Un projet plus qu'ambitieux.

La lumière commençait à faiblir dans le bureau du King of Cups. Les journées passaient à toute vitesse ces dernières semaines. Lorsque Tanjô était plongé dans un projet, il perdait la notion du temps. Affalé dans son fauteuil, il arborait un sourire éclatant en observant le soleil descendre en embrasant le ciel. De sa main droite, il faisait sauter machinalement une petite pilule verte, source de sa grande satisfaction.

-Décidément, l’humanité n’a pas chômé en un millénaire.

Depuis qu’il avait rejoint l’Ultima Necat, il avait appris une quantité d’informations phénoménales sur toutes les avancées culturelles et technologiques qui avaient été effectuées en son absence. Il se souvenait de son arrivée dans l’organisation.

À l’époque, il n’avait pas encore eu l’occasion de beaucoup en apprendre sur les innovations dans le domaine de l’énergie spirituelle. S’il s’était fait une formation accélérée sur les sciences classiques par le biais d'internet, les disciplines inconnues du grand public ne lui étaient pas accessibles. Ce n’est que grâce à l’organisation qu’il a pu atteindre le degré de connaissances qu’il avait aujourd’hui. En parallèle, il avait apporté ses propres recherches et aidé à la mise au point ou l’amélioration de plusieurs projets du groupe. Formé essentiellement de fullbringers comme lui, l’Ultima Necat lui permit d’en apprendre plus sur ses pouvoirs et la façon de les exploiter.

Un projet en particulier attirait son attention. Le Hierophant travaillait sur une expérimentation d’amplification extrême des Fullbrings. Bien sûr, lui n’était encore que peu gradé à cette époque et n’avait pas eu l’occasion de rejoindre les recherches. Toutefois, les discussions de couloirs allaient bon train. À chaque coin du complexe, tout le monde ne parlait que de ça. Certains doutaient, d’autres étaient enthousiastes, d’autres craignaient que cela ne soit dangereux pour la santé... Une seule chose était certaine, le projet Enhanced Fullbring était au cœur de toutes les attentions. Tanjô ne pouvait freiner sa curiosité, il devait absolument savoir comment le Hierophant pouvait bien s’y prendre. Pourtant, aucune information ne filtra malgré ses efforts acharnés.

Les semaines passèrent et l’idée quitta petit à petit l’esprit des gens. Sans aucune nouvelle, les membres finirent par oublier ou penser que le projet était avorté. Jusqu’au jour où un homme fit une annonce. Il faisait partie du groupe qui travaillait avec le Hierophant et ils avaient enfin terminé ! La liesse générale qui suivit cette annonce fut tonitruante. Tous les membres des différentes divisions se réunirent autour de l’homme. Malheureusement, elle retomba rapidement.

-Calmez-vous ! Le prototype est terminé, mais les tests n’ont pas été effectués pour le moment. Nous avons encore besoin de volontaires pour analyser les effets concrets sur l’organisme.

Un silence pesant s’installa. Expérimenter quelque chose qui pourrait tout aussi bien être un poison, nous faire perdre le contrôle de notre reiatsu ou même nous faire exploser ? L’idée n’avait rien de bien attirant. Seule la promesse d’être le tout premier à bénéficier de cette amélioration pouvait être alléchante pour certains. Mais tout le monde pensait qu’il serait bien plus prudent de passer en deuxième ou troisième, afin de s’assurer de la viabilité du procédé. Pourtant, une main se leva immédiatement.

-Shikara Tanjô. Je suis volontaire.

Pour le coup, il ne s’agissait pas de courage ou de volonté de s’améliorer avant les autres. C’était encore une fois la curiosité qui le poussait à agir. Il ne pouvait plus attendre plus longtemps avant de pouvoir observer les mécanismes qui pouvaient être à l’œuvre derrière cette prouesse. Le jeune homme venu du passé s’avança au milieu des murmures. Il suivit le chercheur dans une grande salle et la porte métallique se referma derrière eux dans un claquement sec, suivi du son caractéristique de verrous automatiques. Tanjô se retrouva face à une vision démente. Une machine immense, de plus de cinq mètres de haut, constituée de tuyaux translucides contenant des liquides aux propriétés inconnues trônait au centre de la pièce. Des rouages tournaient dans le vide sans que le sorcier ne puisse déterminer ce qu’ils étaient supposés actionner. Tanjô s’approcha lentement en jetant des regards dans tous les sens pour tenter de comprendre un maximum de choses. Ce qui attira son attention était le grand conteneur derrière la machine qui ressemblait à un réservoir aux parois transparentes.

Une main se posa sur son épaule pour l’inviter à s’allonger sur le support situé en son centre. « Inviter » est un bien grand mot, la pression exercée ne laissait plus de place aux hésitations. À peine se fut-il installé que des sangles sortirent pour l’immobiliser aux poignets et aux chevilles. Dispositif inutile au demeurant car le fullbringer n’avait nulle intention de fuir. Il n’allait pas refuser une chance aussi exceptionnelle de voir de ses propres yeux cette innovation spectaculaire.

À la grande surprise des chercheurs, leur cobaye semblait surexcité. Habituellement, ils avaient plus tendance à être apeurés ou sceptiques. Il mitraillait ceux qui l’entouraient de questions techniques et le mutisme de ses interlocuteurs ne l’empêchait pas de continuer sans cesse. Chaque partie de l’instrument, chaque mécanisme et chaque réactif donnait lieu à une myriade d'interrogations de sa part. Il ne s’interrompit que lorsqu’une porte s’ouvrit sur le côté de la pièce. Ses yeux s’écarquillèrent en voyant un Hollow entrer. Une créature violette au corps de scorpion s’avança en hurlant. Entravé par des arcs électriques provenant d’armes développées au sein de l’organisation, des fullbringers le forçaient à se diriger en direction de la machine.

Tanjô ne comprenait pas ce qu’il se passait mais observait la scène avec attention. La créature fut contrainte d’entrer dans le réservoir et la porte se ferma derrière lui. De sa place, le cobaye pouvait voir la bête immonde se débattre et frapper contre les parois de verre pour tenter de s’échapper. Celui qui semblait mener le projet se saisit de son carnet et leva le bras.

-Combustible en place, activation de la phase 1. Récupération du Reishi.

Des lasers se mirent en marche dans un sifflement suraigu et le Hollow fut transpercé en l’espace de quelques secondes. Son corps commença alors à se décomposer lentement en de fines particules d’énergie spirituelle. La poussière luisante se mit à se propager pour remplir tout le réservoir, le faisant briller de mille feux.

-Phase 2, vite ! Concentration du Reishi.

La machine se mit à vrombir et les rouages se grippèrent dans un grincement. Un piston se mit à pousser une plaque pour qu’elle s’élève à l’intérieur du réservoir, poussant les particules spirituelles vers le haut du contenant. Plus la plateforme avançait, plus le reishi se condensait, augmentant encore la brillance du nuage de poussière énergétique. Lorsque la concentration atteint son maximum, les participants à l’opération durent protéger leurs yeux de leur main tant l’intensité lumineuse était forte. Un instant passa ainsi jusqu’à ce qu’une petite trappe s’ouvre, laissant l’énergie concentrée se déverser à pleine vitesse dans un tuyau pour l’amener au corps principal de la machine. À partir de cet instant, Tanjô perdit le fil, la plupart des opérations se passant en interne. Seules les injonctions du chercheur lui permettaient de savoir à peu près ce qui se tramait.

-Phase 3. Purification du Reishi.
-Phase 4. Dénaturation du Reishi.
-Phase 5. Formatage du Reishi sur la fréquence humaine.

Après une dizaine de phases dont certaines pouvaient paraître totalement obscures, le reishi obtenu à partir du Hollow était réduit à quelques millilitres de liquide vert brillant. Tanjô pouvait voir les gouttes tomber une à une dans une fiole à côté de lui. Il observait les résultats de toute cette machinerie complexe avec admiration. Le plic-ploc incessant avait quelque chose d’hypnotique. Il était réellement possible de réduire l’essence même d’un Hollow à cette simple substance ? C’était fascinant. Connaissant la taille d’un Hollow, il était évident que le reishi qui se trouvait actuellement dans cette petite fiole était concentré comme il était difficilement imaginable.

La dernière opération fut longue. Tanjô ne saurait dire combien de temps il est resté ainsi, allongé à observer les gouttes chuter dans le récipient. Probablement plus d’une heure. Le chercheur s’approcha du cobaye et posa sa main sur son torse. Il ne le regardait jamais dans les yeux, trop occupé à surveiller le bon déroulement de l’opération.

-Préparez-vous. La phase finale est sur le point de se terminer.
-Me préparer ? Je suis littéralement ligoté sur cette table, les préparatifs dont je pourrais m’acquitter sont relativement succincts.

Cette petite touche d’humour n’atteint pas son auditoire. Peu importe, Tanjô était habitué à ce que ses collègues soient trop sérieux. Pourtant, se détendre et rire permettait d’activer l’hémisphère droit du cerveau et pouvait offrir des perspectives sur certains sujets que l’on n’aurait pas envisagées. La dernière goutte finit par venir compléter la solution verte. L’homme récupéra la fiole avec une délicatesse infinie et la versa dans ce qui ressemblait à une énorme seringue, très effilée. Les marques qui étaient gravées dessus indiquèrent qu’ils avaient réussi à produire huit millilitres exactement.

-Ca suffira vous pensez ?
-Ho oui, c’est même probablement trop. Nous verrons bien, c’est pour cela que nous effectuons des tests après tout. Nous allons commencer avec un seul millilitre.

Un bras mécanique s’activa et l’énorme seringue s’éleva pour venir se planter violemment dans le biceps du fullbringer volontaire. Tanjô ne put retenir une grimace de douleur malgré son entraînement. L'aiguille déversa alors une infime quantité de liquide dans les veines du cobaye.

L’effet fut presque instantané. À peine le liquide vert eut-il pénétré dans son organisme que Tanjô ressentit une vive chaleur se répandre dans tous ses membres. Une chaleur intense mais plutôt agréable une fois la surprise passée. Tous les chercheurs étaient penchés au-dessus de leur sujet d’expérience, prêt à prendre en note chaque petite réaction. Le silence était pesant. Le moindre de ses clignements de paupières était scruté avec la plus grande attention. Les secondes s’écoulèrent avec une lenteur insupportable. Après plus d’une minute, Shikara Tanjô se racla bruyamment la gorge, faisant sursauter tous les scientifiques.

-J’ai bien l’impression que ça n’a pas fait grand-chose votre machin... C’est supposé être aussi long ?
-Nous l’ignorons. Vous êtes le tout premier sujet de test.

Le silence retomba. Soudainement, une sensation de picotement lui parcourut tout le corps. Comme un frisson mais qui ne cesserait jamais et qui, au contraire, s’amplifierait encore et encore. Après quelques secondes, tout son organisme vibrait comme s’il était pris de convulsions. Les observateurs s’empressèrent de prendre en note cette réaction inattendue tout en reculant par prudence, ne sachant pas ce qui allait se passer. Le visage de Tanjô se mit à se déformer petit à petit. Sa bouche s’entrouvrit et se tordit sur le côté, tandis que ses yeux se froncèrent et que son nez se retroussa.

-ATCHAAAAA !!!

Le cobaye éternua à en faire vibrer la pièce. Sous l’impulsion, ses cheveux et ses ongles se mirent à pousser d’un seul coup. En à peine une seconde, le sol de la salle fut recouvert de dreadlocks et les murs bardés de griffes propulsées par la déflagration. La panique ne dura qu’un instant. Les chercheurs eurent juste le temps de comprendre ce qui se passait que tout était déjà terminé. Les pouvoirs du fullbringer s’étaient emballés pendant une seconde mais l’effet était passé. Tous se mirent à écrire sur leurs carnets avec effervescence. Tanjô secoua la tête pour faire tomber son surplus capillaire et se permit de faire une remarque sur les effets qu’il avait ressentis. Ces résultats étaient très stimulants. Jamais de sa vie il n’était parvenu à faire pousser ses phanères à une telle vitesse.

Après une rapide discussion entre les membres de l’équipe, une dose de trois millilitres de reichi sembla être la meilleure option pour le prochain test. Bien que personne ne lui ait demandé son avis, le cobaye approuva cette décision, pensant qu’il était important d’augmenter le volume d’injection sans pour autant prendre le risque qu’il ne perde le contrôle ce qui pourrait s’avérer dangereux pour tout le monde.

-D’ailleurs, vous devriez essayer de modifier le...
-Oui, oui, c’est ça, restez bien immobile, s’il vous plaît, le deuxième test va débuter.

Le scientifique en chef le plaqua contre la table sans lui laisser finir sa phrase et leva le bras pour enclencher la seconde phase. Un de ses sous-fifres fit un signe pour montrer qu’il avait compris et tourna une molette. Quelques cliquetis retentirent et la seringue s’activa. Après quelques mouvements dans les airs, elle s’abattit une nouvelle fois dans le bras du fullbringer pour y déverser son contenu.

Cette fois-ci, c’est une douleur insoutenable qui se répandit dans les veines du cobaye. Il se mit à hurler, se débattre et frapper de tous ses membres contre la table. Le claquement des lanières était assourdissant. Pris de panique, les chercheurs s’enfuirent à toute jambe pour aller se réfugier derrière les plans de travail. L’idée fut bonne car des ongles commençaient déjà à fuser dans toutes les directions pour se planter aléatoirement dans le décor. Le corps de Tanjô se cambra en arrière, faisant craquer tous les os de sa colonne vertébrale. Son cri s’amplifia encore sous la douleur. Ses cheveux commencèrent à pousser de façon absurde, mais également ses cils, ses sourcils et tous les poils de son corps. Ils poussaient et tombaient en boucle dans un renouvellement infini. Après seulement quelques secondes, sa tunique se déchira sous la pression de sa pilosité grandissante.

Le scientifique responsable de l’opération fit appeler du renfort pour tenter de stopper son expérience dont il avait perdu tout contrôle. Malheureusement, la salle commençait à se remplir de cheveux à tel point qu’il était devenu presque impossible de s’y déplacer. Les hommes venus prêter main-forte se retrouvèrent empêtrés dans les aberrations capillaires. Tanjô continuait de se débattre tant et si bien que tous les os de ses poignets se brisèrent un par un. D’un coup, un déchirement atroce se fit entendre et le fullbringer se redressa en furie. La chair de ses avant-bras avait lâché et ses deux mains avaient été arrachées sous la force du cobaye hors de contrôle.

Pourtant, en quelques instants, sa peau, ses os, ses tendons, tout se mit à repousser pour reformer les membres perdus. Sa division cellulaire avait atteint un niveau encore jamais vu jusqu’ici. Les chercheurs n’en perdirent pas une miette.

-J’espère que vos avez bien tout noté pour faire un rapport au Hierophant. On ne refera pas ça tous les jours. Attention !

À peine avait il parlé que le chef de recherche dut se baisser en hâte pour éviter une nouvelle salve d’ongles. Tanjô, toujours attaché par les pieds, poussa un autre hurlement, bien plus aigu que les précédents. Des griffes d’une vingtaine de centimètres apparurent au bout de ses doigts. D’un geste sec, il se les planta dans le ventre, libérant une flopée de sang. Instantanément, la plaie se referma comme si elle n’avait jamais existé. Et il recommença. Encore et encore. Ses cris changèrent au fur et à mesure pour se muer en un rire hystérique. Ses mouvements commencèrent à se calmer et la cicatrisation ralentit. Après une minute passée à s’éventrer lui-même en boucle, Tanjô finit par utiliser ses griffes pour trancher les dernières lanières qui le retenaient. Il se leva, nu comme un ver, et observa les hommes qui le scrutaient, effrayés.

-Trèèèèèès intéressant, tout cela. Un peu trop épicé à mon goût, si vous voulez mon avis. Si je ne m’étais pas moi-même blessé pour consommer un maximum d’énergie, je ne sais pas comment ça aurait fini. Je dois admettre que je n’ai jamais vu ma régénération atteindre un tel niveau. C’est vraiment fascinant.

Les savants se relevèrent, interloqués. Loin d’être gêné par sa nudité, leur cobaye continuait de se taillader les bras et le torse en s’amusant de voir à quel point sa cicatrisation était rapide. L’effet s’estompa au bout de quelques minutes, ce que Tanjô remarqua lorsque ses plaies commencèrent à se refermer à une vitesse habituelle. Les chercheurs le bombardaient de questions pour avoir le plus de détails possibles sur ce qu’il avait ressenti, quel degré de conscience avait-il réussi à conserver, au bout de combien de temps avait-il pu reprendre le contrôle... Bien au courant de l’importance de ce genre de données lors d’une expérimentation scientifique, le volontaire leur fournit tout ce qu’il pouvait. L’interrogatoire se poursuivit jusqu’à ce que Tanjô lève le bras pour les interrompre.

-Stop, je suis fatigué et je commence à avoir un peu froid. Il me semble évident qu’il suffit de baisser légèrement la dose, genre 2,4 ou 2,5 millilitres, pour éviter sur je ne sois totalement submergé par cet afflux de reishi et que je garde le contrôle. Si vous avez encore des questions, je serai ravi de vous répondre ultérieurement. Je pense que vous avez déjà assez de données pour améliorer votre formule.
-Bien, nous allons vous ramener dans votre division après vous avoir fourni des vêtements. Nous avons beaucoup de ménage à faire pour le moment. Répondit le chef en montrant les tonnes de cheveux qui jonchaient le sol de la pièce.

Une fois rhabillé, Tanjô sortit donc de la salle escorté par deux gardes qui avaient enfin réussi à se dépêtrer de leur entrave. Arrivé dans sa chambre, après avoir esquivé les questions de tous les badauds avides de réponses, il s’effondra et s’endormit immédiatement.

C’est ainsi que son Enhanced Fullbring fut mis au point, après encore quelques expérimentations pour tenter de trouver la dose parfaite pour allier gain de puissance et maîtrise des pouvoirs. Tout cela lui semblait si lointain à présent. La formule avait été bien améliorée depuis, fort heureusement. Le procédé avait été miniaturisé et accéléré pour prendre de nouvelles formes. Implanté directement dans la tête, conditionné en seringues jetables... Chaque Fullbringer avait ses préférences. Tanjô, quant à lui, avait fait ses propres recherches et était parvenu à changer le reishi en une pilule verte. La même pilule avec laquelle il s’amusait à jongler en ce moment même. Il lui suffisait de l’avaler pour voir ses pouvoirs démultipliés.

-Oui, décidément, elle n’a vraiment pas chômé.