Une visite qui se passait de baldaquin

Dans ma routine, je trouvais peu d’occasions de sortir des quartiers du Nibantai. De mon capitaine, je ne recevais qu’un mot d’ordre : gère la merde et si ça devient intéressant, appelles moi. Soit, des directives qui ressemblaient davantage à des caprices qu’autre chose. S’il était une chose de clair chez le nommé Sora, c’était sa puissance martiale qui lui prêtait une assurance à toutes épreuves. Pour autant, même moi, je pouvais avoir besoin d’aller sur le terrain pour ne pas rouiller. Et dans cet état d’esprit, j’accueillais un dossier qui aurait dû me voir céder la main à mon supérieur en temps ordinaire.

Une sombre affaire de disparitions dans un district avec quelques signes laissant à croire qu’un ou plusieurs hollows pouvaient être impliqués. En temps ordinaire, ces informations devraient simplement être redirigées vers les services de la troisième division. Cependant, je trouvais quelques éléments de renseignements intrigants autour de l’attitude des habitants à proximité de ces événements qui étaient parfaitement du ressort de la deuxième. Avec ces éléments, une lumière vint éclairer mon esprit. En effet, je trouvais là une belle occasion de retourner voir une personne qui avait pu m’intriguer. Un homme qui connaissait parfaitement nos méthodes et qui trouverait ici une belle voie pour être sorti de l’ennui. Dans le même temps, j’avais là une belle opportunité de cerner un homme friand des mystères.

Ce pourquoi je fis savoir à mes subordonnés que je m’occuperai en personne de cette affaire. En effet, la mission pouvait représenter un niveau de danger tel que je voyais peu d’autres alternatives à investir une force au moins égale à celle de vices capitaines. Après tout, plusieurs shinigamis affectés à cette mission n’en étaient jamais revenus. Alors autant éviter de gaspiller plus de ressources humaines.

Dans un premier temps, je partais donc en direction du Sanbantai. Sur le chemin, je m’arrêtais pour acheter un assortiment de confiseries. Car au souvenir des attentions que m’adressa Hinotori, je me dis qu’il verrait d’un mauvais œil que je me présente à lui les mains vides. En revanche, j’évitais le thé ou autres boissons qui n’encouragerait qu’à allonger le temps de nos discussions. À présent, je connaissais pareillement sa tendance à laisser traîner le temps et je ne souhaitais pas non plus m’éterniser trop longtemps dans un cadre qui me verrait prendre du retard dans mon emploi du temps.

Bien sûr, avant d’atteindre m’a destination, je m’étais annoncée. Aussi, mon destinataire serait informé de ma venue sans que je n’en précise spécialement les motifs. Lui-même était demeuré évasif à ma place pour au final me faire tourner en bourrique autour d’une affaire imaginaire. Quoiqu’il en soit, arrivée à bon port, je laissais ses subordonnés m’orienter et m’amener vers les bureaux du principal concerné. Pour nos retrouvailles, je lui adressais les salutations d’usage.

– Bien le bonjour, Sanbantai Fukutaicho. J’espère que vous vous portez bien en cet après-midi. Je me suis dit qu’à cette heure, quelques confiseries ne vous déplairait pas. La dernière fois que vous êtes passé, il m’a semblé que vous aimiez bien les sucreries.

Disais-je en lui présentant lesdites confiseries avec mon sourire le plus agréable. Pour un peu, il pouvait penser que je ne venais que pour tuer le temps comme il l’avait fait pour moi. Seulement, je ne tenais pas spécialement à l’entretenir dans ce relâchement.

– Que diriez-vous que nous grignotions un peu avant que j’en vienne à l’objet de ma visite ?

Imaginer le monde des Hollows, leurs cris bestiaux, des idéaux probables ? Ah oui, est ce que les Hollows pouvaient rêver ?

Hinotori Sanbantai Fukutaichō déroulait lentement le lourd rouleau de parchemin qui était face à lui. Combien de temps était passé ? Levant la tête, il se rendit compte que le soleil s'était levé. La dernière fois qu'il l'avait vu, c'était en début de soirée. Se rendant compte de la farce du temps, il s'étira et se leva afin de se diriger vers une petite commode dans un coin de la pièce.

Il posa son rouleau dessus et, en baillant, il prit un peu de thé froid. Le gout avait tendance à le désaltérer, un peu. Les pensées brouillonnes, il allait se diriger vers sa paillasse quand une ombre apparut derrière son mur de papier. Un de ses subalternes l'informa que la Nibantai Fukutaichō allait bientôt arrivée et quelles étaient les consignes pour la recevoir.

Il avait oublié. Pas Naoki-san, juste le rendez-vous. Il indiqua au garde de l'amener dans la salle des flammes. En attendant, il allait devoir se mettre la tête dans de l'eau froide pour paraître moins cassé par sa nuit blanche. Après ces quelques moments glaciaux, il s'habilla. Deux serviteurs vinrent pour l'aider mais il refusa, cette habitude de ses pairs à se faire vêtir n'était pas sa tasse de thé.

Il se dirigea ensuite vers le lieu du Rendez-vous.

La salle était aux couleurs automnales. Les murs de papier avaient été agrémenté de panneaux laqués, représentant la naissance et la mort. Les deux facettes d'une même pièce après tout, naissance et renaissance... C'était la roue de l'existence dans toute sa simplicité. Sur le sol, un foyer flambait doucement dans un creux du plancher. Des tapis avaient été aménagé à côté afin de pouvoir profiter des flammes pendant les temps froids. On pouvait enfin noter dans un coin de la pièce un petit autel à la gloire de Suzaku, le Phénix du sud.

Une petite table était mise en place à la hâte par les serviteurs, quelques gâteaux de kakis et aussi du thé aux épices. Le temps était doux ce matin. Mamoru eut un sourire en pensant à la dernière fois où il avait vu la jeune femme. Quelques semaines déjà, peut-être plus ? Haussant les épaules, il fit signe aux serviteurs un peu trop agités de le servir que cela suffisait. Un regard de tendresse passa sur eux et il leur chuchota qu'ils avaient trois heures de repos.

Naoki Nibantai Fukutaichō se présentait enfin. Un sourire aux lèvres. C'était forcé de sa part, il se demandait pourquoi elle essayait de paraître ce qu'elle n'était pas. Toutefois, il était de même, tout était que théâtre dans cette société après tout.

- Bien le bonjour Naoki-san, soyez le bienvenue dans mon foyer. C'est un plaisir de vous revoir ! Asseyez vous, j'ai fait commander du thé et aussi une boisson qui vient du monde humain. Un étrange saké je crois, ou, cela s'en approche... Posant la main sur son menton, il avait un doute d'un coup mais il continua ensuite en souriant. Enfin bref, on va gouter cela tranquillement. Pour le travail, si je peux vous aider, ce sera avec plaisir évidemment.

Le décorum des quartiers de la troisième division possédaient une empreinte poétique qui pouvait donner envie de s’évader. Je reconnaissais là la marque de Mamoru et sans doute encore davantage si je devais m’attarder sur les figurations représentées sur ses panneaux. Ce n’était guère vraiment ce que j’aurais pu attendre d’un conservateur. Pourtant, ça avait été la première impression qu'il m’avait laissé. Seulement, à échanger plus longuement avec lui, j’avais bien ressenti comme il se plaisait dans le jeu des masques. Aussi, j’ignorais encore le fond de ses idéaux qui me donnerait sans doute matière à être surprise.

Lorsque je m’attardais sur les petites concoctions culinaires dressées sur la table, je me dis que j’avais l’air bien bête avec ma boite à confiseries que je posais modestement sur le mobilier. De même, ma volonté initiale de ne pas trop allonger notre discussion s’ébréchait quelques peu. Enfin, il était ici chez lui. Pour cette raison, je m’adapterais à ses manières. Le brusquer dans son hospitalité ne ferait que souligner un manque de savoir-vivre bien dispensable quand l’objectif tenait à nouer de bons rapports avec ce qui s’apparentait à un collègue.

Attentive, je remarquais bien quels bons traitements il adressait à ses subordonnés qui devaient certainement fort bien l’apprécier pour une prévenance qui m’interrogeait ceci dit sur la juste productivité du Sanbantai. Le Rukongai était-il si bien protégé des Hollows avec une telle approche ? Cette pensée, je choisissais naturellement de la garder pour moi. Et puis, qui étais-je pour le juger sur sa gestion ? Son expression surpassait de loin la mienne propre. Alors autant faire acte d’humilité.

– Je vous remercie pour votre accueil.

Disais-je sobrement par pure politesse. À la suggestion de goûter quelques produits importés du monde des humains, je hochais de la tête avec courtoisie. Pour être honnête, j’étais un peu curieuse de ces mets que j’avais peu eu le loisir d’expérimenter. Cela dit, tant qu’à faire, je me dis que ce serait un juste retour des choses d’entrer directement dans le vif du sujet. Lui-même l’avait fait pour moi en venant visiter le Nibantai.

– Vous savez, cela fait un moment qu’une affaire intrigante traîne sur mon bureau. Des disparitions inexpliquées. Et pour indices, des traces de destruction qui semblent être celles de monstres. Sans parler les silences des locaux qui pour un peu, sonnent bien complaisants. Je me suis dit que ce serait une bonne opportunité pour partir en mission ensemble. Les quelques shinigamis à s’y être rendus n’en sont jamais revenus. Pour tout vous dire, j’aimerais éviter que nous perdions d’autres recrues. Êtes vous intéressé ?

Assis face à sa paire de la Nibantai, il fut surpris de la sollicitation de cette dernière. Ce sujet était récemment un de ceux avec lequel il s'était entretenu, lors de sa conversation avec Daestra San. C'était une des collaboratrices de la Nibantai Fukutaichō. Pendant un bref instant, il ne sut pas quoi répondre.

Posant sa tasse de thé sur la table, ses prunelles ambrées se demandaient ce qui se cachait dans le regard de son invitée. Il ne disait rien et restait de marbre. Il était rare qu'il soit surpris de la sorte, mais, le fait que Dame Daestra lui ait fait part de sa visite avait été imaginé depuis longtemps. La vitesse de la réaction était sa surprise en fait. Il prit alors un gâteau et souriait en répondant enfin à Shiori.

- Daestra San vous a rendu visite semble-t-il. Un sourire passa. J'ai eu vent de ce problème de mon côté. C'est pourquoi je suis allé dans votre Division, il y a de cela quelques jours, afin d'avoir les rapports des dernières disparitions. La seule chose, que j'ai pu savoir, c'est que Daestra San n'avait plus ce rapport entre ses mains. Il était a priori déjà sur votre bureau. Par contre, je n'étais pas au courant que des Shinigamis avaient disparu. C'est plus inquiétant que je ne l'avais imaginé. Les Hollows ne viennent jamais dans notre Monde, c'est comme mettre du feu dans de l'eau. Mais... Si quelqu'un les aide... Cela change les données du problème.

Mamoru évitait d'aborder totalement sa discussion avec Daestra. La Nibantai Fukutaichō le saurait assez vite, autant mettre sur carte sur table.

- Le dernier, accusé de crimes de la sorte, était Aizen Taichō.

Le ton était devenu plus solennel, plus sérieux certainement. Prenant deux petites bouteilles sur le côté, il servait une liqueur blonde dans deux verres aux formes extravagantes. Le gout de cet alcool du monde humain était proche du blé fermenté, cela s'en rapprochait et c'était pour le moins dérangeant quand on en avait pas l'habitude.

Le regard de Mamoru était concentré à la suite de ses propos.

- On a jamais connu l'ensemble des alliés de ce Shinigami. Gin Taichō et Tousen Taichō étaient ses lieutenants certes mais une telle entreprise demande des alliés, afin de faire disparaitre des rapports ou des éléments qui auraient déclenchés une enquête de vos services. Quand j'ai appris cela, je me suis demandé si quelque chose nous avait échappé, raison de ma visite dans les archives de votre Division.

Le Noble gardait bien certains points de son intérêt pour tout cela. En fait, il n'avait jamais su que des disparitions étaient encore constatées. Extrêmement curieux par différentes hypothèses potentielles, il réfléchissait à toute vitesse aux implications d'une telle annonce. Comment pouvait il en profiter dans le futur ?

- Pouvez vous me dire où se trouvaient les dernières victimes avant leurs disparitions ?

D’un clignement de yeux, je l’écoutais présupposer des discussions que j’avais pu tenir avec l’une de mes subordonnés. Pour ainsi dire, je ne savais pas du tout à quoi il faisait référence. Pour autant, j’adoptais l’attitude de celle qui savait, quand bien même je n’étais pas parvenue à étouffer totalement l’ombre de ma surprise à l’évocation du nom de Daestra. Visiblement, Hinotori ne découvrait pas l’affaire, bien au contraire. Le signe qu’il n’attendait pas que l’asticot lui tombe dans le bec pour se mettre en mouvement.

Enfin, je n’irais pas m’offusquer que les personnes à mon service soient à ce point proactives, même si c’était loin de constituer une généralité. À sa remarque quant au fait que les Hollows ne venaient jamais visiter la Soul Society, j’eus l’envie de le tempérer sur ce point, mais je me dis que ce n’était pas franchement important. En effet, considérant les districts dont il devait être originaire, il n’était pas incohérent qu’il se dise que ces monstres ne s’aventurent pas dans ce monde. Or, plus à la périphérie, c’était là beaucoup plus commun qu’il ne le pensait.

En revanche, les réflexions qu’il porta ne seraient pas sans m’étonner. N’y allait-il pas trop vite sur les spéculations ? Définitivement, me dis-je, lorsque le nom d’Aizen fut invoqué. Rien dans les rapports ne laissait entendre qu’une affaire si grave puisse se jouer dans l’angle mort de notre surveillance. Autrement, j’aurais directement transmis le dossier à mon supérieur. Enfin, au fond, tout pouvait arriver et je pouvais me tromper. Pour l’heure, je consentais à goûter sa boisson qui sortait de l’ordinaire. Mon sens du goût était on ne peut plus médiocre. Aussi, je savais l’apprécier même si l’alcool ne devait certainement pas compter parmi les meilleurs crus dans ce que produisaient les humains.

Heureusement, cela ne semblait pas aussi fort que le saké que je gardais dans l’armoire de mon bureau quand l’envie me prenait à la conclusion de journées difficiles. Je gardais ainsi suffisamment de lucidité pour demeurer circonspecte devant le complot qui se dépeignait devant moi.

– Nous manquons hélas trop d’informations pour alimenter vos théories. Tout au plus savons nous que les disparus étaient le plus souvent des vagabonds ou autres étrangers s’y étant aventurés. Pour être honnête, je ne crois pas que cela soit lié avec cette sombre affaire dont vous parlez.

Diplomate, j’essayais de trouver un moyen de lui faire prendre un peu plus de recul sur les hypothèses cavalières qu’il m’adressait. À moins que je ne considère en avoir suffisamment dit, auquel cas, charge à moi d’adoucir mon propos de quelques compliments.

– Dans tous les cas, vous me surprenez. J’ignorais que notre Quatrième siège vous en avait déjà avisé. Vous demeurez décidément fort proche du Nibantai.

Au final, j’avais souligné encore un peu de méfiance quant à sa tendance à avancer si franchement en sous-marin. Mais ça n’allait pas remettre en question la collaboration que je lui proposais. Prenant une gorgée de sa boisson, je m’en étais parfaitement accommodé.

– Vous allez me dire que je radote, mais vous avez du goût. C’est excellent !

Mamoru écoutait avec attention les paroles de son invitée. Dans un sens, il était encore trop tôt de faire de telles hypothèses. Se ravisant, le Vice Capitaine prit son thé et humecta ses lèvres un instant, pensif. Pour l'instant, le mieux était de savoir ce qu'elle allait indiquer dans son fameux rapport. Il s'était emporté sans le vouloir et était d'accord qu'il fallait recentrer le débat.

- Je suis d'accord avec vous. Certainement l'excitation de savoir des Hollows en activité. Bien, que dit alors ce rapport précisément ? Que je sache ce que vous pouvez me dire sur ces affaires.

Ils avaient certainement quelques détails en plus que lui n'avait pas. La disparition de Shinigamis était une affaire suffisamment importante pour agir, surtout si des Hollows pouvaient être les coupables. Il eut alors un sourire en continuant son propos.

- Je garde toujours quelque part un attrait pour le Nibantai. Je ne le cache pas, mes années de service dans votre Division furent pour moi très agréable. J'en ai une certaine nostalgie.

Des années à opérer dans l'ombre, sans que personne n'observe ses actions, c'était une période paisible. Non pas pour ses propres recherches à long terme, mais pour lui même. Il avait aimé vivre en n'étant "rien", sans que ses titres et sa naissance n'aient le moindre importance. Il servit de nouveau de cet alcool du monde des vivants et partit sur un axe plus insignifiant.

- Sinon, depuis votre tour d'observation, vous avez pu avoir un nouvel oeil sur notre monde ?

Visiblement, mon interlocuteur s’attendait à ce que je dispose d’un rapport détaillé sur une future mission qui exigeait justement que nous recueillions davantage d’informations pour éclairer les raisons de ces disparitions dangereuses. À cela, je me sentais quelques peu démunie. S’il n’avait été question que de régler quelques détails, alors je ne serais pas aussi prudente sur les hypothèses à évoquer quant à cette histoire. Enfin, je pouvais au moins essayer de lui synthétiser ce que je savais pour balayer sous le tapis la poussière de mes lacunes.

– Au 63e district du Rukongai, des rumeurs ont fait état de disparitions, la plupart du temps énoncées par des proches des victimes vivant autour de la zone en question. Des marchands itinérants, des voyageurs devant traverser l’endroit pour rendre visite aux membres de leur famille éloignée, des sabreurs de régions désolées motivés à l’idée de rejoindre un dojo plus au centre de la Soul Society. Et c’est sans parler probablement les rôdeurs, mendiants de passage et autres marginaux qui doivent avoir disparu sans que personne ne les remarque. Tout ce que nous savons, c’est qu’aucun n’était originaire dudit district et peu d’entre eux en avaient fait leur destination pour leur voyage. Chaque fois, c’était des individus isolés.

Me remémorant les quelques détails que j’avais pu voir passer ça et là, je m’étonnais de réussir à compiler au final des renseignements qui pouvaient être utiles à quelques analyses. Notamment, les prochaines qui m’avaient vu supposer de l’implication de Hollows.

– L’épicentre de ces disparitions tient pour des forêts où se tiennent quelques villages reculés. Des étapes ont pu être réalisés là-bas à ce titre par les victimes. Nous avons constaté dans nos recherches que des traces de combat se trouvaient en quelques endroits. Et certains signes ont laissé penser que ça avait pu être l’œuvre de monstres, même si nous manquons encore trop de détails pour en venir à de trop hâtives conclusions. Un point qui nous a interpellé était l’absence de missive de détresse émanant des autochtones.

Là-dessus, je terminais mon exposé, en espérant que cela suffise à mon vis-à-vis. Je laissais ce dernier exprimer sa nostalgie quant à ses vieux faits d’arme au sein du Nibantai. En revanche, je ferais les yeux ronds à sa dernière question qui sortait quelque peu de l’orientation de nos discussions.

– Oh, j’ai bien quelques informations indirectes qui remontent à moi. Notamment, des agitations suspectes à Tokyo. En revanche, pour être parfaitement honnête, je ne m’y suis encore jamais rendue, même si j'aurai tout intérêt à le faire une fois que nous aurons davantage stabilisé les choses au sein de la Soul Society.

Le Sanbantai Fukutaicho écoutait avec attention son invitée. Cette histoire était étrange en effet mais rien ne pouvait affirmer clairement que des Hollows étaient responsables de cette situation. Les groupes criminels étaient légion dans ces lointains districts, les disparitions "légitimes". Prenant son thé, il se prit une gorgée et écoutait la suite du rapport avec attention.

Des monstres ? La possibilité existait. Toutefois, il s'était tapé récemment suffisamment de rapports pour savoir que leurs indicateurs dans le Rukongai n'avaient pas décelé de présences Hollows dans ces contrées. Pensif, il existait la possibilité que ces rumeurs soient organisées pour troubler les pistes de recherche.

Le premier point qui lui vint en tête, c'était que les personnes qui disparaissaient étaient toutes en dehors du District. Un Hollow n'aurait pas fait de différence. Ils pouvaient faire preuve d'intelligence mais avoir une telle connaissance des milieux sociaux, du district en question, était pour le moins peu probable. Le second point était de savoir ce qu'il y avait dans cette forêt, une auberge, un gite ? Parfois, le lieu le plus anodin pouvait être un endroit rêvé pour faire disparaître des gens.

Il prit quelques secondes après les derniers propos de la Shinigami et donna son avis.

- Nibantai Fukutaicho. Je vous remercie pour ces informations. Je relève deux points. Le premier est qu'il est peu probable que des Hollows en soient responsables. Je ne dis pas que c'est impossible. Cependant, un Hollow attaquera en général toute âme sans distinction, et, si c'est un Hollow de rang supérieur, il doit être là depuis très longtemps pour connaitre qui est du 65ème district et qui ne l'est pas.

Le ton était froid et plus professionnel. Pour une fois, il dévoilait comment il formulait ses pensées. Dans son travail, Mamoru préférait les faits et les hypothèses qui en résultaient à tout le reste. Même s'il était passionné par les mouvements Hollows - il n'était pas entrer dans cette Division que pour cela mais, en fait, un peu quand même -, se reprenait vite quand il le fallait. Surtout si des vies pouvaient être mises en danger.

- Evidemment, s'il s'agit d'un Arrancar, il a pu échapper à nos agents dans le Rukongai. Cette hypothèse peut exister. Mais en faisant disparaître que des personnes qui ne vivaient pas dans ce district, il s'est mis en danger. Je pense que cette option n'est pas forcément viable mais on ne peut pas totalement la mettre de côté.

Il prit un gâteau et en prit un morceau.

- Et si nous n'avons reçu aucun appel à l'aide, cela confirme que ce sont des gens du coin qui en sont responsables.

Un sourire suivit après le visage froid qu'il avait pu laisser paraître. Il s'en était rendu compte lors de son exposé et se ravisait en reprenant son sourire amical et fraternel. Il opina aux informations sur le Monde des Humains, lui aussi avait entendu parler de rumeurs mais le temps n'était pas venu de s'occuper de leurs affaires. C'était là le rôle de la Treizième Division après tout, chacun son travail.

J’écoutais consciencieusement ses observations. D’évidence, ses hypothèses allaient à contre-courant de l’idée que des Hollows aient pu être impliqués. Pourtant, il arrivait couramment que ces créatures viennent s’alimenter en âmes là où elles pullulaient le plus, soit, le Rukongai. Ce pourquoi le Sanbantai existait. Autrement, il n’y aurait toujours eu besoin que du Jusanbantai. Car si à leurs transformations, ces monstres demeuraient rattachés au monde des humains, ceux qui avaient survécu plus longtemps se dirigeaient volontiers vers un terrain de chasse plus conséquent, même si ce n’était bien entendu pas une science exacte. De même, ces derniers Hollows, en plus de disposer d’une plus grande puissance, avaient également plus de chance de posséder une intelligence supérieure propre à des agissements plus calculateurs.

À ce titre, il fallait s’attendre à tout, sauf à prendre le risque d’être pris au dépourvu. Trop de shinigamis étaient morts pour avoir négligé cette réalité, y compris chez des gradés. Maintenant, oui, le point de mon interlocuteur demeurait pertinent. Ce pourquoi je décidais de ne pas alimenter plus le débat. Je le laissais donc formuler les différentes possibilités que nous serions amenés à vérifier une fois sur le terrain.

Sa dernière avance, en tout cas, rejoignait bien l’idée que je m’étais figurée en venant ici. S’il n’avait été question que de Hollows, alors j’aurais simplement cédé l’affaire à la troisième division. Toutefois, des éléments suspects laissaient penser que des âmes errantes pouvaient bien être impliquées dans l’histoire. Autrement, pourquoi les disparitions se passeraient toujours au même endroit sans retour apparent sur des pertes locales ? Il y avait anguille sous roche. Et pour lever le lièvre, il allait falloir mobiliser deux soldats qui avaient assimilé les méthodes de la deuxième division.

– Si la discussion paraît traduire un désaccord, avec le recul, je dirais que nous en arrivons à la même conclusion.

Répondais-je sobrement en terminant mon thé. À aucun moment, je ne m’étais offensée de l’attitude de mon vis-à-vis. Au contraire, cela montrait qu’il était capable de sérieux en cas de nécessité. Ce qui en ferait un partenaire utile à la mission que nous allions mener ensemble.

– Quoiqu’il en soit, je vous suggère que nous organisions cela prochainement afin d’élucider cette affaire qui pourrait bien nous faire parler des heures assez facilement si nous nous laissions aller.

Dans mes mots, nul reproche. Seule l’expérience parlait. Et pour le besoin que certaines personnes pouvaient posséder de développer à l’oral leur cheminement, j’avais pris l’habitude de ne pas trop nourrir cela. Simplement parce que c’était dans ma manière d’être. Je préférais mener le plus rapidement les actions concrètes afin d’évincer les menaces qui pesaient sur la Soul Society. Cela dit, il était toujours bon de réfléchir avant de sauter dans la gueule du loup.

– Et auriez-vous quelques suggestions quant aux précautions que nous devrons prendre sur place ?

L’expérience de Mamoru n’était d’ailleurs pas à négliger pour atteindre les résultats escomptés.

Il opina légèrement à la réflexion de son invitée. Maintenant, il fallait passer par l'étape suivante, le comment. Son esprit solitaire l'aurait invité bien souvent à agir de par lui même. Aller sur place sous un déguisement était le plus simple afin de vérifier si quelque chose se passait. Mais il ne connaissait pas vraiment les habitudes de la Nibantai Fukutaichō.

- Personnellement, je serais pour aller au plus simple. On va sur place, on se déguise en étranger et on regarde ce qui s'y passe. Les plans les plus simples sont souvent ceux qu'on ne voit pas venir.

Versant à nouveau du thé, il resta pensif et se demandait si un élément lui manquait dans ce théâtre étrange. On aurait dit du Bunraku en quelque sorte, comme ces marionnettes qui amusaient les enfants. Un léger mouvement de la tête fit taire des pensées qui l'égaraient de la situation présente.

- Pour cette opération, je suggère une très petite équipe. Deux hommes qui assurent la surveillance et deux hommes qui se font passer pour des étrangers. Reste plus qu'à créer une identité, c'est une chose assez facile à réaliser pour un membre de la Nibantai...

Son regard ambré se posait dans celui de la jeune femme. Il se demandait toujours qui était la vraie Shiori, celle qui se cachait derrière le masque de a Nibantai Fukutaichō. Aucune question ne vint pourtant, il avait appris à l'estimer et lui laissait ses secrets pour un temps. Sa rapide curiosité passa aussi vite qu'elle ne s'était éclairée.

- Qu'en pensez vous ? Je peux vous aider si besoin, en temps qu'observateur.

Se déguiser pour être aux premières loges des entremises suspectes qui devaient se jouer sur place ? L’idée, pour dangereuse qu’elle était, me plaisait. Je reconnaissais là l’ancien affilié au Nibantai. Et je le rejoignais sur la réflexion qu’il me fit. Plus l’on intégrait de complexités, plus on entravait la nécessaire improvisation qui devait se jouer sur le terrain avec les imprévus qui étaient alors une monnaie courante dans les missions. Aucune planification ne pouvait se targuer d’anticiper les événements qui s’accompliraient. D’autant plus pour cette affaire dont nous disposions au final de fort peu d’informations tangibles.

Sirotant la tasse qui venait d’être à nouveau remplie par mon hôte, j’écoutais la suite de son développement, curieuse de ses méthodes. Ces dernières seraient à n’en point douter révélatrice de ce que je n’étais pas encore parvenue à cerner de lui. En revanche, je considérais que la suite de ses suggestions n’étaient pas nécessaire ou plutôt, de trop. Ce que je trouverais bientôt à justifier. Quant aux identités que nous trouverions à nous forger, à mon niveau, c’était là une formalité. En effet, pour me spécialiser dans la collecte de renseignements, c’était là une pratique devenue naturelle. Un observateur ?

– Non, je ne vous veux pas comme spectateur, mais comme acteur. De même, je ne tiens pas à mêler d’autres recrues à cette mission. D’une, je préfère réduire notre nombre au maximum pour nous épargner des complexités dispensables. De deux, je ne tiens pas à perdre d’autres ressources. Cette affaire est dangereuse. Je serai moins efficace si je devais me soucier de la sécurité de mes subordonnés.

Là-dessus, je ne transigerai pas sur les moyens que le Nibantai investirait pour mettre un terme à ces disparitions. Je donnerai de ma personne et je considérai que le renfort d’un autre Vice Capitaine serait suffisant pour limiter les risques. Seule, je pouvais plus facilement être piégée. À deux, je pouvais compter sur un allié puissant. Et dans le pire des cas, l’un de nous deux pouvait fuir pour transmettre les renseignements utiles pour mieux proportionner notre force de frappe. Et puis, il y avait également que l’état du Gotei 13 ne permettait pas de consacrer trop d’énergie n’importe comment. Toutes les divisions étaient déjà débordées. Et l’absence de deux Vice Capitaines s'évarait déjà suffisamment lourde pour ne pas en rajouter derrière.

– Du reste, votre idée me plaît bien. Autant agir pour donner à nos cibles le loisir de dérouler leur jeu. Lorsque nous serons sûrs d’identifier la tête du serpent, alors nous n’aurons plus qu’à la lui trancher. Si nous sommes trop pressés, nous pourrions bien échouer à cette fin et gâcher nos efforts. Nous devrons donc être patients.

Buvant une nouvelle gorgée, je lui souriais.

– Quant à l’identité à fabriquer. Eh bien, à votre aise. Qui souhaitez-vous que nous soyons ?

J’étais intriguée par l’idée que le Sanbantai Fukutaicho trouverait à cette fin.

Mamoru écouta les paroles de son invitée, sans l'interrompre. Il était globalement d'accord avec elle, donc c'était une perte de temps de jouer sur les détails. La suite devenait intéressante. Son thé à ses lèvres, il but quelques gorgées avant de reposer la tasse. Le cérémoniel était une chose qu'il appréciait toujours autant, c'était un moment de méditation et de réflexion.

- Des marchands, ni trop riches, ni trop pauvres. Il nous faut paraître telles des victimes à venir.

Une question taraudait quand même le Sanbantai Fukutaichō. Ce dossier était simple. Le fait que des Hollows soit lié était faible. Le fait que cette affaire aurait mérité l'attention de Sièges subalternes... Un sourire énigmatique se dessinait sur ses lèvres. Était elle en train de tester ses capacités de raisonnement ? Non. Il ne sentait rien de tout cela mais il gardait dans un coin de sa tête cette remarque assez rapide.

- Votre rapport mentionne un point où les disparitions ont été les plus fréquentes ? Ce serait un bon point de départ.

Le décorum était en place, l'endroit maintenant ? Cette mission pouvait prendre quelques temps en effet.... Cela l'éloignait de ses affaires mais c'était pas plus mal en fait.

- Je vous propose de se retrouver dans quelques jours dans le district le plus proche, déguisés évidemment. Suis curieux dans quel accoutrement vous viendrez !

- Fin -

Nous arrivions finalement au terme de cette cérémonie du thé improvisée. Je me réjouissais de relever que mon interlocuteur s’entendait sur la même orientation pour mener une mission qui exigerait de nous la plus grande discrétion. Et à ce titre, Mamoru avait parfaitement saisi l’idée. Les déguisements que nous allions devoir emprunter devaient nous faire passer pour des lambda. En outre, nous devions apparaître à la fois vulnérables et désirables pour quelques entreprises néfastes. Soit, nous mettre dans la posture de tous ceux qui s’étaient retrouvés à disparaître dans cette partie du Rukongai.

– Cela me semble parfait !

Les meilleurs plans étaient les plus simples. Du reste, nous aurions suffisamment de latitude pour improviser suivant ce qui viendrait à nous. À sa question, je lui retournerais ce qui me semblait être le point névralgique de ces disparitions. Je réduisais la zone au mieux que je le pouvais, de sorte à nous faire gagner un maximum de temps sur place. Car oui, s’il était un impératif, ça revenait à ne pas consacrer trop de temps à la considération que nos rangs respectifs ne nous permettaient pas de nous absenter trop longuement. Je lui adresserais un sourire pour répondre à sa curiosité.

– Oh… Eh bien, je vous réserve donc la surprise ! Et j’admets être moi-même curieuse de l’apparence que vous vous donnerez ! L’occasion de découvrir une nouvelle facette de vous !

En effet, pour moi, cette mission était également une belle occasion de mieux comprendre la personnalité complexe de mon interlocuteur. La première fois que nous nous étions rencontrés, plusieurs éléments m’avaient interpelé. Enfin, en définitive, nous en avions suffisamment dit pour cet échange. Ce pourquoi, je me relèverai.

– Quoiqu’il en soit, je vous remercie par avance pour votre coopération. Si vous me permettez de prendre congé, alors, je vous dis au revoir ! D’ici là à ce que nous nous retrouvions, prenez soin de vous !

Et sur ces mots, je retournais à mes affaires.