Crane in the wild

L’heure d’une nouvelle balade est venue. Sous ce ciel nocturne l’Argentée progresse, laissant de légères empreintes de pas dans le sable blanc. Cet espace est tellement immense qu’il n’y a que des dunes tout autour d’elle. Pas un bruit ne vient perturber sa quiétude et en cela, c’est mieux que le Palais d’où elle vient. La Grue en a eu assez d’écouter les cris des êtres venus chercher l’Arrancarisation. Mais l’horizon peu à peu laisse émerger le profil de bâtisses vers lesquelles elle se dirige.

Les ruines Negal, si elle les a déjà aperçues, elle ne s’y est encore jamais vraiment rendue et ce jour, pour échapper à l’ennui ou encore nourrir sa soif de savoirs, elle en a fait son objectif. L’Argentée ne sait pas trop quoi attendre de ces ruines désertées mais elle est déjà ravie de n’y voir personne pour le moment. Lorsqu’elle y parvient, elle commence par en faire le tour, écoutant attentivement à la recherche du moindre bruit suspect.

Quand on a des centaines et des centaines d’années de vie derrière soit, on n’est pas pressé, du moins, elle, elle ne l’est pas, prenant tout son temps. Entrant dans les ruines, elle s’octroie même le loisir de se mettre à danser dans un espace qui devait être autrefois l’équivalent d’une grande place. Certains Hollow ont pu ramener de la musique avec eux au Hueco Mundo, elle, n’a jamais osé faire le voyage vers le monde des vivants, elle le pourrait pourtant. Les membres de la Càmara lui ont appris à ouvrir un passage exprès. Un jour peut-être en profitera-t-elle. Cette musique donc elle l’a déjà entendue à de rares occasions et aujourd’hui, elle s’invente des airs dans sa tête sur lesquels elle se met à se mouvoir avec grâce. Toute concentrée sur cet instant de légèreté, elle ne le sent pas approcher, ne le voit qu’au dernier moment, lorsque sa chorégraphie est terminé.

S’il voulait attaquer, il l’aurait déjà fait. Imprudente… Elle relève néanmoins le menton, fière. Est ce qu’il ne fait que passer ? Est ce qu’il l’ignore complètement ? Ces ruines sont bien assez grandes pour deux, il doit bien y avoir moyen de ne pas se marcher sur les pieds. Jamais encore elle n’a vu cet Arrancar. Indécise sur ce qu’elle doit dire ou faire pour l’heure, elle se décide au moins à le saluer. On est bien élevés chez les Càmara ! Doucement, pacifiquement, elle incline légèrement la tête.

Combien de temps son périple prendrait-il ? Bien sûr, Cimériès n’en savait rien. Ce dont il ne doutait pas, c’était qu’il fallait être prêt à ce que cela représente des siècles, voir des millénaires. Si cela advenait plus tôt, alors il pourrait s’estimer chanceux. Mais il ne fallait pas se lancer dans pareille entreprise en étant dépourvu de patience. Il fallait donc questionner, et chercher la moindre piste. Deux pistes étaient apparues rapidement : les ruines de Las Noches et les ruines Negal. Les premières ne l’intéressaient pas. La construction était apparemment récente, même si construite sur l’ancienne place d’un Rey. Un jour peut-être irait-il voir juste au cas où. Mais cela semblait dangereux encore, s’agissant du territoire de Grimmjow. Peu de chance que ce soit utile plus des ennuis très probables… autant dire que cela ne revêtait pas beaucoup d’intérêt à l’heure actuelle.

Les ruines Negal avaient plus de chance d’être utiles. Une bâtisse souterraine, dont l’entrée avait été déblayée. Depuis combien de temps ? Par qui ? Il ne possédait pas cette information. Mais il semblait qu’outre quelques grandes salles, il ne restait rien. S’il y avait eu un jour quelque chose à piller, c’était fait depuis très longtemps. Cependant il était bien placé pour savoir que ce genre d’endroit pouvait receler bien des secrets. Caches, portes dérobées… bien des choses pouvaient en découler. C’était ainsi qu’il avait failli perdre la vie un jour. C’était aussi ainsi qu’il avait découvert un pouvoir antique dont il pouvait profiter aujourd’hui encore.

L’Alastor n’y trouva rien cependant. Manquait-il trop du talent d’Aguarès, ou bien n’y avait-il simplement plus rien ? S’il était devenu convaincu que d’autres ruines similaires au Ziggurat pourraient être trouvables en ce monde, il demeurait également de nombreuses constructions abandonnées. Même Las Noches finirait recouverte par le sable si plus personne n’y vivait durant quelques décennies. La forteresse pourrait alors être oubliée, puis redécouverte… Ne l’intéressaient que les constructions de ce peuple antique qui avait rédigé les tablettes du Ziggurat. Inventé le processus du Ritual de Luna. Produit l’artefact qui occupait son cœur. Il en profita au moins pour se reposer quelques heures. Qui veut aller loin ménage sa monture… et il n’avait rien d’autre que ses pieds pour parcourir ce monde !

C’est au moment de repartir que les choses devinrent intéressantes. Les pas de danse gracieux attirent forcément le regard, et l’érudit sait reconnaître la volonté artistique qui en découle. Chose étonnante au Hueco Mundo pour le vagabond qui y avait vu bien plus de brutes que d’esthètes, bien plus d’animaux et de barbares que de rencontres civilisées. Mais de nos jours bien plus d’Arrancar parcouraient le désert. Et ainsi, avec ce changement, plus d’interactions décentes seraient à attendre sans doute. Après tout l’Acuerdo existait. Cela voulait bien dire qu’un nouveau cycle bien différent avait débuté. Il l’observe, mais elle se rend compte de sa présence comme il approche. Sa réaction lui indique qu’elle n’en est pas ravie, passant de déhanché à fierté. Il préférait en tout cas très nettement que cette rencontre ne provoque pas de conflit inutile.

- Vous n’avez rien à craindre de moi. J’inspectais ces ruines par curiosité, et n’imaginait pas y trouver âme qui vive. Mais si cet endroit est votre… terrain d’entraînement ? alors il ne me revient pas de marcher sur votre territoire.

Bien que tenant sa lance en main, il tâchait de ne pas faire le moindre mouvement belliqueux. Et s’il continuait à avancer, ce n’était que lentement, qu’elle ait le temps de le voir, et pas directement dans sa direction.

Peut être aurait elle dû faire comme si elle ne l’avait pas vu ? Car à présent qu’elle lui avait montré une once d’intérêt ou d’inquiétude du moins, il lui avait adressé la parole. Il ne semble pas se diriger vers elle. Peut être la contourne-t-il ? Elle penche la tête sur le côté, incrédule. Son regard argenté se pose sur la lance dont il se sert comme d’un bâton de marche. Il ressemble à un voyageur comme ça. Un genre de pèlerin comme elle a pu en voir dans sa précédente vie lorsqu’elle était descendue sur terre. Au moins elle est rassurée sur un point, s’il lui pose la question c’est que cet endroit, il ne le considère pas comme le sien. Dans le coin, il n’est pas rare de mettre les pieds au mauvais endroit car annexé par l’un de ces Manadas. Et dans ces cas là, ça passe ou ça casse.

- Mon territoire ? Hum… Non. Cet endroit, est à tout le monde, du moins il me semble. Il est rare d’y croiser quelqu’un. Vous n’avez rien à craindre de moi non plus. Si vous voulez rester, cela ne me pose pas de problème.

Un coin où l’on peut être tranquille. Pour danser, se reposer… S’entraîner pourquoi pas mais elle ne fait pas vraiment cela. Elle le suit du regard sans bouger. Tout au plus elle croise les bras sur sa poitrine. Il a l’air de simplement chercher à passer son chemin. Peut-être ne le reverra-t-elle pas avant quelques siècles. S’ils sont toujours en vie d’ici là.

- Avez-vous trouvé quelque chose d’intéressant ? Au fait, je m’appelle Asteria.Asteria Grey.

S’il est vraiment pacifique, cela lui confirmera que les Arrancar sont plus civilisés que les simples Hollow. Peut être pourra t-elle tirer de cette rencontre un échange agréable.

Elle devait être la troisième Arrancar qu’il croisait depuis qu’il avait quitté la cité rupestre, et sans pour autant considérer que cela était signe qu’il pouvait ignorer les mesures et distances élémentaires, il s’étonna qu’aucune de ces rencontres ne tourne à la rixe ou au conflit. La Primera et la créature avaient surtout montré de la curiosité à son égard, plutôt que méfiance ou défiance. Lui par contre ne pouvait trop s’empêcher de rester sur une certaine défensive. Cimériès pouvait certes deviser sans aucune animosité de quelque manière, mais il y avait toujours une part de lui en alerte. Une question d’habitude, de vie ou de mort. L’on ne devenait assurément pas Vasto Lorde en considérant que le monde était empli d’amis, surtout ici où de base, une mentalité de prédateur prédominait.

Alors, même si elle n’affiche aucune menace, il continue de chercher à la contourner. C’est qu’il préférait de loin être dos à la sortie plutôt que dos au mur, à choisir. N’était-ce pas une pratique courante, que les fleurs les plus chatoyantes possédaient aussi les poisons les plus mortels ? Si la beauté pouvait être un leurre, alors il préférait de se mettre inutilement en danger. Et pourtant, il ne peut s’empêcher de répondre, sur une voie plus périlleuse qu’il ne l’aurait voulu.

- J’ai bien trouvé quelque chose d’intéressant, oui. Je suis Cimériès Alastor, simple vagabond. Et je n’avais jamais vu de pareilles pratiques, Asteria. Qu’était-ce ?

Une partie de lui ne souhaitait que s’en aller. Passer à la suite, se remettre en quête d’autres ruines, d’autres bâtisses enfouies où il pourrait peut-être faire de nouvelles découvertes. Mais une autre part était piquée de curiosité. Le plus grand défaut des érudits sans doute. Il avait été exposé à quelque chose qu’il ne connaissait pas, et voyait malgré lui cela comme un sujet d’étude désormais. Et toujours cette petite voix qui lui souffle de prendre garde. Le chant des sirènes...

A sa façon de se diriger vers la sortie, elle se questionne. Est ce qu’il est simplement sur le point de partir ou bien cherche-t-il à bloquer la seule issue de ces grottes afin de lui tendre un piège ? Il est armé après tout, même s’il faut reconnaître qu’une lance de cette ampleur est difficilement dissimulable. La Grue reste vigilente, son arme à elle, un katana minuscule porté dans le dos pour ne pas entraver ses mouvements, à portée de main. S’il souhaite tant que cela partir, doit elle vraiment étoffer sa réponse ou rester plus succincte ?

- Enchantée, Cimériès. Dans le monde des vivants, ils appellent cela… de la danse. Je l’ai lu, dans un livre.

Sa voix se fait hésitante, entrecoupée de pauses qui n’auraient pas lieu d’être dans une discussion plus normale, plus détendue, comme si elle doutait que cela puisse vraiment l’intéresser, et puis… Peu importe. Parler. Parler pour gagner du temps. Parler pour éviter de se faire attaquer, ou du moins, faire croire qu’elle a baissé sa garde. On ne peut faire confiance à personne, pas lors de la première rencontre en tout cas et il serait logique qu’il pense la même chose.

- Cela consiste à bouger d’une façon plutôt... artistique, en suivant le rythme d’une mélodie ou d’un chant. Avez-vous déjà chanté, ou entendu chanter, Cimériès le Vagabond ?

Elle ne le quitte pas des yeux et pour sa part, elle va doucement s’asseoir sur le rocher le plus proche. Une façon de plus de montrer que pour sa part, elle ne cherche pas le conflit. Cependant, à par le laisser partir et le croiser à nouveau une autre fois, un autre jour, elle imagine bien que l’échange demeurera distant et méfiant jusqu’à sa fin. Elle ne peut pas le blâmer d’avoir les mêmes inquiétudes qu’elle.

- Les humains chantent, mais ils… fabriquent, aussi, de la musique. C’est un mélange harmonieux de sons différents qu’ils génèrent avec des objets qu’ils appellent des instruments. En aviez-vous entendu parler ?

De la danse ? Il s’interroge sur l’intérêt que cela représente de prime abord. Son esprit cartésien échappait parfois à certaines subtilités, avant de parfois juste reconnaître qu’il convenait de s’y abandonner. Ainsi il avait appris à apprécier le chant d’ores et déjà, même si cela n’avait pas été gagné d’avance. Car les premiers chants dont il se souvenait, jusqu’aussi loin que sa mémoire acceptait de remonter, avaient été les compagnons d’atroces douleurs. Aussi n’a-t-il pas de mal à répondre à la question qu’elle lui retourne quelques instants plus tard.

- Assurément, oui. Malheureusement, cela est associé à un mauvais souvenir dans ma mémoire. Les chants accompagnent les douleurs et les cris… Oh, ne prenez garde à cette déclaration, je pensais tout haut. J’ai appris avec le temps à y voir autre chose, et à en trouver les sonorités agréables, parfois. Il est tout de même plus facile de penser lorsqu’il n’y a pas de distraction, et le silence est le meilleur ami des esprits pointus.

Elle s’est installée, et il a du mal à la voir comme menace assurément. Pas de quoi tout à fait baisser sa garde. Jamais. Cela n’est pas permis à ceux qui souhaitent vivre encore, et pour longtemps. Le concept suivant lui est par contre plus obscur.

- Je… je dois reconnaître que je ne me suis jamais vraiment intéressé plus que nécessaire aux humains. À une époque extrêmement lointaine j’ai dû me dire qu’il ne fallait pas jouer avec la nourriture, mais depuis… Pourquoi vous y intéressez-vous ? Ils ne connaissent que peu du monde des esprits, et pour la plupart ne sont que des proies en devenir. Dès lors que la mort les prendra, Shinigami et Hollow se battront pour savoir qui le premier pourra choisir ce qu’il adviendra de leur âme. Ils ne sont qu’une ressource, et source de conflits. Pourquoi les avoir choisis comme sujet d’observation ?

L’érudit ne voyait les choses que sous ce spectre. Si quelque chose ou quelqu’un pouvait lui fournir une nouvelle source d’information, ou être directement un cas pertinent à observer, alors seulement son intérêt était éveillé. Et pourtant… sans doute pourrait-il apprécier certaines de ces nouveautés s’il acceptait d’y accorder un peu de temps. Mais pour le moment la nouveauté qui attirait son attention était plutôt cette Arrancar aux cheveux d’argent, à lui parler d’un éventuel intérêt pour du gibier.

Des chants qui accompagnent douleurs et cris cela ne lui parle pas de prime abord. Il faudra qu’elle vérifie dans les livres disponibles à la Cámara. Peut-être que dans le monde des humains elle pourra y retrouver quelque chose de similaire. À force de les étudier, elle a remarqué beaucoup de similitudes entre eux, leur monde, les bêtes qui y vivent et les Hollow. Ce qui n’est pas si étrange lorsque l’on se souvient qu’avant d’être Hollow, ils étaient humains eux aussi.

L’Argentée opine doucement, esquisse même un sourire. Ce n’est pas tous les jours qu’elle rencontre quelqu’un qui apprécie les moments de silence tout comme elle. Un point commun, qui l’intrigue, éveille son intérêt. De tous ceux de son espèce, cet Arrancar est peut-être celui le plus à même de comprendre sa façon de penser. Mais ses centres d’intérêts sont si atypiques qu’il serait étonnant qu’il la comprenne.

- Ils sont, notre passé, notre présent, et, notre futur. Ce que nous avons été, un jour aussi lointain fut-il, ce que nous mangeons effectivement, mais aussi… Ceux vers quoi notre apparence tend lorsque nous évoluons.

Elle observe alors un instant ses mains, dépourvues de griffes acérées, de palmes ou autres marques animales. Juste une peau nue, pâle, douce et délicate. Puis le regarde lui de nouveau, s’autorisant alors à le détailler, autant que la distance le lui permet du moins. Fugacement, l’Argentée se dit que de loin il est plaisant à regarder, ce qui n’est pas le cas de tous les Arrancar. Si elle n’était pas sur ses gardes, peut-être qu’elle irait aussi vérifier de près. Peut-être, et encore, pour quelqu’un qu’elle ne reverra probablement plus, à quoi bon se fatiguer. Il vaut mieux juste profiter de ce que l’échange présent peut lui apporter.

- J’y vois un cycle, une sorte de boucle étrange. Une sorte, d’harmonie peut-être ? Quoi qu’il en soit, ces éphémères, pris individuellement sont certes insignifiants, mais en groupes sont capables de choses assez étonnantes. J’imagine que le confort d’un lit ferme ou d’un canapé moelleux doit vous être inconnu. De même que l’arôme délicat d’un vin certainement. Entre autres exemples. J’apprécie la danse bien sûr. Cette façon que cette pratique a de me permettre de me vider l’esprit et de simplement laisser libre cours à mes envies, mes émotions.

Elle croise les jambes élégamment, pose ses mains sur le genou du dessus et incline la tête légèrement de côté. Elle pourrait ajouter bien des choses à la liste mais ne souhaite pas l’importuner avec ce sujet qui ne doit intéresser qu’elle.

- Le vôtre de sujet d’observation, ce sont les ruines ? Je les trouve intéressantes aussi mais, il faut croire que je n’ai pas de chance. Je ne connais que celles-ci et elles ne sont pas très fascinantes… Au moins je peux y venir méditer sans y être dérangée par toute sorte de bruits. Avez-vous déjà été voir celles que l’on dit récemment sorties du sable ?

La Grue étouffe un léger soupir. Celles-là au moins devaient valoir le détour. Si seulement elles n’étaient pas déjà occupées.

L’humanité. Ce qu’ils avaient été. Bien sûr, le principe est connu, même s’il ne lui en demeure plus aucun souvenir. Aussi loin que sa mémoire accepte de remonter, il est un fier Adjuchas, prédateur de sa propre espèce, les humains n’étant déjà plus un menu suffisant. Il est une âme ancienne, ayant traversé les ages, jusqu’à son premier trépas il y a si longtemps. L’idée même d’avoir été humain n’est qu’abstraite, pas à même de lui permettre de nourrir un quelconque intérêt pour ce passé. Heureusement, cet appétit n’est plus. Simplement respirer suffisait à présent. Le Hueco Mundo est une source d’énergie infinie, suffisante pour leur permettre de survivre, maintenant qu’ils n’avaient plus à faire la course au pouvoir. En devenant Arrancar, se nourrir était devenu un luxe dont il se passait volontiers.

L’Alastor l’observe toujours, l’étudie presque, semble percevoir un trouble, comme elle détaille ses propres mains. Elle avait raison cependant : beaucoup de choses lui demeuraient inconnues. D’autant plus considérant le nombre de siècles qui séparaient sa dernière visite sur terre. Était-il même toujours capable d’ouvrir un passage dans le Garganta ? Il n’avait jamais vraiment réessayé depuis qu’il n’en avait plus eu l’utilité. De toutes les questions qu’il se posait, de celles qui l’empêchait de trouver le repos, les réponses se trouvaient en leur propre monde. Il était bien en quête de ses origines, mais considérait plutôt la piste menant aux civilisations Hollow qui avaient pu fouler le monde creux.

- Cela fait en effet partie de ma quête. Nos âmes se sont élevées bien au-delà de celles des humains. Ont gagné puissance et une certaine forme d’immortalité. Aussi, à mes yeux, nos véritables origines sont ici. Cachées quelque part, sous nos pieds. Je connais ces ruines que vous évoquez, oui...

Ôte doucement sa capuche, révélant ses bois et ainsi son origine.

- Je les connais même très bien. Je ne pense plus que l’on puisse parler de ruines cependant, maintenant que la cité rupestre est à nouveau peuplée.

Peut-être avait-il joué son va-tout trop vite ? Car Astéria parlait peut-être d’autre chose ? « Récemment » pouvait être bien plus tôt qu’il ne l’avait pensé ? Dans ce cas, elle lui fournirait peut-être une information capitale dans ses recherches. Mais il ne le pensait pas. À chaque rencontre qu’il avait fait dernièrement, si des « ruines nouvelles » étaient évoquées, il s’agissait de la cité rupestre et de son Ziggurat, sortis du sable à nouveau ces dernières années.

Alors que la capuche s’abaisse, ses lèvres pâles s’entrouvrent, son visage exprimant une surprise non feinte. Que disaient les rumeurs et les préjugés des siens déjà ? C’est comme si elle n’arrivait pas à s’en souvenir tellement ils ne correspondaient pas à ce qu’elle avait sous les yeux. Où est l’agressivité ou la bestialité primaire dans cet être plein de grâce ? Était-ce une question de jalousie pour que cette différence soit si négativement perçue ? Trop de questions fusent dans son esprit, pourtant le seul mot qui parvint à sortir de sa bouche est :

- Fascinant.

Alors elle se lève doucement et s’approche. Dans sa démarche, il n’y a ni peur, ni menace, juste la grâce qui la caractérise. Pas trop près cependant afin de ne pas l’inquiéter, juste assez pour mieux le voir.

- Je vois.

Un léger sourire se pose sur ses lèvres et sur son visage pâle, tandis que ses joues se tintent d’un rose poudré. Même avec ces bois il reste magnifique. Cela ne lui enlève rien de son allure noble. Elle aimerait en savoir davantage sur tout ce qui peut les différencier ou les rapprocher, mais craint de n’être que trop indiscrète avec cette curiosité qu’elle estime mal placée. La Grue s’imagine qu’il n’aimerait certainement pas qu’elle le regarde aussi intensément et qu’en plus elle se fasse trop inquisitrice. Alors ce sera pour une autre fois. Pourtant, elle a bien la fâcheuse tendance à faire pleuvoir les questions ces derniers temps. Elle devrait peut-être se montrer plus prudente. Un jour, cela pourrait lui causer de gros soucis.

- Cimériès le vagabond, un jour peut-être me parlerez-vous davantage de vous et de votre cité. Peut-être même qu’il lui fera visiter ? On peut toujours espérer n’est ce pas ? Mais vous partiez et je vous retiens… Je ne voudrais pas que vous pensiez que je le fasse exprès pour vous nuire. Où comptez-vous aller ? Ah. Navrée, encore une question...

L’Argentée s’imagine lui montrer ses ailes à son tour, mais pour sa part cela signifie libérer son pouvoir et une fois encore, cela pourrait être mal pris. Peut-être que l’occasion se présentera au cours des prochains siècles. N’est ce pas lui qui disait qu’ils sont presque immortels après tout ? Prête à le laisser filer malgré l’envie de profiter un peu plus de sa présence, elle entame un pas de recul et se fige soudain. Son visage se ferme en un instant. Quelque chose ne va pas et si elle ne l’a pas entendu approcher, maintenant qu’elle est plus proche de l’entrée de la grotte, face à cette dernière, ses prunelles d’argent repèrent la menace bien trop discrète à son goût.

L’Argentée réagit aussitôt, fléchit ses genoux et bondit avec légèreté et élégance assez haut par-dessus l’Alastor, dégaine son minuscule katana dans le même mouvement et plonge sur le Hollow un peu plus loin derrière, à deux doigts de l’attaquer. Son arme se plante dans son masque et il se volatilise, immédiatement désintégré. Quelle mouche peut bien l’avoir piqué ? Enfin, peu importe… Retombée sur ses pieds, elle se redresse et tourne légèrement la tête de côté jusqu’à avoir Cimériès dans la périphérie de son champ de vision.

- Hum. Vous n’avez rien ?

Fascinant ? Un point sur lequel il ne s’avancerait pas. Physiquement, ils ne différaient pas tant. Leurs estigma étaient différentes, voilà tout. Les Arrancar portaient résidus de masque ainsi qu’un trou marquant l’absence de leur cœur ; le masque des Arrancar de la Lune avait repris sa place en leur cœur, mais demeurait en revanche toujours un peu de ce qu’ils étaient avant leur transformation. Pour lui, c’était ces bois de Long, qui semblaient à présent causer l’intérêt de son interlocutrice. Elle s’approche, et lui de l’observer, la laisser venir. Sa démarche avait de quoi captiver le regard au point de ne vouloir l’en détourner. À la fixer il croit percevoir un léger trouble chez elle, mais ne l’identifie pas avec exactitude.

- Je crains qu’il n’y ait pas tant à dire ni de moi ni de ma cité. Je ne suis que de bien peu d’intérêt et...

Il avait un peu trop déjà attiré l’attention sur lui sans doute. La révélation de son « ethnie » tranchait sans doute un peu trop avec son désir d’anonymat. D’être un simple vagabond passant sous les radars. Moi il provoquait d’intérêt et plus il avait de chance de mener à bien son projet. Le tout était une question de temps et de chance, et se mettre en avant était aussi risquer de s’attirer des ennuis, toujours. Toutefois, si cela justifie sa modestie extrême, cela n’explique pas pourquoi il se tait aussi subitement.

Sans doute faudrait-il qu’il travaille encore sur ce point. Ce Hollow sans doute trop faible pour qu’il le perçoive instinctivement. Mais bon, ce n’était pas la première fois qu’il se faisait surprendre par une rencontre, et il faudrait bien accepter le fait qu’il était vulnérable sur ce point. Pas que cet ennemi eut pu l’inquiéter, mais l’intervention de l’argentée au moins lui évitait de subir la moindre déconvenue. Il se retourne et constate donc de l’efficacité. Comme l’on écrase un insecte…

- Je n’ai rien, grâce à vous.

Alors qu’il se dit « il n’aurait même pas percé mon Hierro » mais estime toujours préférable de simplement la remercier.

- Si vous le souhaitez, je puis vous accorder en remerciement le temps de répondre à l’une de vos questions, sans concession. C’est plutôt régulier, n’est-ce pas ? Laquelle choisirez-vous ?

Il n’omettait pas non plus qu’à présent, c’était elle qui se trouvait entre lui et la sortie. Serait-ce un problème ?

Peu d’intérêt ? Elle ne le voit pas du même œil, mais après tout, c’est peut-être dans sa nature d’être aussi modeste. Il est rare de voir ce trait de personnalité chez un Arrancar. Mais s’il estime n’avoir rien de notable à dire sur lui ou sa cité alors elle cherchera ces informations une autre fois. Parfois, il est préférable de laisser mariner un peu les choses et dans le cas présent, elle a l’intuition que ce sera mieux ainsi.

Qu’il n’ait, rien, n’ait pas même été frôlé par l’attaque du Hollow ne la surprend pas. D’abord parce qu’elle a été d’une efficacité redoutable, et ensuite parce que même si elle n’avait rien fait, elle ne doute pas qu’il s’en serait lui-même sorti sans une égratignure. Par politesse, elle avait posé la question néanmoins, et il lui rendait la pareille.

Pour son geste, il lui offre une question. Bien qu’elle n’estime pas particulièrement la mériter, elle prend quelques secondes pour réfléchir à ce qu’elle pourrait demander. De toutes les questions qui lui viennent à l’esprit, elle rejette systématiquement toutes celles dont la réponse pourrait se cantonner à un oui ou à un non. Ce serait gaspiller une telle chance. Puisqu’elle a déjà admis qu’elle cesserait les questions plus personnelles, elle ne voit plus qu’une chose à demander.

- Une question ? Hum… Vous avez dit que les ruines faisaient partie de votre quête, que vous y cherchiez nos véritables origines en quelque sorte. Qu’est-ce que vous espérez trouver ? Peut-être avez vous déjà trouvé quelque chose d’ailleurs.

Lui tournant toujours le dos inspectant avec attention l’entrée de cette grotte, elle ajoute ensuite :

- Venez, sortons d’ici. Vous me répondrez quand nous serons dehors.

La Grue souhaite vérifier que ce pion qu’elle a écrasé est seul et pas accompagné d’autres de ses congénères, et si c’est le cas, alors elle préfère avoir le temps de les voir arriver de loin plutôt que d’être surprise. Mais heureusement, il ne semble y avoir rien d’autre que du sable lorsqu’ils parviennent à l’entrée de la grotte. Alors seulement, elle se permet de focaliser toute son attention sur le Vagabond. Bien que toujours prudente, elle n’a plus peur de lui. S’il lui voulait du mal, cela aurait été fait depuis longtemps.

D’abord, il commença par la regarder s’en aller. Resta là un instant, n’effectuant son premier pas que pour éviter qu’elle sorte de son champ de vision, et qu’elle n’en vienne pas à se demander pourquoi elle ne le suivait pas. Cela lui offrait également un temps de réflexion supplémentaire. Comme elle lui proposait de sortir des ruines avant de lui offrir sa réponse, autant en profiter pour peser les mots dont il allait user. Ce qu’il allait dire ou non. Car le bénéfice d’une question vague était de pouvoir y répondre sans mensonge tout en se réservant les détails que l’on ne souhaitait pas révéler. Elle parvient à l’extérieur, se retourne, et lui de la rejoindre toujours en silence. En chemin bien sûr, sa capuche a repris sa place sur son crâne, l’on ne sait jamais.

- Eh bien...

Cimériès pèse encore la portée des mots qu’il va employer. Ce n’était pas vraiment dans son habitude de se dévoiler, et l’érudit avait sans doute quelques motivations moins avouables et qu’il préférait donc garder pour lui par décence. « Je veux être touché par la grâce qu’ont connu Isielle et Aguarès » sonnait tout bonnement comme un caprice, et éluderait par trop ses autres motivations, tout aussi fortes et plus anciennes et ancrées qui plus est.

- Un jour, un peuple particulièrement évolué a foulé ce monde. Ils ont construit une merveille comme le Ziggurat. Découvert le procédé permettant à un Hollow de combler son cœur à nouveau. Et ce peuple a jugé utile de laisser des traces, de chercher à transmettre son savoir. Pour la plupart des Hollow, cela ne représente rien. Pour moi, ceux qui ont laissé une trace méritent que d’autres se donnent la peine de la retrouver, et de la comprendre. C’est un cadeau précieux, de lointains semblables. Imaginez à quel point ces enseignements pourraient élever notre condition...

Et là, ses lèvres se pincent. Elle est parvenue à assez l’étonner pour qu’il se sente presque en présence d’une « semblable », ainsi avait-il employé ce terme. Son goût des arts, sa curiosité. Ce quelque chose en plus que les « créatures » ne partageaient pas. Car pour lui cela ne faisait aucun doute : les Arrancar de la Lune étaient supérieurs. En abandonnant de plus brutaux instincts, ils élevaient leur conscience. C’était précisément pour cela que ce peuple ancien avait été le plus brillant à ses yeux. Est-ce que les « Arrachés » méritaient vraiment son jugement distant ? Est-ce qu’en cette époque, quelques mentalités étaient tout de même parvenues à évoluer assez pour qu’il réfléchisse à la possibilité d’inclure dans son rêve des êtres « différents » ? Cette ouverture d’esprit, il n’était sans doute pas encore prêt à l’adopter. Mais au moins s’accorda-t-il de bonnes raisons d’y réfléchir à minima.

- Cette réponse vous convient-elle ?

Alors qu’il la rejoint, elle sent que cette réponse qu’il va lui donner sera la dernière, qu’après cela il partira. L’Argentée aurait aimé que leur échange s’éternise encore. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Ici, elle ne doit pas abuser, ni trop en vouloir. D’autres occasions viendront, quitte à ce qu’elle les provoque s’il le faut. Ce n’est qu’en posant petite pierre après pierre qu’elle parviendra à gagner sa confiance et s’en faire un ami, un jour, ce serait bien en tout cas.

A ses mots, elle pose instinctivement ses mains là où devrait se trouver son coeur. Mais entre ses seins, caché sous ses vêtements, il n’y a qu’un trou béant. Eux ont pu le combler, le refermer. Une chance certainement. Est ce que cela signifie qu’elle n’est pas terminée ? Qu’elle ne le sera jamais ? Il est certainement trop tard pour des Arrancar comme elle. Si elle se moque de l’éventuelle différence de puissance, elle ressent un certain complexe du reste. La juge-t-il inférieure à lui ? Elle ne comprends pas, ne perçoit pas que l’allocution « semblable » puisse la désigner. Doucement, elle opine.

- J’espère que nos chemins se recroiseront de nouveau. Je vous souhaite bonne chance dans votre quête.

Sans plus un mot ni un geste elle le regardera s’en aller jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon et qu’elle même prenne une autre direction, celle du Palais de l’Hybris.