Peur Bleue

Certains pourraient croire qu’il s’agit d’un élan de folie destructrice, ou encore d’une manière de jouer les favorites auprès de sa hiérarchie afin de s’attirer des faveurs. Mais il n’en est rien. Pas plus d’ego mal placé que de tentative de reconnaissance non plus. Il est un devoir que l’on se doit d’accomplir, une obligation suggérée au sein de notre caste que je tairais bien évidemment en présence du principal concerné.

Faire ses preuves en obtenant son titre de Shinigami ou en gravissant les échelons d’une Division n’est en soi qu’une simple formalité nécessaire. L’adage premier des Chibiko est de toujours chercher un moyen de se surpasser, de jauger son potentiel face aux plus brillants de ce monde. Non pas dans l’optique de prendre leur place, mais de se préparer en cas de conflit isolé, voire même majeur. Aussi le fait d’être en mesure d’en apprendre plus sur les compétences de ses semblables est fort commode.

C’est ainsi que Mère me présenta les choses, ce matin-là. Maintenant que je pouvais asseoir une certaine forme d’autorité auprès de mes pairs il était selon ses mots impératif de lui donner du sens. Quoi de mieux alors que de se mesurer directement aux fougues du Capitaine en personne, le non moins respecté Igarashi Sora. Ce dernier avait émit des doutes sur mes intentions malgré un argumentaire solide lors de notre entretien au cours duquel j’avais été promue. Naturellement je me présentais donc en ce jour aux portes de son bureau avec la ferme intention de les dissiper.

Ma venue ayant été annoncée plus tôt, je n’eus pas à attendre longtemps avant que l’on m’ouvre. Comme la fois précédente je m’introduis dans cette pièce la boule au ventre, mai l’air assurée. Après une révérence de circonstance, j’expose aussitôt mon vœu.

- Igarashi Taichō. J’ose espérer n’avoir pas fait défaut à mes obligations à votre égard jusqu’ici. Dans le cas contraire, je pense que ma requête vous donnera un moyen de parvenir à rectifier cela. Je souhaiterais, si vous m’en faites l’honneur, prendre un instant et vous dévoiler mon plein potentiel. Dans un duel encadré, sans la moindre restriction autre que celles prévues dans le cadre d’un tel évènement. Auriez-vous l’amabilité de m’accorder cette faveur ?

Je renouvelle mon allégeance et ma révérence en courbant davantage l’échine, une main posée sur la garde de mon sabre. Pour l’occasion je ne porte pas la tenue réglementaire mais un accoutrement plus en rapport avec l’objet de ma venue. Un uniforme plus proche du corps, qui me permettra d’être mobile sans risque d’être handicapée dans mes mouvements. Et puis surtout, des habits que je n’hésiterais pas à réduire en lambeaux lors de notre potentiel affrontement.

▬ Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée.

Kiseru entre les lèvres malgré l'heure matinale, Sora dut penche la tête de côté pour observer sa subalterne, ses pieds étant posés sur son bureau.
Il semblait donc, d'après son attitude, qu'il soit effectivement désœuvré pour l'heure, et donc potentiellement susceptible d'accepter - et pourtant.
L'on pouvait dès lors s'étonner qu'il ait pourtant daigné être présent à une heure aussi tôtive ; connaissant l'individu, il y avait peu de chances que ce soit simplement pour honorer ce rendez-vous.
Ainsi que Daestra avait pu s'en rendre compte depuis sa promotion, cette dernière ne modifiait pas fondamentalement les rapports qu'ils pouvaient avoir. Il lui adressait un peu plus la parole parce que c'était ce que la chaîne de commandement attendait de lui, mais ça s'arrêtait là ; il ne cherchait pas à créer de liens, pas plus qu'à se rendre agréable.
Ce qui, à n'en pas douter, avait dû rendre d'autant plus compliqué de trouver le courage d'arriver jusqu'à lui - de venir le chercher dans sa tanière. S'en doutait ne lui conférait cependant pas la moindre envie de se rendre plus abordable. Se grattant le crâne, il exhala un nuage de fumée.

▬ Pour tout dire, j'aurais peur de te casser en deux. Et après, bonjour les emmerdes. Il se gratta la nuque, affichant une moue quelque peu contrariée. Bien qu'elle ne soit que de petite noblesse, il y avait fort à parier que sa famille n'apprécierait pas de savoir qu'il l'avait estropiée - et s'assurerait de lui faire savoir. Et si c'était un risque qu'il était disposé à prendre face à des contrevenants, c'était moins le cas pour un « simple » combat amical, en particulier contre l'une de ses subordonnées. C'est pas contre toi, hein. C'est juste que j'ai du mal à me retenir quand je m'y mets.

Raison pour laquelle il supervisait les entraînements sans jamais lui-même y prendre part, préférant s'entretenir de son côté - en secret, à l'abri des regards. Ainsi qu'il convenait pour un homme de l'ombre, au final.
Et puis oui, il y avait le fait qu'elle aurait du mal à assurer ses fonctions depuis un lit d'hôpital. À quoi bon nommer des adjoints, si c'était pour qu'ils ne soient pas en état d'accomplir les tâches qu'il voudrait leur déléguer ?
Au travers des volutes de tabac, son regard s'attarda un instant sur ce qu'elle portait. De toute évidence, elle était venue déterminer à se battre, à prouver sa valeur, sans envisager qu'il puisse l'éconduire - ou se refusant d'y penser, croyait-il deviner.
La lueur dans ses yeux changea légèrement. Tout bien considéré, peut-être cela méritait-il un semblant d'effort de sa part...

▬ Si t'y tiens vraiment, ça peut peut-être s'arranger, soupira-t-il, extirpant sa pipe de sa bouche, mais faudra pas venir pleurer si tu finis avec des os brisés. C'est clair ?

Comme un dragon qu’on tire de son sommeil réparateur la fumée jaillissant de la bouche du Capitaine trahit une forme de mécontentement. A croire que la moindre intervention extérieure le dérange, à tel point qu’il laisse tout d’abord entendre un refus. Lequel m’affecte dans ma dignité, surtout lorsqu’il invoque l’idée de me réduire en miettes.

Argument dérisoire, à la limite de l’irrespect puisque si j’avais eu ne serait-ce qu’une chance de renverser la situation il est évident que c’est moi qui actuellement le toiserait du regard tranquillement assise sur ce siège de l’autorité. A ses mentions j’émets donc un petit sourire en coin discret. Non pas que l’idée m’enchante, cependant, je refuse catégoriquement de me faire évincer sous prétexte que je serais trop fragile.

- Sachez que je ne suis pas étrangère au fait de prendre des coups. J’y suis soumise quotidiennement depuis de nombreuses années. Reste que cet apprentissage est selon moi un exercice préparatoire qui n’est pas représentatif de ce à quoi j’aurais éventuellement affaire si d’aventure on m’envoyait sur un terrain hostile. Je ne reculerais donc pas devant les risques encourus, Igarashi Taichō.

J’affiche une mine déterminée, implacable. L’étreinte sur la garde de mon sabre se resserre dans une crispation de colère. Je déteste que l’on sous-estime mes capacités, après tout, je m’efforce de suivre un entraînement rigoureux depuis bien trop longtemps. Je ne compte pas faire carrière comme archiviste au sein de ma Division, il est grand temps que je démontre à qui de droit ce dont l’enfant introvertie et frêle est capable.

Peut m’importe de finir avec des os brisés, des contusions ou pire encore. Ce n’est qu’en se préparant au pire que je serais en mesure d’appréhender raisonnablement tout conflit ultérieur. Les dernières guerres peuvent en témoigner, beaucoup d’entre nous n’étaient pas préparés à cela. Et je ne permettrais pas qu’une telle tragédie se reproduise.

- Et puis, j’avais déjà pris soin de réserver une séance d’entraînement dans la salle prévue à cet effet. Que vous le vouliez ou non, je m’y serais rendue. Disons qu’avec votre concours la pratique sera autrement plus instructive. Pour nous deux.

Je lui adresse un sourire fier, façon détournée de le mettre face à l’inéluctable. S’en suit une nouvelle courbette de rigueur, avant que je tourne les talons et regagne la sortie. Je sais qu’au fond de lui il doit très certainement pester et cherche par la présente à lui donner une raison de me faire ravaler ce que je lui laisse croire être de l’orgueil mal placé. Quelque part, j’aurais alors l’occasion de ne pas subir la mesure de mon habituel mentor. Auquel cas, je n’hésiterais pas à user de tous les moyens à ma disposition dans le but de briser ces insupportables barrières.

Après quelques dizaines de secondes à filer entre les couloirs silencieux du quartier général mes pas lents me guident en direction du lieu tant convoité. J’annonce auprès du personnel en charge de la préparation mes intentions, termine de configurer les paramètres de cette salle si particulière et m’y engouffre sans même jeter un regard en arrière. Comme évoqué plus tôt, qu’il me suive ou non je compte bien me défouler.

Je pénètre ainsi dans ce qui ressemble fortement à un paysage que l’on pourrait qualifier de paradisiaque. Devant moi s’étend un vaste désert de sable fin à peine décoré par une maigre végétation tropicale. Je progresse, émerveillée, surprise même se sentir la caresse du soleil sur mon visage offert à une brise marine presque étouffante. D’un rapide coup d’œil je remarque que, comme convenu nous nous trouvons bien sur un îlot perdu au milieu d’une infinité azur. Puisque l’affrontement se fait sous mon initiative autant jouer en terrain conquis.

Et je sens par un indicible vrombissement au niveau de ma lame que Samekoukan est déjà ravie. Je décide donc de ne pas trop la faire patienter. Une fois au centre de mon royaume stérile fictif je me retourne et prends aussitôt position. Le Capitaine est bien là, ce qui me procure à la fois un sentiment de ravissement et de terreur. Je sais par avance que je n’en sortirais pas indemne. Mais je l’ai cherché.

Le protocole l’exige, aussi j’exécute à son encontre une révérence soutenue et lui présente ma lame découverte à la manière d’une offrande.

- Je vous remercie d’avoir répondu à ma requête. Je compte bien l’honorer, et ne pas me retenir un seul instant d’exploiter la moindre opportunité. Je vous prierais donc de faire de même. Nous avons tous deux à apprendre de l’autres, faisons en sorte que cet échange soit constructif. Lacère, Samekoukan.

A ces mots je me lance dans un rapide kata où le Zanpakutō se retrouve à tournoyer devant mon visage inflexible. Dans un ultime geste il balaye le sable à mes pieds, et dans l’élan la lame se brise en d’innombrables fragments aux airs de crocs acérés qui immédiatement s’organisent telle une nuée virevoltant dans un éternel ballet circulaire. Garde toujours en main, j’avise mon adversaire et ne fléchis pas.

Une onde soulève le manteau granuleux tout autour et se propage jusqu’à fouetter le Capitaine. Visiblement il y en a au moins une qui est absolument ravie de participer, et elle ne se fait pas prier pour le laisser entendre. On pourrait presque dans cette vague percevoir son rire mauvais qui fait écho au vide environnant et se perd dans le ciel imperturbable. Intérieurement, je jubile. Sa dévotion au combat me redonne de la force, je la sens qui m’accompagne.

Mes yeux prennent une teinte plus éclatante, presque cristalline. Commençons par quelque chose de simple. Je lève un bras vers ma cible et me prépare déjà à sa riposte pendant que l’armada d’acier se regroupe pour finalement fondre en essaim sur elle. Rien de trop prétentieux, juste ma façon de tâter le terrain.

▬ Ouais ouais, répondit Sora d'un air las.

Puisqu'elle semblait décidée avant même d'entrer dans son bureau, il n'avait pas l'intention d'essayer de la dissuader - ça lui ferait perdre plus de temps que de lui démontrer pourquoi ce n'était pas une bonne idée.
Elle l'avait cherché, et il veillerait à ce que ce soit consigné dans les registres au cas où on viendrait le lui reprocher. Cela ne suffirait peut-être pas à éviter les problèmes, mais au moins mettrait-il toutes les chances de son côté...

Rassemblant son matériel - le sabre à la ceinture et quelques autres bricoles -, il se dirigea vers l'emplacement dédié, où les membres de la Division les mieux formés à user de cette technologie encore neuve s'attelaient aux derniers préparatifs.
Ceux-ci le saluèrent avec le respect dû à son rang et lui firent savoir que son adversaire se trouvait déjà à l'intérieur - non sans déglutir à l'idée du sort qu'il allait lui réserver. Certains d'entre eux devaient déjà avoir assisté aux précédents « duels » de cet acabit, à voir la manière dont ils pâlirent à l'idée.
Au moment où il passait la porte blindée qui les confinerait à l'intérieur aussi longtemps que nécessaire, il crut voir du coin de l'œil des billets changer de main au gré des messes basses concernant le temps que cela durerait. Il roula des yeux et secoua la tête, mais s'abstint de toute remarque ; tant qu'ils n'en faisaient pas une habitude...

Entrée la première, Daestra en avait à l'évidence profité pour faire réaménager le terrain à sa convenance. Sora ne s'en formalisa pas : elle mettait toutes les chances de son côté, tant mieux. L'endroit ne se prêtait guère à des manœuvres furtives, mais sans doute avait-elle ses raisons pour avoir jeté son dévolu sur celui-ci en particulier.
Quand bien même il n'aurait pu le prévoir, il se félicita d'avoir laissé son haori dans le bureau, sans quoi la chaleur - l'environnement simulé allant jusqu'à reproduire de tels détails - aurait pu rapidement devenir inconfortable.
Il ne portait d'ailleurs pas non plus la partie haute d'un Shihakushō réglementaire, préférant ne garder que le maillot noir à manches courtes qu'il cachait habituellement au-dessous.
Si l'on ne pouvait déjà pas lui retirer une certaine carrure lorsqu'il était pleinement vêtu, cette tenue plus légère ne faisait que mettre en évidence un physique qui aurait fait pâlir une bonne partie des membres de la Onzième ; la preuve parfaite que, si nonchalant qu'il paraisse parfois, il n'était pas à sous-estimer. Il dégaina sans se presser.

▬ T'inquiète pas pour moi, répondit-il d'ailleurs avec ce même détachement, le petit doigt de sa main libre s'employant à lui curer l'oreille. Fais ce que tu as à faire.

Quand bien même il avait accepté de se joindre à elle, il faudrait encore quelques efforts si elle voulait le persuader de s'investir dans ce combat. Au moins avait-il pris la peine de libérer son sabre pendant qu'elle ne regardait pas ; c'était un début, n'avoir pas à prononcer son aria ayant ses avantages. Fait rare, celui-ci perdait en taille en retrouvant sa forme vraie, réduit de katana à curieux poignard.
S'il ne prévoyait toujours pas de retenir ses coups - il ne l'avait jamais fait, pourquoi commencer maintenant ? -, cela ne voulait pas non plus dire qu'il allait y mettre du sien. Sans qu'elle y soit pour quelque chose, ses dernières expériences face à ses propres subalternes avaient été peu concluantes ; il ne serait pas simple de me ramener à de meilleurs sentiments.

Sans plus attendre, elle passa à l'attaque - ce qui ne suffit pas à susciter de réaction de sa part. Bien sûr, il ne comptait pas non plus encaisser sans bouger. Mais tout au plus leva-t-il son arme à mi-hauteur dans un large mouvement circulaire, semblant vouloir fendre l'air.

▬ Takamikura.

Sitôt ce mot de pouvoir prononcé, un fin rayon brillant suivit la trajectoire tracée par sa lame - et percuta toutes celles, féroces, que Daestra avait lancé dans sa direction, la lumière elle-même s'opposant au mal qu'elles voudraient lui faire. Les deux attaques s'annulèrent à la perfection, malgré les efforts que mettait l'intéressée à lui faire sentir la puissance de son aura. Il en fallait plus que cela pour l'impressionner.

▬ Pas mauvais, reconnut-il néanmoins. À moi. Voyons voir...

Le Capitaine fit pivoter son arme en la lançant dans les airs et en la rattrapant dans l'autre sens, pointe tournée vers le bas cette fois. Aussitôt, la luminosité ambiante alla en s'intensifiant au point d'en devenir aveuglante, brûlant sans pitié les yeux de quiconque y était directement exposé - et l'empêchant de voir venir le danger, de la manière la plus littérale qui soit.
Mais le temps que l'héritière des Chibiko s'en aperçoive, il serait déjà devant elle en position d'attaque, et malgré la dague qu'il portait à la main, c'est sa paume qu'il lança vers son torse, avec un subtil mélange de violence et de célérité.
Qu'elle ne s'avise pas de croire qu'elle était moins dangereuse qu'une épée ; elle pourrait avoir à le regretter.

L’essai s’est avéré plus que constructif. En même temps, devais-je en attendre moins de la part de celui qui s’imposait tant par sa stature que par sa puissance comme chef incontestable de la Seconde Division ?

Ma fidèle escadrille se fit littéralement balayée d’un vulgaire coup de fouet lumineux, chaque fragment explosant au contact de la foudre spirituelle pour disparaître aussitôt en un gigantesque amas d’étoiles bleutées. La remarque du Capitaine, à prendre comme une pique de bon aloi m’arrache un sourire. Evidemment que la tentative est pitoyable. Mais il faut bien tâter le fond avant de lancer sa ligne.

Maintenant que le gros poisson est ferré je prends une posture défensive. J’attends la riposte annoncée. Au moins il a la politesse de prévenir, c’est tout à son honneur. En revanche ce qui suit dépasse toutes mes attentes. Je l’attendais déjà sur le terrain du Kidō ou d’une frappe directe à distance en guise de réponse mais il n’en fut rien.

Sans que je me l’explique la lumière devint aveuglante, comme si ce soleil factice venait tout juste d’exploser. Prise au dépourvu j’accuse le coup et amorce un geste de recul tout en plissant les yeux lorsque soudain dans un battement de cils sa silhouette se retrouve juste devant moi. Bras armé, il offre sa paume tendue dans ma direction. Dans la panique je déploie ma signature secrète à la hâte, consciente que cela ne suffira malheureusement pas.

A une vitesse toute aussi fulgurante mon image se soustrait à son regard, remplacée par l’imposante peluche de lapin qui d’ordinaire se trouve dans mon dos. Je me retrouve projetée plusieurs mètres en arrière, et tente maladroitement de me réceptionner assez que pour voir le substitut se faire déchiqueter dans un bruit sec. Tandis que ses débris se répandent dans les airs je profite de l’occasion et me redresse.

Cette fois mes prunelles sont animées d’un feu intense, leur flamme sanguine danse au gré de la bise qui fouette ce visage autrefois si innocent. J’imagine le sourire carnassier de Samekoukan qui transpire par-dessus le mien, au même titre que tout son être dont la fougue envahit peu à peu mes membres. Elle réclame, supplie de prendre le contrôle. Et je le lui laisse bien volontiers. Il n’y a que comme cela que je briserais les barrières. Igarashi Sora doit devenir une proie comme les autres. Ni Capitaine ni Maître.

- Mon but n’est pas de vous impressionner. Je veux chasser.

Le pourpre envahit ses mots lancés à la manière de poignards, la teinte se répand sur l’aura des fragments qui redoublent alors de vitesse en tournoyant autour de nous. J’avise mon adversaire, le déshumanise. Premier dogme des Chibiko. L’escadrille plonge dans le sable en un instant. L’île toute entière est prise de soubresaut, une secousse terrible qui la fait peu à peu couler. Bientôt ne reste qu’une immensité aqueuse sous laquelle repose ce plancher de sable fin malléable.

Je joins mes poings devant l’incendie qui fixe toujours le Shinigami et, après une demie douzaine de secondes ce dernier se retrouve encerclé de multiples ailerons. Tous se mettent à foncer dans sa direction en dessinant une course hasardeuse mais véloce. Arrivés au contact, ils exploseront sans doute, soulevant sable et eau dans un ballet chaotique réjouissant. Nous allons enfin entrer dans le vif du sujet. Et mon cœur lui, s’emballe.

Daestra avait bien appris sa leçon. Non contente de réussir à esquiver son attaque, elle l'avait fait en laissant un leurre derrière elle, troublant son Capitaine assez longtemps pour se mettre en sûreté. Néanmoins, si impressionnante qu'ait été la manœuvre, il avait la certitude de l'avoir heurtée ; peut-être pas autant qu'il l'aurait souhaité, mais l'important était qu'elle ne s'en sorte pas indemne. D'un mouvement sec de la main, il éparpilla les entrailles cotonneuses restées logées sur cette dernière.

S'avisant de sa nouvelle position, il riva son regard sur elle à nouveau - son bleu acier réussissant l'exploit de rester glacial même en ce lieu ensoleillé. Si elle confessait être venue pour chasser, elle ne pouvait ignorer n'être pas le seul prédateur dans cette arène - et il en était un plus gros qu'elle ; il comptait bien le lui rappeler.
Néanmoins, qu'elle soit prête à adopter ce genre de résolution même à l'encontre de son propre Capitaine, faisant fi de toute hiérarchie et de l'obséquiosité qui caractérisait les familles nobles, était aussi à son avantage.
Après tout, il ne faudrait pas qu'elle recule si elle devait un jour arrêter quelqu'un de plus gradé qu'elle ; un criminel est un criminel, qu'importe la couleur de son sang ou les médailles qu'il porte à la poitrine.
S'il devait lui-même un jour s'écarter du droit chemin, il s'attendait à ce qu'on le pourchasse comme s'il n'était qu'un scélérat parmi d'autres ; que ce ne soit pas le cas ne ferait que mettre encore en exergue l'échec du Gotei à se contrôler lui-même.
Qui gardera les gardiens ?

Assailli à nouveau, il put voir l'îlot où se déroulait leur affrontement disparaître sous les eaux, englouti par une marée inopinée - confirmant, si besoin en était encore, la nature aquatique du sabre de sa subordonnée. Il fit la grimace, peu enclin à se retrouver les pieds dans l'eau, surtout contre son gré.
Un mécontentement qu'il n'eut toutefois pas l'occasion d'exprimer avant que les projectiles qui lui étaient envoyés ne s'abattent.
Cette fois, il fit délibérément le choix de les encaisser, de goûter la douleur qu'ils avaient à lui offrir, se contentant de dresser un bras devant lui pour y concentrer les dégâts. Et si l'explosion le fit souffrir, de moins solides que lui s'en seraient sans doute trouvés démembrés.
Néanmoins, avant que le voile de sable qui les séparait n'ait pu se dissiper, permettant à Daestra de jauger de l'efficacité de son attaque, des mots éclatèrent dans l'air :

...enflamme-toi et puis dévore ta propre gorge !

Des paroles qu'une adepte comme elle reconnaîtrait sans mal comme étant la fin de l'incantation du neuvième Bakudō, Geki, dont la vive lumière rouge apparut autour d'elle immédiatement, restreignant ses mouvements. Oh, il ne doutait pas qu'elle ait la capacité de s'en libérer si elle le désirait, mais cela allait néanmoins l'occuper quelques instants.
À nouveau visible, Sora examina d'un œil morne sa main ensanglantée, pliant et dépliant les doigts pour s'assurer de sa validité, faisant peu de cas de sa nouvelle collection de plaies. Si elle restait utilisable, il porterait les cicatrices de ce duel au moins un temps, désormais. Dans son dos flottaient des symboles de lumières tournoyants, semblables à des magatama. Relevant les yeux vers elle, il soupira :

C'est très bien de chasser, mais... Du dos de sa main intacte, il essuya quelques gouttes de sang parvenues jusqu'à son visage. ...Encore faut-il savoir quand on est chassé soi-même.

Ses poings fermés s'entrechoquèrent devant son torse et son reiatsu explosa, repoussant l'eau environnante et creusant un cratère sous ses pieds. Les flots - du moins la partie qui n'était pas en train de retomber sous la forme d'une bruine - ne tardèrent cependant pas à revenir vers lui pour mieux s'enrouler autour de son corps en tourbillonnant, obligées de lui servir d'arme sous l'impulsion de ses sortilèges. Elle n'était pas la seule à avoir l'onde pour alliée, quand bien même ce n'était en rien le même usage...

SUISEI SHUNKO.

Sans lui laisser le temps de réaliser ce qu'il était en train de déployer, le Capitaine du Nibantai se jeta dans sa direction, propulsé par les torrents d'énergie - au propre comme au figuré - qui s'étaient amassés autour de lui. On l'aurait cru devenu cascade à visage d'homme, et c'est avec toute la délicatesse d'un raz-de-marée qu'il vint s'écraser sur elle. Qu'importe qu'elle se soit ou non dépêtrée de l'étau qu'il lui avait appliqué ; elle ne pourrait pas lui échapper, pas tout à fait, pas plus qu'elle ne l'avait fait à la dernière passe d'armes.
Derrière lui, les motifs luminescents s'éteignaient un à un, non sans d'abord ajouter à sa célérité.
Et à nouveau, elle put voir sa paume fuser droit vers elle - vers son abdomen en particulier, à ceci près qu'elle était cette fois suivie par la force d'un tsunami tout entier, par son grondement déchaîné. Il l'avait prévenue, et elle n'avait pas voulu écouter ; tant pis pour elle si elle s'en retrouvait perforée. À la différence d'un corps de chair et de sang, celui d'un Shinigami pouvait encaisser d'horribles blessures, après tout ; ne racontait-on pas l'histoire d'un Vice-Capitaine qui avait vécu avec la moitié du corps arraché ?

Je sens la fougue de Samekoukan qui se fait plus insistante, extrêmement pesante. Mon souffle est rauque, mon cœur s’emballe au point qu’il cherche littéralement à jaillir de ma poitrine. Pour la première fois dans ma si courte existence je suis confrontée à sa faim dévorante. Son désir de prendre le contrôle. J’accuse donc le coup et mes sens sont à la fois plus aiguisés mais également chaotiques. Comme si notre double vision créait une sorte de voile rouge agrémenté de saccades.

J’éprouve quelques difficultés à maintenir un focus, à ne pas succomber sous la pression. J’en oublie presque la nature de ma proie, sa puissance. Tout ce qui importe désormais c’est de le voir tomber ou de chuter avec lui. Il ne se montre d’ailleurs pas plus impressionné que cela par notre performance. Résolu, il se laisse embrasser par l’étreinte des lames ayant pris la forme de multiples squales explosifs.

Derrière l’immense rideau de bruine et feu un ordre résonne soudain, celui d’un Bakudō que je ne connais que trop bien. Aussitôt des liens viennent m’entourer, un filet aussi écarlate que le sang qui boue au travers de ma misérable écorce de chair. Nous l’accueillons sans que je puisse émettre un semblant de résistance. Il n’y aura je pense, aucune place ici pour la retraite. Ce sera plonger pour mieux sombrer.

La petite pique qu’il nous adresse renforce ce sentiment de colère bestiale qui m’anime. Evidemment, qu’il est un prédateur plus redoutable. Evidemment, que nos chances de gagner sont quasi nulles. Evidemment, que cela n’a pas la moindre importance.

- Alors VIENS.

L’insolence de Samekoukan supplante ma propre voix, elle le crache à la figure de l’autorité dans un timbre grave qui tranche clairement avec ma douceur habituelle. A ces mots il répond en actes. A une vitesse encore plus fulgurante que tantôt il se déplace dans notre direction. L’espace d’un instant nous le perdons même de vue et ce, jusqu’à ce que sa paume nous frappe avec une violence inouïe. La vague qui l’accompagne annonce une brutalité sans commune mesure.

Contrairement au premier coup celui-ci est encaissé pleinement. Au moment de l’impact je ressens au-delà de la douleur immense les ténèbres qui m’absorbent. L’instant d’après je me retrouve allongée sur le manteau aqueux, crachant mes tripes dans une mare de sang. Mon corps tout entier à l’agonie. Je peine à reprendre mes esprits, puis, par une série de gestes hasardeux tente de me redresser. A ce stade je n’ai plus la volonté ni la force de me débattre, c’est là son signal tant attendu. La prise de contrôle est totale. Les yeux injectés de sang qui se braquent sur mon Capitaine ne m’appartiennent plus. La fureur qui s’empare de ce corps mutilé dépasse l’entendement.

- Alors c’est ça, la puissance de l’élite. Amusant.

Elle se met à rire frénétiquement. De sa moquerie se dégage une onde primitive et dans son sillage la matérialisation même de son arrogance à l’image d’une gueule pleine de crocs acérés. Et tandis que sa provocation vient titiller la patience de l’adversaire, j’assiste impuissante au spectacle qui s’en suit.

Notre corps dans un vrombissement terrible se soulève dans les airs. La silhouette auparavant emprisonnée dans la coquille d’une enfant trop chétive et timide se recroqueville, prise de soubresauts. Ma tenue, en lambeaux, se recouvre d’une couche liquide écarlate afin de renaître sous une forme plus complète. Immaculée. Multiple.

- Faites place à la Princesse des Typhons. BANKAI. Taifu no joo.

Suite à ces simples paroles lancées aux vents mauvais l’intégralité de la pièce se met à trembler. Le ciel se couvre, les bourrasques tourbillonnantes entrent dans une danse macabre et ne tardent pas à soulever les eaux pour ne former bientôt qu’une gigantesque colonne donnant aux lieux des allures d’arène. L’escadrille d’acier à son tour disparait dans les épais remparts opaques qui délimitent le cercle. Tout n’est plus que tempête.

Alors Samekoukan, dont le sang ruisselle et se mêle aux minces filets d’eau qui parcourent notre corps meurtri tend nonchalamment un index vengeur en direction de sa proie. Elle arbore un sourire mesquin, ses dents en pointe ne demandant qu’à dévorer.

Soudainement le manteau instable sur lequel repose le Capitaine Igarashi se fait plus trouble, opaque. En un clignement d’œil un véritable geyser l’engloutit tout entier et s’élève jusqu’aux cieux. Pour ajouter au délice de sa souffrance, l’armada d’acier surgit de toute part par-delà les murailles et s’organise en un tourbillon qui pénètre à son tour dans le maelstrom. Le tout sous le regard amusé du squale, qui cache sans mal la terreur de l’enfant désarmée face à sa créature.

D’une façon ou d’une autre, l’épreuve allait rapidement se terminer.

▬ Je ne me rappelle pas t'avoir permis de me tutoyer, fit Sora.

Évidemment, il s'était bien rendu compte qu'elle n'était plus elle-même. Pas besoin d'être expert en psychologie comportemental pour réaliser que tout chez elle - de son attitude à sa gestuelle, et apparemment même sa façon de parler - avait changé.

Ce n'était pas la première fois qu'il voyait un Shinigami se laisser influencer par son Zanpakutō, en particulier en état de Bankai, qui laissait celui-ci s'exprimer d'autant plus librement. Cela ne l'impressionna donc pas outre-mesure, même si le fait qu'elle le possède si peu de temps après avoir quitté l'académie était digne d'éloges.
L'on racontait que quand Zaraki Kenpachi avait tardivement découvert le sien, il s'était transformé en bête sauvage, plus encore qu'il ne l'était déjà. L'effet que celui de Daestra avait sur elle ne semblait pas bien différent, quand bien même elle n'avait pas attendu sa pleine libération pour tomber sous son contrôle.
Le Capitaine du Nibantai se réjouissait que ses propres pouvoirs n'impliquent aucune forme de « communion » de ce genre ; il ne l'aurait pas supporté. Et il était à peu près sûr qu'Amaterasu n'aurait pas apprécié davantage.

▬ Ton Bankai est encore jeune, on dirait... Tu vas devoir apprendre à ne pas le laisser te dominer. Il ignorait si elle pouvait encore l'entendre dans cet état de transe, mais il ne lui en fit pas moins la leçon encore un peu, placide malgré les airs prédateurs de sa vis-à-vis. Nous sommes peut-être des armes, mais ça ne fait pas de nous des outils.

« La puissance de l'élite ». L'élite, lui ?... Probablement, puisqu'il était désormais Capitaine. Pour autant, il ne s'était jamais considéré comme tel. Quoique conscient de sa puissance, il n'en tirait pas de fierté particulière, se refusait à toute prétention. L'idée de parader comme le faisaient trop souvent les membres de la « haute société » lui donnait la nausée.
Mais oui. Il était fort. Autant qu'il avait besoin de l'être. Bien assez en tout cas pour la ramener à la raison - manu militari, puisque c'était apparemment le seul moyen d'y arriver. Et bien soit ; elle ne pourrait pas dire qu'elle ne l'avait pas cherché.

Observateur attentif, il laissa la puissance de sa subalterne se déchaîner sans chercher à la contenir ; non seulement n'en aurait-il pas eu les moyens, mais puisqu'elle semblait à ce point vouloir lui montrer, il n'allait pas l'en empêcher. C'est donc de son plein gré qu'il encaissa le torrent d'eau et d'acier qui lui était destiné, immobile au milieu des flots alors que sa chair était déchirée de part en part.
Il serra les dents, refusant ne serait-ce que par orgueil de laisser filtrer le moindre cri de douleur, mais ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Il en avait vu d'autres, avait connu pire - mais cela n'atténuait en rien la violence de cette démonstration.
Malheureusement pour elle, ce n'était toutefois pas assez pour le mettre à terre - ce qui signifiait qu'il pouvait encore contre-attaquer.
Ainsi pourrait-elle voir apparaître un disque de lumière au cœur du geyser, alors même qu'il était censé se faire dévorer.

▬ Yata no Kagami, proclama-t-il - et c'était le seul signal qu'elle aurait avant qu'une partie de ses lames ne lui soit renvoyée, redirigée vers elle depuis l'intérieur de sa propre attaque. Juste une partie - juste assez pour ouvrir une brèche et lui permettre de s'échapper alors que la mer démontée, désormais vide d'énergie spirituelle, était encore en train de retomber.

Du moins pour la partie de celle-ci qui ne s'était pas lovée autour de lui, tourbillonnant une fois encore autour de son corps, raz-de-marée domestique, esclave de ses sorts. Shunkō signifiait « cri de guerre », et s'il n'en poussait aucun, le rugissement des vagues s'en chargeait à sa place. Il fut sur elle en l'espace d'un reflux, les bras chargés de déluge.
Au milieu de la confusion, du parfum cuivré qui flottait dans l'air, peut-être aurait-elle le temps de voir les blessures qu'elle avait réussi à causer sur son corps ensanglanté avant que sa main ne s'impose à sa vue - que son doigt recourbé n'envahisse son champ de vision, trop proche pour être entièrement évité. Une pichenette était tout ce qu'il lui fallait.

▬ C'était pas mal, mais il est temps de se réveiller.

Le coup partit, et avec lui toute la force de l'eau qu'il avait accumulée, toute la sombre magie qui avait soumis les éléments à sa volonté. La pression qu'il déploya pour la projeter l'obligea à lui-même serrer les dents, ses muscles lacérés n'étant guère disposés à en subir le contrecoup. Il le fallait pourtant - jusqu'à ce que ce soit terminé.

La bestialité de Samekoukan n’est plus à prouver, j’en avais déjà bien conscience avant qu’elle ne prenne le contrôle et pourtant son déchaînement de haine me surprend au point que je la fustige intérieurement de ne pas se laisser aveugler par sa soif de violence. En vain, puisqu’elle est bien décidée à jouir de mon corps aussi longtemps qu’il lui sera possible d’encaisser la riposte. Nous avons beau avoir un accord tacite, elle est désormais maîtresse de mes moindres mouvements et compte exploiter la faille jusqu’à devoir malgré elle regagner son antre.

Je la regarde donc impuissante dominer dans les airs sa proie qui se fait assaillir de toute part. Je n’ai aucune peine à me persuader que le Captiaine s’en sortira malgré l’ampleur de l’assaut qui lui est destiné. J’arrive même à entendre derrière le maelstrom son jugement implacable qu’il ne m’est hélas pas convenu de nier. Je suis encore loin de pouvoir museler ma sœur spirituelle, pourtant, c’est bien de mon fait si elle a maintenant une emprise totale sur les évènements. Une façon toute particulière de lui faire comprendre que la force brute aussi a ses propres limites.

Et comme pour y répondre sans que je n’intervienne, il met ses paroles à exécution. D’abord par un renvoi de l’escadrille à notre encontre qui se fait sans effort. Puis par un phénomène beaucoup plus singulier et extrêmement douloureux, tant par son implication sur le plan physique que psychologique. Il retourne littéralement notre élément moteur contre nous, de la plus efficace des manières. Une fois le geyser à l’agonie la masse aqueuse qui le constituait se reforme instantanément en une vague colossale qui vient nous avaler aussitôt. J’imagine parfaitement la réaction médusée de Samkoukan, alors prise au dépourvu.

- Le jeu… Le jeu en valait la chandelle, pas vrai Dae ?

Je nous vois serrer les dents prêtes à rompre sous l’effet de la douleur à mesure que la vague nous emporte. Les boucliers successifs déployés par la princesse des typhons n’y changent rien, ils explosent l’un après l’autre comme une cloison en papier de riz face au tsunami qui se déchaîne. La lumière du soleil disparait ainsi et lorsque les ténèbres m’enveloppent enfin ma conscience l’espace d’un instant vacille. Notre corps inerte est propulsé dans les confins. La pression retombe immédiatement, le cyclone disparaît aussi vite qu’il était apparu, ne laissant plus qu’un petit îlot au bout duquel gît une silhouette inanimée.

Après un temps que j’imagine une éternité je regagne mes esprits, et ne peut m’empêcher de lancer un râle de douleur tant mes blessures sont conséquentes. Des larmes troubles mon regard et tombent grossièrement dans le sable humide. Et alors que j’essaye péniblement de retrouver un semblant de dignité en me redressant difficilement, c’est un sourire que j’affiche.

Au-delà du fait que le Capitaine est la première personne a pouvoir prendre acte de mon évolution au niveau martial, il est surtout indirectement celui qui pourra m’aider à parfaire cet art que je suis encore loin de maîtriser. Il aura au moins pu constater que je ne me repose pas sur mes bases, ni sur ma condition sociale et que je suis prête à mettre ma vie en jeu pour arriver à mes fins. Même si cela est encore très maladroit.

- Nous avons tant à apprendre, oui… Mais… Tout cela était calculé. J’ai voulu dépasser mes limites… Briser les barrières. J’espère vous avoir convaincu… Igarashi Taichō. Même si c’était un peu cavalier, je le reconnais. Pardonnez-moi.

A défaut de trouver la force nécessaire pour me relever je me contente simplement de traîner ma carcasse endolorie contre la souche d’un palmier ayant survécu au dernier assaut. Ma tenue est très largement déchirée, du sang perle de mes innombrables blessures. De toute évidence, et cela avait été entendu, je suis bonne pour un séjour prolongé à la Quatrième.

- Le jeu en valait la chandelle, oui. Je souhaiterais néanmoins émettre un souhait… Que les détails de cette démonstration ne soient pas consignés.

Je veux avant tout gagner sa confiance, apprendre à le connaître et lui prouver que je ne cherche pas à devenir une privilégiée. J’ai bien conscience que la maîtrise du Bankaï n’est pas donnée à tout le monde et par conséquent je ne veux le révéler qu’à ceux qui seront en mesure de ne pas me définir en tant qu’individu par ce simple fait.

Reste à savoir s’il est capable de le comprendre, et donc de faire une entorse au règlement. En ce cas alors, j’aurais bel et bien gagné ce combat.

Fin du Combat

Le goût du sang se mélangeait à celui de l'eau de mer entre ses lèvres. Le sel dans ses plaies ne faisait qu'en accroître la douleur. Il pouvait déjà sentir les tiraillements dans ses muscles après les avoir mis à si rude épreuve. Mais cela ne changeait rien au résultat : il avait gagné. Comment pouvait-il en être autrement ? Il était Capitaine du Nibantai, et ce n'était pas encore aujourd'hui qu'il perdrait face à l'un de ses subordonnés.
Même si, force était de le constater, Daestra Chibiko s'était avérée bien plus redoutable que sa faible expérience ne le laissait deviner. De par les dégâts qu'elle avait réussi à lui infliger, mais aussi par le simple fait qu'elle ait réussi à survivre alors que, comme il s'y était engagé, il ne l'avait pas ménagée. Alors oui, les apparences trompeuses étaient peut-être l'une des spécialités de la Deuxième Division - après tout, feu le Capitaine Soi Fon ne payait pas de mine... -, mais elle poussait cela à un tout autre niveau.
Se passant une main dans les cheveux, il secoua la tête pour chasser un peu de l'humidité qui s'y était déposée. Il ne savait pas quel hasard avait voulu que son Shunkō s'aligne avec l'élément aqueux plutôt qu'un autre, celui-ci étant pourtant rare parmi les sorts du Kidō, mais c'avait été à son avantage cette fois... Si ce n'est pour le temps qu'il allait mettre à sécher après s'être trempé de la sorte.
Ce n'est qu'une fois certain de ne pas vaciller qu'il avança dans sa direction, remettant son sabre au fourreau après l'avoir scellé. Il aurait pu lui aussi recourir au Bankai pour contrer celui de sa subordonnée, mais il lui avait paru préférable de lui apprendre une leçon ; de lui montrer que se l'être procuré - si impressionnant que ce soit - ne faisait pas d'elle son égale, quand bien même cela la mettait sur la bonne voie.

▬ Ouais, ouais, ça va, rétorqua-t-il en arrivant jusqu'à elle, se tapotant le crâne de la paume pour chasser l'eau qui avait envahi ses oreilles. Si c'était que ça, c'était pas la peine de risquer ta peau. Je maîtrise pas encore tout à fait ce que je fais, tu peux t'estimer heureuse d'être en un seul morceau. Ton copain le singe à la Onzième, je comprends, il a besoin d'avoir le cuir dur pour pas finir tué par sa propre connerie, mais toi, c'est déjà plus étonnant.

De ce qu'on lui en avait dit, la plupart des usagers du Shunkō - ce subtil mélange de sortilège et d'arts martiaux - avaient passer leur vie entière à le raffiner. Même ainsi, ils n'étaient pas certains d'en avoir le parfait contrôle, ou de pouvoir un jour l'obtenir. Alors lui, qui n'avait que très récemment commencé à pouvoir l'utiliser sur le terrain, était encore loin du compte...
Certes, il aurait pu recourir à d'autres compétences pour avoir raison d'elle, mais ce lieu était après tout une salle d'entraînement ; qu'aurait-il eu à en tirer, s'il n'en avait pas profité pour s'exercer ? Il y avait une raison pour laquelle ses entraînements se faisaient généralement en solitaire, et elle venait de la découvrir - même si, contrairement à elle, il n'avait rien à cacher.

▬ Hein ? Ouais, si tu veux. Il faudra s'assurer que la Douzième se soit pas amusée à planquer des capteurs un peu partout, mais ça devrait aller. dit-il, tordant les pans de sa tenue pour l'essorer. C'est plus tout à fait aussi rare que ça l'a été, mais je comprends qu'on préfère éviter d'en parler...

Qu'il semble mieux porter qu'elle à ce point - assez pour se soucier de telles peccadilles - aurait presque pu être offensant, s'il n'était pas su qu'il le devait à une récupération exceptionnelle.
Quoique relativement jeune lui aussi comparé à certains Capitaines ayant marqué l'histoire de Soul Society, Sora avait déjà un certain nombre de faits d'armes à son actif. En temps de guerre, pouvoir se remettre rapidement - savoir, sitôt un combat terminé, se préparer au suivant - était une qualité nécessaire, à moins de vouloir disparaître.
La cicatrice gravée sur son visage n'était jamais que la plus apparente de sa collection, il était bon de ne pas l'oublier.