Pas venue pour rien

Le retour sur Terre n’a pas apaisé les tensions de la Queen. Trop de poids pèse désormais sur ses épaules. Les menaces imminentes sont constamment présentes dans son esprit. Elle affiche alors un air renfermé, presque contrarié en permanence. On ne peut vraiment dire que cela change d’avant, car avant, elle portait un masque qui lui couvrait entièrement le visage. Désormais qu’elle n’avait plus de raison de vouloir le cacher, elle n’en faisait plus usage.

Lors d’une de ses visites à l’étage des Cups pour suivre l’avancée des préparatifs pour la réparation le l’extracteur de Reishi, elle en profita pour prendre le temps de discuter un peu, plus ou moins longtemps selon son intérêt avec les membres de cette section. C’est ainsi qu’elle parvient jusqu’à une sorte de forge où œuvre un énième rouquin. La coïncidence la fait sourire légèrement. Cela pourrait presque être défini comme une marque de fabrique des Fullbringer. Ou même un gène associé qui favorise le développement des pouvoirs et de la maîtrise de l’âme des choses.

Doucement elle s’approche afin de ne pas surprendre l’homme ce qui risquerait de lui faire rater une manipulation minutieuse s’il en est. A vrai dire, elle ne peut pas trop juger. C’est qu’elle ne s’y connaît pas tellement en forge, mais alors qu’elle avance, une idée germe dans son esprit. S’il accepte de l’aider, elle ne sera pas venue pour rien. Contournant les obstacles, Recca fait en sorte de se placer face à lui et se racle la gorge.

« Salut. Recca, Queen of Clubs. Je voudrais discuter. Tu peux… Continuer à faire tes trucs en même temps bien sûr. » Elle tutoie tout le monde ou presque, c’est ainsi et elle se moque que cela puisse choquer.

Avec application, le revenant examine la pièce qu’il fabrique, vérifiant que cette dernière répond au standard demandé par l’équipe de scientifique. Son regard est suffisamment entraîné pour n’avoir besoin que de peu d'instruments de mesure pour constater ou non de cette bonne conformité. Encore quelques réglages pour que cela convienne, songe t-il avant de se remettre au travail avec son sérieux usuel. Il préfère de loin forger des sabres ou d’autres lames, mais il n’est pas payé uniquement pour cela au sein de l’organisation. Par le passé aussi, il n’était pas cantonné à cette unique tâche, bien qu’il en était devenu par la force des choses un spécialiste.

Néanmoins, avant qu’il ne puisse ajuster sa réalisation, une personne entre dans son domaine. Une femme. Encore. Il la détaille un instant avant de se replonger dans ce qu’il était en train de faire. Un travail qui nécessite une certaine minutie et qui, malgré les paroles de la dame, le laisse pour l’heure concentré. Il tique néanmoins sur l’utilisation d’un terme lorsqu’elle lui adresse la parole après une légère toux pour attirer son attention.

Ses trucs ?

Le forgeron contemple la pièce qu’il a dû forger dans le cadre des réparations à faire sur le réacteur qui avait été brisé dans le monde blanc, avant que ses prunelles mordorées ne reviennent se poser sur la dame face à lui. « Mon travail, vous voulez dire. » Le ton est neutre tout comme l’expression qu’il arbore. Usuel quand il s’agit du forgeron si tant est qu’on le connaisse suffisamment pour le savoir.

Pourtant, il délaisse sciemment ce qu’il faisait, croisant les bras en rentrant ses mains dans les manches de sa veste de kimono sombre. Comme de coutume, ses vêtements sont plus traditionnels à son époque qu’à celle d’aujourd’hui, portant kimono et hakama sans vraiment prendre ombrage des regards ou de ce que certain appellerait une excentricité de sa part. En cela, cette journée ne fait pas exception. Nulle personne ici bas ne l’aura vu arborer une tenue actuelle.

« Shinken Katsuo. » déclame-t-il finalement en réponse à son intervention, inclinant légèrement la tête dans un salut poli comme il en est de coutume au sein de leur pays. « De quoi souhaitez vous me parler, Dame Akashiya ? » Il la connaît. Quand bien même n’est il pas homme à beaucoup s’intéresser à la hiérarchie au sein de l’Ultima Necat, il sait qui en sont à la tête. Et elle en faisait partie en tant que Queen of Clubs.

« Voilà, c’est ça. Ton travail. »

Trucs désignait surtout ces pièces qu’il fabrique et dont elle ne connaît ni le nom, ni l’usage. Ce qui, soit dit en passant, ne la dérange absolument pas puisqu’elle n’y porte aucun intérêt. Ce n’est pas qu’elle soit égocentrique au point de ne s’intéresser qu’à ce qui la concerne, mais elle n’a pas de temps à perdre en ce moment. Une guerre se profile, et elle doit optimiser ses actions et son temps pour faire tout ce qui est en son pouvoir afin de s’assurer la victoire. Et s’ils perdent au moins, elle n’aura aucun regret. On ne pourra pas dire qu’elle n’aura pas tout tenté.

On ne peut pas dire qu’elle connaisse tout le monde à l’Ultima Necat. Cela ne fait que quelques mois qu’elle est ici à présent et très souvent, elle a passé son temps sur le terrain ou dans des salles d’entraînement lorsqu’elle n’était pas tout simplement à bosser dans une supérette. Alors si elle est ici, c’est parce qu’elle a entendu parler de lui. En cherchant des personnes que Miyu aurait pu côtoyer, on lui a indiqué le forgeron.

« C’est justement pour ça que je suis là. J’ai cru comprendre que tu excellais dans la fabrication d’arme, je me trompe ? »

Sans gêne, elle l’observe. Sa tenue détonne vis à vis de ce qui se fait habituellement. N’étant pas sans savoir que parmi eux se trouvent des personnes venues d’une autre époque, elle se dit qu’il pourrait être l’un d’eux, à moins que ce ne soit juste une lubie. Il n’y a pas de jugement dans son regard. Après tout, l’homme qu’elle porte dans son coeur est les deux à la fois, un revenant doté d’une personnalité décalée. C’est peut-être pour cela qu’elle s’est éprise de lui d’ailleurs, parce qu’il est différent des autres.

« J’sais pas si t’es au courant, mais au Hueco Mundo ça bouge en ce moment. On risque d’avoir pas mal d’ennemis à gérer. Alors j’aurai besoin de quelque chose de mortel pour les éliminer. Ce serait dans tes cordes ? T’as le temps de me faire ça assez vite ? Disons que j’suis pas sure qu’ils attendent très longtemps avant de tomber sur nos installations... »

La demande est personnelle, mais à des fins qui ne le sont pas. Plus elle sera forte et mieux ce sera pour l’organisation et son but de sauver l’humanité.

Malgré les paroles qui auraient pu paraître un rien froissantes à tout autre individu, Katsuo demeure égale à lui-même, offrant à la dame son habituelle expression neutre comme toute fassade. Il n’y a dans son regard, aucun jugement ou mépris, ni même une once de colère ou de fierté blessée, il attend seulement de savoir ce qu’elle attend de lui et ce pour quoi elle est venue ici. Car il semblerait qu’elle n’était pas venue jusqu’à sa forge dans le simple but de le saluer comme cela aurait pu arriver. Et ce qu’elle demande par la suite le lui confirme volontier.

Exceller dans la fabrication d'armes. Alors c’est dans ce cadre qu’elle vient à lui, par rapport à son travail.

Il acquiesce d’un signe de tête, bien que cela lui semble bien superflu au vu de l’endroit dans lequel ils se trouvent actuellement. « En effet. » Son ton n’a rien d’arrogant, pour autant, il ne se permet nulle parole qui pourrait rendre ses dires plus humbles. Il est doué dans son domaine, et c’est un fait avéré sur lequel il n’a aucune raison de revenir. Et en cette ère, son talent n’en est pas moins d’une certaine rareté. Ses mains demeurent toujours dans les manches de son haori, attendant que la demoiselle continue et précise sa demande.

Le Hueco Mundo. Ses paupières s’éteignent un instant à cette mention avant que ses prunelles ne viennent contempler le composant qu’il forgeait. Pour être au courant, il est en effet bien au courant de ce qui est arrivé, et n’est pas sans savoir des risques que cela comporte vis à vis de l’accord réalisé avec les créatures du monde blanc. Une situation délicate qu’il aurait bien volontiers ignoré si on ne l’y avait pas impliqué.

Sa tête s’incline légèrement sur le côté à la fin des dires de la jeune femme. Une demande plutôt vague au final qui le laisse un rien perplexe. Un peu trop pour qu’il puisse réellement répondre à la question qui lui est posée. « Toutes les armes que je forge sont mortelles si tant est que celui la maniant sache l’utiliser. » Une bonne arme entre les mains d’une personne incapable de la manier convenablement ne sera guère plus dangereuse pour les autres que pour lui même. Non pas qu’il dit ici qu’elle ne serait pas capable de manier une arme, il énonce juste un fait avéré.

Combien était-il venu le voir, espérant une arme leur permettant d’être doué dans un domaine qui leur est pourtant étrangé ?

« Mais pour répondre à votre question, j’aurai besoin de plus de précision sur l’arme que vous souhaiteriez que je vous forge. » Car sans cela, il est difficile pour lui de ne faire ne serait ce qu’une estimation de son temps à passer à la travailler. Et c’est sans compter les éléments qu’il devait réaliser dans le cadre des réparations à effectuer. « Vous pensez à un type d’arme en particulier ou vous n’avez pas la moindre idée ? » Cela lui permettra déjà d’y voir un peu plus clair, car pour l’heure, cela reste plutôt flou. Et ce ne sera qu’après avoir obtenu ces informations qu’il pourra savoir le temps qu’il aura à y consacrer.

La rouquine acquiesce brièvement. L’homme face à elle semble des plus professionnels et cela lui convient parfaitement. Peut-être a-t-elle semblé rude pour sa part. Aurait-il préféré une visite de courtoisie ? Ce serait pour une prochaine fois. Là elle a une forte pression sur ses épaules qui la fait aller droit au but sans chercher à enjoliver ses paroles. Il n’est pas exclu qu’elle se détende après avoir passé sa commande, tout dépendrait de la tournure des choses et pour l’instant, cela venait à peine de commencer alors il est impossible de planifier véritablement quoi que ce soit.

« Bien. Je pense à trois lames. Deux jumelles, et une autre plus… Particulière. Les jumelles serait des dagues, de la longueur de mes avant-bras. » Taille parfaite pour une meilleure maniabilité. « Je les souhaite doublement incurvées d’un côté, triplement de l’autre. Poignée enrubannée de cuir et une garde rectangulaire. Et j’aimerai des motifs sur le flanc de la lame. » Pour le style. Sachant que des mots ne suffiraient pas, elle sort de sa poche un dessin qu’elle avait fait afin que ce soit plus clair. Il est clair que ça demanderait plus de boulot que pour une dague classique, mais cela restait dans le domaine de la forge pue et dure contrairement à sa demande suivante qui sortirait davantage de l’ordinaire.

Clairement atypique, et si l’on n’était pas à l’Ultima Necat, elle relèverait de la science fiction. « Pour la troisième, je souhaite un simple kunai, voire plusieurs en cas de besoin. » Jusque là pas de soucis, au contraire. C’est après que les choses se corsent. « Faits d’ un genre de nouvel acier corrosif pour les êtres spirituel. C’est particulier, mais Diamond m’a recommandé d’aller te voir pour ça. Donc… Je suis là. Est ce que ce serait dans tes cordes ? »

Si quelqu’un ici est capable d’allier métal et savoir faire de l’Ultima Necat, cela ne peut être que lui. En tout cas, Nine et la Queen en sont persuadés. D’ailleurs, en mentionnant ce dernier, elle espère aussi marquer quelques points en sa faveur. Devant tant de neutralité, difficile d’avoir une quelconque idée sur ce qu’il peut penser d’elle. C’est qu’il est vrai qu’elle n’est pas du genre à faire dans la dentelle.

Un haussement de sourcil est premier à lui répondre. Trois lames ? Cela prendra forcément plus de temps à forger qu’une seule, néanmoins, il la laisse continuer, ne pouvant s’empêcher d’afficher sur son visage quelques troubles émotions. Le haussement de sourcil premier devient froncement lorsqu’elle fait part des particularités des lames réclamées, et qui ne fait que se prononcer à mesure qu’elle s’avance sur ses besoins. Peut être s’est il un instant hausser à la mention de son supérieur. A la fin de son discours, lorsqu’elle lui demande si il est capable de forger de telles armes, le revenant laisse le silence s’étirer, son regard examinant le dessin qu’elle lui a présenté attentivement.

Et puis il finit par reprendre la parole de cette même voix calme et experte. « Je peux imprégner les armes que je forge de mon pouvoir pour qu’elle puisse blesser les êtres spirituels. Pour rendre une de ces lames corrosives, il me faudra quelques ajustements mais cela devrait être possible. » Autant commencer par la dernière question posée. Tout du moins pense t-il que cela sera possible avec le bon acier. Son regard ne s’est pas relevé vers la dame à ses mots, continuant d’examiner le dessin, une main venant rejoindre son menton en proie à une certaine réflexion.

Une idée de lame pour le moins inhabituelle à ses yeux, lui qui est plus coutumier des sabres japonais et de leur particularité usuelle. Avec les éléments sur papier, il parvient plus aisément à saisir les demandes de la jeune femme qui à l’oral, lui semblait plutôt abscon. Au vu de sa particularité, les lames ne pourraient avoir les caractéristiques de ses sabres. La finesse et le tranchant d’un katana ne supporterait pas ces multiples courbures et craquerait au moindre contact trop puissant. Les dagues devraient être épaisses, et le métal plus lourd. Pour autant, il ne pourrait pas faire l’impasse sur leurs tranchants.

Le forgeron se redresse finalement, ses prunelles mordorées venant de nouveau de poser sur la Queen. Dans son regard, un éclat semble y scintiller. Une lueur d’intérêt. Depuis son arrivée au sein de l’Ultima Necat, il avait déjà réalisé des commandes sur mesure, certaines plus extravagantes que d’autres. Pour autant, plutôt que de se cantonner à ce qu’il savait faire, ce qu’il avait l’habitude d’effectuer, le revenant trouvait dans ses demandes des défis à surmonter, poussant ses connaissances et ses compétences plus loin qu’il n’aurait pu le laisser supposer.

« Je ne suis pas coutumier de ce genre de lame, elles ont leurs particularités pour lesquelles il faut trouver un bon équilibre. Trop lourdes et vous ne serez pas capable de les manier comme il le faudrait. » Les dagues sont faites pour être rapides et mortelles. « Trop légères, elles se briseraient à la première escarmouche. » Il réfléchit déjà au métal ou à l’acier qui serait le plus efficace pour combiner la robustesse et la légèreté demandée, mais il ne laisse pas ses pensées vagabonder d'avantages. « Utilisez vous déjà des dagues actuellement pour vous battre ? » Il laisse la question en suspens un instant avant de reprendre après l’avoir examiné. Dans son regard, il n’y a rien d’inconvenant mais plutôt une analyse purement martiale, presque froide. « Pourquoi avoir choisi les dagues ? » Une véritable question sans mépris ou jugement.

Dans la voix de cet homme, aucune émotion ne semble transparaître. Il est alors impossible de savoir ce qu’il peut penser d’elle ou de ses demandes pour le moment. Certes, elle n’est pas là pour se faire des amis, mais pas des ennemis non plus. L’inconvénient lors qu’une personne est si imperméable, c’est qu’il est difficile d’adapter ses propos. Recca n’est pas du genre à mentir ni à brosser dans le sens du poil pour faire plaisir. Les curseurs se trouvent davantage dans les degrés de bienveillance et d’humour. Donc si elle ne prend pas ombrage de l’attitude fermé du jeune homme, cela la dérange. En ce qui concerne la première raison de sa présence, sa commande, il n’y a pas de problème, mais elle voit comme un mur se dresser en obstacle potentiel à la seconde raison.

Bon, au moins pour ses lames cela semble être dans ses cordes. Il a l’air d’avoir trouvé solution à sa demande la plus extravagante. Recca est rassurée car c’est le plus important à ses yeux. Et finalement, elle croit reconnaître l’intérêt dans son regard. Potentiellement un terrain d’entente qui permettrait de le rendre un peu plus loquace. Voilà qui était un peu plus réjouissant et la rendait un brin plus optimiste.

Ses prunelles ambrées observent les armes rangées là. Certaines probablement en attente que leur futur propriétaire viennent les chercher, d’autres certainement la propriété même du forgeron. Beaucoup de sabres, voilà qui devait être son domaine d’expertise.

« Actuellement non. Je manie le Kyoketsu Shoge. »

D’un geste de la main, elle indique l’arme accrochée à sa ceinture. Une très longue chaîne aux l’extrémités de laquelle se trouvent un anneau tranchant et une petite dague. C’est l’objet mortel le plus difficile a manier qu’elle ait eu à maîtriser. Un challenge qu’elle avait souhaité relever et aussi une façon de se battre particulièrement belle et remarquable.

« Mais les dagues ont également fait partie de mon entraînement, comme le sabre et d’autres types de lames. Je me suis spécialisée dans le Kyoketsu Shoge. Cependant, j’ai atteint une certaine limite. Une limite que je dépasserais aisément avec des armes plus facilement maniables et plus redoutables. Je vois aussi le côté pratique. Avec le Kyoketsu à la ceinture, j’imagine très bien le duo de dague être fixé dans mon dos. Je ne souhaite pas m’alourdir à la taille, cela modifierait trop mon équilibre et gênerait mes mouvements. »

Ses yeux se posent sur le dessin de ses dagues si particulières. Elle aurait pu faire dans la simplicité, mais alors cela n’aurait pas eu la même importance pour elle et elle ne serait pas venue ici pour demander à ce qu’elles soient forgées sur mesure. A ce stade, autant prendre n’importe quelle lame.

« Celles-ci me ressemblent. J’suis pas tordue hein ! Mais disons que cela représente assez bien ma vie, sinueuse, loin de la droiture et du long fleuve tranquille. Il y a quelque chose qui me touche personnellement et je pense que plus une lame est importante à nos yeux et mieux on la manie. Qu’en penses-tu ? Est ce qu’il y a une lame qui a une importance particulière, une histoire peut-être qui se démarque à tes yeux ? »

Patient, il attend les réponses de la queen. Nul jugement ne vient ternir son expression, seul l’attente demeure. Peut-être trouvera t-elle ses questions étranges mais il est important pour lui de comprendre la raison qui l’a amené face à lui. Certes, il est doué dans ce qu’il fait et aujourd’hui, après plusieurs années au sein de l’organisation, la plupart de ceux utilisant une lame savaient qu’il y avait ici une personne capable de répondre à leurs attentes. Une personne capable de forger une arme qui conviendrait à leur bras et à leur style de combat. Néanmoins, tous ne venaient pas forcément le voir non plus.

Et pour un forgeron, il est important de parvenir à cerner les attentes du client, quel qu’il soit et qu’importe l’envergure de la commande en question.

Le regard d’ambre du revenant se pose sur l’arme à sa ceinture. Une arme qu’il n’a lui-même jamais manié et qu’il est donc bien loin de maîtriser. Néanmoins, il possède quelques connaissances à ce sujet. Il sait qu’il s’agit d’une arme difficile à manier et en devenir expert nécessite du talent et beaucoup d'entraînement. Les dagues à côté sont bien moins complexes, mais nécessite d’être plus proche de sa cible… deux armes qui peuvent devenir complémentaires en sommes.

Lui ressembler…

Son regard retombe sur ce dessin de dagues sinueuses. Une partie de la personnalité de la Queen se retrouve dans les courbes et les traits de ces lames esquissées sur du papier. Ses prunelles mordorées se posent de nouveau sur la dame après sa question, peut-être un peu surpris d’être ainsi pris à parti mais il finit par répondre. « Il y en a oui. Les lames que j’ai forgé pour des personnes qui étaient proches de moi ont été celles qui se sont révélées les plus importantes à mes yeux. » Le ton de sa voix demeure factuel, pourtant, quelque chose l’habille d’un rien de chaleur qui disparaît dès lors qu’il reprend, ne s’attardant pas plus que nécessaire sur ce sujet. « C’est important qu’une lame reflète son propriétaire, tout comme il est important que le forgeron qui la forge comprenne les attentes de son client. » Une adéquation nécessaire pour que l’un puisse faire transparaître l’autre dans son travail.

Le revenant s’écarte de son établi en venant récupérer entre ses doigts une lame courte au fourreau sombre jusqu’alors dissimulé dans la ceinture de son obi. Un murmure et le tanto devient un sabre irradiant d’un pâle halo. Son fullbring. Concentrant ses pensées, le forgeron fait naître dans sa main libre des courtes lames. Des dagues à l’apparence simple, plus courbées que d’ordinaire qu’il finit par tendre à la dame pour qu’elle puisse s’en saisir. En main, les lames seront bien équilibrées et de très bonne facture, un ginkgo décorant chaque tranchant. « Elles ne sont pas comme celles que vous souhaitez que je forge mais ça me donnera une idée de la manière dont vous allez les manier. »

En parlant, l’homme vient se placer dans une zone dégagée, sa lame toujours dégainée avant de faire face à la Queen. « Si vous me le permettez Dame Akashiya, j'apprécierai que nous puissions échanger quelques passes d’arme, si cela ne vous indispose pas. » Pour autant il ne la forcera pas.

Recca s’empare des lames prêtées et les examine un peu. La gravure est jolie et elles sont facilement maniables, voilà tout ce qu’elle en retient. A ses mots, son invitation de le rejoindre, elle relève la tête en la direction du forgeron et opine simplement. On dirait qu’elle avait la tête ailleurs, perdue dans ses pensées l’espace d’un instant. Peut-être repensait-elle à ce qu’il avait dit. Et mine de rien, cela l’intriguait. C’est un sujet qu’elle a tout ç coup envie d’approfondir. Probablement qu’elle va mettre les pieds dans le plat, mais cela revêt une importance personnelle. En avançant dans sa direction, elle pose alors ses questions.

« Vous avez débarqué à cette époque, en ne connaissant plus rien ni personne. Pensez-vous pouvoir dire aujourd’hui que vous avez réussi à vous adapter, vous intégrer ? Arrivez-vous à considérer notre temps comme le vôtre ? Vous êtes vous fait des amis ? »

La rousse raffermit sa prise sur ses lames, s’assurant de les avoir bien en main, puis se met en garde. Au début, elle reste immobile, attendant de voir si le forgeron fait de même ou s’il est plutôt du genre à réagir à l’instinct. Attaquer par surprise ici n’est pas utile. S’il doit la voir en action, il vaut mieux pas qu’elle cache ses intentions. Et puis, il serait dommage de le blesser. La situation l’a rendue bavarde en plus. Et elle sait que ses question peuvent dérouter, ou être prises comme trop intrusives, alors elle se permet de s’expliquer.

« Vous n’êtes pas le seul revenant ici. Vous devez connaître le King of Coins je présume ? Il compte beaucoup pour moi et je me demande à quel point ça doit être difficile pour vous. Je sais que vous êtes différents et que chacun gère la situation à sa façon, mais j’aimerai mieux comprendre si vous le voulez bien. »

Elle secoue la tête comme pour se réveiller et se concentrer sur sa prochaine action. Avec vivacité elle avance un pied et tente une percée sur le flanc opposé du jeune homme. L’autre lame quant à elle vient surprendre en flirtant avec la lame du forgeron pour contrer sa parade et tenter un passage en force.

Visiblement, la Queen ne semble pas indisposée ou outrée par sa demande puisqu’elle s’empare des dagues et vient se positionner face à lui. Une légère inclinaison de sa tête la remercie de son investissement. Sans doute cela peut-il paraître cavalier d’ainsi agir mais il a toujours trouvé que les actions avaient plus de poids que les mots, et cela était à ses yeux d’autant plus vrai dans le cas de la forge. Forger une arme en comprenant le style de combat de son client lui permettait toujours de mieux cerner ses attentes et ses besoins. Des besoins qui ne sont pas toujours transmissibles par de simples paroles. Ils ne se considèrent pas comme un excellent combattant, loin s’en faut mais il possède de bons yeux et une bonne analyse sur le sujet.

C’est ce qu’on lui répétait souvent à l’époque.

Pourtant, au lieu de faire parler les lames, se sont d’abord des paroles qui sont échangées. La dame lui pose des questions qui lui font perdre un instant son expression concentrée pour une mine un rien troublée, les sourcils froncés. Comme un coup porté, non pas avec des armes mais avec des mots. Il ne faut qu’un instant pour que son visage se recompose et que la neutralité reprenne sa place. Ses paupières s’éteignent, le silence est seul à lui répondre avant qu’elle n’explique le fond de ses pensées, la raison de ces interrogations. Il ne répond pas, reste dans l’attente alors qu’elle finit par se lancer.

Il analyse, examine, nulle parole n'effleure ses lèvres alors qu’elle virevolte, vive sur ses appuis, mais faisant preuve de plus de force qu’il n’aurait pu le soupçonner au vu des armes utilisées. Sa lame glisse sur la lame de la dague, parant un des coups avant d’esquiver l’autre. Même si il n’est qu’un forgeron, ses gestes sont sûrs, la maîtrise de son sabre, évidente. Il parre, attaque, esquive sans geste inutile, analysant les réponses de la dame aux dagues, comprenant ses mouvements, sa façon de bouger et d’attaquer en parvenant à se caler à son rythme.

L'échange dure plusieurs minutes avant que d'un mouvement, il finit par s’écarter après une dernière passe d’arme. Il ne cherche pas à gagner aussi c’est sans formalité qu’il laisse de côté cet échange sans éprouver la moindre frustration à ne pas le terminer. « Je vous remercie d’avoir accepté ma requête. » Il n’a pas oublié ses questions même si elles ont été laissées de côté jusque-là. Entre ses mains, le sabre reprend sa forme de tanto alors que les dagues entre les mains de la Queen se désagrègent entre ses mains.

« Je pense que vous devriez poser cette question à la personne concernée. Vous l’avez dit vous même, nous sommes tous différents et nous vivons cette incarnation différemment. Connaître ma façon de le vivre ne vous apprendra rien sur le King. » Lui en particulier est très différent du King of Coins pour le connaître. Ils sont aussi opposés que le jour et la nuit, et probablement moins complémentaires qu’ils ne le sont. Par ailleurs, c’est un sujet sur lequel il ne veut pas s’étendre. Le forgeron se rapproche du dessin avant de reprendre. « Je cerne mieux votre façon de combattre et vos besoins, je devrais pouvoir m’occuper de votre commande dans les prochains jours. J’aurai peut-être besoin d’un peu plus de temps en ce qui concerne votre première demande, cela me nécessitera un peu plus de recherche. »

Ses prunelles mordorées se tournent vers la dame. « Est ce que cela vous convient ? »

Il reste silencieux à ses questions et Recca sent bien qu’il n’est pas pr^t à s’ouvrir sur ce genre de sujet. Elle cerne aisément les signes qui ne la trompent pas. Mieux que d’autres certainement. Il fut une époque, presque toute sa vie, où elle rechignait à raconter la moindre chose pouvant la concerner et étant personnel. Et c’est parce qu’elle comprend qu’elle respecte cette réserve et décide de ne pas chercher à en savoir davantage. Quand les gens ont une bulle autour d’eux, il faut les laisser l’ouvrir de plein gré. Forcer le passage n’apporte rien de bon. Inconfort, méfiance, rejet, voilà ce qui attend qui n’est pas expert en manipulation. Quant à ces derniers… Rien qu’en pensant à ce type de personne, elle en a des frissons dans le dos. Vraiment pas des personnes convenables.

Dommage pour la mission secrète qu’elle s’était donnée. Difficile de croire qu’il s’était rapproché de Myu. Et vu comme il était peu enclin à donner des informations sur lui-même, elle doute qu’il en donne sur quelqu’un d’autre. Les passes d’armes ont lieu et finalement elle obtient des réponses, enfin, si l’on peut appeler cela des réponses. Retour à l’envoyeur ou presque.

« Si je voulais son avis je le lui aurais demandé directement. »

Autrement dit, ces questions étaient destinées au forgeron. Mais elle se garde bien de le lui dire ouvertement. Ils ont fait connaissance, c’est déjà un premier pas. Il y en aura peut-être d’autres par la suite ou pas en fonction de s’ils sont amenés à se revoir plus ou moins rapidement.

« Merci. Ça ira très bien. Je vous laisse travailler, je ne vous dérange pas plus. »

Sur ce, s’il n’a pas besoin d’elle pour autre chose, elle s’éclipsera.