Desert Echoes

Sa quête pourrait prendre des années, voire des siècles, il n’en ignorait rien. Aussi pour un si long voyage fallait-il savoir ménager sa monture. En l’occurrence donc, c’était lui-même qui devrait prendre garde à se reposer sans s’exposer à trop de dangers. Or, il n’était pas réputé pour être un grand guerrier. Autrefois il avait disposé d’une puissance le démarquant de la masse, mais combien d’autres Vasto Lorde ce désert avait-il vu, pour les siècles des siècles qui s’étaient écoulés depuis que cette lune couvait ce monde ? Il n’était qu’une goutte d’eau dans l’océan. Un grain de sable dans le désert, si l’on souhaitait être encore plus à propos.

Cela aidait un peu à relativiser, même si de nouvelles questions étaient apparues en son esprit depuis qu’il avait quitté le Ziggurat pour entamer son épopée. Est-ce que le fait de ne pas aimer se battre valait vraiment le coup de tirer un trait sur les avantages qu’offrait une place en l’Espada ? Il n’y avait jamais trop pensé avant, se moquait d’y figurer, n’estimait rien avoir à prouver, et puis ses recherches étaient bien plus primordiales que tous ces vains affrontements fratricides. Mais sa rencontre avec le Primera le lui avait rappelé : ce sont les seuls à avoir une réelle liberté de déplacement. Sans plus avoir à se cacher, il pourrait se rendre partout… de quoi faire avancer ses recherches !

Enfin, c’était à ce genre de choses qu’il pensait pour le moment, même s’il n’avait aucune idée de la manière dont il allait bien réussir à s’y hisser. Qui validerait donc la légitimité de son duel ? Pire encore, comment pourrait-il bien parvenir à tirer son épingle du jeu lors du prochain tournoi, s’il finissait par accepter d’y participer ? Tout à ses questions, il ficha sa lance dans le sol, puis leva ses bras d’obsidienne pour que ses mains forment un cercle au niveau de son coeur, une lueur mordorée y naissant instantanément, semblant comme sortir de son buste, alors que les tracés d’or complexe de ses bras s’illuminaient également. Deux mains colossales alors sortirent du néant, faites de ténèbres et d’or également. Une paume à l’horizontale dans le creux de laquelle il vient s’asseoir, alors que l’autre se dressait pour lui offrir un dossier. Il avait assez marché pour l’heure, et comptait bien là s’offrir un peu de repos.

Spoiler:

L'expérience sociologique visant à établir un système de distraction similaire à celui implanté sur Terre suivait son cours, non sans que la tâche s'avère autrement plus ardue. Ici tout est à refaire pour y parvenir, le Hueco Mundo ne disposant pas d'une toile organisée en réseau de transports dont le but est autant de réguler que d'organiser le flux de marchandises et d'informations. Le nerf de la guerre, la communication. Dans un monde bien structuré comme celui des pantins le partage est une mécanique presque autonome. Installez n'importe quelle structure dans un foyer de population suffisamment grand et vous n'aurez qu'à attendre que le ballet incessant des âmes perdues dans leur routine serve de véhicule. Les premiers résultats se feront vite ressentir, sans que vous ayez besoin d'agir.

Voilà où réside le nœud du problème. Si par nombre d'expérimentations méticuleuses Matryonna s'était rendue compte de l'efficacité d'une superposition de concepts spirituels supposément incompatibles entre ce plan et le leur, la réciproque est incontestablement bien plus laborieuse. Tout d'abord, les habitants de ce monde sont plus enclins à s'entredéchirer. La plupart ne sont que des monstres sans cervelle cherchant perpétuellement à se repaître de leurs congénères. Ce qui donne une concentration d'être dit "civilisés" largement plus réduite et par conséquent, plus difficile à atteindre.

Ajoutez à cela le manque cruel de voies tracées entre les différents pôles ou strates composées autrement que par du vide, vous obtiendrez une explication tout à fait claire quant à la raison qui pousse actuellement la Tercera à vagabonder dans les confins du désert. A défaut de pouvoir compter sur le bouche à oreille, il fallait bien trouver une alternative. Cela fait donc des jours qu'elle arpente les différents biomes, une pile de feuilles de papier sous le bras, à la recherche d'un endroit pour les y placarder ou d'un futur client à qui les remettre. Succès mitigé jusqu'ici.

Ses déambulations s'éternisent. Il faut dire que le Yermo n'est clairement pas l'endroit idéal pour ses affaires. Cependant elle ne subissait pas la tâche seule, puisque ses enfants bien heureux de pouvoir se dégourdir les ailes en profitent également pour garder un œil alerte sur l'horizon. Difficile en effet d'en faire autant lorsque vous évoluez au creux des dunes.

- C'est quoi cette merde ?

- On dirait un dragon !

- Arrête de te foutre de nous, on sait très bien que tu vois rien. Et puis ça ressemble plus à des mains, avec un truc au milieu. Ca brille.

Damian fonce en piqué vers sa mère pour la prévenir. La cible n'est pas très loin, quelques centaines de mètres seulement. Le grelot s'anime, signe qu'elle vient d'acquiescer d'un hochement de tête. Ses yeux d'un blanc laiteux laissent place à deux pépites d'or pur qui se mettent à scintiller de stupeur. On venait de lui donner du leste, pour qu'elle puisse entamer son fameux tour.

Le convoi reprend de plus belle et ne tarde pas à se retrouver au détour d'une énième colline de sable devant le curieux spectacle annoncé plus tôt. Au milieu du vide impersonnel se dresse bien une sorte de structure formant deux paumes ouvertes au creux desquelles reposent un individu visiblement en train de se prélasser. Dans l'attente de quoi ? Ils le sauront bien assez vite.

Les sens de l'Arrancar ne s'affolent pas à la vue de cet humanoïde à l'odeur si particulière. Elle s'en approche sans aucune méfiance, tout à fait consciente de la propre menace qu'elle pourrait représenter.

- Si vous attendez le soleil je ne pense pas qu'il sera là avant plusieurs millénaires. Ce n'est pas sous les étoiles que vous vous ferez un bronzage, c'est certain ! En revanche je peux vous proposer autre chose.

Toujours encombrée par son paquet, elle en extirpe une feuille pour la lui tendre. On peut y voir dessus une illustration de celle qui tient ce papier, dont les traits son assez approximatifs mais stylisés. L'en-tête mentionne en lettres grasses un nom curieux, "Bistro Mundo", suivi au pied de la page par celui de Matryonna accompagné d'une flèche dirigée vers le dessin, et de la mention de diverses activités récréatives.

Sa lance reste plantée là à ses côtés. Il ne tend pas la main dans cette direction, ce qui pourrait être considéré comme une mise en garde. Mais alors que la petite troupe approche, il n’en sent pas la nécessité. Attendre et voir. Être prêt, oui, mais ne pas forcément le montrer. Bien assis, Cimériès se défait juste de son dossier lorsqu’une Mano de Dios – comme Aguarès avait aimé les appeler – s’éleva au-dessus de lui. La posture de la main n’est pas agressive, mais s’il devait en faire usage il préférait qu’elle ne soit pas bloquée dans son dos. Ces mains représentaient une bonne partie de ses capacités, bien que surtout défensives, et il serait absurde de ne pas se préparer à en faire usage.


Il n’a pas l’impression qu’un guet-apens soit à l’œuvre. Les… gros insectes ? Maintenant qu’ils étaient plus proches, des bébés joufflus peut-être ? Bref, il ne lui semblait pas qu’il y en ait un qui ait tenté de le contourner. Ses capacités en détection n’étaient pas des plus affûtées, aussi devrait-il toujours rester attentif aux mouvements qui pourraient se produire. Dans ce désert, il n’y avait de confiance que pour les morts. Et encore… Mais c’est une feuille qui lui est tendue. Un instant de flottement où, restant silencieux, il la regarde. La page, puis celle qui la tend. S’en saisit du bout des doigts pour l’inspecter. Pas trop dans les détails, il ne voudrait pas y être trop absorbé.

- Le soleil ? Quel bien lointain concept. Moins étrange encore que celui-ci pourtant.

Ajoute-t-il en agitant légèrement le tract, le retournant même pour voir si le verso recelait quoi que ce soit qui puisse l’informer plus avant.

- C’est vous ? Matryona ? Que suis-je supposé faire de ceci ?

Agite de nouveau légèrement la page, inspectant celle qui la lui avait donnée.

Spoiler:

Matryonna se gratta la tête, dévoilant un peu plus le contour de ses bras additionnels subtilement enroulés autour de sa taille sous le peu de tissus qu'elle portait. L'étranger venait de lui poser une colle. A moins qu'il s'agisse d'une question piège. Il lui avait fallu plusieurs jours pour élaborer ce modèle de prospectus. Tout semble pourtant clair. Un personnage qui lui ressemble, un nom accompagné d'une flèche, une phrase pour enrober le tout dans un slogan tape à l'œil. Non, tout est en ordre.

Peut-être que l'homme venait de très loin. Les yeux de l'araignée redoublèrent d'intensité. Peut-être que l'homme venait de très très loin. Au delà du désert. Là où une sorte de structure pyramidale s'est extirpée des sables il y a des années de cela. Allez savoir, avec ces énormes mains il avait probablement participé à l'excavation.

Son regard se tourna, une malice au fond de la rétine, sur celle qui lévitait au dessus de leur tête. Ses enfants s'en étaient rapprochés, virevoltaient autour en essayant de comprendre par quelle magie cette chose pouvait bien rester stationnaire. Le spectacle de leur émerveillement la ravie, elle s'en détourna en poussant un léger soupir de contentement avant de braquer l'homme armé de son prospectus, qu'elle gratifia d'une révérence d'artiste de rue avant d'ajouter, bras écartés :

- Matryonna oui c'est moi, saltimbanque du Yermo...

- Tercera Espada !

- Reine de Los Abismos !

- Grande Prêtresse du Stup !

- Pourfendeuse de la belette de Winchester !

- Et votre dévouée ! Ce morceau de papier est une invitation, je tiens une booonne aubeeerge sur les ruines du palais d'ivoire. Ce monde est depuis toujours trop vide et froid, j'aimerais y apporter un peu de chaleur Humaine. Mais toi voyageur, qu'es-tu donc ? Tu t'es perdu ici ? Ca peut arriver, j'en ai passé des siècles à essayer de reconnaître chaque dune. Mais elles bougent sans arrêt, c'est perturbant.

Elle ne s'était pas attendue à ce que sa progéniture donne de la voix pour hisser ses titres comme autant d'étendards dérisoires, mais la situation la porta à sourire. Aussi ronflante que puisse être cette entrée en matière elle aura eu le mérite de poser des bases saines et d'écarter toute éventualité d'un conflit. On ne sait jamais véritablement à quoi s'attendre en parcourant ces terres hostiles, parfois la simple signature spirituelle ne suffit pas à réfréner les pulsions meurtrières.

Mais contrairement aux excursions nocturnes dans la foret infinie le manteau de sable blanc ne couvait plus autant de menaces potentielles qu'auparavant. Un millénaire de sélection naturelle s'était étalé, balayant sur son passage le cadavres des vaincus pour ne laisser aujourd'hui que ces deux âmes en perdition, résolument parfaites sous leur forme évoluée. L'empreinte de son interlocuteur ne manqua pas pourtant de lui vriller les sens. Qui qu'il puisse être, sa place n'était pas ici, l'Arrancar pouvait le sentir. Elle l'observa un instant, avant de reporter son attention sur cette énorme main flottant au dessus d'eux.

- Ma foi, ça doit pas être bien simple de vouloir se gratter l'oreille avec ça. Par contre pour se débarrasser des moustiques, il doit pas exister de moyen plus efficace. A part pour servir de siège ou de tapette à souris, elles ont une utilité particulière ?

Son apparente innocence laisse clairement deviner ses intentions. Il est toujours bon de s'intéresser aux particularités de ses semblables, cela évite les mauvaises surprises. Elle demeurait pleinement confiante vis à vis de ses propres capacités, sans quoi, elle ne serait pas là à discuter avec ce parfait inconnu. Et puis il faut bien profiter de cette aubaine, pour une fois que Damian lui lâche la bride.

Une Reine des Abîmes ? Des titres énoncés ce fut celui qui l’interrogea le plus. Lorsque l’on a eu une existence aussi longue que la sienne, l’appellent des tréfonds survenait toujours, à un moment ou un autre. Dans son cas, c’était sa rencontre avec Isielle qui l’avait sauvé de ce précipice, de ce gouffre dont on ne revenait pas. Il connaissait l’histoire : s’y réfugiaient ceux qui ne souhaitaient qu’attendre la mort. Sans doute était-il facile dès lors de s’y autoproclamer le titre que l’on voulait bien s’y donner. Durant sa réflexion, il la regardait et maintenant qu’il en a terminé et est parvenu à sa conclusion, Cimériès se contente d’opiner doucement. Mentalement cette ligne est biffée. Il ne voyait absolument pas à quoi « belette de Winchester » pouvait faire référence mais considéré d’emblée que ce n’était pas bien important non plus – si c’était déjà pourfendu, alors n’était-ce là que du passé.

Quel crédit donner au reste alors ? Il connaissait une Grande Prêtresse, élue et choyée par les siens en la cité rupestre d’où il venait. Était-ce quelque chose de similaire la concernant ? Le Stup… stupéfiant ? Il séchait aussi pour l’instant, mais trouvait qu’il y avait là au moins une matière à creuser. Pour ce qui était de Tercera, il avait rencontré la Primera il y a peu alors… sans doute possible, jusqu’à preuve du contraire.

- Moi ? Je ne suis rien d’autre qu’un vagabond. Je me nomme Cimériès Alastor, et je n’ai sans regret aucun titre dont me targuer, ce qui va sans doute de pair avec le fait que je ne possède aucun héraut pour m’annoncer. Les ruines m’intéressent, justement. Mais celles auxquelles tu fais référence ne sont que celles du palais que l’on nomme Las Noches, n’est-ce pas ? Si c’est le cas je n’y porte pas beaucoup d’intérêt, ou tout du moins je n’ai pas prévu de m’y rendre prochainement, bateleuse.
Puisque vous vous dites dévouée, peut-être pourriez-vous me renseigner sur d’autres ruines de votre connaissance ? Après des siècles à étudier les dunes, cela ne paraîtrait pas déraisonnable.

Toute piste serait bonne à prendre. Une indication lui donnerait au moins une direction à étudier, plutôt que déambuler au hasard de ses pas. Les questions s’étendent par contre à d’autres de ses attributs. Il saisit la hampe de sa lance, et l’utilise afin de se redresser. La main sous ses pieds s’incline et se déplace de sorte qu’en un pas il retrouve le sable. Les Manos de Dios se font face au-dessus de sa tête, paumes s’opposant.

- Oh, ceci ? Une breloque assurément. J’eus un ami qui me conseilla en son temps un petit jeu avec elle. Il l’avait appelé le « Main gauche, main droite », et consistait à répondre sans erreur à une question, sinon...

Les paumes se rapprochèrent vivement pour s’entrechoquer. Il n’avait pas poussé leur déplacement à pleine vitesse mais déjà l’on imaginait la puissance qu’elles pourraient engendrer. D’un claquement de doigts de la main gauche, les Manos de Dias disparurent, ainsi que la lueur provoquée par les veinures dorées de ses bras.

- Une petite commodité pour rendre un long voyage moins pénible, rien de plus.

Petite note qui nécessite pas forcément d’édition (d’où le fait que je fasse pas chier à la demander XD) mais qui peut être utile à noter, autant pour toi que pour d’éventuels lecteurs – j’ajouterai cette précision à la FAQ lors de sa prochaine édition d’ailleurs :
Il n’y a pas vraiment de différence dans le Reiatsu entre un Arrancar de la Lune et un Arrancar classique. De même pour les Revenants, ils sont identiques à ce niveau-là. S’il devait y avoir une différence je dirais qu’elle serait difficilement perceptible à moins d’une détection de très haut niveau (4-5). Mais bon, du coup t’en parles qu’en narration mais tu l’utilises pas dans les actions donc pas la peine de s’emmerder à modifier le post pour une info qu’est pas forcément précisée.
L’idée est justement qu’ils puissent se fondre dans la masse à ce niveau-là.

Spoiler:

Etonnant ce que le désert infini de sable blanc peut déglutir. Depuis qu'elle avait regagné la surface après une éternité à régner sur les ténèbres Matryona n'avait pour ainsi dire jamais pu véritablement croiser d'individus de sa condition. A croire qu'ils se faisaient toujours aussi rares. La logique voudrait donc qu'ils se considèrent automatiquement comme adversaires potentiels toutefois l'araignée comptait bien jouir de son tout nouveau statut afin de tisser des liens de part et d'autre du Monde Creux. Un millénaire de solitude tend à vous rendre parfois plus enclin aux rencontres.

Ses yeux se perdent donc dans la contemplation des artefacts animés tandis que l'inconnu se présente sous un curieux nom. Une sonorité atypique, pour un pouvoir dont la nature l'est tout autant. Son bourdonnement garni de notes complexes ne capte que partiellement son écoute. Lorsque le silence s'installe enfin Damian remarque aussitôt le vide qui gangrène l'expression de sa mère. Il vient alors se poser sur son épaule avant de lui susurrer les mots justes.

En parallèle le vagabond s'empare d'une arme plantée dans le sable. Il est étonnamment serein, et ne dégage aucune animosité. Il se contente de répondre vaguement aux interrogations formulées plus tôt sous couvert de jeu, après quoi la pratique se joint à la théorie dans un claquement sonore faisant s'évanouir les deux énormes mains flottantes. Sans surprise ni confettis. L'Arrancar s'attarda quelques secondes en observant méticuleusement ses six paumes ouvertes devant des yeux interrogatifs. Elle se ravise en silence.

Un jeu sympathique, mais j'en ai déjà plein d'autres. Des réponses aussi. Si le palais blanc ne t'intéresse pas tu y trouveras sûrement quelqu'un qui pourra t'aiguiller dans tes recherches. Des ruines on en voit peu, faut aller loin, là bas.

Ses bras inférieurs se tordent pour indiquer plusieurs directions hasardeuses. Les autres se croisent sur son torse nu, accompagnant un sourire malicieux.

- Il existe un monde au delà du désert. De mystérieuses cavités ornées de peintures primitives mettant en scène des créatures terrifiantes, et une sorte de structure pyramidale qui est sortie du sable il y a de ça plusieurs années. La surface nous est encore que trop inconnue. Notre règne s'est étendu dans les profondeurs, pour l'essentiel. Question de survie.

Matryona acquiesce d'un signe de tête, faisant tinter le grelot dansant sur le bord de son jingasa au rythme du vent. Elle avait peine à croire qu'un individu possédant autant d'assurance et donc de potentiel puisse être un inconnu dans son propre monde. A moins peut-être qu'il se soit également endormi des siècles dans le confort d'une bulle souterraine.

Elle plissa les yeux. Ce n'est pas la première fois qu'un géant du Monde Creux se penche sur l'histoire de ces lieux, mais elle n'arrivait toujours pas à en comprendre la raison. Les os et la poussière n'apportent rien.

La créature – plus la discussion évoluait et plus il peinait à lui voir meilleur attribut – ne semblait pas vraiment pouvoir lui venir en aide dans sa quête. Le Ziggurat, c’était bien de cela dont elle parlait. Autant dire qu’il avait déjà fait le tour de cette question et plus d’une fois. Il réfléchissait cependant sur la meilleure manière d’orienter cette conversation à présent qu’il avait compris que sa principale préoccupation ne serait pas assouvie aujourd’hui. Car l’air de rien, il demeurait d’autres zones potentiellement dignes d’intérêt pour un être de nature curieuse tel que lui. Oh, pas les nombreux jeux qu’elle se vantait avoir. À vrai dire, il avait même peur d’entendre les réponses qu’elle pourrait lui fournir s’il en posait la question.

- Je vois.

Ponctue-t-il juste la réponse de l’enfançon. Devait-il le questionner lui, ou elle ? Il avait l’impression que cela revenait plus ou moins à la même chose. Si l’on dit que deux cerveaux valent mieux qu’un, que conviendrait-il de penser de la situation qui se présentait devant ses yeux ? Cimériès effectue quelques pas, posant dès lors sa première question sans poser son regard sur quiconque. « À l’assemblée », et quiconque aurait la réponse pourrait dès lors s’estimer ciblé.

- Je n’ai jamais entendu parler de ces cavités peintes. Peux-tu m’en dire plus ? Notamment comment y accéder, si t’es donné de connaître cette réponse.

Jusque là, il n’avait pas obtenu grand-chose à dire vrai. Mais bon, cela n’avait pas vraiment été un objectif de prime abord. Ce n’était même pas lui qui avait initié cette conversation, alors serait-ce réellement une mauvaise pêche s’il n’en obtenait rien ? Pouvoir poursuivre son voyage sans encombres, finalement, devait demeurer son objectif premier. Il poursuit sa marche lente, comme pour chercher à se distancer peu à peu. Mais alors il se retourne, ayant une autre question demeurée en suspens jusque là. Et des bribes qu’il recevrait, tant de petits bouts de trucs, il pourrait peut-être assembler une clé du mystère.

- Qu’est-ce que le Stup ?

Spoiler:

Devant le désintérêt affiché de son interlocuteur pour une invitation à se restaurer dans son antre Matryona laisse s'échapper un soupir. Décidément il est laborieux de convaincre ses congénères lorsque ceux-ci ne daignent même pas reconnaître les efforts qu'elle déploie malgré l'immensité des contraintes. Elle finirait bien par l'avoir, même les montagnes s'érodent sous le poids du temps.

L'homme après avoir rangé ses curieux poings et ramassé son arme semblait enclin à partir. Comme si c'était quelque chose d'envisageable. Cette idée octroya un sourire à l'araignée qui déjà préparait mentalement sa toile. Nul ne s'échappe de son emprise sans qu'elle ait pu recueillir ce qu'elle était venue chercher. Sinon sa proie, au moins des informations à son sujet.

Par instinct peut-être, il se stoppe et formule une bien étrange question. Le sujet est vaste, ambigu. Il n'existe en effet aucune véritable réponse dans la mesure où cette chose est le fruit d'années de remise en question. La solitude apporte son lot de complaisances, mais également de tourments.

Qu'est-ce ? Demande toi plutôt : Pourquoi ?

- Le porte-parole du Crou a trouvé la mort dans des circonstances mystérieuses. Stup, le patron de la Menuiserie, fou de chagrin, a commencé à écouter de la musique très fort et crée ainsi la Première Ère du Stup.

[color=darkorchid]- Nous gardons depuis les clés sacrées de la Menuiserie. Et nous propageons les rumeurs d'une Nouvelle Ère. Mais nous pensons qu'il faudra attendre encore plusieurs siècles, avant qu'un tel miracle ne se produise...[/colo]

Une ère durant laquelle les rois combattrons pour s'accaparer le trône de ce monde ou de son envers. On raconte que plusieurs ont déjà tenté. Peut-être que cette fameuse clé n'a pas été forgé dans le sang et la mort. Une guerre peut se gagner à l'usure.

Matryona contemple l'horizon qui se profile devant eux. On ne s'imagine pas les trésors qui se cachent derrière cette immensité faite de grains inlassablement balayés par les bourrasques du temps. Qui sait combien de batailles se sont déroulées ici, et ailleurs. Combien de générations de chefs se sont succédées. De civilisations tombées en poussière.

Elle prend un air songeur tandis que ses bras artificiels retournent se lover contre son corps de porcelaine.

- Reprenons, là où le manteau de sable se meurt. Trouvez la roche qui perce le ciel, caressez ses flancs troués d'innombrables vestiges autrefois habités. A l'intérieur une bulle où le temps s'est arrêté. Des souvenirs en image, des monstres ou des Dieux de jadis. Peut être les traces de ceux qui un jour se sont mis à craindre l'oubli.

- Qu'y cherches-tu, vagabond ? Il n'y a là bas que le silence, ne serais-tu pas mieux dans une bonne auberge ?

Il reste un instant interdit. Que répondre ? Par quoi commencer ? Il commençait à se demander s’il ne s’agissait pas d’une élucubration de plus, d’une excentricité qui n’avait de fond que dans ce petit comité formé par elle et « ses enfants ». Il les observe un instant. Nombreux devaient être ceux à se questionner sur leur nature. Cimériès n’était pas assez doué en détection de Reiatsu pour établir une théorie poussée, et ce même si l’érudit pouvait se faire quelques idées. Il laisse filer. Tant le Stup que les bambins. Pour l’instant en tout cas. Dans plusieurs siècles, si cette nouvelle ère devait se produire, peut-être pourra-t-il se dire « ah, oui, j’en avais entendu parler ».

Les informations données sur un lieu à visiter l’intéressèrent bien plus, de toute façon. Le vagabond écouta attentivement afin de ne pas oublier ces informations. Si elle disait vrai alors cela vaudrait clairement le coup d’enquêter. Si non, eh bien… il n’avait pas vraiment d’autre piste à creuser de toute façon. La description pouvait coller au Ziggurat et la cité rupestre, si toutefois l’on prenait en compte la personnalité de la personne qui la lui livrait. L’emphase atténuée, le Ziggurat pouvait être un roche perçant les cieux, la cité rupestre les vestiges autrefois habités, et les plaquettes deviendraient alors la bulle du temps.

- Dans quelle direction dis-tu ? Je ne manquerai pas de m’y rendre, voir cela de plus près. J’y cherche, je pense… exactement ce que ceux qui ont laissé leur trace recherchaient. Que quelqu’un les trouve, et reconnaisse qu’ils ont existé. S’ils ne voulaient pas être oubliés, alors il est un noble devoir d’être celui qui capte leurs messages, bien des éons plus tard. Et de la même manière que j’aime à être celui qui répond à leurs attentes, à eux, disparus depuis longtemps, je te souhaite de trouver ceux qui répondront aux tiennes, avant que tu ne disparaisses si le sort en a ainsi décidé.

Non, décidément, ça ne lui disait rien cette bônne aubêrge. Quelque chose lui disait qu’il valait mieux ne pas y goûter les ravioles...

Spoiler:

Le vagabond semble très investi dans sa quête, à en juger par la montagne de questionnements qui viennent s’abattre sur ses frêles épaules d’humanoïde esseulé. Son errance ne doit certainement pas dater du dernier cycle, et son obsession pour les civilisations qui auraient pu précéder la leur ne manque pas d’intriguer la Tercera.

Pourquoi diable gratter la terre sinon pour y trouver des pommes de terre. Elle n’est pas en mesure d’atteindre ce niveau de logique. L’avenir ne se trouve pas dans la roche mais dans le vent qui balaye ce paysage désertique et vide.

- Nous avons tous peur de l’oubli, non ? Laisser une marque ça revient à raconter des histoires. Oh oui, on peut en dire des choses, faire des blagues et des légendes sur n’importe quoi. Les humains ont même un mot pour ça : religion. C’est de là qu’est né le Stup.

La religion du Stup, avec une foi inébranlable. Tentaculaire comme un calamar. Une peinture aux possibilités stupéfiantes, d’où le nom. Matryona s’était liée à ces pauvres hères enfermés dans leur routine mécanique sous gouvernance d’une hiérarchie dysfonctionnelle. On pourrait même affirmer qu’elle s’était prise d’affection pour eux, et souhaitait ardemment en remodeler la base afin que leur vie devienne un spectacle formidable.

Mais en attendant ce moment la voilà qui s’éternisait au fin fond de l’immensité de sable blanc à converser avec l’apôtre de croyances disparues. Difficile à dire, si ses propos guideraient l’inconnu vers une forme de réponse ou vers une impasse. Tout cela ne changerait guère ses propres motivations futures.

- Les directions sont multiples, les souvenirs flous. Il faudrait rejoindre notre tanière et y retrouver le tunnel qui jadis nous sauva de l’émergence de la peur. C’est là-bas que se dessinent les mythes bestiaux d’un temps révolu.

- On a qu’à faire un marché, tu te pointes au Bistro, tu donnes un pourboire et on t’amènera voir tes petits dessins moisis là. T’es pas à quelques jours près, vu que t’aimes tuer le temps dans le Yermo à pioncer !

La jeune femme s’esclaffe. Décidément, Vinny n’a pas la langue dans sa poche et pourtant il frappe toujours avec justesse. Elle acquiesce en silence. Cette discussion est un échange, elle doit donc se terminer comme tel. Nul doute que l’individu leur faisant face mesure la valeur de ses propos ainsi que la nature antédiluvienne de son interlocutrice.

Le temps n’a pas d’importance. Seule la vie, est importante.

Il opine doucement. Peu à peu, il parvient à assembler les pièces de ses propos, ses nouvelles données venant compléter un peu ce qu’elle avait semé plus tôt. Cela n’avait pas l’air de coïncider avec l’objectif de ses recherches, mais demeurait tout de même une source de curiosité. Pas au point qu’il dérive si tôt de sa quête, mais un jour, qui sait ? Peut-être que dans le grand tout, ces concepts se rassemblaient, et de nouvelles pistes pourraient être trouvées ? Une tanière, un tunnel… et bien sûr un passage dans ce bistro – qui devait être une référence à cette bônne aubêrge sans doute – auquel elle semblait tant tenir. Pourquoi son succès l’inquiétait-il tant ? Là, c’était lui qui ne comprenait plus bien sûr. Deux êtres avec des conceptions trop éloignées sans doute. D’autant que même le sens de « pourboire » lui échappait, n’ayant jamais connu l’usage de quelconque monnaie, dans cette vie du moins.

- Ce « bistro » à Las Noches, donc. Je n’ai pas prévu de m’y rendre pour l’heure, mais si l’occasion m’en est laissée je viendrai m’enquérir en ton « bistro mundo » afin de trouver ce… « truc stupéfiant ». Est-ce beaucoup de travail ?

Des fous organisés. Voilà ce que cela lui évoquait quand elle en parlait. Une odeur puissante de viande avariées. Bons à manger de la poussière. Et ça, ce n’était pas vraiment un tableau qu’il était pressé de voir. En vérité, il n’avait pas vraiment idée de ce qu’il pourrait y trouver. Il ne savait même pas pourquoi il avait posé sa dernière question, d’ailleurs.

Attente… INTERMINABLEUH !

On peut dire que cet individu ne montrait que peu d’engouement à l’idée de la rejoindre et de partager un moment bien plus festif que ce fade entretien au milieu de l’infinité ivoire. Qu’à cela ne tienne, Matryona ne s’en offusqua pas le moins du monde. La rencontre se suffisait à elle-même.

Au plus profond de son cœur l’aura énigmatique nimbant le nomade lui murmurait de ne pas le laisser disparaître au gré des vents. Selon toute vraisemblance son air désintéressé peut aisément trahir la lassitude d’une existence trop longue. L’Araignée pouvait aisément en témoigner. Elle ne quitta donc pas son sourire, mais remballa artifices et bambins pour ne paraître plus qu’une ronin esseulée au regard lunaire.

A trop vouloir enterrer sa proie elle finirait par attirer son mépris, ou pire encore sa colère.

- Nos vies sont autant de fils qui se croisent et se recroisent au bon vouloir de la grande Architecte. Nous sommes les éléments de sa Toile, bien entendu que nous nous recroiserons. Et alors, tu pourras attester de son œuvre, de son travail.

- Mais pour l’heure il faut creuser son sillage. Le Bistro attendra. Une coupe à ton nom, posée sur le comptoir.

Damian se pare de son plus grand sourire, tandis que sa Mère courbe l’échine dans l’expression solennelle de son respect pour celui qui a su capter son attention. Et sans plus de mots ni de charades elle fait finalement volteface, nez dressé face au vent nocturne, vers ce qui semble être une nouvelle piste sensorielle.

D’un pas lent, mécanique, elle s’éloigne. Laissant le vagabond reprendre sa course, dans l’attente d’une future confrontation.