Komamura Niji

Fusonzai

Le simple katana se transforme en une large et longue épée de bourreau, au bout carré. La garde est dans la continuité de la lame, un peu plus épaisse et bardée d'or et de pierres mauves. Une grande épée pour un bête immense, capable de trancher à même les mots dit-on.

Car c'est là la particularité de Fusonzai, celle de faire disparaitre les sons. Elle peut les couper, les effacer... et ce faisant elle permet de diminuer d'existence même des choses, temporairement. Après tout, ce qu'on ne peut entendre n'est pas vraiment réel...

Les flammes tranchées ne crépitent plus, et leur caresse n'est plus aussi mordante...

 La paix

Deux longues décennies. Le calme était revenu dans dans cette terre éloignée de tout, aux confins du monde spirituel. La petite meute vivait depuis ces années un bonheur presque parfait, idyllique en tout cas ; une époque faite de chasse, de longs moments de plénitude, de récits ancestraux et de transmission. Une vie simple en somme, faite de petits riens qui ponctuent de longues séances de méditation, d’entraînements psychologiques et physiques. Mais le passé, lui, n’est jamais loin, guette par dessus une épaule et souffle pour rappeler à son bon plaisir son existence.

Le Deuxième est seul pour aujourd’hui. Les plus jeunes sont grands désormais et vaquent à leurs occupations propres. Jinro a tellement grandi. Il veille de loin. Très loin. Trop loin… Mais ce n’est pas grave, ils vagabondent, sont heureux désormais. Lui aussi l’est, en partie au moins, profitant des rayons de soleils sur sa fourrure face à cette cascade silencieuse. Presque aucun bruit, à peine le clapotis de l’eau et le bruissement des feuilles.

- Tu dois te préparer Niji.

Une voix sortie de nulle et venant de partout. Il a même sursauté, grande bête, toujours pas habitué aux incursions de son vieil oncle. Il soupire alors, fermant les paupière pour se concentrer et le visualiser dans son esprit.

- Ōoji-san… Je m’entraîne toujours régulièrement tu sais ?

- Pas assez mon enfant. La lune glisse de jour en jour.

- Et donc quoi ? Comme si il pouvait arriver quoi que ce soit à Itachika... Il est certainement plus fort qu’Ōtokage aujourd’hui.

- Tu ne m’écoutes pas.

Un autre soupir. Le calme se brise. Ses épaules se crispent doucement. Il déploie ses longs membres un à un, s’étirant en prenant le plus de temps possible avant de se relever à une vitesse tout aussi relative.

- Mais si… Regarde, je me lève et j’arrive dans quelques minutes. On pourra reprendre à… à euh...

- Tu le sais très bien.

Un petit rire vint faire éclater cette bulle de silence qui c’était installée dans la clairière. Le Grand Oncle reste lui même à ne jamais changer de ton, toujours plat et droit, dans chacun de ses mots ou gestes. Il doit s’exaspérer chaque jour en se réveillant, voyant ces jeunes plein de fougue courir partout dans un chaos qui ferait pâlir les petites guerres intestines du Hueco Mundo. Ce n’est pas toute la meute qui l’appelle Ōoji-san, étant plus l’Ancien pour eux, mais personne n’est réellement sûr de qui il est vraiment pour chacun. Si ça se trouve certains sont même ses rejetons directs allez savoir… Et dans le lot, il y a même ceux d’Itachika...

 La rage

La chair se déchire une nouvelle fois. La masse de poils roule en arrière dans une danse sanglante projeté sous la force du coup, encore une fois déchaîné, du Premier. De ses crocs s’échappent une lueur bleutée, cette fois il utilise un peu plus de sa force, mêlant son énergie spirituelle à ses coups. Niji se relève, il sent sur sur sa gueule que ses poils sont poisseux et sombres. Il tourne le regard vers son frère et a, pendant une seconde, un puissant frisson qui le paralyse : il revoit Ōtokage, son corps brûlant dans une énergie bleutée qui ne suffit à consumer sa colère.

Cette seconde elle est de trop, car déjà il lui bondit dessus. Un nouveau coup empli de violence et de bestialité que le jeune loup doit encaisser sans aucune défense. Cette fois il reste au sol, sans un bruit. Le sang coule sur ses babines et se repend lentement sur l’herbe et la terre. L’aîné se rapproche puis s’accroupit proche de lui, prend sa tête par la crinière et la soulève. Il reste comme ça quelques secondes avant se siffler entre ses crocs et lâcher son frère avec douceur... Non, évidemment que non, la tête retombe lourdement par terre. Seulement…

Alors qu’il se relève et se retourne, Itachika ressent une pression sur sa cheville. La main du deuxième l’entoure alors qu’il force pour se relever avec difficulté. Sa museau y arrive, lui, et ses pupilles ne sont plus qu’une teinte rougeâtre lorsqu’il pose le regard sur son frère. D’un coup, il tire, ramenant la jambe vers lui ce qui fait vaciller le mastodonte blanc. Niji en profite alors pour se propulse et le percuter d’un grand coup d’épaule dans les côtes. Il grogne lors de l’impact, ses propres blessures se ravivent mais ce n’est pas grave.

- Laisse… les… tranquille...

Il est à moitié debout, un peu avachi sur lui même, le souffle long et rapide. A chaque expiration il grogne, d’instinct. Il n’a qu’une envie : celle de planter ses crocs dans la gorge de son frère et lui arracher tout ce qu’il peut. Son esprit brûle mais son corps, lui, ne répond plus.

- Tu… m’as fait tomber ? TOI ?

Un pas après l’autre après s’être relevé il se rapproche de Niji qui commence à voir trouble.

- Pfff… Même pas je vais te terminer. T’es déjà à bout. Mais y’a du progrès le mou. Allez, j’me tire, marre de voir ta tronche de perdant là.

La masse blanche s’éloigne alors rapidement, disparaissant dans la forêt. Le Deuxième s’effondre alors, chutant lourdement mais cette fois aucun impact au niveau de la tête. Une certaine chaleur se fait ressentir contre sa fourrure. Et cette main, il la reconnaît. Il sourit. Enfin aimerait sourire en tout cas…

- Vous.. n’avez… rien… les petits..?

Je ne peux pas aujourd’hui. Je ne peux pas demain. Mais un jour t’empêcherai de nuire Itachika… Tu ne les menaceras plus jamais...

 Le devoir

Cette phrase revient parfois dans son sommeil, comme un écho lointain. La scène tourne alors en boucle dans son esprit, ses babines se retroussent et ses sourcils se baissent alors. Il peut même parfois laisser s’échapper un petit grognement. Il se revoit, faisant ses adieux à ceux qu’il appelait alors « Les petits », même s’ils ne l’étaient plus depuis longtemps. Une pâte affective entre les deux oreilles de chacun d’entre eux. Puis la confrontation avec l’Ancien, pour lui affirmer son choix d’emmener avec lui Jinro. Enfin, c’était leur choix à tous les deux : ensemble. Alors ils sont partis, franchissant cette barrière que normalement aucune âme n’est capable de traverser.


L’Académie Shin’o ne lui posa aucun problème, il faut dire qu’avec son « éducation » il avait déjà des capacités martiales plus que respectables tant physiquement que mentalement, et les séances de l’Ancien l’avaient préparé aux Arts Spirituels pour être capable de retenir Ōtokage. Le Destin. Celui de devenir un maillon de cette chaîne maudite qu’est le clan.

Le jour où il a reçu son Asauchi, comme tous les étudiants, Niji a entendu des murmures profonds. Très profonds. Les années de calme passées à se retrouver face à son âme n’était pas juste un simple exercice pour le bien être et le quotidien. Il faut croire que cela avait servi à bien plus, car à peine quelques jours plus tard la garde du sabre avait changé, et dans un rêve un nom lui fut soufflé, presque effacé… étouffé : Fusonzai. Et à son réveil, le katana avait laissé place à cette immense lame de bourreau détaillée d’or…


Quelques années au sein du Kidōshū après sa remise de diplôme : un choix qui fut le sien. S’il avait déjà connu bon nombre de manipulations spirituelles grâce à l’Ancien – notamment sur les sceaux corporels – il avait de plus pour pouvoir prétendre à devenir le gardien de son père. Pendant ces quelques années où il profitait d’être caché par la tenue officielle du corps des Nécromanciens, il put vivre une vie de Shinigami plus « traditionnelle » sans être constamment dévisagé par son apparence. Bon… sa taille démesurée restait une accroche visuelle non négligeable… Quelques années, aussi, où l’on ne lui parlait plus du grand Komamura Sajin. Comme si la seule chose qui définissait Niji était son lien de parenté (inconnu) avec l’ancien Capitaine de la Septième Division. Qui ironiquement a accueilli dans ses rangs Jinro ! Les années passées au Royaume, à l’entraîner, avaient, semble-t-il, portées leur fruit car le voilà désormais instructeur pour les jeunes pousses du Gotei. Un fait qui, aujourd’hui encore, fait aisément sourire le Deuxième, plein de fierté.

Le plus compliqué, pour lui, avait été le fait de devoir laisser de côté Fusonsai pendant la majeure partie de ses journées. Un morceau de son âme, distant… Il profitait donc de la moindre occasion pour se plonger dans son monde intérieur, un besoin insatiable d’une certainement manière qu’il ressentait comme un profond manque lorsqu’il ne pouvait le faire régulièrement. Certainement les restes d’habitudes bien trop ancrées quand au fait de se centrer sur son âme, chaque jour. Cependant, il ne négligeait pas sa tâche principale à savoir celle de manier avec aisance les différents Kidō et sceaux que sa section devait gérer au quotidien.


Le Papillon de l’enfer vient de se dissiper. La nouvelle est claire, limpide : le temps est venu. Enfin. Les troubles connus par le retour d’un ancien Capitaine Sanguinaire et la disparition de le grand chaos connu par l’élite du Gotei avaient-ils joué dans cette décision qu’il attend depuis une petite paire d’années ? Son temps au Kidōshū avait été utile et bien qu’il aurait continué d’en apprendre toujours plus, son devoir primaire reste, lui, plus important que tout. Il doit se rendre au siège de la Première Divison, sa demande de mutation a été prise en compte et ses faits d’armes chez les Nécromanciens lui ont même valu de se placer sur le douzième siège.

La Grande Prison Centrale, tel allait être désormais son nouveau domaine. Gardien de criminels inconnus pour la plupart des Shinigami mais qui vont devenir, dans peu de temps, le quotidien de l’Homme-Loup. Peut-être que les restes de l’emprunte laissée par le grand Sajin avait joué dans ce choix, le feu Capitaine-Commandant avait accepté dans son armée une personne aussi singulière que lui et son successeur et élève devait certainement penser la même chose. Alors oui, désormais Niji avancera à visage découvert dans le Seireitei, portant fièrement les couleurs du Chrysanthème.

Il doit donc se rendre dans les quartiers de sa nouvelle affectation pour une entrevue, certainement rapide, avec le Sotaichō ou sa Fukutaicho. Quittant ses frusques, le Deuxième réajuste son Shihakushō et place son Zanpakutō à sa ceinture. Il quitte un lieu empreint de magie pour un autre gouverné par la noirceur. Mais ce n’est pas grave. Car là est son destin, la tâche attribuée par des instances qui le dépassent. L’honneur des siens, du clan était en jeu…

Mais plus que tout, il y a une chose pour laquelle il se battrait jusqu’à ce que ses fibres tombent en poussière : que jamais son jeune frère n’ait à connaître cette fatalité.