Lame au clair [Artemio - Borick]

▬ Es-tu sûr de ce que tu me racontes ?
▬ Ou... Oui seigneur !
▬ Allons, pas de seigneur entre nous. Nous sommes frères d'armes, désormais, pas vrai ?

Se fendant d'un sourire, Artemio tapota la tête du Hollow qui venait de l'informer. Un Hollow d'un certain âge, en dépit de son apparence, qui n'avait - de manière assez remarquable, finalement - jamais réussi à dépasser ce stade, mais n'en avait pas moins appris sa leçon.
Les mythes et légendes du Hueco Mundo, anciens comme actuels, n'avaient aucun secret pour lui ; il n'avait pas fallu longtemps pour qu'il se doute de sa véritable identité, quand bien même il n'en restait presque plus aucune trace désormais. Des rumeurs, quelques gravures sur les murs de ruines depuis longtemps enterrées...
Et peut-être des survivants, mais il n'y croyait que très modérément. Si lui-même avait pu être vaincu, bien qu'il n'en garde aucun souvenir, quelles étaient les chances que ses adeptes - pour la plupart d'une faiblesse désespérante - aient survécu au dernier millier d'années ?

Le désert avait changé - et pas en mieux, de ce que lui apprenaient les informations qu'il avait pu collecter depuis son retour. Non content de n'avoir pas su progresser par lui-même - d'être resté fidèle à son cycle d'éternelle destruction et recommencement -, il avait été le terrain de jeu de nombreux envahisseurs. Quincy, Shinigami... Et même une nouvelle espèce dont il n'avait jamais entendu parler en son temps.

Comment ses pairs avaient-ils pu laisser cela se produire ? Il n'en avait aucune idée. Mais dans la mesure où ces incessantes défaites les avaient fait paraître faibles - avaient indiqué à leurs ennemis héréditaires qu'ils n'avaient pas les moyens de lutter contre une telle prise de contrôle -, il convenait de vérifier qu'ils soient désormais en mesure de se défendre.
Qu'importe qui étaient les responsables au moment des faits : il voulait s'assurer que ce ne soit pas appelé à se reproduire. Et pour cela, quoi de mieux que de vérifier qui était désormais en charge ?

Oh, il savait qu'il y avait d'autres meneurs naturels, à l'instar d'Yrronos, autour desquels une meute s'était rassemblée - et c'était une bonne chose qu'ils aient appris à le faire, à pallier leur faiblesse par le nombre, mais ce n'étaient pas eux qui l'intéressaient.
Non, ce qui comptait, c'étaient les guerriers ; ceux qui allaient véritablement se battre en cas d'incursion, et pas simplement se cacher dans leur tour d'ivoire... Ceux qu'ils avaient baptisé « Espada ».
Par chance, il se trouvait que le plus puissant d'entre eux - jusqu'à nouvel ordre - se rendait souvent en leurs contrées ; voilà qui arrangeait bien ses affaires. Il n'eut donc qu'à attendre ; attendre et guetter quelqu'un correspondant à la description qu'on lui en avait fait. Cela prit moins longtemps qu'il n'aurait pu le penser.

▬ C'est donc toi, celui qu'on appelle Borick ? l'interpella-t-il donc depuis une branche de quartz située en hauteur, quelques minutes à peine après qu'il ait pénétré dans leur territoire. Son but n'était pas de le faire croire à une embuscade, comme le suggérait son ton amical. Il lui adressa un sourire, les jambes balançant dans le vide. J'ai cru comprendre que tu étais assez célèbre, par ici... Je suppose que je devais être honoré de pouvoir croiser ta route !

Il leva simplement les yeux vers la source de la voix, afin de constater par lui-même l'apparence de celui qui l'interpelait de la sorte. Posé sur sa branche de quartz, le jeune homme semblait l'observer, l'air amusé. Une longue chevelure brune, plutôt petit en apparence, il se dégageait de lui une aura de puissance et de confiance particulière. Le genre d'aura qui amusait l'Immaculé.

Ici, il n'était pas sur son territoire. Il n'était donc pas si étonné que cela qu'on puisse l'attendre ainsi. Il était déjà surprenant que cela ne lui soit pas déjà arrivé par le passé. Et si un autre aurait pu croire à un piège, ou même à de l'intimidation, ce n'était pas le cas de Borick. Il ne craignait rien du peuple de ce territoire, ce qui expliquait qu'il s'y déplace si souvent.

Se reculant d'un pas toutefois, il remit d'un geste ses cheveux en place, alors qu'il lui faisait signe de descendre. Il serait plus facile de discuter ainsi n'est-ce pas ? Quel drôle de petit singe cependant. Et s'il refusait de descendre... Et bien il avait bien sa petite idée pour l'y aider.

- Je suis bien celui que l'on nomme Borick. Tu es bien informé.

Entre autre mais il n'était pas ici pour énumérer ses titres après tout. Par ailleurs, l'Immaculé savait qu'il n'y avait pas beaucoup d'Arrancar qui lui ressemblait. En un sens, lui aussi était unique. Pas étonnant alors qu'on puisse aisément le reconnaître. La Primera Espada ne pouvait pas passer inaperçu partout, il le savait, et en assumait la charge. Ce titre lui offrait un certain prestige. Mais l'admiration des minables n'avait aucun intérêt pour lui. Sa fonction étant de s'assurer que l'Acuerdo était bien respecté.

- Pour l'honneur, tu es seul juge. Toutefois j'aimerai moi aussi connaître le nom de la personne à qui je parle. Simple question d'équilibre.

Il se mit à rire doucement. L'équité était une notion abstraite. Et n'avait pas sa place au sein du Monde Creux. Ni ailleurs. S'il interprétait correctement ses propos, il n'était pas ici depuis longtemps. Et au vu de sa posture et de ses premières paroles, il était là pour lui.

- Tu m'attendais, n'est-ce pas ? Et bien je suis là, maintenant. Que désires-tu ?

▬ Pardon, je manque à toutes les politesses.

D'un Sonido calculé, il disparut de la branche pour apparaître à ses côtés, debout cette fois.
Si l'empereur n'était déjà pas aussi grand qu'on aurait pu l'attendre de quelqu'un revendiquant un titre aussi ronflant, il était plus petit encore, de près de vingt centimètres.
Il aurait été facile de le prendre pour un enfant, ou un adolescent à la rigueur, avec ses airs juvéniles et son corps malingre - pour le peu que laissait en voir la large pièce de tissu qui lui servait de vêtement.
Bien sûr, cela n'avait aucune espèce d'importance pour des êtres de leur espèce ; même les traits les plus immatures pouvaient cacher des âmes millénaires. N'en était-il pas la preuve ?
Une main gantée jaillit de sous la cape, aussitôt tendue vers son interlocuteur en un geste on ne peut plus affable.

▬ Je m'appelle Artemio Vittoria. Un nom qui sonnait encore étrange dans sa propre bouche, bien qu'il l'ait lui-même choisi, mais il en fallait bien un désormais - et rien d'aussi dérisoire que les sobriquets dont s'affublaient les simples Hollows. Le temps où il n'était qu'un symbole et se moquait bien du nom qu'on lui donnait était révolu. Heureux de faire ta connaissance.

Cette main tendue, libre à lui de voir s'il daignerait la prendre ou non ; à vrai dire, c'était un moyen comme un autre d'évaluer son attitude - de vérifier s'il était aussi ridiculement méprisant que les autres « nobles » de la caste à laquelle il appartenait.
Ayant vécu plus longtemps que la plupart d'entre eux - plus qu'ils ne le feraient jamais -, il n'était pas sans s'amuser de voir certains de ses pairs se démener à ce point pour paraître plus qu'ils n'étaient réellement. Bien sûr, cela, Borick n'avait pas besoin de le savoir. Tout du moins, pas encore.

▬ Rassure-toi, je ne compte pas te déranger longtemps. Je me doute que tu as mieux à faire lorsque tu prends la peine de venir jusqu'ici. Sans qu'il perde toute bonhomie, son regard se fit un rien plus perçant. J'étais simplement curieux de rencontrer celui qui a obtenu le titre de « Primera Espada ». Après tout, cela fait de toi le plus fort par ici, n'est-ce pas ? Il inclina très légèrement la tête dans sa direction. Nous comptons sur toi pour défendre notre monde...

S'il était surpris, il n'en laissait pas la moindre trace apparaître sur son visage. La personne face à lui faisait preuve d'une certaine distinction et il semblait savoir manier les mots à la perfection. Un talent rare au sein du Monde Creux, plus encore au sein des clans de moindre importance. De fait, l'intérêt de l'Empereur grandissait en même temps qu'il découvrait celui qui portait le nom de Artemio.

La main tendue fut donc saisie avec plaisir et sans la moindre hésitation par l'Immaculé. Un signe évident de salutation et une marque de respect entre personnes civilisées. Borick savait que certains préféraient mettre en avant leur supériorité au point de refuser de toucher ceux qu'ils ne considéraient pas comme digne d'intérêt. Il en était tout autre de lui qui savait faire abstraction de ce genre de sentiments inutiles. Après tout, n'avait-il pas lui même à son service de simples Hollow ? Même si cela était mal vu par La Cámara.

- Et bien c'est un plaisir de faire ta connaissance, Artemio.

Il l'écoutait parler de ses motivations, comprenant mieux la raison qui l'avait poussé à venir ici. A l'attendre. S'il parlait bien, Borick ne pouvait s'empêcher d'y percevoir une certaine curiosité. Comme si Artemio essayait de jauger l'importance de l'Empereur et du bienfondé de son titre. Enfin un échange intéressant. Voilà qui changerait un peu des discussions vide de sens.

- Tu ne me déranges pas le moins du monde. S'il est vrai que certaines affaires me poussent à voyager un peu, c'est aussi et surtout la peur de l'ennui qui me motive. Autant te dire que tu tombes toi aussi à point nommé.

Il disait vrai. Si le Palais de l'Hybris était une demeure confortable et à la hauteur de ce qu'attendait un membre de La Cámara, l'Immaculé préférait ne pas rester enfermé dans cette tour d'ivoire.

- Tout dépend de ce que tu as en tête quand tu parles de "force". Pour ma part, je suis convaincu qu'il existe des êtres bien plus fort que je ne le suis moi-même. En dehors de ceux qui sont à la tête des grandes factions évidemment. Cependant je possède aussi quelques atouts qui me permettent de tirer mon épingle du jeu. J'espère que ma réponse ne te décevra pas.

Il souriait. Il est vrai qu'il combattait d'une manière un peu particulière pour sa part. Son pouvoir lui permettant d'éviter de se salir les mains lui même. Ce n'était pas sans risque cependant. Quant à la force brute, s'il n'en manquait pas, il préférait de loin faire appel à un autre muscle. On attendait du Primera qu'il soit le plus fort. En un sens, c'était peut-être le cas mais certainement pas comme tous le pensaient.

- Mais sois cependant assuré d'une chose : je ne laisserai pas ce monde tomber de nouveau entre de mauvaises mains. Et pour cela, je compte aussi sur votre aide à tous.

Il l'observait, analysant sa réaction. Borick était de ceux qui motivaient les troupes mais qui n'hésitaient pas à aller au devant du danger pour participer aussi à la chute de leurs ennemis.

- L'Espada t'intéresse t'elle ?

Artemio masqua son étonnement en voyant Borick si prompt à prendre sa main.
La plupart de ses « égaux » auraient simplement refusé d'y toucher, voire l'auraient repoussé avec mépris, pour la seule raison qu'il n'était pas à la hauteur - pas comme eux.
Voilà qui jouait en sa faveur. Même si ce n'était que par pure politesse, tous n'en auraient pas fait l'effort... Contre toute attente, peut-être que certains d'entre eux pouvaient encore être sauvés, finalement. Sauvés d'eux-mêmes et de leur arrogance. Intéressant.
Non seulement ça, mais celui qu'on appelait « l'Empereur » - un surnom qui n'aidait pas à se l'imaginer sous un jour aussi modeste, force était de l'avouer - déclara même se réjouir d'avoir un peu de compagnie.
Là encore, impossible de savoir s'il était sincère ou essayait uniquement d'entretenir son image - quelqu'un arrivé là où il en était en avait-il vraiment besoin ? -, mais, appréciant la démarche, Artemio daignait lui accorder le bénéfice du doute.

▬ Ma foi, si je peux me rendre utile... C'est vrai qu'il n'y a pas grand chose à faire, par ici.

D'autant que les plus faibles avaient tendance à se cacher sous le premier caillou lorsqu'une pointure dans son genre entrait sur le territoire.
Il n'était pas péjoratif de dire que la forêt des Menos accueillait la racaille de leur espèce, ceux juste assez forts pour avoir à nouveau le droit à la pensée - et donc la capacité à constater leur propre impuissance.
Même lui était fui parfois, alors pourtant qu'il vivait en ces lieux et y passait le plus clair de ses jours ; dès lors, il n'osait imaginer le genre de réaction qu'ils pouvaient avoir devant un « intrus » de cette envergure.
Mais tout cela, Borick devait déjà le savoir. Après tout, de ce qu'Artemio avait cru comprendre, il venait depuis plus longtemps ici en balade que lui-même n'y était installé.

▬ Je vois. C'est intéressant, fit-il après que l'intéressé lui eut expliqué ce qu'il pensait de sa légitimité à occuper sa position. La plupart des individus capables d'arriver à une telle place se feraient une joie de rappeler à qui veut bien l'entendre qu'ils sont les plus forts. Je suis heureux de constater que ce n'est pas ton cas.

Sans doute était-ce le cas pour au moins une partie des autres numéros, mais que le meilleur d'entre eux ne se conforme pas à ce cliché avait déjà de quoi lui redonner un peu d'espoir en ce système primitif. Par ailleurs, s'il ne brillait pas par sa force brute - ou pas que -, cela voudrait dire qu'il avait également d'autres cordes à son arc pour préserver sa position. Si l'ancien Vasto Lorde ne faisait pas grand cas des jeux politiques, c'était malgré tout quelque chose dont il fallait se méfier.

▬ À vrai dire, j'arrive d'assez loin. Tout ça est assez nouveau pour moi, j'essaie encore de comprendre les règles du jeu. Toujours souriant, il pencha la tête de côté, faisant tinter ses boucles d'oreilles. Mais je ne pense pas y avoir ma place, si c'est ta question. Je suis simplement curieux de connaître ceux qui sont supposément les meilleurs d'entre nous.

Il connaissait la mentalité de ses pairs. Il savait aussi que réagir de la sorte, aussi ouvertement en tout cas, était une erreur que beaucoup faisait. L'orgueil les empêchant de voir qu'ils se sabordaient eux même en agissant de la sorte. L'Empereur était d'une autre caste. Il n'était pas utile de rappeler sans cesse sa supériorité aux autres, elle s'imposait d'elle même. Ceux qui agissaient autrement étaient de parfaits idiots qui compensaient un manque flagrant de talents par la menace, par la condescendance. Alors qu'ils n'étaient finalement pas bien supérieurs à ceux qu'ils croisaient. Il n'y avait finalement que peu de véritables Seigneurs en ce monde et c'était tout aussi bien ainsi.

- La plupart des individus ne réfléchissent pas vraiment aux conséquences de leur comportement, c'est surtout ça le problème. Je sais que ma position est fragile et qu'elle attise nombre de convoitises. La place de Primera est autant une marque de puissance qu'une cible dans le dos. Je n'ai pas besoin de m'attirer plus d'ennemis par un comportement inapproprié.

Il se mit à rire. Sa place était désirée par tant d'autres. Il existait même une aura étrange autour de ce statut que lui-même ne comprenait pas. Sans doute l'idée d'être considéré comme le plus fort était suffisante pour ceux qui désiraient atteindre un tel rang. L'ego poussait les Puissants à faire des erreurs et il s'estimait lui-même au dessus de cela. Non pas qu'il n'ait aucun ego, il savait que c'était faux. Mais lui connaissait les limites réelles de sa propre puissance. Et savait qu'un jour ou l'autre, il tomberait sur quelqu'un qui essaierait de le détrôner.

Artemio venait de loin visiblement, il n'était donc pas surprenant qu'il s'interroge à ce point. Il était aussi amusant de voir à quel point son avis semblait tranché quant à ceux qui se prétendaient meilleurs que les autres. Sans doute avait-il croisé des personnes encore trop imbus de leur personne. Au point de s'oublier devant les petites gens.

- Je comprends et partage ta curiosité. Il est vrai que moi aussi, j'avais en tête de découvrir cette fameuse Espada dont tout le monde parlait. Si je me suis investi autant, c'est parce que l'idée de défendre notre peuple me plaisait. Nous avons laissé trop longtemps les autres se jouer de nous. Bien des batailles auraient pu être évitées si nous avions pris notre destin en main avant.

Par cela, il était aisé de comprendre qu'il parlait des Shinigamis qui, par le passé, avaient pris trop souvent la tête des forces du Hueco Mundo. Il observait Artemio, avant de reprendre :

- Toi qui vient de si loin et qui possède donc un regard sans doute neuf sur tout ceci, j'aimerai connaître ton avis sur la situation actuelle. Que penses-tu de tout ceci ? De ces clans qui ont émergés. De ces humains qui parcourent nos terres parfois librement. Je suis curieux.

Et c'était vrai. Curieux d'avoir le ressenti de quelqu'un qui semblait exécrer ceux qui s'estimaient meilleurs que les autres.

▬ C'est assez sage de ta part, commenta simplement Artemio.

Prudent, aussi. Borick faisait preuve d'une lucidité remarquable pour quelqu'un dans sa position, apparemment insensible pour l'heure à la folie des grandeurs qui aurait égaré plus faible que lui.

▬ J'ai cru constater que, bien que nous reprenions une apparence humaine en retirant nos masques, nombreux étaient ceux à encore se comporter comme des animaux, à suivre la loi de la jungle. Je ne doute pas que ça ait pu leur attirer des problèmes. Je suppose qu'on peut parler de sélection naturelle...

De ce qu'il avait cru comprendre, en plus d'être régulièrement remises en jeu par l'intermédiaire d'un tournoi, les places prestigieuses au sein de l'Espada pouvaient aussi faire l'objet d'un défi ; un combat individuel pour déloger celui dont on convoitait le numéro. Borick recevait-il souvent ce type de provocation ? Ou s'assurait-il que ceux convoitant son poste n'arrivent jamais jusque là ? Avait-il simplement eu la chance de n'être jamais tombé sur plus fort que lui, ou avait-il mis en place des stratagèmes pour pérenniser sa position ?

▬ Oui, j'ai eu vent de ces guerres. dit-il en passant une main dans sa longue chevelure. Pendant un bref instant, Borick pourrait peut-être entrevoir l'estigma situé à la base de son crâne, à hauteur de la première cervicale. Par chance, j'y ai échappé, mais j'ai encore du mal à croire que nous avons pu être tant assaillis en si peu de temps... Parfois même pour des batailles par lesquelles nous n'étions pas concernés, simplement pour utiliser notre monde comme « base d'opération ».

Une idée qui l'outrageait plus qu'il ne voulait bien le laisser paraître.
Quand étaient-ils devenu incapables de défendre leur propre monde ? Quel animal digne de ce nom est prêt à laisser un prédateur entrer dans sa tanière ? Que valaient-ils encore en tant que chasseur, si leurs proies pouvaient leur faire abandonner leur territoire ?
S'ils tenaient tant à suivre leur instinct bestial, qu'ils commencent par le faire en protégeant ce qui leur appartenait. Ce désert blanc n'avait peut-être pas grand chose à offrir, mais n'en restait pas moins leur demeure. Nul ne devrait pouvoir s'y aventurer sans avoir à le regretter.
Ce qui l'amenait à la question du Primera.

▬ En ce sens, je ne suis pas en accord avec les valeurs de chacun de ces groupes, évidemment, mais je pense que c'est une bonne chose qu'il y ait quelqu'un pour fédérer les moins bien lotis d'entre nous, ceux qui sont incapables de survivre par eux-mêmes.

Son regard se tourna vers le Gillian dont il venait entendre le meuglement au loin, qui se traînait paresseusement vers une destination dont il n'avait probablement pas lui-même connaissance.
Oui, si même eux, même ces stupides géants étaient capable de comprendre qu'il fallait rester groupés s'ils voulaient pouvoir survivre, alors qu'ils s'entre-dévoreraient à la première occasion, que penser de ceux qui n'étaient même pas capable d'en arriver à cette conclusion ?

▬ Les forts seront forts et les faibles seront faibles. Nous n'avons pas attendu l'Espada pour savoir cela. J'imagine qu'il y a du bon à ce que ces derniers se soient finalement rendu compte qu'il n'y a pas de honte à se ranger auprès de meilleur que soi. Bien sûr, pour cela, encore faut-il être capable de l'admettre...

Ce qui semblait plus simple à son époque. Les Vasto Lorde étaient rares et les Arrancars encore plus. À présent qu'ils couraient les rues, tous ceux revendiquant l'un ou l'autre de ces statuts - si ce n'est les deux - se sentaient pousser des ailes, et n'étaient que plus prompts à en mourir. La mort de l'exception avait dilué l'idée de ce qu'était la force au sein de leur espèce ; ces défaites consécutives avaient au moins eu le mérite - à défaut d'autre chose - de remettre les choses au clair pour les quelques rescapés.

▬ En d'autres termes, reprit-il sur un ton toujours aussi enjoué, ce n'est peut-être pas pour tout le monde, mais je suis content que les moins fortunés d'entre nous aient trouvé un endroit où s'abriter. Après tout, avant même que l'on se dote de titres et qui sait quoi d'autre, il existe au sein de notre espèce une hiérarchie naturelle. Ces nouveaux moyens d'obtenir de la puissance nous l'ont fait oublier pendant quelques temps, mais la nature reprend ses droits. Chacun est libre de faire ce qu'il veut, mais il est important d'admettre que nous n'avons pas tous le même potentiel. Après tout, l'arrogance va dans les deux sens.

Il n'avait aucun doute quant au fait que Borick, sous ses airs d'ange, soit lui-même un Vasto Lorde - ou ait été ; qu'importe.
Malgré son apparente ouverture d'esprit, son port, son maintien étaient ceux d'une personne qui avait l'habitude de régner, et ce dès avant de devenir plus que ce qu'il n'était déjà en avançant à visage découvert. Par conséquent, sans doute était-il bien placé pour comprendre ce qu'il essayait de dire.
Que l'on écrase les autres sous le poids d'une supériorité illusoire était une chose ; qu'ils admettent d'eux-mêmes les réalités de la chaîne alimentaire et agissent en conséquence en était une autre. Partir chacun de son côté dans l'espoir de devenir « le nouveau roi du Monde Creux » ne ferait, pour la majorité, que les mener à leur perte.

▬ Et quant aux humains... Il eut un léger rire plein de candeur. Je suppose qu'il y a du bon à avoir de quoi manger à portée de main. Cela nous évitera d'avoir à aller les chercher.

Sélection naturelle supposait que certains avaient une chance de s'en sortir, chose que ne pensait pas El Emperador. Il savait d'expérience qu'en dépit de leur apparence, certains ne resteraient toujours que des moins que rien. Ils étaient une gêne pour le Hueco Mundo. Pas seulement à cause de leur faiblesse physique. Mais surtout parce que, comme le soulignait Artemio, leur comportement était problématique. Se comporter comme des animaux. Il puisait dans le même vocabulaire que l'Immaculé en réalité. Feint ou réel ? Il ne savait pas encore trancher à ce sujet. Mais une chose était sure, lui comme son discours intriguaient la Primera.

- Tu sembles être conscient d'un des problèmes de notre société actuelle en effet. Qu'importe l'apparence, certaines créatures restent des bêtes.

Cela ratissait large. On pouvait inclure les simples Hollow qui ne laissaient que l'instinct parler pour eux - il le savait même mieux que quiconque étant donné son rapport particulier avec ces espèces - tout comme on pouvait inclure les Arrancar qui se croyaient supérieurs sous prétexte d'avoir modifiés leur apparence. Cette seconde catégorie l'amusait réellement d'ailleurs. Les conversations avec eux étaient toujours symptomatiques des vrais problèmes du Monde Creux.

Pour le reste, il partageait évidemment son point de vue. Base d'opération étant clairement le terme adéquat. Artemio paraissait pleinement conscient que les événements qui avaient secoués leur monde étaient surtout la conséquence d'une politique d'expansion ou de préservation des autres "peuples" sur eux. C'était aussi cela qui avait déclenché le courroux de l'Immaculé, le forçant à sortir des ténèbres du Yermo. A quitter son territoire où il était pourtant confortablement installé.

Borick notait toutefois une chose qui lui apparaissait comme évidente. Cela faisait plusieurs fois que Artemio s'incluait dans le groupe de "ceux qui ne peuvent pas se défendre", comme s'il se considérait comme incapable de gérer une situation conflictuelle. Peut-être était-ce aussi un moyen de défense pour éviter aux autres de le regarder comme un rival. Mais à mesure que la discussion se poursuivait, le doute disparaissait. Cet homme, il savait y faire. Tant dans l'utilisation des mots que pour sa défense personnelle, il en était convaincu. Il eut même un léger sourire, alors qu'il plaçait ses mains dans ses poches.

- Il est vrai qu'il y a du bon à voir les moins bien lotis pouvoir se ranger derrière une des bannières de notre monde. Qu'importe finalement les idéaux de chacun tant que l'on peut faire front commun face aux véritables ennemis. Mais la compréhension, c'est une chose. L'acceptation par contre, c'est souvent le plus compliqué pour certains des nôtres.

Car il n'avait pas tort. S'il existait une chaîne naturelle de commandement, il existait aussi des individualités fortes qui n'aspiraient qu'à prendre le dessus sur les autres. Des ambitions déraisonnables à ses yeux, qui précipitaient la chute des plus téméraires. Oserait-il dire des plus fous.

Il ne put réprimer un petit rire alors que la discussion déviait sur les humains. Il inclina légèrement la tête, amusé, avant de répondre.

- J'aime beaucoup ta façon de voir les choses. Tu parles bien, tu pèses tes mots et tu sembles avoir une idée précise de comment les choses ont évoluées ces derniers siècles. Car l'état actuel de notre monde n'est pas que la conséquence d'une unique action, nous en sommes toi et moi conscients.

Et c'est ce qui faisait la beauté de cette conversation à dire vrai.

- Mon statut de Primera me pousserait à te mettre en garde contre toute attaque sur ces humains qui parcourent nos terres. L'Acuerdo les protège pour le moment et l'Espada a pour rôle de veiller à ce que cet accord soit maintenu. Dans un sens comme de l'autre, il s'entend. Mais je dois dire qu'il s'agit là, sans le moindre doute, de la tâche qui m'insupporte le plus. Tout du moins celle qui m'apparait comme la plus sujette à contestation.

Il pouvait bien se permettre de lâcher cette petite information le concernant, ce n'était pas si grave et tant qu'il assumait ses fonctions, il pouvait bien penser ce qu'il voulait après tout.

- Avec tout le respect que je dois à nos dirigeants, je crains de ne pas comprendre la raison qui nous pousse à protéger ces humains. Moins encore quand on sait qu'ils seraient potentiellement responsables de certains dérèglements de notre monde.

Deux points. La Grande Caracte, qui restait encore à confirmer mais dont le doute n'était pas réellement permis pour certain. Et ensuite les attaques de quelques Gillians qui avaient débutés ça et là. Pour ça, il en était l'unique responsable évidemment. Mais il comptait bien mettre cette folie passagère sur le compte des actions humaines.

Ainsi, il ferait changer le regard des dirigeants sur ce pacte passé entre eux et les Hommes. Et obtiendrait enfin le droit de les chasser de ces terres. Reprendre la main sur le Hueco Mundo. Redonner à son véritable peuple les clés pour progresser.

▬ Je ne suis peut-être arrivé que récemment, mais j'ai passé un certain temps à observer nos semblables. Et puisqu'ils s'obstinent à rester fidèles à eux-mêmes, et bien... se justifia-t-il, l'air toujours aussi nonchalant, quand Borick le complimenta sur la finesse de son analyse.

Oui, même s'il faisait peu de cas des autres - sans toutefois les mépriser ; il n'en avait que faire, voilà tout -, il avait eu tout le temps d'apprendre à les connaître. Eux et les défauts majeurs - voire mortels - qui les caractérisaient.
Malgré les nouvelles découvertes qui leur avaient permis de devenir plus fort, les Hollows - au sens large du terme - n'avaient que peu changé, que peu évolué en tant qu'espèce.
Pour que même ce retour à une société tribale soit perçu comme une innovation, c'était dire s'ils revenaient de loin...

▬ À vrai dire, c'est pour cela que je rechigne quelque peu à voir certains d'entre nous se conduire comme s'ils étaient « trop » civilisés, ajouta-t-il. Oh, il faut bien donner l'exemple, je ne les blâme pas pour ça. Mais... C'est oublier un peu vite ce que nous sommes réellement.

Des monstres.
Des croque-mitaines. Des créatures de cauchemar, conçues pour hanter les nuits de ceux qui ne partageraient pas leur éternelle damnation... Et même ceux-là n'étaient pas épargnés quand il leur prenait l'envie d'évoluer.

▬ Je ne pense pas être « sauvage ». En tout cas, pas plus que n'importe lequel d'entre nous. Mais... Il écarta légèrement sa cape, dévoilant le trou qui lui traversait la poitrine de part en part, symbole de sa condition - de leur commune malédiction. Je sais d'où je viens, si l'on peut dire. Je ne vois pas l'intérêt de chercher à le cacher.

Ce qui était quelque peu paradoxal, compte tenu de sa situation, mais qu'importe. Ce n'en était pas moins le fond de sa pensée. Oh, il était louable de vouloir redorer leur blason, confectionner une image de marque à une race qui n'en avait jamais eu, mais tous les grands airs du monde ne sauraient faire oublier leurs origines.
Il ne disait pas cela pour Borick - lequel semblait résolument lucide -, mais certains de ses pairs avaient une fâcheuse tendance à vouloir camoufler le fait qu'ils étaient nés dans la même fange primordiale que tout le reste. Toutefois, même si elle ne lui était pas destinée, cela ne voulait pas dire que son interlocuteur apprécierait nécessairement cette remarque.

▬ Au final, disons qu'il faut trouver un juste milieu, tempéra-t-il donc, laissant retomber le morceau de tissu. Nous ne sommes pas des bêtes, c'est vrai, mais nous ne sommes pas des saints non plus. Il est bon de ne pas l'oublier. Car oublier d'où l'on vient, c'est le meilleur moyen de refaire sans cesse les mêmes erreurs.

Car tout le monde en faisait, oui, y compris ceux qui s'imaginaient au sommet de la pyramide, aussi haut que le soleil - ou la lune, en l'occurrence. Même lui qui avait pu un temps se croire au-dessus de cela devait admettre que quelque chose s'était mal passé, s'il avait péri. Les gens comme eux ne meurent pas de vieillesse, encore moins d'un accident. Mais là encore, ces détails ne concernaient que lui.
Qui sait ? Si Borick était aussi amical qu'il le laissait paraître, ce dont il était encore loin d'être sûr, peut-être finirait-il par lui en dire davantage à son sujet... Lui dire qui il était vraiment.
Ne serait-ce que pour voir si l'image qu'il avait de lui était encore la même ensuite.

▬ Et en effet, les erreurs ont été nombreuses... Mais si nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes pour une partie d'entre elles, nous pouvons difficilement apprendre de celles commises par d'autres.

S'il blâmait les siens pour avoir bu les paroles de ce Aizen Sōsuke, avoir cru qu'un Shinigami avait quoi que ce soit de bon à leur apporter - pouvait-on se fourvoyer davantage ? -, les autres calamités s'étant abattues sur eux n'étaient en rien de leur ressort. Certes, il convenait de se demander s'ils auraient été aussi vulnérables, aussi démunis s'ils n'avaient pas d'abord choisi de s'associer aux mauvaises personnes, mais il faudrait alors remonter étape par étape jusqu'au premier maillon de la chaîne - la faute originelle.
Et cela, même lui était bien jeune pour s'en sentir ne serait-ce qu'un peu responsable.

▬ Enfin, je suppose que c'est un mal pour un bien. Au moins sommes-nous désormais maître de notre destin, débarrassés de toute influence extérieure. Quoi qu'il advienne, dorénavant, nous serons les seuls responsables.

Pour le meilleur comme pour le pire. C'en était terminé des excuses.
Si une fois encore ils devaient être défaits, massacrés par leurs ennemis, ils n'auraient à blâmer que leur faiblesse. Artemio ne serait pas de ceux-là ; cela au moins, c'était une certitude. Quant à son interlocuteur... S'il y avait un tant soit peu de sincérité dans tout ce qu'il venait de se dire, il lui souhaiterait presque d'être capable de s'en tirer, si un tel malheur devait se produire.
D'autant que pour peu qu'il reste assez d'entre eux pour reformer une nouvelle fois cette Espada... Qui sait qui pourrait prendre sa place, s'il devait disparaître ?

▬ J'apprécie également cette conversation. Je dois dire que je ne m'attendais pas à trouver autant de points communs avec quelqu'un qui est sorti vainqueur de ce que je vois essentiellement comme un concours de force.

Il lui faudrait toutefois aller assister à la prochaine édition de ce procédé de sélection. Peut-être avait-il mal compris de quoi il retournait. Et puis, ce serait enrichissant, ne serait-ce que pour voir de quoi ses frères et sœurs étaient capables aujourd'hui. Le public ne devait de toute façon pas manquer, pour que les résultats soient reconnus de tous. Il ne serait qu'une sombre âme de plus dans la foule.

▬ Accordes-y l'importance que tu voudras, mais si nous votions comme le font les humains, je pense que tu aurais eu ma voix, conclut-il. Je tiendrai donc compte de ta recommandation. Je n'avais pas l'intention de m'en prendre à eux, de toute manière. Tout du moins, pas tout de suite... Enfin, j'imagine que ça n'empêche pas de leur faire un peu peur.

Ne serait-ce que pour leur rappeler qu'ils n'étaient pas ici en pays conquis - et s'assurer qu'ils ne puissent plus l'oublier. Tolérés, mais pas admis ; jamais.

▬ Ce ne sont que des humains, je ne suis pas sûr qu'il faille s'en méfier... Mais je n'aime pas non plus voir ma nourriture se promener, même si je n'ai plus besoin d'en manger. Je ne serais pas surpris que d'autres y voient une forme de... Provocation.

Et pour le reste... Ce qu'on appelait la « Grande Cataracte » - un nom bien modeste pour une distorsion de cette ampleur - n'existait effectivement pas à l'époque où il foulait encore ces terres à pas de géant. Pour des raisons évidentes, il n'avait pas été y voir de trop près, mais cela lui avait suffi à comprendre qu'ils avaient toutes les raisons de s'en préoccuper.

▬ Est-on sûrs que ce soient eux qui aient causé ce phénomène ? Parce que si c'est le cas, ça me semble être motif à... Rediscuter les termes de cet arrangement.

Oublier ce qu'ils étaient. Il comprenait ce raisonnement, y trouvait même une certaine justesse même s'il ne partageait pas l'ensemble de ses propos. Cette part d'évolution qu'il mentionnait, Artemio en avait aussi profité. Était-ce déraisonnable alors de penser que ses pensées allaient à l'encontre de ce qu'il affichait ? Que ce soit par l'image ou par la façon de s'exprimer, son vis à vis aurait tout aussi bien pu passer pour un Arrancar appartenant à La Cámara. Ainsi, juger les autres sur ce qu'ils représentaient visuellement était un peu particulier ici.

Mais il est vrai qu'en dépit de ce que lui-même représentait, l'Empereur n'en oubliait pour autant pas ses racines. Ce qu'il était véritablement. Seulement c'était une chose qu'il préférait taire. Ce n'était pas sans raison que ceux qui appartenaient à son clan n'avaient jusque là jamais vu de leurs yeux sa véritable forme. Pas seulement parce qu'il souhaitait laisser son pouvoir cacher. Mais aussi et surtout parce que cette apparence le rendait plus "bête qu'homme". L'Arrancarisation avait au moins eu cet effet bénéfique sur lui.

- Ce n'est pas forcément vouloir cacher ce que nous sommes que de se comporter en être civilisé. Il n'y a aucune honte à vouloir avoir un pied dans les deux mondes. Pour ma part, je vois les choses un peu différemment. Mon esprit et ma volonté sont entièrement tournées vers les nôtres, ce pourquoi j'aie autant à coeur de préserver ce dernier des invasions des autres mondes. Mais j'aime aussi cette apparence, retourner à l'état que j'étais avant l'Arrancarisation n'aurait en réalité aucun sens. Sinon à quoi bon avoir arraché ce masque ?

Un débat sans fin, il le savait. On pouvait respecter ceux qui préféraient rester sous leur forme véritable. Mais l'Arrancarisation n'avait pas apporté que plus de puissance dans les rangs des Hollow. Il avait aussi apporté plus de civisme. Ce n'était pas plus mal.

- Mais je te concède que c'est pour beaucoup de l'ego de ma part. Les extrêmes sont partout en vérité. Si tu rechignes à voir ceux qui sont trop civilisés, pour ma part j'ai un peu plus de mal à voir ceux qui ne sont que des bêtes sans cervelles. Vouloir évoluer un peu n'est pas forcément un mal, tant qu'on oublie pas ce que l'on est réellement. Mais je suis d'accord avec toi. Il doit y avoir un juste milieu. Un équilibre.

Il eut un sourire alors qu'il remettait cette mèches rebelles qui lui retombait devant les yeux. Laissant apparaître une portion de masque au niveau de sa tempe. Il n'oubliait pas ce qu'il était, pour sa part. Mais préférait cette nouvelle version de lui-même.

Lorsque la discussion passa sur son propre statut, Borick ne put s'empêcher de rire. Un rire franc, sincère, qui tranchait avec la tristesse naturelle des lieux. Là dessus, il ne pouvait en rien contredire Artemio. Lui aussi avait toujours pensé que ce tournoi était une absurdité. S'il avait joué le jeu, c'était simplement pour avoir un pied dans la cour. Lui permettant alors, peut-être, d'avoir un pouvoir décisionnaire plus grand. Et de faire évoluer les choses, qui sait ?

- Je n'aurai pu mieux dire les choses. Il m'arrive encore aujourd'hui de me demander pourquoi j'aie participé à une telle mascarade. Peut-être avec l'espoir un peu fou que je parviendrais à faire changer les choses de l'intérieur ? Ce n'est cependant en rien une excuse, même si mes intentions sont louables.

Il appréciait la teneur de cet échange. Artemio était une créature ancienne de ce monde, cela se ressentait lorsqu'il parlait. Et cette vision, cette façon de voir les choses, appartenait souvent à ceux qui avaient l'expérience du changement. Cela se ressentait aussi lorsqu'il parlait des humains. Un sujet qui devenait récurrent ces derniers temps à dire vrai. Et qui expliquait en partie les actions qu'il déclenchait depuis peu.

Car s'il avait donné ordre à ses sbires d'attaquer ça et là, c'était aussi et surtout pour pointer du doigt les effets néfastes de la présence humaine en leur terre. La Grande Cataracte n'était que le déclencheur. Il fallait que l'Acuerdo change la donne. Ordonner un joyeux massacre ne serait pas pour tout de suite mais s'il pouvait faire pencher la balance de leur côté, alors il n'hésiterait pas.

- Il n'y a aucune assurance, seulement des suppositions. Ce qui empêche d'aller trop vite en besogne. Seulement il n'est pas difficile de faire le lien. Par ailleurs, ce n'est clairement pas la seule anomalie qui ressort. On m'a rapporté que des Gillians se mettaient à attaquer parfois en petit groupe, sans raison aucune. Pas pour se nourrir, juste pour détruire. Comme s'ils étaient pris de folie. Là aussi, je suspecte que ces humains y soient pour quelque chose. On ne connait finalement rien de ce qui les pousse à venir ici. Et rien des conséquences de ce qu'ils font.

La tension était montée d'un cran sans même qu'il s'en aperçoive. Son visage affichant une dureté particulière. Cela ne dura qu'un instant mais c'était assez logique de comprendre que ce sujet était problématique à ses yeux.

- C'est pour cette raison que je les garde à l'oeil. Et que je compte bien éclaircir la situation la prochaine fois qu'ils reviendront sur nos terres. S'il s'avère qu'ils sont responsables, s'il s'avère que leurs actes agissent même sur les nôtres, alors que je serai sans doute la Première lame à sortir du fourreau.

La Primera Espada portait bien son nom finalement. Si régler les choses avec la violence n'était pas toujours appréciable, l'Immaculé ne pouvait pour autant pas fermer les yeux sur les agissements de ceux qui se tenaient ici en territoire conquis. Artemio avait parlé de leur faire peur. Il comptait bien là dessus.

- J'ai le sentiment que nous avons des intérêts communs, qu'importe finalement le clan qui est le nôtre. J'espère sincèrement que, le moment venu, je pourrais aussi compter sur ta force s'il fallait en arriver là. Pour chasser ces ennemis qui parcourent nos terres. Qu'ils soient humains. Ou autre, il s'entend.

Une réponse attendue, qui lui permettrait aussi de mieux comprendre le personnage face à lui. Un être complexe, intéressant, qui intriguait l'Empereur.

Sans avoir cherché à l'amadouer, Artemio s'était rangé à la plupart de ses opinions jusqu'alors, mais celle-ci pourrait bien être un peu plus litigieuse. Il était certes partisan d'une évolution de leur race - au moins suffisamment pour penser par elle-même -, mais n'admettait pas que certains d'entre eux essaient de cacher leur provenance. De son point de vue, c'était bien risible de leur part.

▬ Pas forcément, non. Mais certains aimeraient nous faire croire qu'ils sont venus au monde tels qu'ils sont. Nous savons tous les deux que c'est impossible. Fut un temps, la façon dont nait un Arrancar était un secret bien gardé, mais... Nous n'en sommes plus là, désormais. C'est pourquoi il me semble ridicule de se donner de grands airs. Il leva la main et la fit tourner pour l'observer sous tous les angles, gantée ou pas. Bien sûr, ça ne veut pas dire que je n'apprécie pas cette apparence. Elle a aussi ses avantages. D'autant que toi et moi avons tous les deux la chance de pouvoir mieux nous fondre dans la masse que bon nombre de nos semblables...

Il porta la même main à sa nuque, là où Borick avait un peu plus tôt pu entrevoir le reste de son masque de Hollow, mieux caché encore que ne l'était le sien. Beaucoup de Hollows n'avaient pas cette chance, voués à porter la marque de ce qu'ils étaient en évidence sur leur visage... Ceux qui rejetaient de la sorte leur passé bestial devaient avoir bien du mal à s'en accommoder.

▬ Disons qu'il y a une différence entre être civilisés et se croire meilleur que les autres, précisa-t-il. Bien sûr, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Même si nous sommes tous capables de grandir, tout le monde n'en profitera pas de la même manière... Mais j'ai tendance à croire que ceux qui sont vraiment au-dessus du lot n'ont pas besoin de le rappeler à tout bout de champ.

Ce pourquoi il avait du mal avec le concept de l'Espada. Si Borick n'en voyait que l'aspect pratique, l'avantage stratégique que cela pouvait lui offrir, il y avait fort à parier que d'autres se concentrent sur l'opportunité de porter un numéro censé représenter leur valeur... Un tel besoin de validation avait quelque chose de pitoyable. Enfin ! Il aurait l'occasion de s'en faire sa propre idée, puisqu'il comptait bien les rencontrer - du moins tous ceux qu'il pourrait trouver. Ils étaient censés être le fleuron de leur espèce, après tout ; la moindre des choses était de s'assurer qu'ils en renvoient une bonne image. Sinon...

▬ Je ne t'en blâme pas, la tentative est louable. L'on ne peut qu'espérer que tu aies eu raison et que cette Espada se donne effectivement les moyens de changer les choses. S'il ne s'agit que de construire un podium pour satisfaire les egos... Je dirais qu'ils sont déjà assez bien nourris sans devoir les mettre en vedette.

Et si c'était bien là toute leur utilité, cette institution ne méritait pas d'exister, purement et simplement. Trêve de fanfaronnades et trêve de vanités. Ces fiertés exacerbées - et souvent mal placées - étaient déjà bien assez proéminentes sans leur donner une scène où s'exprimer.
Au fond, peut-être que tout cela n'était qu'un moyen pour les chefs de clan de détourner l'attention ; d'occuper leurs subalternes pendant qu'ils avançaient leurs propres pions. Un jouet brillant avec lequel amuser la marmaille pendant que les « adultes » se concentraient sur le plus important... Ce n'était pas délirant. Affaire à creuser.

Borick l'informa ensuite de ce qu'il en était de cette fameuse Cataracte nouvellement apparue, et des autres phénomènes qu'il pensait liés aux activités humaines. Artemio l'écouta avec la plus grande attention. S'il avait passé l'essentiel des six dernières années à collecter des informations - à se remettre à la page -, c'était là le sujet sur lequel il était le moins bien renseigné.
Et pour cause, personne - ni Hollow, ni Menos, ni Arrancar - ne voulait s'en approcher de trop près, que ce soit de la distorsion ou des potentiels responsables. Et s'il s'y rendait lui-même pour y regarder de plus près et y revenait sans encombres, cela risquerait de le placer un peu trop au centre d'une attention qu'il n'était pas encore prêt à retrouver. Pas maintenant.

▬ Je vois. C'est préoccupant, en effet. Je m'amusais de les voir ramper comme des fourmis dans le désert sans rien y connaître, mais s'ils ne sont même pas capables de nous rendre visite sans tout salir... Son regard se fit un peu plus acéré, tandis que ses doigts se pliaient et dépliaient lentement. Et bien, je suppose que nous avons été trop permissifs avec eux. Il va falloir y remédier.

Et il ne voyait pas d'inconvénient à y contribuer.
Non pas par fidélité envers les Espadas, sa meute ou le système en place, mais tout simplement pour préserver leur monde d'une nouvelle menace potentielle, aussi risible qu'ils puissent paraître. Avec toutes ces invasions, les humains étaient peut-être les seuls à ne pas encore avoir cru qu'ils pouvaient abuser de leur hospitalité ; il convenait de leur rappeler que ça n'arriverait pas. Le Hueco Mundo avait déjà été bien assez « accueillant » comme ça en les laissant en vie jusque là.

▬ Nous avons assez de nos propres querelles à gérer pour ne pas encore devoir composer avec des intrus. S'il faut en arriver là, tu pourras compter sur mon soutien, opina-t-il. Je ne sais pas si je ferai grande différence, mais je suppose que toute aide est bonne à prendre, pas vrai ?

Il tira sur le pan de sa cape pour mieux s'y réenrouler.

▬ Pour l'heure, je pense avoir suffisamment abusé de ton temps. Tu dois sans doute avoir mieux à faire que de discuter avec tes admirateurs. dit-il avec légèreté. Mais tiens-moi au courant si les choses devaient évoluer. D'un signe de tête, il lui fit ses aurevoirs. En tout cas, j'ai pris grand plaisir à cette rencontre ! Bien plus que je ne l'aurais imaginé. J'espère avoir autant de chance avec tes camarades...

Sans quoi... Et bien, que les intéressés se réjouissent ; quelques places dans l'Espada pourraient bien se libérer.

Bien sûr, Artemio ne pouvait pas le savoir mais il partageait bien plus de points communs qu'il ne le pensait avec l'Empereur. La notion de vouloir absolument prouver sa supériorité avait toujours été une chose que l'Immaculé trouvait idiot. Il paraissait évident lorsqu'on le rencontrait qu'il était d'une autre caste, d'une autre race presque. Supérieur n'était pas le terme. Pas assez fort pour exprimer ce qu'il était réellement. Il était simplement l'un des êtres les plus évolués de cette pauvre terre.

- Et je partage évidemment cette opinion. Nul besoin d'en faire trop, seulement certains fous ne le comprennent pas. Ils n'ont aucune retenue.

Mais en un sens, était-ce vraiment surprenant ? Dans un monde qui avait évolué comme c'était le cas du Hueco Mundo, il n'était pas encore si aisé d'intégrer ces nouveaux codes, ces nouvelles façons de se comporter en société. De groupes éparpillés dans les sables du Yermo à cités regroupant leurs congénères, il y avait un monde. Si l'adaptation permettait à certains de survivre, il mettait aussi en évidence les différences séparant les êtres civilisés des animaux. C'était sans doute sur ce point que les deux Arrancars se rejoignaient.

Quant à l'Espada ? Et bien il comprenait l'avis de son vis à vis. Il est vrai que l'unité pouvait renvoyer une certaine image à ceux qui croisaient ses membres. De la suffisance, déjà. Mais pour l'Empereur, il ne s'agissait là que d'un moyen, pas d'une finalité. Restait à prouver aux sceptiques l'intérêt qu'il y avait à posséder une telle armée au sein du Monde Creux.

Un intérêt qu'il avait mis en avant en parlant des dangers qui menaçaient leurs terres. Un sourire ravi apparaissait sur son visage angélique alors qu'Artemio confirmait sa participation à la purge si cela s'avérait nécessaire. S'il n'avait aucune idée de la puissance de l'Arrancar, il ne comptait tout de même pas se baser sur les propos de ce dernier le concernant. Il paraissait trop enclin à se rabaisser volontairement pour être réellement faible. Une stratégie qu'il connaissait parfaitement. Il en était convaincu, l'homme possédait une force certaine. S'il tenait ainsi tête à l'Empereur, même sans qu'il n'y ait la moindre trace de conflit, c'est qu'il avait les épaules plus larges qu'il ne le laissait croire.

- Voilà une offre que j'apprécie et je ne manquerai pas de faire appel à toi si cela s'avérait nécessaire. Le plaisir a été partagé. Et je serai ravi d'avoir ton opinion concernant mes camarades de l'Espada lorsque tu les auras rencontré. Après tout, l'avis d'un homme éclairé est toujours intéressant.

Il le laissait partir, trouvant inutile de continuer à discourir de la sorte. Il avait obtenu plus que prévu avec sa proposition d'aider face aux humains, il se satisfaisait donc de cela. Et surtout, il était impatient de le voir évoluer au sein de ce monde si particulier. Artemio avait encore bien des choses à révéler, l'Immaculé le sentait.

C'est avec le sentiment du devoir accompli qu'il reprit lui même sa route. Les choses avançaient mieux que prévu.