The Flame in All of Us

Artemio s'était retiré au cœur du désert.

Son affrontement avec Riful, il y a quelques temps de cela, lui avait donné matière à penser. C'était, après tout, la première fois depuis son retour qu'il se battait sérieusement - tout du moins, aussi sérieusement qu'on pouvait le faire sans activement chercher à prendre la vie de son adversaire.
Or, ceux à même de lui opposer une réelle résistance étaient rares, et plus encore ses occasions de les rencontrer là où il ne pouvait être vu. Si ce n'était désormais plus une préoccupation - Aviela y avait veillé -, il devait également s'assurer de n'avoir pas de spectateurs, s'il voulait pouvoir déployer ses pleins pouvoirs.
Ou en tout cas, de ne pas laisser de témoins.

Tout cela faisait que l'opportunité avait mis un certain temps à se présenter - des années, en vérité. Et s'il n'était pas aussi avide de violence que ces charognards de Las Manadas, il devait admettre qu'il était bon de se défouler, une fois de temps en temps, si bien qu'il en était venu à attendre cela avec une certaine impatience.
Et il avait été déçu.
Non pas de son opposante, qui avait livré une performance plus qu'honorable, digne du titre de Vasto Lorde... Mais de lui-même ; ce qu'il avait montré était inférieur à ses attentes, aux standards qu'il avait à son propre égard.
L'inaction et le manque de pratique pouvaient en être la cause, mais le temps était relatif pour ceux de leur espèce. Qu'était-ce que quelques années de repos, quand on en avait déjà vécu plus de mille ?
Non, il n'y avait aucune raison pour que ses pouvoirs aient diminué de cette manière. Oh, cela restait très respectable - plus que ce que beaucoup de ses congénères pourraient un jour espérer atteindre -, mais il en attendait davantage de son formidable potentiel.

Naturellement, il s'était posé des questions sur la cause de cette insuffisance, et en était finalement arrivé à une conclusion : ce n'était pas qu'il se sentait faible, non... Mais plutôt qu'il se sentait incomplet. Pendant un temps, il s'était demandé si cela avait quelque chose à voir avec son changement d'état : il était vrai qu'il n'avait pas duré si longtemps en tant qu'Arrancar avant de trouver la mort, pas plus qu'il n'avait eu l'occasion de s'habituer à la façon dont cela modifiait ses capacités.
Il était absurde de penser que le processus - censé le rendre meilleur, même si ce n'était pas son but premier en l'accomplissant - ait pu faire de lui moins que ce qu'il était avant d'en prendre le risque. Certes, il était question d'arrancarisations ratées, mais ceux qui en faisaient l'objet devenaient des monstres difformes, desquels dire que leur forme était « humaine » serait une insulte au terme lui-même. Artemio n'avait pas grande considération pour la race humaine, mais tout de même !
Et surtout, en ce qui le concernait, hormis une taille en-dessous la moyenne, il n'avait pas l'impression d'avoir à déplorer la moindre anomalie. De même, ses techniques spirituelles, quant à elles, paraissaient parfaitement fonctionnelles. Non ; ce n'était que quand il tentait de reprendre son ancienne apparence que quelque chose lui semblait anormal, comme si ça ne marchait pas tout à fait, pas autant que cela le devrait.
Bien sûr, l'aspect qu'il prenait en libérant son sabre n'était pas exactement le même que celui qu'il avait précédant sa transformation ; c'était certes un « retour en arrière » en cela qu'il se rapprochait de ses - flamboyantes - racines, mais il ne redevenait pas un Vasto Lorde dans les moindres détails. Une partie de lui, de ce qui le définissait en tant qu'être s'était détachée de lui pour prendre la forme d'une lame ; la réintégrer remédiait à cette séparation, mais ce qui a été séparé ne peut pas être réuni si facilement.

Alors, lors de sa longue traversée du Désert Blanc - à pied et non au moyen de quelque Sonido ; il voulait prendre son temps -, il s'était demandé si son retour à la vie avait quelque chose à y voir.
Que cela lui plaise ou non, il n'avait pas ressurgi par ses propres moyens ; il avait été aidé, si l'on peut dire. Lui et d'autres ; tous ceux que ce « Satsubatsu Kyōaku » avait ramené des méandres de l'oubli. À ce titre, il dépendait - ou avait dépendu - de lui, autant qu'il déteste se sentir redevable.
Il n'avait après tout rien demandé - il aurait été fort en peine de le faire, puisque n'étant plus.
Se pouvait-il que le fait de devoir sa résurrection à quelqu'un d'autre - un processus sur lequel il n'avait, encore aujourd'hui, que trop peu d'informations - l'ait altéré d'une quelconque manière ?
Là encore, son propre avis était qu'il était resté le même, mais peut-être sa perception était-elle déformée également. Après tout, sa mémoire elle-même semblait lui jouer des tours, en particulier concernant les circonstances exactes qui l'avaient mené de vie à trépas.

En d'autres termes, il n'était pas plus avancé.

Tout à ses réflexions, il s'était dirigé vers la place forte qu'il occupait lors de ses derniers jours - du moins, les derniers qu'il ait gardé en mémoire. S'il n'avait, pour sa part, jamais cherché à s'installer quelque part - le Hueco Mundo entier était sa demeure -, ses fidèles s'en étaient chargés pour lui, construisant un semblant d'architecture autour des lieux où il reposait son immense carcasse.
Oh, ce n'était rien de très élaboré ; quelques assemblages de pierres plus ou moins massifs, souvent dénués de toits, tandis que les murs servaient de toiles, de papier à dessin pour ceux désirant relater ses exploits.
Ils n'avaient pas besoin de plus. Pourquoi devraient-ils craindre des intempéries ? Le climat était aussi immobile au sein du Monde Creux que tout ce qui le constituait jusqu'au dernier grain de sable - du moins, tant que personne n'était là pour les faire avancer.

Au vu de cette constante inertie, l'on pouvait légitimement se demander quelle force avait démantelé et mis à terre la majeure partie des éléments ayant constitué son domaine, comme il le fit lorsqu'il parvint enfin à destination. Il n'y avait là pas de traces de lutte ou de destruction volontaire.
Le Temps seul s'était chargé de s'assurer qu'il ne laisserait rien derrière lui. Et il n'avait besoin d'aucune aide pour arriver à ses fins.
N'ayant pas d'attachement particulier pour l'endroit - une fois encore, ce sanctuaire était davantage destiné à ses brebis égarées qu'à lui ; preuve en était qu'il n'aurait jamais pu l'accueillir s'il arborait sa taille maximale -, il se demandait lui-même ce qu'il espérait trouver en revenant sur les lieux. Sa gloire passée ? Certainement pas.

Tout le monde n'assistait pas au tournoi - comment pourrait-on envoyer des invitations, alors que nul ne savait quelle taille précisément faisait le Hueco Mundo ? -, mais ce qu'il s'y passait faisait rapidement écho aussi loin que la voix pouvait porter. Même ceux qui n'avaient pas directement assisté à sa performance ne tarderaient pas à avoir une idée - au moins vague - de ce qu'elle incluait.
Dès lors, il ne servait à rien d'essayer d'entretenir un quelconque secret. La discrétion et la tranquillité que lui procurait l'anonymat avaient été plaisantes, le temps qu'elles avaient duré, mais il était trop tard pour cela, à présent.
Et s'ils devaient l'apprendre de quelqu'un, autant que ce soit de lui. Cela éviterait au moins que la nouvelle se propage par le biais de rumeurs, de versions incorrectes ou déformées.

Ainsi, au milieu de ces décombres, de ces pans de murs où des peintures grossières le représentaient, il leva la main et fit entendre un appel.
Quoique ressentir serait plus juste, dans la mesure où ceux qui le percevraient le feraient directement dans leur chair. Il y a de cela mille ans, peut-être plus, Aviela l'avait incité à apposer une marque sur ceux de ses fidèles qui en faisaient la demande. Un symbole, un signe de ralliement.
Ce don insérait une petite partie de son énergie spirituelle au sein de la leur, juste assez pour lui permettre de faire réagir cette empreinte s'il le désirait. Même à découvert, il n'avait pas l'intention de reprendre son ancien statut : il comptait simplement voir combien d'entre eux étaient encore en vie - et combien feraient le déplacement.

Il n'eut pas le temps de se demander si le symbole fonctionnait comme il était censé le faire - il ne l'avait, après tout, jamais essayé ; ils le collaient déjà suffisamment sans en plus les convoquer -, puisque le sol frémit sous ses pieds avant que les premières silhouettes fassent leurs apparitions.
De simples Hollows, trop laids et trop faibles pour être jamais quoi que ce soit d'autre, même après des siècles et des siècles - mais qui, en effet, affichaient fièrement leur emblème, qui sur une partie du corps, qui directement sur le masque. Que ceux-ci ne se soient pas rompus quand il le leur avait apposé relevait pratiquement du miracle ; il n'avait jamais été très délicat.

D'autres ne tardèrent pas à apparaître, qui vivant déjà dans les environs, qui arrivant de très loin pour répondre à son appel. Ils n'étaient pas légions, mais déjà bien plus que ce qu'il s'était attendu à voir ; il était parti longtemps. Ils ne se les rappelait pas à proprement parler, n'ayant tissé de lien avec aucun d'entre eux si ce n'est les rares spécimens à s'être imposés comme étant ses porte-paroles, mais quelques visages - ou plutôt quelques masques grimaçants - lui étaient familiers.

▬ Je ne m'attendais pas à voir autant d'entre vous, leur dit-il d'ailleurs, s'emmitouflant de plus belle dans la large cape qui cachait la majeure partie de sa silhouette. À vrai dire... Je ne m'attendais à en voir aucun. Votre loyauté fait plaisir à voir. Quand bien même il n'en avait jamais requis aucune de leur part, s'étant contenté de les laisser se rassembler autour de lui sans les anéantir. Mon apparence doit certainement vous surprendre, mais... Une partie d'entre vous doit déjà savoir que cela ne change rien à ce que je suis.
▬ Nous attendions votre retour, seigneur, fit l'un.
▬ Nous n'avons jamais douté ! affirma un autre.

Grand bien leur fasse, se dit-il, le visage partiellement dissimulé par son col.

▬ Au risque de vous décevoir, je ne compte pas reprendre ma place. L'Acuerdo a déjà assez de mal à fonctionner avec seulement quatre groupes, il est inutile d'en rajouter un... Et puis, j'ai peu d'intérêt à ce que les choses redeviennent comme avant. Des murmures incrédules parcoururent l'assemblée. De toute façon, la plupart d'entre vous se sont, j'imagine, déjà rapprochés de l'un ou l'autre de ces groupes. Je ne suis pas cruel au point de vous demander de les trahir.

Et, surtout, avoir des espions entre les murs de chaque faction pourrait s'avérer utile.

▬ Enfin, bien sûr, reprit-il en haussant les épaules, si certains d'entre vous souhaitent me rejoindre à l'Escoria, je ne vais pas vous en empêcher. C'est après tout normal de vouloir se ranger sous les ordres du nouveau Primera Espada.

Ce titre ne signifiait rien pour lui, mais il n'ignorait pas pour autant le pouvoir qu'il représentait. Peut-être moins qu'à l'époque de ce « Aizen » dont on lui avait tant rabattu les oreilles - apparemment à l'origine de la naissance de bon nombre d'Arrancars arpentant ces terres encore aujourd'hui -, mais il n'en restait pas moins la plus importante figure d'autorité après les différents chefs de clan. C'était certes moins que ce à quoi il était habitué - moins que ce que ses suivants pensaient légitimes -, mais il s'en satisferait pour le moment.

Tout en parlant, il s'était avancé pour déambuler parmi eux, jaugeant, examinant, tâchant de déterminer lesquels d'entre eux pourraient lui être les plus utiles s'il devait en avoir besoin. Soudain, son regard s'arrêta sur l'un d'entre eux, trop humanoïde pour n'être encore qu'un Hollow. Son visage était un crâne enflammé - un trait qu'il n'aurait pas dû pouvoir avoir s'il n'était pas déjà en état de libération. C'était un Arrancar.

▬ Toi, l'interpella-t-il. Qui es-tu ? Je ne crois pas t'avoir déjà vu.
▬ Lautaro, seigneur.

Ce nom ne lui disait rien. Artemio prit le temps de le détailler.

▬ Tu ne portes pas la marque, finit-il par dire, lorsqu'il s'en fut assuré. Que viens-tu faire jusqu'ici ?
▬ Je n'étais pas encore là lors de votre règne, seigneur, mais je connais votre légende. Je n'existe que pour vous servir.
▬ Ah, vraiment ?...

En entendant la teneur de leur dialogue, les autres Hollows s'étaient écartés pour leur faire de la place, s'inquiétant de la manière dont cela allait évoluer. Il ne pouvait pas leur donner tort.

▬ À vrai dire, tu tombes bien. Tu es un Vasto Lorde, n'est-ce pas ?
▬ Étais, seigneur. Je suis un Arrancar désormais.

Une nouvelle vague de chuchotements fit suite à cette annonce. Les Vasto Lorde - les « Grands Seigneurs », comme on pouvait le traduire littéralement - avaient toujours été d'une extrême rareté, et, à ce titre, d'une puissance tout aussi effarante.
S'il ne faisait évidemment aucun doute qu'Artemio appartenait à cette classe, savoir que d'autres se cachaient dans leurs rangs était une surprise. Cachaient n'était peut-être pas le bon mot ; avec son visage en feu, Lautaro n'était pas exactement discret. Au moins, l'on ne pouvait pas lui retirer qu'il était dans le thème de leur église.
Le Primera Espada acquiesça donc.

▬ Peut-être vas-tu pouvoir me renseigner. Vois-tu, dit-il en sortant sa main de sous sa cape pour observer ses doigts humains, je n'ai pas encore tout à fait l'habitude d'être un Arrancar. Et si la Resurrección me rend bien une forme proche de celle qui était la mienne autrefois, j'ai malgré tout l'impression qu'il manque quelque chose. As-tu une idée de ce que cela peut être ?

Il était évidemment difficile de déchiffrer des émotions sur sa face squelettique, mais Artemio eut l'impression que son interlocuteur était surpris par sa question ; pourquoi, il n'aurait su dire. S'apercevant de son impolitesse, Lautaro s'inclina de plus belle.

▬ Il est possible que vous fassiez référence à la Segunda Etapa, seigneur.
▬ Segunda Etapa ? répéta le Porteur de Flamme, à qui ce terme et ce qu'il pouvait englober était parfaitement étranger.
▬ Oui, il s'agit d'une... Deuxième Resurrección, en quelque sorte, qui nous rapproche encore plus de notre nature primale. C'est une découverte récente, dont le secret est encore bien gardé, mais je ne suis pas surpris qu'un être tel que vous ait perçu son existence par ses propres moyens.

Songeur, Artemio se caressa le menton. Cela expliquerait en effet cette sensation de n'être pas encore tout à fait lui-même, si une partie de ses pouvoirs était cachée derrière ce « deuxième palier ». Bien sûr, connaître son existence ne voulait pas dire être capable de l'atteindre ; il doutait que ce soit aussi naturel que la première Resurrección, que l'on apprenait par la force des choses au moment de retirer son masque.

▬ Et cette... Segunda Etapa dont tu parles, es-tu capable de l'atteindre, Lautaro ?

Il y eut un léger silence. Peut-être le concerné se doutait-il déjà de la façon dont allait tourner cette conversation.

▬ Oui, seigneur. répondit-il néanmoins.

▬ Bien, fit Artemio.

Sous sa cape, son Zanpakutō sortit de son fourreau avec un tintement métallique, et il ne fallut qu'une seconde pour qu'il reprenne sa véritable apparence. Bientôt, il se tint au milieu de ses fidèles comme il le faisait à l'époque, immense, sa silhouette écarlate tranchant radicalement au milieu de ce désert monochrome.
Une vague de chaleur s'écrasa parmi les spectateurs, les obligeant à reculer quand la crainte n'y suffisait pas. Tout Vasto Lorde qu'il soit lui-même, Lautaro se trouva noyé par son ombre, seules les flammes qui léchaient son crâne lui permettant d'y voir encore quelque chose.

▬ Tu ne verras donc pas d'inconvénient à me la céder, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas un pouvoir qui pouvait s'apprendre, Artemio en était persuadé ; et quand bien même ce serait le cas, il n'avait pas l'intention de prendre des leçons auprès de qui que ce soit. Qui plus est, il ne savait rien de ce Lautaro ; même s'il lui jurait fidélité, quelle preuve avait-il que ce n'était pas un traître, un agent à la solde de l'un de ses ennemis - surtout maintenant que l'on savait qui il était en vérité ? S'il lui était aussi dévoué qu'il le prétendait, lui offrir le plus grand cadeau qu'il puisse lui faire ne devrait pas lui poser problème.
À sa grande surprise, non content de ne rien faire pour se soustraire à sa présence menaçante, Lautaro alla même jusqu'à s'incliner de plus belle pour offrir sa nuque osseuse en marque de totale soumission.

▬ Ma vie est vôtre, seigneur. Disposez-en à votre guise.

Cette déclaration lui valut les acclamations de ses pairs, qui avaient semble-t-il compris qu'ils se trouvaient au sein d'une cérémonie, d'un quelconque rite religieux. D'aucuns se contentaient de scander son nom ; d'autres rythmaient cet échange d'une musique tribale, improvisée avec les moyens du bord.
Soudain, il comprit : avoir l'occasion de donner sa vie, donner sa chair à celui qu'il avait choisi pour dieu était à leurs yeux l'un des plus grands honneurs qu'il puisse leur accorder. Après tout, le cannibalisme n'avait rien d'un tabou au sein de leur espèce, qui était contrainte d'y recourir pour continuer à grandir. En se laissant dévorer, il ferait partie de lui, contribuerait à sa grandeur. Ce sort semblait lui convenir.
Au vu de la ferveur religieuse que tout cela avait suscité, il était trop tard pour reculer.

▬ Ton sacrifice t'honore, finit-il par dire. Son énorme main rougeoyante se referma sur le corps décharné qui lui était proposé, et le souleva de terre pour le mettre à sa hauteur. Il le fixa avec intensité, non sans y mettre le respect qu'il avait su mériter de sa part en à peine quelques instants. N'aie crainte. Je ferai bon usage de ce pouvoir.

Subitement, le corps de Lautaro s'embrasa de pied en cap ; un tel rite n'aurait en aucun sens si les flammes n'y avaient pas été mêlées d'une manière ou d'une autre. Avant qu'il ait pu se consumer entièrement, le masque écarlate d'Artemio se déchira pour former une gueule béante, un gouffre dans lequel il s'empressa d'enfourner la carcasse incendiée de son plus récent adepte - de celui qui, sans l'ombre d'un doute, allait le plus lui apporter -, et ce en entier.
De Lautaro, il ne resterait rien, sinon cette force dont il lui avait appris l'existence.

Et effectivement, sitôt après l'avoir ingéré, Artemio sentit son pouvoir grandir, se libérer ; briser ces limites - conscientes ou pas - qui lui étaient imposées. Sa silhouette se fit plus imposante, plus brutale, plus sauvage ; la chaleur qui se dégageait de lui gagna en intensité, calcinant ceux qui se trouvaient encore trop près et ne laissant de trace de leur passage que des cendres.
Oui, c'était ce qu'il lui fallait ; il était à nouveau lui-même, enfin.
Plutôt que de se laisser griser par cette puissance - qui sait quels dégâts il ferait ? -, il se fit violence pour la juguler, l'enfermer à nouveau dans cette épée qui était presque plus « lui » qu'il ne l'était lui-même. À nouveau, il ne fut plus qu'une silhouette enfantine, debout au milieu d'un cratère fumant, au fond duquel le sable s'était changé en verre lui-même noirci par la chaleur.
Il ne l'avait même pas fait exprès.
Lentement, il remonta des profondeurs de ce gouffre, d'une excellente humeur après avoir enfin trouvé la cause de son mal-être et réussi à s'en défaire. Cela lui ferait presque oublier la manière dont Aviela l'avait obligé à révéler son vrai visage - presque. Néanmoins, cette nonchalance ne signifiait en aucun cas qu'il était distrait.

▬ Celui-là essaie de s'enfuir, dit-il en pointant un doigt dans la direction d'un Arrancar aux vêtements un peu trop civilisés pour être comme eux un simple vagabond. Au premier regard, lui non plus ne portait pas la marque, et il n'avait, de toute évidence, par les mêmes intentions à son égard que Lautaro. Attrapez-le.

La peur était certes une réaction légitime après avoir assisté à un tel spectacle, mais Artemio préférait ne rien laisser au hasard. Cette « Segunda Etapa » était un atout dans sa manche, un nouveau secret qu'il allait - devinait-il - lui falloir garder aussi farouchement que celui de son identité avant lui.
Et s'il était évidemment supérieur à la plupart d'entre eux, puisqu'étant un Arrrancar, l'intrus ne s'attendait certainement pas à ce que plus d'une dizaine de Hollows fondent sur lui simultanément sans se poser de questions, avec la ferme intention de le tenir en place.
Toujours sans se presser, Artemio s'en approcha à son tour et s'accroupit pour mieux le dévisager, profitant qu'il soit maintenu au sol. Souriant, il demanda :

▬ Alors, dis-moi... Qui est-ce qui t'envoie ?

Il avait observé la scène, fidèle aux ordres qui lui avaient été donnés. Et la peur avait peu à peu grandi dans son être alors que ce spectacle s'était achevé. Il le savait : il devait avertir son maître au plus vite avant d'être lui-même repéré. Seulement il avait surévalué ses capacités et était désormais sous le feu des projecteurs. Il le savait, il n'échapperait jamais aux griffes de ces créatures qui se jetaient sur lui sans aucune crainte. Il ne parvint finalement qu'à tirer un étrange cero, bleuté, en direction des cieux. Une balise que seul son maître comprendrait.

Plaqué au sol, il le sentait : fuir n'était plus possible. Moins encore alors que ce monstre se penchait sur lui. La peur était palpable. Son regard ne pouvait la cacher. La question vint. Qui l'envoyait ? Il ne pouvait en parler. Il ne pouvait trahir le seul être qu'il respectait vraiment. Ses yeux se fermèrent quelques instants. Lorsqu'il les rouvrit, lui était toujours là.

- Je ne peux trahir le nom de mon maître. Et je devine que cela ne vas pas vous plaire.

Même dans cette situation, il restait respectueux. Qu'importe que l'homme accroupit à ses côtés soit un ennemi, soit capable de le détruire d'un seul geste. A quoi bon jouer les fanfarons ? Cela n'arrangerait pas les choses. Il n'était qu'un soldat, après tout. Un pion sacrifiable.

- Tuez-moi si vous le désirez. Même aux portes de la mort, je ne romprai pas mon serment.

Il y avait de la force dans sa voix, du défi même. La peur disparaissait peu à peu alors qu'il comprenait qu'il arrivait au bout du chemin.

Pendant ce temps là, au loin, l'Empereur réfléchissait. Ce qui se tramait dans ce désert lui échappait encore mais il comptait bien comprendre. Car la connaissance était souvent plus puissante que le pouvoir lui-même. Il perçut le trait d'énergie de son comparse. Comprenant d'instinct que ce dernier avait été repéré. Et si la question d'intervenir se posait, la réponse fut rapide à venir. Il n'y était pas obligé et savait que son soldat mourrait avant d'avoir dévoilé son identité. Seulement l'ancienne Primera avait d'autres objectifs que de seulement cacher qui il était.

Sa vitesse étant ce qu'elle était, il fut rapidement sur les lieux. Un attroupement de créatures faibles et ai centre, perché au dessus de l'Arrancar, Lui. Un étrange sourire apparut sur ses lèvres alors qu'il remettait en place l'une de ses longues mèches blondes. Devinant la nature du problème, il prit la parole, instaurant par la force de sa présence le silence. Ici, en dehors d'Artemio, nul n'était un danger.

- Je te serai gré de ne pas tuer mon serviteur. Je vois que vous venez de faire connaissance...

Une rencontre entre Arrancar pouvait facilement dégénérer. Mais la diplomatie était chevillée au corps de l'Empereur. Il était facile pour lui de prendre la parole et de s'imposer ainsi. Serait-il écouté ? Ici, ce serait une autre affaire.

- Il y a quelque chose de changé en toi. Impressionnant. Disposé à le relâcher ?

S'il n'était pas agressif, on ne pouvait s'empêcher de remarquer qu'il était sur ses gardes. On l'évitait mais un ordre de Artemio pouvait changer la donne.

Les yeux levés vers le ciel, Artemio regarda le Cero finir tiré il y a quelques instants finir de se dissiper dans le firmament obscur. Ce n'était pas une attaque, non ; pas un seul instant n'avait-il cherché à toucher qui que ce soit.
Ce devait être là l'équivalent de ce que les humains appelaient une « fusée de détresse » - l'une de ces innombrables inventions récentes qu'il avait découvert au cours des dernières années.
Le concept lui avait échappé, pour la bonne et simple raison que la notion de détresse elle-même lui était étrangère. Il était un prédateur, l'avait toujours été ; jamais personne ne l'avait acculé. Ainsi était-il parfaitement incapable de comprendre la position dans laquelle se retrouvait son prisonnier - ce qui ne l'empêchait pas d'apprécier sa peur.
Oui ; il avait raison de craindre. Car il était enfin de retour.

▬ Te tuer ? Voyons... Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai de telles intentions ? Sourire aux lèvres, il jeta un oeil autour de lui, aux grappes de Hollows qui n'attendaient que son ordre pour passer à l'acte. Ne t'en fais pas, j'ai bien compris que tu avais envoyé une sorte de signal. Je ne sais pas qui est censé venir te chercher, mais nous allons l'attendre tous ensemble... Après tout, je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose sur le chemin du retour et que l'on m'en tienne pour responsable, pas vrai ?

D'un geste de la main, il incita ses fidèles à reculer, à l'exception de ceux qui exerçaient une prise sur leur invité. Ceux-ci n'étaient que de simples Hollows, de tailles et de formes variables, mais la force du nombre était de leur côté. Il était clair que s'il essayait de se libérer en faisant usage de la violence, il ne s'en sortirait pas qu'avec quelques égratignures. Et à en juger par sa docilité, il avait dû le comprendre ; aussi Artemio n'eut-il plus qu'à s'asseoir sur le rocher le plus proche et à attendre.

Fort heureusement pour lui et sa patience limitée, il n'eut pas à attendre longtemps pour que le principal concerné daigne apparaître devant lui.
Au milieu de la plèbe, de la racaille et de la piétaille se tenait désormais l'empereur, dépossédé de son titre en sa faveur, sans pourtant qu'ils aient eu à s'affronter. Égal à lui-même, celui-ci s'efforça de rester courtois malgré la situation, négociant la relâche de son serviteur. Malgré les braises qui continuaient de briller au fond de son regard, Artemio para son visage d'une certaine candeur.

▬ Ne t'en fais pas. Comme je le lui disais, je me suis contenté de le garder au chaud en attendant que tu viennes le chercher.

Littéralement, puisque, sans avoir cherché à lui causer du tort, le nouveau Primera continuait d'émettre une intense chaleur, inconfortable même pour ceux qui, conformément à ses ordres, avaient capturé l'espion. Aussi est-ce avec un certain soulagement qu'ils reculèrent de quelques mètres après l'avoir relâché, laissant les deux Vasto Lordes à visage d'homme en face à face.

▬ Changé, moi ?... Dubitatif, il leva une main à hauteur de son visage, pour l'examiner d'un côté puis de l'autre. Évidemment, si son aura avait gagné en puissance, il ne présentait aucun changement physique - du moins, pas tant qu'il restait en forme scellée. Il ferma le poing. Peut-être. Je t'avoue avoir plutôt l'impression d'être enfin redevenu moi-même. J'aurais préféré que ça se passe autrement, mais... Il haussa légèrement les épaules. Je suppose que je te dois des excuses pour avoir... emprunté ton numéro. Je peux t'assurer que ce n'était pas dans mes projets.

L'intelligence était réelle chez Artemio et Borick appréciait ce trait de caractère. Il avait compris que quelqu'un allait venir et attendait simplement. Il était toujours plus aisé de converser avec les gens intelligents qu'avec les brutes assoiffées de sang. Bien que parfois, l'un n'empêche pas l'autre évidemment. Il l'observait alors que les autres reculaient. La pression restait pourtant intense, rien d'anormal finalement lorsqu'on connaissait les titres des personnes présentes.

Son serviteur s'écartait, penaud. Et lorsque l'Empereur lui adressa un petit sourire, il baissa immédiatement les yeux vers le sol, sachant qu'il avait fauté. Mais il n'était pas question ici de le rabrouer devant témoin, moins encore alors qu'il se tenait face à la Primera Espada. Emprunter son numéro ? Voilà une phrase qui fit rire le blondinet, qui d'un geste de la main fit mine que cela ne le dérangeait pas.

- Ne t'inquiète pas de cela, il faut dire que je n'ai pas mis beaucoup d'énergie à défendre mon rang. Et je préfère le savoir entre tes mains plutôt que sur une brute incapable de la moindre réflexion. Finalement, un numéro reste un numéro et n'impacte en rien ce que je suis, n'est-ce pas ?

L'Empereur possédait un égo impressionnant, tous le savait. Primera ou autre, finalement cela ne le dérangeait pas tant qu'il savait ce qu'il valait. Et puis à dire vrai, cette place faisait souvent de son porteur une cible privilégiée. Au moins avait-il un léger sursis.

- Ce serait plutôt à moi de te présenter mes excuses. Je ne désirai pas t'espionner. Mais je discutais avec un certain Arrancar quand ce dernier s'est précipité dans le désert sans explication aucune. J'ai donc donné des ordres pour qu'il soit suivi et comprendre la raison de sa défection. Redevenir toi-même, m'as tu dit. Je comprends un peu mieux la situation.

Il fit encore quelques pas pour s'approcher du Primera. Il s'exposait ainsi, il le savait, mais ne redoutait clairement pas le combat. Après tout, à quoi bon cela leur serviraient-ils ?

- Je suis toutefois curieux. Que comptes-tu faire de ce titre, maintenant que tu es redevenu celui que tu étais jadis ?

▬ Oh, je ne t'en tiens pas rigueur. Ce n'est pas comme si je cherchais à me cacher. Plus maintenant, en tout cas. C'est juste que j'ai passé un certain temps ici autrefois, alors ça m'a semblé être le meilleur endroit pour battre le rappel des troupes.

À l'évidence, nombre de ses anciens fidèles gardaient un attachement envers ce territoire qui était le leur - qu'ils considéraient comme un sanctuaire - il y a plus de mille ans de cela. Pas lui ; d'aussi loin qu'il se souvienne, il n'y avait jamais eu d'endroit où il se soit senti chez lui plus qu'ailleurs, où il ait vraiment pris racine. Il allait où il voulait comme bon lui semblait ; puissant comme il l'était alors, le monde entier - ce monde de sable et d'obscurité - lui appartenait. Bien sûr, désormais, certains pourraient y trouver à redire...

▬ À vrai dire, je n'y ai pas encore réfléchi. Si le tournoi m'a permis de constater une chose, c'est que les Espadas ne sont que les pantins des différents « rois »... Ou, du moins, qu'on s'attend à ce qu'ils le soient. Je n'apprécie pas vraiment l'idée de servir quelqu'un d'autre, comme tu peux t'en douter, quel que soit le joli numéro qu'on prétend vouloir me donner... Alors il y a de fortes chances que je fasse ce que bon me semble, surtout maintenant que je n'ai plus à me cacher.

Son sourire s'étira quelque peu. S'il n'avait pas prévu d'être aussi rapidement démasqué - un comble pour un Arrancar -, il n'allait pas se priver de profiter des rares avantages que procurait cette situation. À quoi bon encore prétendre n'être qu'un moins que rien alors que tous savaient ce qu'il en était en vérité ?
Après l'avoir appris, les chefs de clans eux-mêmes devaient se douter qu'un être de sa stature - ou du moins de celle qu'il avait eu autrefois - ne se rangerait pas sagement sous leurs ordres sans avoir une petite idée derrière la tête. Oh, il n'était probablement pas le seul - mais il était le seul à occuper la place de Primera Espada.

▬ Quoi qu'il en soit, je suis content que tu le prennes de cette manière. Bien sûr, je n'en attendais pas moins de ta part après notre dernière conversation. Je te sais plus raisonnable que certains de nos nouveaux collègues.

Laquelle lui avait permis de déterminer que Borick n'accordait, lui aussi, qu'une importance toute relative à ce poste, pour lequel son intérêt résidait plus dans ce qu'il lui permettait de faire que dans le symbole qu'il aurait dû être. Si d'autres se contenteraient volontiers de recevoir une médaille numérotée imaginaire, ce n'était pas leur cas, ni à l'un ni à l'autre. Encore fébrile, il fit quelques pas sans but précis, si ce n'est de se dégourdir les jambes.

▬ Je tâcherai cependant de te restituer ton rôle la prochaine fois. Quoi que j'en fasse jusqu'alors, je ne doute pas que tu en feras meilleur usage que moi... Je n'ai pas la patience pour les manigances politiques, fit-il avec nonchalance. Or, à mon grand désarroi, c'est manifestement tout ce à quoi on peut s'attendre dans un avenir proche, entre ces histoires de clans et les misérables humains qu'on laisse prendre leurs aises dans nos contrées... Et de ce que j'ai pu voir là-bas, tu restes le mieux placé pour t'en dépêtrer. Il releva les yeux vers son interlocuteur. Enfin, sauf si bien sûr tu ne veux pas de mon soutien, pour une raison ou pour une autre ?

Ils étaient finalement assez similaires dans leur façon de penser. L'Espada était une unité prestigieuse pour nombre d'Arrancars mais Borick s'était aperçu d'une chose en côtoyant de près ceux qui la constituaient : la désillusion arrivait vite. Finalement, cette unité ne représentait que peu de chose sur le territoire vaste du Hueco Mundo. Et si le respect pouvait aller de paire avec les fonctions, ce n'était clairement pas suffisant pour rester parmi les premiers numéros.

Sauf à avoir un projet personnel. Comme c'était leur cas à eux. Il eut un sourire en l'écoutant parler, s'estimant finalement chanceux d'être sur la même longueur d'onde que lui. S'il ne craignait pas nécessairement les autres arrancars, l'Empereur préférait réserver ses forces contre les vrais ennemis. Une mésentente avec Artemio aurait clairement eu plus d'effets négatifs que d'effet positif sur le long terme. Une sorte d'alliance tacite existait.

- Il est vrai qu'une partie de l'Espada n'a pas le recul nécessaire pour bien évaluer la situation. La plupart ne sont finalement que les soldats des différents groupes existants. Une simple guerre d'ego. Et je crains que les pires n'appartiennent à Grimmjow.

Il eut un petit rire. Las Manadas étaient composés de puissants guerriers, cela ne faisait aucun doute. Mais ils étaient colériques et égoïstes. La réflexion ne faisant clairement pas partie des prérequis pour appartenir au groupe. En cela, l'Empereur s'estimait clairement supérieur à la grande majorité des membres appartenant à cette élite.

D'ailleurs en entendant ces derniers mots, il inclina légèrement la tête dans sa direction. Politique et manigance faisaient partie de son quotidien et il était clairement né pour cela. D'ailleurs ses projets avaient déjà permis de créer la discorde parmi certains groupes. Notamment des humains.

- Il est vrai que je suis à l'aise avec ce statut. Et j'accepte volontiers ton aide. Je serai bien sot de refuser une main tendue, surtout venant d'un être tel que toi. Ta puissance et ton intelligence ne seront pas de trop pour nous permettre de régler certains problèmes. Notamment celui des humains.

L'art de flatter n'était pas donné à tout le monde et il fallait un don certain pour savoir à qui l'on avait à faire. S'adapter pour survivre, ce qui constituait finalement la philosophie réelle du Hueco Mundo.

- J'ai d'ailleurs déjà commencé à m'occuper d'eux. A petite échelle pour le moment mais je compte bien leur faire payer chaque seconde qu'il passe sur nos terres. Mais seul, je ne peux malheureusement pas faire grand chose. Tout du moins, cela me prend sans doute trop de temps. Si l'Espada ne fait pas grand chose les concernant, au moins ce titre m'offre une certaine liberté d'action et un accès à des informations d'importance. Il s'agit d'une guerre après tout. Même si cela ne ressemble pas aux antiques champ de bataille que tu as connu par le passé.

Il était un Conquérant. Un Roi parmi les Hollow, même l'Empereur l'admettait. L'aide d'un tel être ne serait qu'un énorme boost dans ses propres projets. Mais cela signifiait aussi une chose...

- Mais si j'apprécie ta proposition, dis-moi ce que tu as à y gagner de ton côté ? En dehors de ne plus forcément être sous l'oeil du cyclone ? Que vas donc t'apporter tout ceci ?

De la main, il désignait sa personne, le Yermo. Finalement, pourquoi maintenant ? Pourquoi reprenait-il la force qui avait été la sienne par le passé ?

▬ C'est le moins qu'on puisse dire, soupira Artemio. Je ne t'ai pas caché ce que je pensais de La Cámara la dernière fois, mais j'ai encore moins de considération pour les sbires du « roi-panthère ».

S'il se passa de mimer les guillemets, l'on pouvait très clairement les sentir dans sa voix. Les titres que se donnaient certains des « nouveaux maîtres » du Hueco Mundo l'amusaient plus qu'autre chose ; depuis quand avait-on besoin de s'affubler de telles distinctions ? Était-ce leur manière à eux de se rassurer quant à leur importance ?

Si effectivement il n'avait aucune tendresse pour La Cámara, qui, à son sens, reniait ce qu'ils étaient pour s'inventer une noblesse qu'il n'avait jamais eu, il méprisait encore plus ceux qui n'avaient jamais dépassé leur condition de bête sauvage ivre de violence - quel que soit le stade de leur évolution, qu'ils aient retiré leur masque ou non.
Une mentalité que cristallisait la « meute » enragée de celui qui, lui disait-on, était autrefois Sexta Espada. Seulement numéro six, et on le laissait aujourd'hui siéger parmi les plus grands. S'était-il assez amélioré pour réellement mériter cette place, malgré le fait qu'il soit déjà un Arrancar ? Ou n'était-il là que parce qu'aucun de ses petits camarades n'avait survécu ? C'était là une question qu'il valait sans doute mieux ne pas lui poser.
Le nouveau Primera secoua négativement la tête.

▬ Si je me suis caché au sein de La Escoria, c'était à l'origine pour pouvoir me fondre dans la masse, étant donné que ce sont les plus nombreux... Excuse-moi, que nous sommes les plus nombreux. se corrigea-t-il avec un sourire teinté d'ironie, laissant planer peu de doutes sur son faible sentiment d'appartenance. Mais au final, ce sont encore ceux que je supporte le mieux. Je suppose qu'on peut dire que j'ai été bien inspiré.

Il ne prit même pas la peine de mentionner El Rebaño, trop étrange pour que ce soit seulement une option, surtout en ayant déjà enlevé son masque par les moyens « traditionnels » - pour dire que l'arrancarisation était entrée dans les mœurs, peut-être était-il encore un peu tôt.
Oh, certes, l'on pouvait trouver pathétique une partie de ceux qui venaient trouver refuge dans la Forêt des Menos - lui-même ne s'en privait pas -, mais au moins étaient-ils lucides quant à leur condition, sans chercher à être plus ou moins que cela.
Leur résignation n'était peut-être pas belle à voir - c'était à ses yeux leur plus grand défaut -, mais au moins avaient-ils, eux, la tête sur les épaules... Pour ceux qui en avaient une ; pour les spécimens qui n'avaient même pas réussi à atteindre le stade de Hollow intelligent, c'était une autre histoire.

▬ Tu m'en vois ravi, répliqua-t-il avec entrain lorsque Borick accepta sa contribution. C'est nettement plus pratique que de devoir te rendre ta place sans ton accord.

Simple trait d'humour - quoique. Jusqu'où était-il prêt à aller pour se débarrasser de ce titre qu'il n'avait pas demandé à porter, et qui, déjà, lui paraissait bien encombrant ? La question valait la peine d'être posée. Bien sûr, idéalement, ce ne serait pas pour le confier à n'importe qui - d'où cette démarche -, mais la facilité avec laquelle il s'en était emparé sans même le vouloir rendait extrêmement difficile d'y prêter une quelconque valeur.
Ainsi, il était moins question de le rendre à celui qui le « méritait le plus » - selon des critères arbitraires - qu'au seul qui paraisse un tant soit peu capable d'y donner un sens. Ce qui, bien sûr, n'était absolument pas son propre cas ; il n'était pas assez concerné. Pas pour l'instant, en tout cas.

Borick lui divulgua alors un peu plus de ses projets concernant les humains. S'il ne s'était déjà pas caché de son aversion à leur égard, il semblait désormais suffisamment en confiance pour lui donner des détails sur le sort qu'il leur réservait. Même s'il n'était pour l'heure pas libre de ses mouvements - du moins pas encore -, il était bon de le savoir prêt à prendre des mesures radicales.

▬ Je n'ai peut-être pas dit toute la vérité lors de notre première rencontre, mais je n'ai pas menti pour autant. Dès lors, ma position quant aux humains n'a pas changé. Ils doivent périr ou partir - pourvu qu'ils courent assez vite. Si on lui demandait son avis, il ne serait pas contre le fait de transformer leur base en garde-manger et tous ses occupants en en-cas ; ce n'était pas comme s'ils gagnaient quoi que ce soit à faire preuve de clémence envers eux. Ils nous apportent peut-être de quoi nous nourrir, mais je ne suis pas sûr que ce soit bon pour les nôtres de ne plus avoir à chasser.

D'autant que seuls les Hollows de la plus basse extraction se nourrissaient exclusivement d'âmes humaines - ceux qui n'avaient pas encore commencé le long et tortueux chemin qui leur permettrait de s'élever vers un état un peu plus digne. Et sans renier leurs frères et sœurs moins bien lotis, force était d'admettre que leur petit confort lui importait assez peu, finalement - d'autant que la plupart d'entre eux périraient sans avoir rien accompli. C'était la triste loi de la nature - de la vie sauvage du désert blanc.

▬ Et bien, je doute que nos « chefs de clan » apprécient de nous voir nous lancer dans un tel projet au lendemain de leur joli tournoi, mais si tu me laisses un peu de temps... Il promena le regard autour de lui, examinant ses adeptes qui, de loin, attendaient la fin de leur conversation en toute tranquillité. Un sourire en coin étira ses lèvres. ...Je suis sûr que l'on devrait pouvoir s'arranger.

Et puis, si le Porteur de Flamme n'était pas particulièrement belliqueux - pas plus qu'il n'était de rigueur pour un membre de leur espèce -, maintenant qu'il avait recouvré son vrai pouvoir, il n'aurait pas été contre une occasion de l'essayer, ne serait-ce que pour vérifier si tout était en ordre. Calciner quelques pauvres terriens devrait faire l'affaire ; cela lui rappellerait le bon vieux temps. Si la dernière question du nouveau Quinta était pertinente, il n'avait pas vraiment de réponse à y apporter ; il commença donc par hausser les épaules.

▬ Je n'ai pas d'objectif en particulier, avoua-t-il sans vergogne. Tu sais, je suis encore en train de chercher à comprendre tout ce qu'il s'est passé en mon absence. Le Hueco Mundo ne change peut-être pas beaucoup, mais en plus de mille ans, il y a quand même quelques petits différences... Que ce soit ici ou ailleurs. Après tout, à son époque, les Shinigami existaient tout juste depuis quelques années - ou était-ce des décennies ? il ne savait plus trop -, et étaient alors terriblement loin de l'image qu'en avaient depuis les Hollows contemporains. Ça, et puis... Je n'aime pas trop ce que nous sommes devenus. Faibles, dociles... Et tout un tas d'autres choses que je n'ai sans doute pas besoin de te réciter. Tu as déjà dû faire ton propre constat. Oh, je n'ai pas la prétention de croire que je vais pouvoir tout changer à moi tout seul, mais tant qu'à être ici... Autant aider les choses à aller dans la bonne direction.

Bonne direction qui, en l'occurrence, était celle de Borick - au moins jusqu'à nouvel ordre. Et si sa solitude était chère à son cœur après tant d'année à ne pas pouvoir faire un pas sans être suivi par son troupeau d'adorateurs, conclure un partenariat était encore la meilleure manière pour lui de rattraper son retard. Ils avaient tous les deux à y gagner - à condition, bien sûr, de pouvoir s'entendre aussi bien qu'ils s'efforçaient d'en donner l'impression.

Il le savait. Mais l'entendre était souvent le mieux pour dissiper tout malentendu. Que l'on haisse La Cámara, l'Empereur en avait l'habitude. La plupart préférait ce sentiment plutôt que de comprendre la raison réelle de l'existence de ce clan. Ils leur importaient peu finalement de savoir que sans La Cámara, le Hueco Mundo aurait déjà décliné. Et les sbires de Grimmjow étaient certainement les pires. Adeptes de la violence gratuite, ils n'étaient en réalité que des bêtes, bien plus que ceux qui vivaient pourtant au sein de la Forêt des Menos.

- Ne te reprends pas pour si peu, voyons. L'appartenance à un groupe permet de rassurer les plus faibles et de leur donner un but, qu'importe le nom du clan finalement. Nous sommes de la race des Seigneurs, toi et moi. Nous n'avons ni besoin d'eux, ni besoin de nous justifier pour cela.

Une telle parole aurait forcément pu surprendre. Après tout lui-même défendait La Cámara en principe. Seulement ses projets personnels dépassaient de loin son sentiment d'appartenance à un groupe. S'il n'avait pas eu besoin d'un statut social plus élevé, sans doute n'aurait-il jamais mis les pieds au sein du Palais de l'Hybris après tout.

La question des humains était désormais ouverte et il était important pour lui d'avoir l'avis de la Primera Espada. Pas que cela changerait grand chose en réalité mais disons que Borick avait besoin de soutien concernant une partie de son plan. Afin de se libérer du problème qui surviendrait lorsqu'il opérerait. Préserver son intégrité physique étant en tête de ses priorités évidemment. Aviela comme Artemio disposaient de la force et de l'intelligence nécessaires pour l'y aider.

- Il est vrai qu'ils ne risquent pas de donner leur accord si aisément. Mais ce n'est pas comme si cela importait véritablement à mes yeux. J'agirai comme je l'entends, comme je l'ai toujours fais, et je veillerai à couvrir mes arrières de sorte à ce qu'ils ne soient pas un problème pour moi. Je respecte l'autorité qu'ils ont sur nous, bien sûr. Mais personne n'est plus haut dans mon estime que moi-même, après tout.

Il eut un léger rire. Son égo était grand, il ne le cachait pas, et sans doute que certaines paroles auraient pu lui valoir de passer pour un traître. Seulement il avait à coeur les intérêts du Hueco Mundo et de cela, nul ne pouvait le nier. Finalement, il accomplissait un acte noble.

- Je te laisserai le temps nécessaire, rassure toi. Et si d'aventure je venais à m'y rendre seul, je te ferai informé immédiatement afin que tu saches où me trouver. Maintenant que tu connais mon serviteur, il ne sera pas difficile d'échanger sans que personne ne le sache. Après tout, personne ne sait qu'il est à mon service. Un atout que j'ai toujours gardé pour moi.

Si la larve avait disparue, lui restait présent. Le premier. Celui qui ne le décevrait jamais, il n'en doutait pas une seule seconde.

- Et bien, nous avons beaucoup palabré finalement. Je pense que je vais repartir, il serait dommage que des témoins puissent savoir que nous nous sommes rencontrés. Pas si tôt.

Dommage pour les dits témoins, en réalité.

Ce sera sans doute ma dernière réponse

▬ Ce n'est pas moi qui dirai le contraire, dit-il en jetant un œil à ceux qui s'étaient rassemblés derrière lui - qui attendaient sans doute depuis des siècles l'occasion de ramper à nouveau à ses pieds.

Lui-même n'avait jamais cherché la compagnie des autres ; c'étaient eux qui, de tous temps, s'étaient amassés à ses côtés, cherchant une protection qu'il n'avait pourtant fait aucun effort pour leur donner, au-delà du caractère dissuasif de sa seule présence. Il fallait croire que cela leur avait suffi, puisqu'ils étaient restés - et en redemandaient, plus de mille ans après.

Artemio n'était pas surpris d'apprendre que Borick n'était pas non plus plus attaché que ça à La Cámara. D'ailleurs, « apprendre » était un bien grand mot ; il l'avait déjà deviné. La façon qu'il avait d'en parler - son choix de vocabulaire - était autrement plus mesuré que celle des vrais serviteurs des différents rois ; une modération qui n'était pas sans rappeler la sienne propre lorsqu'il jouait la comédie. Difficile dès lors de ne pas savoir qu'ils pratiquaient le même exercice.

▬ C'est un discours dangereux que tu tiens là, dis-moi, fit-il avec un clair amusement. On pourrait presque croire que tu fais passer tes intérêts avant ceux de l'Acuerdo... Heureusement, je sais qu'il n'en est rien.

En matière de « respect pour leur autorité », lui-même n'avait que celui nécessaire au maintien de sa tranquillité. C'était à son sens le comportement le plus sain à avoir : donner le change sans renoncer à son individualité, comme tant des leurs en avaient pourtant déjà fait l'erreur. Il ne faudrait pas venir s'en plaindre le jour où leurs chefs bien-aimés décideraient qu'il était à présent temps pour eux de devenir de la chair à canon.
Opter pour l'Escoria, c'était aussi choisir le leader le moins impliqué, le moins susceptible de lui donner un ordre direct - ou de le faire avec l'arrogance propre à ceux qui occupent une position de pouvoir. C'était encore le meilleur moyen pour lui de s'éviter des veilléités de rébellion. Habitué à être en haut de la chaîne alimentaire, moins il avait à suivre les directives d'autrui et mieux il s'en portait ; une raison supplémentaire pour laquelle la place de Primera était pour lui un fardeau dont il avait besoin de se débarrasser.
Bien sûr, on attendait de la part de tous les Espadas une obédience de façade, mais le chef de la « garde royale » qu'ils constituaient n'était observé que de plus près. Une attention dont il se passerait volontiers, peinant déjà à supporter celle que lui valait le fait d'avoir été démasqué.

▬ À la bonne heure. Ta prévoyance t'honore.

À croire que le nouveau Quinta Espada avait prévu dès le départ des mesures pour agir au nez et à la barbe de ses supérieurs ; peut-être était-ce le cas. Ce ne serait pas si étonnant.
À nouveau, Artemio observa les « fidèles » qui s'étaient agglutinés dès qu'il avait lancé l'appel. Aucun d'entre eux n'était réellement impressionnant ou digne d'un intérêt particulier de prime abord ; néanmoins, ils pouvaient avoir leur utilité.

▬ Je pense que je vais suivre ton exemple. En cherchant bien, j'imagine que je devrais pouvoir trouver un ou deux hommes de confiance... Cela devrait bien sûr passer par un processus de sélection, mais ils étaient si nombreux qu'ils ne pouvaient statistiquement pas tous être dénués de la moindre valeur - qu'ils en aient conscience ou non. Son regard revint vers Borick. Cela peut s'avérer utile à un moment ou à un autre. Je n'ai pas pour habitude de devoir compter sur qui que ce soit, mais les temps changent, après tout.

Et il apprenait encore les règles de cette nouvelle partie dans laquelle il se retrouvait désormais impliqué malgré lui. Oui, avoir un agneau sacrificiel à portée de main ne serait pas de refus.

▬ Tu as raison. Nous aurons tout le loisir d'en discuter plus avant la prochaine fois. approuva-t-il lorsque Borick lui annonça vouloir prendre congé. Autant garder secrets leurs petits entretiens autant que faire se peut. À très bientôt.

Fini pour moi également.