La Meute au grand jour

Oui. Certains l'ont oublié, effacé de leur mémoire sous l'effet des années mais c'est bel et bien le cas : Il n'y a pas qu'un seul homme-loup qui arpente les rues du Seireitei. Le Komamura avance à visage découvert, chose qu'il n'a plus fait depuis bien longtemps. Il faut dire que son ancien poste exigeait de lui une totale implication de tous les instants. Le travail du Kidōshū avait fastidieux, travaillant de paire avec la Douzième et Huitième Division pour restructurer et mieux protéger les différentes sections. Un labeur harassant, mais d'une importance capitale.

Retourner à l'Académie, voilà une chose étrange qui amène chez lui beaucoup de nostalgie. Pour les années passées là bas déjà, bien sûr, mais aussi car c'est en quelque sorte l'endroit qui lui rappelle le plus sa terra natale. Le coin le plus verdoyant, fleuri et calme... Enfin, quand il n'y a pas des cours magistraux de Kidō ou de Zanjutsu avec des hordes de jeunes âmes qui hurlent à l'unisson. Ce qui en soi n'estpas un réel problème, car il peut s'isoler du brouhaha assez aisément, caché dans un petit bosquet, libérant Fusonzai et le laissant supprimer les nuisances. Le calme, donc, sublimant que le bruit blanc d'un cours d'eau.

Mais aujourd'hui il n'y retourne pas pour cela, non. Fait rare, Niji bombe le torse. La fierté l'emplissait.. Et dans peu de temps, elle va même déborder. Car déjà il l'aperçoit, lui, le Loup-Bleu en proie avec le plus terrible des adversaire : un étudiant. Le Deuxième se pose alors contre un arbre pour observer la scène, voir les mouvement que le benjamin tentait d'inculquer à ces pages blanches. Il sourit un peut bêtement, cela lui fait une expression étrange et peu habituelle. Et alors que l'élève parvient finalement à maitriser le coup de sabre que Jinro lui montrait, l'autre Komamura s'avance, frappant dans ses grandes mains.

- En voilà une belle technique. Je jurerai l'avoir déjà vue par le passé ! C'était avec des bâtons aussi non, Jinro ? Je peux me joindre à ton cours ?

Un peu de maladresse dans les mots, passant de force, faisant fit des codes. Mais il est juste heureux de voir qu'à son tour, son petit frère transmet. Comme lui il y a tant d'années...

Tournant la gueule vers la source de la voix, Jinro eut un curieux sourire. Sur lui, cela donnait l'impression qu'il grognait mais il n'en était rien. Son visage sévère semblait se gommer alors que son frère était là, à assister à l'entraînement. Il comprenait le côté nostalgique. Il est vrai que cela remuait de sacrés souvenirs pour lui comme pour Niji. Et il est vrai que ce mouvement, il ne lui était pas inconnu forcément.

- Des bâtons oui. Mais je n'oublierai jamais cette phrase : "qu'importe l'outil, l'important est de maîtriser la technique". Ce n'est pas ce que tu me disais à l'époque ?

Il eut un rire grave, qui secouait sa carcasse. L'étudiant à ses côtés se faisait tout petit face aux deux Komamura. Faut dire qu'ils étaient impressionnants, l'un face à l'autre. A se jauger. A se parler. Et à s'amuser du passé en quelque sorte. Niji avait été plus qu'un frère : il avait été un protecteur alors que les plus jeunes subissaient la colère de leur aîné. Il avait été un soutien alors que les ténèbres obscurcissaient son âme. Et il avait été un professeur alors que Jinro était à la recherche de force. Pour ne plus jamais subir sans pouvoir réagir. Les liens qui les unissaient dépassaient le simple cadre de la fratrie. Mais cela, les autres ne pouvaient le comprendre.

A la demande de Niji, le professeur lui fit signe d'avancer. L'élève le regarde, visiblement sans voix, ce qui amuse encore plus le Komamura. S'approchant de lui, il lui pose une patte sur l'épaule, compatissante. Prenant la parole.

- Toria, je te présente mon grand frère, Niji. Niji, voici un de mes élèves, Toria. Une jeune recrue très prometteuse et d'une dextérité impressionnante à l'épée. J'essaie simplement de lui apprendre à mieux diriger ses émotions. Sa colère. Mais il apprends vite. Tu veux le tester rapidement ?

Un éclat dans le regard, il n'attendait qu'un "oui" de son frère. Ce dernier était grand, plus que lui, et plus costaud aussi. Il avait hérité de la génétique de leur paternel. Là où Jinro était plus élancé, plus rapide. Toria à ses côtés paraissait chétif. Mais Jinro estimait que cela pourrait l'aider d'apprendre auprès d'un des meilleurs Et son frère entrait clairement dans cette catégorie.

- Et après ce petit exercice, on ira parler un peu toi et moi. Il y a trop longtemps qu'on n'a plus médité aux pieds d'un des Grands Arbres après tout.

Il recula d'un pas, puis de deux, attrapant un sabre en bois sur le côté afin de le lancer à son frère.

- N'oublie pas ma leçon, Toria. Pas de précipitation. Analyse ton adversaire. Regarde le, trouve sa faiblesse. Et attaque. Mais attends toi à de la résistance.

De nouveau un rire.

Leurs rires résonnaient presque comme un seul, en une certaine harmonie. Les trente dernières années passées ensemble avaient su souder des liens qui étaient, déjà, bien noués par avant. Le Deuxième s'avance déjà, entrant dans l'espace où son petit frère règne en maître. Il jette un petit coup d'oeil à l'assamblée, la plupart ne peuvent cacher leur étonnement. Comment leur en vouloi, la Soul Society doit encore s'habituer. Ces jeunes là n'ont pas connu l'époque ou un Capitaine arborait la même fourrure qu'eux... Quoi un peu plus colorée de ce que les récits racontent.

Jinro lui ressort une de ses propre tirade. Est-ce qu'il la dit aussi à ses étudiant ? Ce serait drôle ça ! Il se revoit avec lui dans la clairière, le jeune louveteau prenant une grosse branche épaisse face à un Niji tenant un simple bâton.

- Tout est dans la maîtrise de la force que tu appliques à ta main et dans la souplesse de ton poignet.

Des conseils. Il ne peut s'en empêcher, quand bien même son cadet n'en a plus besoin aujourd'hui... Mais peut être que ces quelques mots résonneront dans la tête de certaines recrues. Tout du moins, celles qui sont attirées par ce genre de discipline. Jinro fait s'avancer un élève, ce qui étonne le Shinigami de la Première Division. Si sa paupière gauche ne tombait pas déjà, il aurait levé le sourcil droit pour souligner son questionnement. Mais la réponse vint assez rapidement. Tester un élève plein de colère mais prometteur. Hm. Voilà qui le ramène bien en arrière. Il acquiesce du museau par deux fois, un brin dans ses pensées.

- Toria donc. Rappelle-toi ce qu'a dit ton professeur un peu plus tôt. Tout ira bien.

Sans détourner le regard du jeune apprenti, le Komamura attrape le Boken au vol avant de se mettre en garde avec une main dans le dos. Non pas pour humilier le jeune soldat, mais pour équilibrer - ou du moins tenter - l'affrontement. En face, il tremble légèrement, la pression peut-être ? Ou la dite-colère ? Difficile de lire les sentiments d'un non-loup. Il n'a pas encore l'habitude. Alors il décide de jouer avec ça, retrousse les babines et commence à grogner doucement. Un long grommèlement qui n'avait d'autre but que de provoquer son adversaire... Et cela fonctionne !

Toria se jette alors son lui en brandissant son arme au dessus de la tête, mais sans un bruit, semblant calme. L'assaut arrive, un coup bien placé Jinro n'exagérait pas... Mais de là à atteindre le Komamura... Il décale légèrement son bout de bois et la lame adverse glisse sans un bruit, décalant la charge du jeune plein de fougue. Il se rattrape d'une chute à l'aide de quelques pas habiles et déjà se retourne, un nouvel assaut venant du sol cette fois, plus engagé. Niji se retourne calmement et cette fois bloque l'attaque directement. Un court affrontement de lame avant qu'il ne le pousse légèrement ; il vacille puis chute sur son postérieur. Le Douzième Siège plante alors sa lame dans le sol pour faire le pas les séparant. Il s'accroupit et lui tend une main.

- Je sais ce que tu te dis. Ma taille a forcément joué en ma faveur. Sache que je n'ai pas utilisé ma force une seule fois dans ces deux échanges : seulement la tienne. Tu te focalise bien trop sur tes propres coups et non sur ton adversaire, rediriger ta force contre toi devient alors facile. Et de la force, tu en as. Rappelle toi : qu'importe l'outil. Ma taille, mon sabre, ce Bokken... Ce ne sont que des outils. Alors écoute Komamura Jinro avec assiduité, Toria, et tu seras un brillant épéiste.

Peut-être par fierté, l'élève se relève seul, sans un mot, l'air renfrogné. Niji espère que la leçon a été utile, difficile de jauger quand on ne connaît pas la personne. L'enseignement est un art nécessitant une grande clairvoyance. Comprendre la personne face à soi pour pouvoir lui transmettre au mieux ce dont elle a besoin. Mais ce travail est celui de Jinro désormais. D'ailleurs, le Deuxième tourne son museau vers l'intéressé.

- Ton cours termine bientôt ? J'ai quelque chose dont je dois te parler. Au pied d'un Grand Arbre sera parfait oui.

Son sourire est, alors, étrangement nuancé.

Il avait observé l'échange avec attention. Il savait que Toria se laissait aveugler par ses émotions, surtout celles qui étaient négatives, et il cherchait à l'aider au mieux. Il était dommage de voir un élève capable du meilleur, agir à l'opposé de ce qu'il fallait faire. La petite leçon avec son frère lui permettrait de comprendre, il l'espérait, un élément important. Il ne servait à rien de laisser ses émotions prendre le dessus au combat, seule la maîtrise comptait. Bien sûr, Niji avait l'expérience pour lui et il n'avait pas douté un seul instant de l'issue de cet échange.

Alors que le Komamura sermonnait à sa manière le jeune élève, Jinro prêtait l'oreille à ses paroles. Encore aujourd'hui, alors qu'il était devenu professeur depuis quelques années seulement, il s'inspirait de cette force que dégageait son frère. Il s'en rendait compte souvent au cours des entraînements : son passé avec son aîné l'avait profondément marqué, jusqu'à réitérer en partie les leçons qu'il avait appris à ses côtés.

Il s'approchait d'eux. Il adressa un sourire à son frère et reporta son attention de suite vers le jeune Toria. Il avait vu sa mine déconfite mais devait lui adresser quelques mots avant de finir le cours. Ne serait-ce que pour lui faire comprendre que la défaite n'est pas une mauvaise chose. Qu'il pouvait apprendre de tout ça.

- La leçon du jour est importante, Toria. Mais elle prendra tout son sens lorsque tu auras pris le temps de réfléchir sur ce qui s'est passé. Range le matériel et rejoins le groupe au terrain d'entraînement n°3.

Il se retournait déjà vers son frère.

- Je suis libre. Suis-moi.

Il réajustait sa tenue de shinigami alors qu'il prenait les devants. Jinro était réputé pour détester se battre ou s'entraîner en gardant le haut de sa tenue. La plupart du temps, il avait l'apparence la plus bestiale qui soit et cela le satisfaisait entièrement. Mais il savait aussi qu'il devait garder une certaine contenance hors terrain d'entraînement. D'où le fait de remettre sa veste. Alors qu'ils avançaient dans le silence, ils croisaient quelques élèves qui saluaient le professeur et son frère, visiblement étonné de voir un second Komamura. Ils n'étaient pas si nombreux il est vrai et il était encore plus rare d'en voir deux côtes à côtes, ce qui amusait le plus jeune.

Ils débouchèrent finalement sur une zone bien plus ombragées, bordées de grands arbres. A l'abri des regards, moins visités, il s'agissait d'un endroit qu'appréciait particulièrement Jinro. Si la zone bordait le terrain d'entraînement, on remarquait assez peu de trace de passage. Jinro fit un simple shunpo, arrivant près d'un tronc plus épais que les autres. Posant sa patte dessus, il ferma les yeux un instant et se concentra. Comme s'il absorbait en lui la quiétude de l'endroit. Il se retourna enfin, attrapant son Zanpakutō qu'il déposa sur le sol et se laissa tomber à ses côtés, posant son dos sur le tronc.

- Ici, ce sera parfait. On sera tranquille. Encore qu'il t'appartient de veiller à ce que nul ne puisse nous écouter, n'est-ce pas ?

Il était amusé, connaissant le pouvoir de son frère.

- De quoi voulais-tu me parler ? Cela doit être important pour que tu te sois déplacé jusqu'ici. Il y avait un moment que je ne t'avais pas vu, grand frère.

Il est loin le temps où ils ne portaient que de simples parures, vestiges de chasses où ils honoraient jusqu'à la peau de leurs proies. Jinro semble avoir plus de mal que son frère quant à s'accoutumer au Shihakushō. Il faut dire que Niji n'a pas réellement eu le choix, lui. Au Kidōshū la tenue couvre un Shinigami de la tête aux pieds, ne laissant qu'un mince espace pour les yeux. Peu pratique pour un museau, d'ailleurs, mais le Deuxième a rapidement su s'adapter. De toute façon, peu sont les Dieux de la Mort à pouvoir le regarder en face, littéralement.

Après que son petit frère se soit donc correctement rhabillé, ils commencent une petite marche pour s'éloigner de la foule et trouver un endroit calme qui saurait leur rappeler leur terre natale. Voir passer les différents regards, certains d'étonnements, d'autres d'admiration Oui vraiment, Jinro a grandi, il est désormais un exemple pour les jeunes d'ici, leur inculquant certainement des valeurs différentes des autres professeurs de l'académie. Quelque chose de moins superficiel à n'en pas douter.

Lorsque le jeune Loup Bleu s'installe contre un arbre et y pose son Zanpakutō, non sans une petite note d'ironie, le Douzième Siège ne peut s'empêcher de rire avec légèreté.

- Haha, nous n'aurons pas besoin de lui aujourd'hui, il n'y a guère d'âmes autour de nous. Cependant...

La Loup Gris plaque ses deux paumes l'une contre l'autre avant de les écarter brusquement. Un crépitement étouffé commence à se faire entendre alors que des étincelles naissent au milieu de cet espace. La seconde d'après, une boite rectangulaire d'énergie translucide et violette apparait ; en son centre, un Zanpakutō scellé.

- Il ne fera aucun mal à nos âmes d'êtres proches elles aussi.

Il saisit son arme dans le Kekkai pour venir le poser délicatement à côté de celle de son frère, puis s'agenouille à côté de ce dernier. Il ferme les yeux un instant, écoutant son frère et sentant la petite brise caresser sa fourrure. Un temps calme et agréable, propice à la discussion qu'ils allaient avoir. Elle serait, sans aucun doute, nuancée de tintes opposées...

- Avant tout, sache que je suis content de te revoir aussi, mon frère. Tu auras le plaisir de mes visites un peu plus souvent désormais car...

Niji fouille dans son Shihakushō sans rouvrir les yeux pour en sortir une petite plaque de bois avant de la tendre à son cadet. Il y est inscrit le chiffre Douze au dessus d'une Chrysanthème.

- ...enfin, je suis devenu le successeur d'Itachika.

Il rouvre les yeux, portant ses pupilles mauves sur Jinro. Difficile de dire si l'ancien membre du Kidōshū est heureux ou affligé, sa gueule reste de marbre, sans sourire. Le jeune loup va comprendre ce que cela signifie, sans aucun doute, tout autant que les prochaines paroles de son ainés.

- Je ne l'ai pas encore vu, il y a encore des procédures lourdes. Ça te touche certainement moins que moi mais voilà... Bientôt...

Il ne termine pas sa phrase, lourde de sens. Elle porte un poids immense, celui qui est le sien désormais, sans aucune entrave...

Et ce silence, lui, semble même faire ployer les branches au dessus de leurs têtes.

Il eut un regard vers le sabre alors qu'il le déposait près du sien, amusé. Son frère n'avait pas tort d'agir ainsi et il était plaisant pour leurs âmes de communier aussi. Il ne savait pas si cela était réellement faisable en l'état mais il aimait croire que leur deux mondes intérieurs étaient liés en quelque sorte.

Apprendre qu'ils allaient pouvoir se voir plus souvent faisait plaisir au cadet, la proximité de son frère ayant toujours été pour lui un point important. Il était une ancre, l'avait élevé et entraîné. Il paraissait alors normal qu'ils puissent continuer de se voir comme ils le faisaient enfant. Il est vrai que les responsabilités de Niji l'avaient forcés à s'éloigner. Mais à en croire le ton de sa voix et l'objet qu'il sortait, cela avait porté ses fruits.

- Je vois.

Dans sa voix, une émotion contenue. Pas de félicitations, pas d'explosion de joie. Car ce objectif qui était primordial pour Niji s'accompagnait également d'une contrainte non négligeable. Prendre le relais de leur aîné, c'était également se rapprocher de la prison de leur père. S'assurer que jamais celui-ci ne puisse s'évader. Et surtout, permettre à leur meute de se débarrasser de la honte générée par le passé de leur père. Et par ses actions.

Toutefois, il posa sa patte sur l'épaule de ce dernier. Dans ce geste, Niji pourrait ressentir toute la compassion de son frère. Mais pas seulement. Car son unique oeil transmettrait aussi la fierté qui était la sienne à ce moment précis. Un objectif important, une mission élémentaire, et un Homme-Loup de valeur pour accomplir sa destinée. Niji était de ceux qui marqueraient l'histoire du Gotei 13. Jinro n'en avait pas le moindre doute.

- J'étais bien jeune. Mais je sais l'importance que cela revêt pour les nôtres. Si un jour la procédure te permet de te rendre auprès de lui, alors sache que je serai là pour t'épauler. Je ne suis plus le louveteau sans défense de l'époque. Grâce à toi.

Ōtokage avait été un redoutable guerrier. S'il n'avait pas été si dangereux, aussi belliqueux, sans doute que leur vie aurait été tout autre. Mais il n'y avait pas de regret à avoir en réalité. Et si Niji avait enfin obtenu la place de leur aîné, mort au combat, ce n'était pas le fruit du hasard.

- Ceux de ta nouvelle division connaissent notre histoire ?

Inutile d'en dire plus, il comprendrait ce que cela signifiait. Ils se parlaient à mi mots et pourtant, tout était si limpide.

Cette pate sur l'épaule a une signification forte. Bien plus qu'il ne peut y paraitre. Une simple accolade entre frère d'une même meute ? Non, bien plus que ça. La mine grave qu'il tente de cacher s'efface alors qu'il ressent en lui montrer un sentiment bienveillant et agréable. De la fierté, peut-être ?

- Tu as tellement grandi Jinro.

Le petit dernier ne s'en doute même pas mais son frère est persuadé que désormais il possède une force plus grande que la sienne. Niji n'a jamais réellement été un combattant à proprement parler. Il n'aime pas le conflit, préférant la quiétude qu'offrent un cours d'eau, le chant de quelques oiseaux et parfois même le simple silence, sans même le sifflement léger du vent. Son âme reflète cela d'ailleurs, en tout cas sous sa forme primaire...

Jinro lui est né pour combattre, dans son sang coule une énergie mystique qui n'a pas été transmise à son ainé. Toutes ces années à le protéger de la colère d'Itachika n'ont eu qu'un seul but : éviter que le Loup Blanc vienne à tuer le Loup Bleu, amusé de trouver un opposant aussi combatif que lui et ne retenant alors plus ses coups... Oui, Jinro est fort, et...

- Peut-être même plus...

Mais ses murmures se mêlent à la question question de son frère, ramenant le Deuxième à la réalité. Il se gratte la fourrure à l'arrière de sa tête, réfléchissant un court instant.

- Tu sais, dans le fond la Première Division ne me change pas réellement du Kidōshū. Ce sont des institutions dirigées par le devoir, il y a une grande contenance dans les propos, les mots sont rares et souvent efficaces. Mais nous avons en plus une image à maintenir, nous sommes sous les ordres du Sotaichō après tout. Alors... je ne pense pas que les liens familiaux de notre Meute ont été emportés jusqu'ici. Et je vois mal Itachika parler de nous à ses collè... Attends.

Il se met à rire d'un grognement profond, devenant hilare quant à ses propres pensées.

- HAHAHAH... Attends... tu... tu penses qu'Itachika avait des... amis ?

Et il repart à nouveau dans une longue séquence de rires grognés au point de quitter sa position à genoux pour tomber en arrière.

Ce moment devint alors une bulle dans leur univers, à eux.

Il est vrai qu'il avait grandi. Mais Niji y était pour beaucoup sans le moindre doute. Il lui avait inculqué des valeurs, une envie de progresser. Et le pire dans tout cela, c'est qu'il ne se rendait même pas compte de l'aura qui se dégageait de lui. Être à ses côtés, c'était avoir envie de toujours faire mieux. Et son frère ne doutait pas un seul instant que les autres partenaires du Komamura ressentaient la même chose. Ce n'était pas de la pression. C'était simplement une envie de se mettre à la hauteur d'un tel être. Il eut un sourire.

Jinro comprenait. Il comprenait que ces deux institutions mettaient le devoir avant tout autre chose. Un peu Niji lui-même en réalité, il avait donc parfaitement capté et intégré l'esprit de cette division. Un court instant, Jinro regretta de ne pas pouvoir être avec son frère au sein de la même unité. Une idée qui s'effaçai presque aussitôt. Il ne regrettait rien de ses choix de vie, se disant qu'il était clairement à la place qu'il fallait.

Alors que son frère terminait ses propos, il s'arrêta. Et se mit à rire. Un rire si spontané, si communicatif, que le second loup se laissait lui aussi emporté par cette idée saugrenue. Itachika. Avoir des amis ? Les soubresauts générés par son propre rire faisaient que son dos tapait à intervalle régulier sur l'arbre. Ils mirent l'un et l'autre quelques instants avant de reprendre leur souffle.

Une bulle de paix dans un monde en perpétuel changement. Un instant figé pour deux soldats du Gotei. Leur frère aîné n'avait jamais été un modèle de sociabilité. Ainsi Niji comme Jinro ne pouvaient envisager qu'il ait pu avoir des compagnons.

- Bon, d'accord. Peut-être pas des amis. Mais de là à trouver un moyen de nous couvrir d'insultes ou de nous traiter de faibles, crois-tu qu'il se serait tût ?

Faibles. Ils ne l'étaient pas. A bien y regarder, ils ne l'avaient jamais été. Grâce à la force mentale de Niji. Un frère comme lui... Oui, il était tellement au dessus des autres en terme de courage et d'abnégation. Jinro le savait, l'assumait. Lorsqu'il regardait devant lui, c'était toujours le dos de Niji qu'il voyait. Qui lui donnait cette force d'avancer. Son unique oeil pétillait.

- Tu arrives à te souvenir de lui ?

Sans le moindre doute, il parlait de leur père. Ils n'étaient que louveteaux lorsqu'il était parti. Niji plus vieux que lui, certes. Sans doute que sa mémoire était plus vive. Il poussa un petit soupir.

- Je n'arrive même plus à me rappeler nos jeux, parfois. Comme si ma mémoire préférait garder les événements les plus sombres de notre histoire. C'est... Perturbant.

Mais nécessaire.

Un bien fou que de retrouver cette légèreté, aussi fugace fut-elle. Pendant ce court instant ils ne sont plus des Shinigami, plus au Seireitei. Juste deux frères près d'un arbre dans la nature, loin, très loin de toutes ces institutions. Depuis combien de temps n'a-t-il pas ressenti cela ? Il n'y a qu'aux côtés de son frère que ce genre de moment peu naître après tout, il le sait au plus profond de lui. IL a souhaité l'emmener avec lui pour plusieurs raisons et n'a pas pu cacher sa joie lorsqu'il a su que ce dernier voulait lui aussi découvrir ce monde si différent du leur.

- Il y a tellement de brutes ici. De personnes n'ayant aucune sensibilité à ce que pouvons voir, entendre et ressentir de ce monde... Nul doute qu'il a su trouver des gens comme lui près à dénigrer tous ceux qu'ils considèrent comme inférieurs. En tout cas jusqu'à présent je n'ai eu aucun écho de lui.

Et cela il le vit très bien. Devoir prendre sa place reste déjà une épreuve en soi, inutile d'en rajouter lui rabâchant nuit et jour comment son frère se comportait de son vivant, comment il faisait son travail. Nul doute qu'il s'amusait à torturer certains prisonniers...

Après leurs spasmes et avoir repris leurs souffles, les deux Hommes-Loups se regardaient jusqu'à ce que, comme porté par ce moment d'hilarité, Jinro s'ouvre un peu plus sur ce qu'il ressent. Niji arrive à cacher sa surprise, ne pensant pas un seul instant que la présence fantôme du patriarche flotte aussi au dessus de lui. Si jeune à l'époque, à peine capable de parler, ne chassant pas encore seul... Mais il comprend. Un personnage que leur géniteur.

- Tu étais si jeune lorsqu'il est parti... Avec nous il n'était pas comme avec Itachika. Et il n'était pas comme lui non plus. Une montagne, si grand et imposant. Il arrivait à masquer le soleil sans pour autant que ce soit effrayant. Je... Je n'ai jamais compris son départ. Pourquoi se lancer dans une bataille perdue d'avance, au nom de quelle cause ? Nous abandonner...

L'évènement a été dur pour lui, cela se ressent dans sa voix. Aujourd'hui encore il en porte les stigmate, a façonné son être autour de ce départ pour prendre le rôle, en partie, d'un protecteur envers les plus jeunes. En tout cas il avait essayé.

- Je ne l'ai jamais vu être violent pourtant. Sa seule présence suffisait à calmer Itachika. Notre monde était paisible.

Et ce, même si Elle n'était plus là...

Il y avait des zones d'ombre dans le départ de leur géniteur. Une incompréhension. Avec le recul et l'expérience qu'il avait aujourd'hui, Jinro voyait quel gâchis cela avait été pour leur père de réagir comme il l'avait fais. Une telle aura, une telle présence, aurait forcément eu une place de choix au sein du Gotei 13. Et même sans parler de ça, ils auraient eu beaucoup à apprendre aux côtés d'un tel personnage. Mais il était parti. Les laissant entre les griffes de l'ainé. Un être mauvais et vicieux.

Il poussa un soupir alors qu'il fermait un instant son unique oeil, comme s'il jetait un voile sur un passé révolu. Il n'était pas si bon de remuer ainsi les événements sur lesquels ils n'avaient ni l'un ni l'autre aucune prise finalement. Lorsqu'il le rouvrit, il reporta son attention sur Niji. Le poids de suivre les traces de Itachika devait être lourd et difficile. Mais nul doute qu'il y parviendrait.

- C'est amusant tout de même. Amusant de voir le regard que portent sur nous les plus jeunes shinigamis. Certains ne voient en nous que des bêtes, assoiffées de sang et de guerre. Des animaux. S'ils savaient les doutes qui habitent nos coeurs parfois.

Mais à l'instar de leur géniteur, il se devait de se montrer fort. Et ils l'étaient, l'un comme l'autre. Oui, ils l'étaient et assumaient les fonctions qui étaient les leurs sans rechigner. Si l'un l'avait fais par obligation familiale, le second l'avait fais pour son frère. Pour le rendre lui-même fier, sans doute. Lui montrer que toutes ces années à le faire grandir n'avaient pas été vains.

- Nous devrions faire cela plus souvent.

Se poser, l'un avec l'autre. Ils n'avaient même pas besoin de parler finalement. La simple présence suffisait. Comme pour maintenir des liens qui étaient bien plus forts que ce que les gens pouvaient imaginer. Niji avait évolué. Intégrer la Première division était une étape d'importance pour lui. Mais quelle serait la suivante ? L'accomplissement du devoir sans égo, sans rêves inutiles. Les Komamura ne possédaient pas la même notion d'honneur ou de fierté que les autres shinigamis.

Une lueur de défi apparut dans son oeil, alors qu'un sourire carnassier apparaissait. A les entendre parler, on en oublierait presque qu'ils étaient l'un et l'autres des prédateurs.

- Il serait agréable que je puisse évaluer mes propres progrès en me confrontant à celui qui m'a formé pendant une partie de ma vie. Voir si je me suis rapproché de ton niveau. On pourrait s'organiser ça un de ces jours, qu'en penses-tu ?

Il n'y avait pas réellement de compétition à ce sujet entre eux. Seulement une envie de bien faire et pour Jinro, une envie de voir si le fossé existait encore réellement.

Qu'il est agréable pour l'ainé - désormais - de voir son jeune frère partir en des pensées profondes à nouveau. Des discussions paisibles inspirées par la nature et le rythme de la vie se transforment désormais en un tumulte certain au milieu d'étrangers à leurs yeux. La minorité qu'ils représentent reste un élément d'intrigue, de question. De peur aussi. Mais les vraies bêtes ne sont pas eux, dans le fond. Pour preuve le dévouement dont fait preuve Jinro à enseigner. Peut-être un peu rude dans certaines de ses actions ou paroles mais dans un but bien précis que de former une génération nouvelle face à un monde qui les dépasse. Tous.

- Les leurs sont bien sombres. L'ambition de certains m'effraie parfois. Dans certains visages je revois les traits d'Itachika. Dans d'autres celui d'Ōtokage. Notre différence... Elle est plus profonde que nos crocs ou notre fourrure. Ils sont sombres, oui.

Tout autant que ses paroles en cet instant. Pourtant il n'a pas mal vécu le rejet ou les regards et il ne se méfie pas particulièrement de ceux qu'il côtoie. Ce sont plus les attitudes qui le repoussent, il revoit des choses. En revenant quelques années en arrière, il n'aurait pu penser à quel point le fait que Jinro veuille l'accompagner était une bonne chose. Une ancre, un repère dans un monde si éloigné du leur.

- J'étais beaucoup pris oui, et je le serai encore... Mais moins qu'avant, on pourra se voir plus souvent désormais.

Et la prochaine fois qu'ils se verront, sans aucun doute, il pourront parler un peu plus de leur père car il l'aura vu. Ce moment il l'attend avec autant d'impatience qu'il en est effrayé. Mais pour l'instant il en est loin, très loin. Ailleurs.

- C'est vrai qu'on ne s'est pas encore réellement confrontés l'un a l'autre depuis longtemps... Tu as du tellement progresser, j'ai hâte de voir ça ! Mais je vais devoir y retourner... beaucoup de choses à voir quant aux sceaux spécifiques de la prison. Mais c'est assez facile pour moi pour l'instant.

Un clin d'oeil.

Depuis combien de temps l'a-t-il dépassé ?

Se voir plus souvent. Si cela n'était pas une promesse réellement, Jinro le prenait tout de même comme un acquis. Ils avaient grandis, devenant de fiers guerriers. Ils étaient des prédateurs, doublés de Shinigamis aguerris. Mais lorsqu'ils étaient ensemble, il n'y avait finalement rien d'autre que deux frères. Deux âmes qui aimaient passer du temps ensemble, simplement, prisant ces moments aussi rares qu'importants.

Qu'aurait pensé un élève qui aurait vu son professeur ainsi ? Sans doute rien en réalité. Si l'autorité dont il faisait preuve s'imposait naturellement auprès d'eux, il avait également toujours mis en avant que chaque personne possédait plusieurs facettes. Il fallait assumer chacune d'elles pour atteindre une sorte de félicitée. Le Komamura épousait volontiers chacune de ces facettes, ne rejetant aucune d'elles. Pas même les souffrances qui l'avaient en quelque sorte construits.

Alors que les paroles de Niji lui parviennent de nouveau, il eut un sourire. Vrai qu'il avait aussi hâte de confronter ses propres progrès à ceux de son aîné. Voir s'il s'était rapproché du nouveau désiré. Il ne prit pas mal non plus la remarque sur le fait qu'il faille mettre un terme à cette petite aparté. Après tout, lui aussi avait du travail.

- Bien, c'est parfait dans ce cas. J'ai moi aussi un cours qui approche, le répit n'est jamais long lorsque l'on a la tâche de former les nouvelles générations.

Il se redressait de nouveau, se relevant après avoir repris son sabre. Ses oreilles bougeaient en tout sens, comme pour capter les bruits alentours, avant de reporter son attention vers Niji.

- N'attends pas trop longtemps avant de revenir me voir. A bientôt, mon frère !

Toujours ce même sourire carnassier. Sauf que cette fois, il lui adressait à son tour un clin d'oeil avant de laisser sa propre vitesse prendre le relais. Quittant l'instant d'après le terrain sur lequel ils avaient communiqués avec tant de plaisir. Un Shunpô reconnaissable pour Niji, puisqu'il faisait partie de la fameuse combinaison du Shunkô familial.

Bientôt, très bientôt, il lui montrerait.

[Fin du RP]