait s’expliquer. Désamorcer le quiproquos. Et à ce titre, je ne lui en voudrais pas. Je l’écoutais avec attention, le visage ouvert.

– Je vois.

Répondais-je sobrement d’une voix qui ne cherchait pas à juger, plutôt douce. Si ça ne m’intéressait pas ? Je me mettais en tête de le contredire bientôt. Mais avant ça, je le laissais me présenter cette aile du bâtiment. Un exposé à quoi je me montrais la plus attentive. Je gardais ces éléments d’information en mémoire afin d’être autonome la prochaine fois que je viendrai à me rendre ici. Je notais sans grande surprise que plusieurs niveaux de classification avaient cours suivant la sensibilité des rapports classés. Du reste, je me surprenais en revanche du niveau d’organisation qui m’inspirerait grandement au retour dans mes quartiers.

– Est-ce que vous avez une zone où vous entreposez les archives sur les shinigamis de rang ?

Bien sûr, je ne lui demandais pas l’accès aux dossiers des plus hauts gradés du Gotei 13. Pour ceux là, je devrais m’en référer à un supérieure du Rokubantai. Ce qui viendrait tôt ou tard dans les prochains mois. En attendant, pouvoir mieux me familiariser avec des sources d’informations sur des soldats plus modestes demeurait primordial pour éclairer plus facilement des interrogations dans les constructions de certaines affaires. Je laissais donc Shizuka me renseigner plus avant. Cette chose faire, je pouvais revenir sur un sujet plus personnel.

– Pour en revenir à tout à l’heure, non, je ne dirais pas que vos histoires m’indiffèrent, bien au contraire. Je ne suis peut-être pas la meilleure personne à qui en parler, mais contrairement aux apparences, je sais écouter.

Une qualité trop souvent mésestimée, qui demandait d’être capable de s’effacer à la faveur de la personne voulant parler.

– Je ne remets pas en question votre sens du devoir. À dire vrai, je pense que je suis allée trop loin tout à l’heure. Vos sentiments vous appartiennent. Je m’étonne seulement d’entendre de vous une telle réserve envers ce qui se rapporte à la noblesse. Vous auriez aimé grandir dans un autre milieu ?

Shizuka me confirmait sur le protocole à suivre si je voulais accéder à quelques documents plus sensibles. Au moins, j’étais parfaitement au clair sur les règles inhérentes au dépouillement des archives au sein du Rokubantai. Quant à son retour d’expérience vis-à-vis de sa famille, je montrais une attitude bienveillante. Un cri d’injustice semblait remonter de très loin dans son histoire. L’injustice de devoir se plier en quatre sans atteindre la cheville de ses aînés qui eux ne se mettaient pas autant en peine.

Sans doute que cette inégalité observée depuis sa position pourtant privilégiée le rendait sensible à l’artificielle méritocratie ayant cour dans les armées du Gotei 13. Malgré cela, il y avait comme une ambiguïté dans son discours. Il demeurait fier de compter parmi les Kuchiki. Pour l’éducation qu’il avait reçu ? Visiblement oui, si j’en croyais la ferveur qui transparaissait dans sa voix en me partageant sa passion du livre. C’était donc ça. Il balançait entre les deux faces d’une même pièce.

Souriante, je l’écoutais me retourner cette même interrogation. Ce que je pensais de la noblesse ? Je pouvais m’esquiver. Prétexter qu’une Vice Capitaine n’avait pas à exprimer son avis comme ça. Encore moins si je faisais partie du Nibantai. Mais alors, je nous rendrais inégaux. Je briserais la fragile confiance qu’il avait bien voulu m’accorder en répondant à mes questions. Si je me jugeais trop importante pour me mettre à son niveau ?

– Vous savez, je suis assez extérieure à ces questions. Je n’étais personne quand je suis née dans ce monde. Pire que ça, j’étais une nuisible. Je le suis toujours si ce n’est plus, d’ailleurs.

Ne pus-je m’empêcher d’ajouter, par réflexe. Après tout, je n’avais pas rejoint les passerelles ordinaires pour arriver à ma place actuelle. J’étais en sursis. Dans une position constamment remise en question. Un sentiment qui m’inspirait dans ma réponse.

– J’aimerais par moment pouvoir me reposer sur une famille.

Une légère tristesse me traversait à ce moment. Quelque chose que je balayais immédiatement en rebondissant sur un souvenir.

– Lorsque j’étais petite, il y avait un noble dans mon entourage. C’était un homme très gentil, très doux. Il m’a transmis sa passion du Koto. Je me souviens aussi qu’il jardinait beaucoup. Il disait que nous étions de jeunes pousses dont les racines devaient être protégées dans un pot le temps qu’elles se développent assez pour être plantées dans une terre plus sauvage. J’ai beaucoup appris de lui.

Le regard introspectif, j’eus une légère crispation au niveau des lèvres. Pourquoi racontais-je cela, tout à coup ? Ne me laissais-je pas trop aller ? Et était-ce ça d’ailleurs qu’attendait mon jeune interlocuteur ? Certainement que non. Ce qu’il devait vouloir entendre…

– Enfin, du reste, je dirais que le commun de la noblesse m’intimide. En les fréquentant, chaque geste est passé au crible. Souvent, j’ignore quelles pensées peuvent les traverser quand je m’adresse à eux. Je me dis qu’à la moindre erreur, ils pourraient bien me le faire payer très cher. Mais d’un autre côté, je n’ai pas leur éducation, ni leur sagesse. Je les respecte.

Contre toute attente, nous en étions vite arrivés à une discussion à cœur ouvert. Cela tenait pour beaucoup au fait que je possédais peu de tabous. Mais également, parce que j’avais assimilé ce savoir-faire du Renseignement qui me voyait faire ressortir de chez mon interlocuteur ses vérités enfouies. Non pas que je cherche actuellement quelques matières à embarrasser mon vis-à-vis de mauvaises contre-visites. Seulement, j’étais curieuse de mon prochain.

Shizuka avait possédé ses propres souffrances. Peu importe son environnement de vie. Peu importe ses privilèges de naissance. Peu importe, au final, que l’herbe puisse être moins verte ailleurs. La peine de ce jeune noble n’en était pas moins authentique et digne de compassion. D’ailleurs, à son discours, je n’étais pas seulement encouragée à lui vouer de la pitié. Au contraire, j’approchais un peu plus l’origine de ses passions. Il devait grandement admirer son père pour ainsi souhaiter suivre ses traces. Une observation qui m’inspirait un sourire attendri.

– Oh, j’aimerais avoir l’occasion de bientôt pouvoir découvrir ces récits !

Une remarque qui était loin de la banale politesse. À mon expression, mon vis-à-vis pouvait sentir que je m’étais laissée captivée par son entrain. Il pourrait apparaître curieux qu’à ma position, je sois ignorante de ces histoires. Seulement, je ne mentais pas sur ma faible éducation. Et mon parcours accéléré au sein de l’académie n’avait rien arrangé à cela. Quant à ce qui suivait, je repris une attitude accessible, toujours dans la bienveillance.

– Oui, je comprends.

Une réponse sobre. Après tout, il possédait une expérience que je n’avais pas. Il connaissait mieux les siens que je le pouvais. Et à ce titre, je ne me sentais pas légitime de commenter plus avant ces propos. Dans tous les cas, j’avais désormais de quoi mieux cerner la réserve que me fit voir Shizuka à l’instant de notre rencontre. J’eus ceci dit un léger rire à sa dernière observation.

– Je pense en effet que nous avons un peu trop dérivé… Mais je vous remercie malgré tout pour votre honnêteté. Vous êtes une personnalité intéressante.

Et à sa suggestion, j’acquiesçais d’un signe de tête. Je partais pour l’accompagner plus avant. Lui laisser la main sur ce qu’il voulait bien me partager. Plus encore, lui donner l’opportunité de l’initiative. Et ainsi plongée au milieu de ces rayonnages de livres, je me pris d’une curiosité que je souhaitais faire remonter.

– Dites moi, qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ces livres ? Quelles vertus leur donnez-vous ?

– Eh bien, écoutez, ce serait avec plaisir !

Je répondais à son compliment d’un signe de tête amical. Si je n’étais pas confiante sur l’intérêt que je retirerais dans la lecture de ces livres, j’avais peu de doutes quant au fait qu’il en serait tout autrement si Shizuka le racontait avec la passion qui l’animait. Il suffisait de l’entendre combler ma curiosité de cette flamme ayant conduit sa destinée dans cette bibliothèque. Il faisait ressortir la vie entre les lignes inertes des pages noircies des expériences et inspirations posées. Ainsi, je me devais de trouver une porte d’entrée à ces ouvrages.

Il m’en suggérait déjà de nombreuses, sans mentir pour autant sur la réalité qu’entre tous ces documents se tenaient une majorité de textes administratifs à dormir debout. Donc, au-delà de ces portes d’entrées, il fallait surtout être capable de trouver la perle rare au milieu de tous ces titres. Attentive à ces leçons, je jetais dans le même temps une œillade sur mon environnement à partir du moment où nous arrivâmes dans l’aile principale des archives. Arrivée en cette place, je me sentais bien minuscule. De quoi rendre n’importe qui un peu plus humble. D’ailleurs, j’étais soulagée de m’être trouvée un guide pour le caractère labyrinthique des innombrables rayonnages dans la salle.

J’avais le droit à une belle démonstration pour justement trouver les références que je pouvais rechercher. Ainsi, des nominations coiffaient les différentes étagères suivant un rangement minutieux. En exemple, une archive témoignant des origines du département de Recherches et Développement de la douzième division. Recueillant le classeur entre les mains, je les feuilletais pour finir par acquiescer à sa remarque.

– Je… ça va au-delà de mes attentes !

Car oui, je relevais une somme d’informations compilées sous le prisme de thématiques, acteurs et temporalités exhaustifs. Au point où en l’absence de méthode, je m’y perdais un peu, noyée sous la masse de renseignements.

– J’ai l’impression que tout ce que je pourrais rechercher se trouve ici… C’est assez déconcertant. Je pense que si j’apprenais à mieux m’y retrouver dans cette bibliothèque… et si je comprenais comment lire ces ouvrages pour obtenir juste le renseignement qui m'intéresse... je gagnerais un temps prodigieux pour donner plus de contexte aux enquêtes qui tombent sur mon bureau. Seulement… je m’interroge… Jusqu’où peut-on faire confiance à ce qui se dit dans ces livres ?

Si je n’avais pas décroché mon regard des pages qui se suivaient devant moi, je les levais en réalisant ce qui pouvait sonner comme une bêtise pour mon interlocuteur.

– Je vous prie de m’excuser si je dis une bêtise… mais je vois bien dans la réalité du terrain comme les rapports remontés peuvent se révéler inexacts voire totalement faux. Et ce sont pourtant des feuillets de premières mains rédigés par des soldats qui ont donné de leur personne pour acquérir ces connaissances… Alors, à plus haut niveau ?

La grimace contenue, je prenais là conscience d’une potentialité qui me gênait un peu si elle devait se vérifier. Mais les autorités ne se reposaient-ils pas sur ces documents pour prendre leurs décisions ? Auquel cas, ça pouvait traduire une faiblesse dans notre chaîne de communication.

– Est-ce que vous vérifiez les informations avant de les enregistrer dans votre bibliothèque ? Enfin… Est-ce au moins un souci que vous avez ?

À la réponse de mon interlocuteur, je réalisais que mes propos possédaient un caractère insultant ; tout du moins déplacé. Ce pourquoi j’opinais respectueusement de la tête pour ne pas laisser peser quoi que ce soit qui serait de nature à susciter de la tension. Dans le même temps, je trouva quelques points communs entre la méthode des archivistes et les nôtres que nous trouvions à mobiliser pour suivre nos enquêtes. Nous allions simplement moins en profondeur, nous arrêtant généralement dès lors que nous obtenions les résultats escomptés.

– Votre travail n’est au final pas si différent du nôtre, même si j’entends là une rigueur autant inspirante que rassurante.

Car oui, le souci que j’avais posé trouvait là des précautions imparfaites mais suffisantes à garantir aux lecteurs des informations fondamentalement fiables. Certes, je pouvais douter de mes facultés à identifier les contextes d’écriture qui nécessitaient que je prenne les renseignements soulevés avec des pincettes. Une mission qui n’avait rien de simple, comme le traduisait le soupire d’une personne pourtant familière de cette méthode.

– Je vous rejoins sur cette observation ! C’est précisément ce que je désirais construire avec votre Vice Capitaine. Mais il apparaît aux dernières nouvelles que ses apparitions se font de plus en plus rares… Peut-être pourriez-vous en toucher un mot à votre capitaine ? De mon côté, je verrai qui mettre sur le dossier afin de faire naître cette organisation à venir.

Je me réjouissais que mon vis-à-vis ait amené le sujet de lui-même. Le signe qu’il était capable de prendre du recul par rapport à son grade. Intéressé par les intérêts de sa division plutôt que seulement ses responsabilités immédiates. Avec suffisamment d’ardeur, sans doute parviendrait-il à obtenir quelques promotions ? C’était là tout ce que je lui souhaitais.

– Je peux compter sur vous ?

Shizuka me libérait d’une charge mentale et je lui en étais reconnaissante. De cette manière, je pouvais espérer que nos deux divisions s’entendent sur une organisation bonne à améliorer notre efficacité respective. Le cloisonnement n’amenait rien de bon, sauf à vouloir absolument défendre sa part du gâteau. Des limitations purement politiques, au final. Pour ma part, j’avais la chance de me trouver au service d’un capitaine peu soucieux des affaires administratives. De quoi me donner beaucoup de marge de manœuvre sur la direction du Nibantai.

La difficulté porterait plutôt sur comment la capitaine du Rokubantai accueillerait la suggestion. Je savais les autres divisions méfiantes dès qu’il était question de notre corps d’assassins et d’espions. Ce pourquoi, je donnais couramment de ma personne pour les rassurer autant que faire se peut. Nous entendre sur des collaborations en bonne intelligence. À ce titre, il était plus facile de convaincre les officiers que les commandants, comme l’illustrait présentement ce 15e siège.

– Je l’espère.

Ajoutais-je peut-être plus sobrement devant l’enthousiasme de mon interlocuteur. Je préférais ne pas mettre la charrue avant les bœufs, quand bien même je serais convaincue de l’intérêt que nous aurions à retirer de cela. Pour ma part, j’allais devoir me rapprocher de Daestra afin de la mettre sur l’affaire. En effet, je la savais proche des archives au sein de nos quartiers. Elle serait donc la plus à même de discuter de ce qui pouvait être mutualisé du reste.

– Déjà ? Décidément… Je n’ai pas vu le temps passer avec vous pour me guider !

La surprise non feinte, le temps me parut effectivement très court. Le signe que la conversation avait été des plus intéressantes à suivre. Et j’espérais qu’à l’avenir, nous aurions d’autres occasions de discuter ensemble. Curieuse, je suivais du regard l’endroit en élévation qu’il me désignait du doigt. Un espace inquiétant.

– Hm, vous savez, il ne sont pas très différents de vous. Ce qui change, c’est leur culture de division. Au sein du Nibantai, nous ne prêtons de considération qu’aux résultats. Nous nous effaçons au profit de l’intérêt général. Alors oui, un tel cadre fait que nos officiers se révèlent froids. Simplement, parce qu’ils ont appris à se protéger. Après tout, la nature de nos missions fait que nous devons forger des nerfs d’aciers pour faire ce qui doit être fait.

À mon attitude, je continuais de parler assez naturellement. J’essayais de nous humaniser, d’expliquer ce qui pouvait faire naître chez nous ces attitudes qui en intimidaient plus d’un ailleurs. Pour autant, je ne cherchais pas particulièrement à nous rendre plus sympathiques. Ce n’était pas notre vocation. Je cherchais seulement à convaincre que nous n’étions pas qu’une bande de psychopathes incapable de collaborer avec d’autres cultures de divisions.

– Du reste, oui, nous possédons aussi quelques archives secrètes. Mais ça ne veut pas dire que nous possédons autant de surface pour ranger nos documents qui ne sont d’ailleurs pas enregistrés avec la même rigueur. Ce n’est pas notre champ d’expertise et ça n’a pas lieu de l’être. Pour cette raison, je pense que nous devrions nous ouvrir un peu aux autres divisions. Toute proportion gardée.

En effet, même si j’étais on ne peut plus ouverte dans mon approche, je devais tout de même protéger nos champs d’attribution. Suffisamment pour éviter d’ouvrir des failles dans notre fonctionnement interne.

Je n’avais pas besoin d’argumenter pour arguer favoriser notre collaboration sans compromettre la nécessité de garder secrètes nos archives en interne. Simplement, parce qu’il était des évidences de discrétion qui justifiaient la qualité de nos résultats pour prévenir les conflits au sein de la Soul Society. Quand bien même, j’étais bien placée pour savoir qu’une bonne partie de nos documents ne valaient pas de rejoindre ces archives opaques. La force des habitudes justifiait seule leur place parmi les autres feuillets sensibles. Mais mieux valait pécher de zèle que de négligence.

Ce pourquoi, l’organisation à venir devrait être longuement mûrie avant d’être validée pour qu’enfin, la gestion change en limitant les éventuelles fuites susceptible de ternir la réputation de nos deux divisions. Je savais le Rokubantai plus ouvert à ces mutualisations que n’importe quelle autre division. Simplement parce que cela leur permettait d’enrichir les collections de leur bibliothèque remarquable. Pour garantir la qualité de leurs informations, il avaient mis au point une méthodologie admirable qu’une personne telle que moi ne saurait maîtriser de sitôt, si ce n’était jamais. Là n’était pas mon rôle. Pas plus que les membres de ma division.

Je la savais la plus fermée à ce genre d’initiative. À ce titre, il pouvait sembler curieux que je prenne l’initiative de tels projets à l’extérieur. En réalité, je n’avais encore rien débloqué au Nibantai. J’avançais seulement vers la voie que je jugeais la plus rationnelle. Et puisque je trouvais un écho ici même, alors je savais que cela valait la peine d’y consacrer des efforts.

– Nous sommes sur la même longueur d’onde. Le Seireitei doit encore se remettre de ses blessures. Ce n’est pas en nous éparpillant que nous y arriverons. À cette fin, je voudrais impliquer le Nibantai dans ces actions qui nous ferons nous sentir naviguer sur le même navire.

Au terme de la visite, je sentais que les infrastructures se faisaient plus vieillissantes. Rien d’étonnant, car ce bâtiment ne datait pas d’hier, loin s’en faut. Il était le miroir de l’histoire et en comptait silencieusement. La politique pouvait être amnésique. Les archives devaient permettre de prévenir cette faiblesse pouvant nous voir reproduire les mêmes erreurs. Progresser avec plus de recul pour toujours garder la tête froide avant de prendre une décision. Balayant ces rayonnages poussiéreux du regard, j’écoutais mon interlocuteur avec une attention toujours égale.

– Vous pourriez continuer des heures que je ne vous jetterais pas la pierre. Ce que vous dites est intéressant. J’apprends énormément en votre compagnie.

Des textes recensant l’histoire des origines, donc. Parmi eux pouvaient vivre des secrets remarquables. Pourtant, ils étaient là, à portée de main, gardés par les soldats de la Sixième division.

– Les origines, vous dites…

Disais-je pour ne paraître que méditer le poids de ces paroles, introspective. Je pourrais poser d’autres questions. Cependant, je ne pouvais pas non plus m’éterniser indéfiniment ici, quand bien même je trouvais une agréable compagnie. Dégageant mon regard évanescent de cet environnement complexe, je le mélangeais à celui fort authentique de Shizuka avec ce même air bienveillant.

– Shizuka, vous avez donc dit.

Je me répétais son nom dans mon esprit pour ne pas l’oublier. Kuchiki Shizuka. Une personne que je souhaitais retrouver dans le futur.

– J’aimerais qu’à l’avenir, nous trouvions une autre occasion de discuter. J’apprécie d’échanger avec vous.

Des mots sincères, même si on pouvait en douter au vue de mes attributions. Jetant une œillade vers une allée menant à la sortie, je revenais vers mon vis-à-vis.

– Je pense ne pas tarder à rentrer. J’ai suffisamment abusé de votre temps comme ça. Si ça vous convient toujours, je compte sur vous pour en toucher un mot à votre capitaine ! Moi-même, j’ai fort à faire pour que cette entraide prenne forme.

– Avec plaisir !

Je le laissais me raccompagner. Autrement, je pouvais craindre de me perdre dans ce dédale de livres. Il était pour moi un fil d’Ariane dans ce drôle de labyrinthe. Une lumière ayant éclairé les nombreuses zones d’ombres que j’avais avant de me rendre dans cette bibliothèque. Un contact utile et engagé pour débloquer mes verrous et permettre au Seireitei de se reconstruire plus rapidement.

– J’en discuterai avec Sabaiba Yoko, ma troisième siège. J’aimerais qu’elle représente le Nibantai pour que cette coopération dont nous avons discuté se réalise avec le Rokubantai. À notre niveau, je vous donne ma parole que les lignes bougeront. Et je compte sur vous pour sensibiliser votre capitaine sur cette nécessité.

J’avais laissé ma subordonnée sur une mauvaise note. De quoi la mettre dans l’expectative. S’interroger sur sa place au sein de notre division. Du Gotei 13, même. Envers elle, je m’étais révélée être une mauvaise commandante. Je devais me racheter. Et cette mission pourrait lui permettre de se retrouver. Je l’espérais, en tout cas. Quant à Shizuka, je lui souhaitais de prouver sa valeur auprès de sa supérieure. Arrivés à la sortie, je souriais à mon interlocuteur tandis que nos regards se rencontraient une nouvelle fois. À son inclination, je répondis d’un signe de tête.

– Je partage le même sentiment, je vous rassure. Cette visite a dépassé mes espérances et vous y êtes pour beaucoup. J’aimerais pouvoir réitérer l’expérience à l’occasion. Ici ou ailleurs. Je parle d’échanger avec vous. Si d’aventure vous avez besoin d’une oreille attentive ou d’une partenaire d’entraînement, je saurai me rendre disponible. D’ici là, portez-vous bien !

Sur sur ces paroles, je quittais les lieux pour retourner à mes quartiers. Comme d’accoutumée, j’allais avoir du pain sur la planche.