Charleston et Vinyles

Après avoir pris son Gigaî, le Vice capitaine de la Troisième Division partit vers le "Nouveau Monde". Pour lui, chacune de ses visites là-bas était la source d'émerveillement et de découverte. La corruption ambiante, cet art de détruire ce l'on crée, était une chose qu'il détestait chez les Humains mais il n'était pour ça. Pour les prochaines quarante-huit heures, il serait un simple afficionado des boutiques de vieilles musique américaine. Son Gigaï était sa copie physique avec en prime un vieux costume type années 20. Il en était fier.

Il se baladait donc dans les rues avec son casque sur la tête. C'était une autre invention qu'il aimait. On pouvait écouter de la musique sans emmerder son voisin. Il avait donc acheté cette merveille dans le plus grand secret. Par contre, on avait dû lui expliquer dix fois comment cela marchait. On l'avait affublé d'un drôle de terme : Boomer. Il n'en comprenait pas le sens mais ce n'était pas très cordial selon lui. Enfin bref, il n'était pas là pour se disputer pour si peu. L'heure était à l'amusement et à l'espérance de quelques merveilles à acheter pour sa collection.


A la vue de la devanture de sa boutique, il trouvait qu'elle avait pas tellement changé depuis sa dernière visite. Quand il ouvrit la porte, une petite clochette se fit entendre. Une musique entraînante était déjà présente et donnait envie de danser au Shinigami. Il fit quelques pas avant de s'arrêter devant les bacs. On pouvait y sentir les vieux vinyles qui étaient ici depuis des mois certainement.

Levant un oeil vers le tenancier, il constatait qu'il n'était plus le même. Il avait l'air plus jeune et portait des lunettes de soleil. Etonnant. Pourquoi porter des lunettes alors qu'il était dans un coin sombre ? Il sourit en observant cette scène étrange. Les Humains étaient vraiment étonnants. Ses mains se baladèrent alors entre les disques. D'un oeil assuré, il savait ce qu'il voulait.

Dans la boutique, trois personnes étaient présentes avant lui. Il n'avait pas fait plus attention que cela pour l'instant, il trouvait juste dommage que si peu de monde soit présent. Cette musique était si agréable, sans violence. Son feu intérieur y trouvait un excellent moyen de se consumer dans ce plaisir éphémère.

Ses mains dans la petite boîte, le Vice Capitaine de la Troisième Division était en train de chercher la perle rare. Les importations venant de l'est étaient rares depuis quelques temps, sûrement dû à des problèmes dans le monde des vivants. Il trouva alors une étrange pochette avec une mention sur Gatsby. Il avait déjà lu son nom dans les vieux journaux qu'il avait acheté au fil des années... Un sourire s'était affiché sur son visage, c'était pas ce qu'il avait cherché mais il s'en approchait.

Soudain, une voix attira son attention et il vit une belle rouquine qui venait de s'adresser à lui. A côté d'elle, une personne l'accompagnait et il salua celles-ci d'un hochement de tête. Il fut surpris indubitablement. Il avait commandé ce costume auprès d'un tailleur américain qui travaillait pour son Ambassade. 1919. Oui, cela devait être cette date selon le calendrier humain. Cherchant dans ses souvenirs, il tentait de se rappeler comment il avait obtenu son costume et ca lui revint.

Un sourire aux lèvres, il répondit alors.

- Oh c'est du taillé sur mesure, Mademoiselle ! Je connais de bons tailleurs en Louisiane qui pourraient vous en créer, si vous le désirez... Il se gratta le menton, un peu gêné à la façon de dire la suite. Me faudrait juste vos tours de taille, un truc comme ça je crois mais n'y voyez pas malice hein...


Le Vice Capitaine n'était pas du genre à tourner autour du pot et avait répondu en étant le plus complet possible. Il observa quand même les tenues des personnes dans la boutique. Les choses avaient changé énormément en fait, il n'avait même pas fait attention. Une certaine tristesse se lisait sur ses traits, comment les humains avaient pu perdre cette magie folle de cette "époque" ?

- Je cherche un disque de Glenn Miller... enfin il est particulier, il fut enregistré lors de la fête de l'été de Gatsby. J'aimerai le retrouver mais.. ahah, c'est un échec complet. Et vous ? Charleston ? Miller ? Cab ?

Puis, comme s'il avait pas réagi dans un premier temps, il posa une dernière question complètement déconnectée avec la réalité.

- Je ne savais pas qu'on achetait des costumes pour Noel... C'est nouveau ?

Un peu surpris en entendant la rouquine, Mamoru regardait la paire qui lui faisait face. Il souriait, clairement intimidé par leur présence. Il n'eut pas le temps de répondre sur la Louisiane qu'elle passait à autre chose, telle la foudre dans le ciel. Depuis combien de temps n'avait il pas eu de discussion avec un "vivant" ? Difficile de répondre, il ne s'en souvenait pas réellement. En général, on l'ignorait tout simplement.

- D'accord...

Ce fut sa seule réponse, il n'avait pas grande chose à dire de plus. Il notait quand même qu'on pouvait trouver tout ce qu'on voulait dans cette ville. Intéressant. Comme ces machines filant dans le vent, elle reprit de plus belle et l'entraina sur un sujet différent. Elle ne connaissait donc pas le Charleston, encore moins la "folie" qu'il appréciait dans les notes des années 20.


Toute enjouée, elle proposa alors sa propre musique. Le vice capitaine ne disait pas non, il aimait découvrir de nouvelles choses. Son esprit se concentra alors sur les paroles qui résonnèrent dans l'air. Etait-ce une sorte d'invocation de Shinigamis ? S'il était pas dans un lieu entouré d'autant d'humains, il en aurait ri pendant quelques secondes. Il se contenait et se laissa peu à peu bercer par des... Comment elle avait dit ? La main sur son menton, il retrouva le mot à haute voix.

- C'est un... Banger ? Excusez moi mais je ne sais pas ce que c'est. Ce groupe a quelque chose, clairement. Une forme d'ironie avec la mort... Il posa alors un silence en écoutant le flow de la musique. Ils ont déjà vu des dragons ! A entendre leurs paroles, on pourrait le penser.

Magie dans les os, sentir son âme. C'était une chose que bien des Shinigami connaissaient. La surprise se lisait sur son visage quand le couplet suivant vint à se présenter à ses spectateurs. Se laissant porter, il enregistrait les paroles avec soin, il avait toujours eu l'impression que la musique était semblable aux crépitements des flammes qui l'apaisaient...

- En tout cas, vous avez raison, ces artistes ont compris bien des choses. Ils sont américains ? Je crois reconnaître l'accent.


La suite le fit frémir. Son visage se referma et quitta un instant cette béatitude qui l'avait emporté jusqu'ici. Le Sanbantai Fukutaichō avait l'impression de ... revenir dans son pire cauchemar. C'était un appel dans le vide et il posa la main sur le rebord des bacs pour ne pas s'écrouler. L'angoisse était là, son coeur palpitait avec impatience. Fermant les yeux, il voulait reprendre le contrôle et son Gigai était une bénédiction.

- Désolé, un peu de fatigue certainement...

C'était la seule chose qui lui était venu en tête. Il était cet enfant perdu dans le noir, entendant les flammes qui marchaient vers lui. Si il y avait une chose qu'il n'avait pas envisagé, c'était qu'une musique humaine était capable de remonter certains souvenirs à la surface. La question était de savoir si cela pouvait devenir une forme de thérapie pour la suite. Il n'avait aucune solution de toute façon dans "ce" combat. Le disque s'approchait de la fin, l'esprit retrouvait alors ses droits.

- Très intéressant. Je ne savais pas que les ... ces chanteurs avaient atteint une telle compréhension du monde. J'aime bien en tout cas. Ca peut se rapprocher de la tristesse de la Soul en tout cas. Vous avez d'autres chansons à me faire écouter ?

Un sourire s'était de nouveau dessiné sur son visage. Il voulait en savoir plus, comprendre un peu plus ce que cette musique pouvait lui apprendre.

Un banger, un flop... Mamoru écoutait la jeune femme sans l'interrompre. Il découvrait des mots de cette époque, empreintes d'une génération. Cette dernière semblait si insouciante, si rêveuse. C'était une chose qu'il appréciait, ici pas de code qui interdise de faire ceci ou cela.

Tout était Naturel.

A l'invitation de la rouquine, il s'asseyait et acceptait de partager ce moment. Il n'avait jamais vraiment discuter avec des humains, de leurs mœurs ou habitudes. Dans un sens, les Shinigamis oeuvraient à combattre les Hollows, la plupart se moquait de leur société. La Treizième Division avait une mission de surveillance de la Terre mais de là à s'intéresser aux aspirations politiques et sociales des Humains...


La chanson éveilla son intérêt. C'était un coup de fouet dans son esprit. Mamoru était surpris de la beauté des mots, comme un appel à regarder la vérité en face, à froid et sans chimère. Sa tête se tourna vers le disque qui tournait lentement à chaque intonation du chanteur. Ses doigts tapotaient sa cuisse, le plaisir était là. Puis, à la question de Recca...

- Oh vous savez, je trouve cette société pourrie. Le glacis s'est installé partout et chacun vit dans l'entre-soi, noble avec noble, pauvre avec pauvre. Je dois avouer que votre musique ouvre les yeux sur pas mal de choses. Ca me touche oui, je suis surpris moi même d'entendre de tels mots...

Sans le vouloir, il venait de décrire son monde. Le monde humain était-il meilleur ? Pas plus pas moins, mais, ils semblaient avoir quelque chose que le siens n'avaient pas. Ils voyaient la vérité en face. Très certainement que les choses étaient plus complexes chez eux, plus lourdes même, mais cela ne le concernait pas.


Un couplet le glaça. Il vibra comme si son propre reflet venait de parler. Ses yeux s'ouvrirent et il se remémorait chaque mot afin d'être sûr de bien avoir tout entendu. Un sourire traversa ses traits, il se demandait si le destin avait placée cette jeune femme sur son chemin. La musique était des messages, des cris du coeur, face aux maladies du monde. Dans un sens, il se disait que les Hommes avaient certainement les mêmes dilemmes que les Shinigamis.

- Vous savez, y'a quelques mois, j'ai vu un drôle de film. Un Banger comme vous dites, enfin je crois. Hmmm, il s'appelait comment déjà ? ... Ah oui, Fight Club. La fin était magistrale et inspirante. C'était une volonté de Renaissance, de renouveau. Votre musique s'en rapproche par certains côtés... Enfin je crois... J'ai un doute... Vous l'avez vu ?

La musique allait tranquillement jusqu'à sa fin ... Il était curieux de savoir comment une mortelle voyait son monde.

Un nightclub ? Mamoru prit quelques secondes pour se rappeler ce que c'était. Puis, ca lui revint. C'était le lieu où les Mortels aimaient se rencontrer avant de faire des enfants. La connaissance du Monde Humain lui était parcellaire, enfin celle de cette époque. Il avait bien connu celle des années 20 mais là...

L'idée du Renouveau. Un sourire sardonique plissa ses lèvres à cette évocation. Les Humains étaient décidément plus ouverts que bien des siens. S'approchant d'elle, il fit signe qu'il aimerait regarder dans le bac où elle était tout à l'heure. Une fois la demande acceptée, il regarda les titres de ce groupe et en prit évocateur. Après avoir lu les lyriques, il mit le disque en marche.


- Cette chanson répond - en partie - à votre question. Dommage que nous n'ayez pas vu ce film... Il est un appel à se dépasser, à ne pas s'enfermer dans le monde dans lequel on vit. Dans un sens, il faut savoir détruire l'ancien pour permettre à quelque chose de neuf de naître. Enfin, suis un peu trop idéaliste... Aaha !

Il en riait mais son regard était on ne peut plus sérieux. Le Suzaku, môn de sa famille, le représentait plus que jamais. On l'appelait Phénix dans ce monde et bien encore des noms... Mais, le feu devait détruire pour permettre l'émergence d'une nouvelle Ere. Dans son propre monde, le Gotei XIII avait évolué avec les Ryokas, Aizen et bien d'autres... Mais la société de la Soul Society avait elle évoluée pour autant ? Non. Le monde humain avançait lui, au point même de s'auto-détruire. C'était paradoxal à y réfléchir. Les premiers s'enfermaient dans leurs traditions pour ne rien perdre mais tout était sclérosé. Les seconds avançaient dans tous les sens mais en mourraient.

Un sourire aux lèvres, il observa la jeune femme avec beaucoup de tendresse. La suite des propos de Recca était pour lui un miel qu'il ne mangeait que trop rarement.

- Vous ne savez pas à quel point vous avez raison. C'est injuste. C'est pour cela où le final de Fightclub à son importance, je ne vais pas ... comment dites vous dans ce pays... ah oui, spoiler la fin du film. Sauf si vous le désirez ? De toute façon, il faut revoir le film dix fois pour bien le comprendre. Dans un sens, ce film me correspond mais sans la baston, je n'aime pas me faire casser la gueule pour le plaisir ahah !

La chanson progressait, chaque parole étant un signe de la détermination du Shinigami. Pardon, du riche boomer !

La danse était donc terminée. Ce petit moment dans le monde des humains touchaient à sa fin. Après tout, il devait revenir chez lui afin de reprendre son activité dans sa Division. Les vacances sont parfois trop rapides. Pardon ! Elles sont toujours trop rapides. Passé cette pensée, ses yeux se levèrent vers la jeune femme. L'un et l'autre ne se connaissaient pas, ils n'étaient que deux ombres furtives dans les travées de l'Humanité.

Remerciant le disquaire, il payait les disques des années 20. Puis, il se tourna vers la demoiselle et son "bichon".

- C'était un plaisir de vous rencontrer. Je passe ici une fois par an à la même saison, en janvier. On sera peut-être amené à nous revoir. Je vous souhaite une bonne journée.

Il n'avait pas parlé à des mortels depuis fort longtemps. Enfin pas si longtemps. Tuer, éliminer, effacer. Sa connaissance des humains s'était plus souvent limiter à ça mais il n'était plus dans la Nibantai après tout. Ouvrant la porte de la boutique, la clochette le surprit encore. Quelle idée de mettre des clochettes partout...

La rue était bondée de gens. Il avait l'impression de voir des troupeaux de moutons qui avançaient en ordre bien sagement. Mais, ils étaient libres. Ils avaient droit à des institutions qui protégeaient mieux les intérêts du peuple. C'était moins vrai dans son propre monde. Haussant les épaules après cette pensée philosophique, il se rendait compte que cela ne servait à rien de comparer.

- Fin -