Enterrer le passé

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Le Bistro Mundo est une véritable volière. A défaut de clients les enfant s'en donnent à cœur joie, sous le regard amusé de leur mère qui termine de ranger les quelques bibelots traînant sur le comptoir désormais vidé de ses occupants. Ces lieux fourmillent d'une vie artificielle même lorsque les derniers clients franchissent le seuil et formulent une promesse de retour prochain. Matryonna réarrange son jingasa dans un soupir de fatigue bienvenue, accompagné par le doux tintement du grelot qui se met à danser devant ses yeux endormis.

Il est grand temps de partir, mais pour aller où ? Un souvenir poussiéreux soulève son attention. Des images de colonnades végétales calcinées, les échos d'une bataille sans surprise. La bobine du temps déroulait son fil de soie sans que jamais il ne la mène sur ce terrain, pourtant une voix en son for intérieur lui intima de répondre à l'invitation. Elle contourne donc le bar en silence et s'approche de l'entrée, puis se retourne avant d'émettre un puissant sifflement. Les petites créatures ailées se figent en plein combat aérien, s'interrogent du regard, et rejoignent finalement la tête du convoi qui déjà s'engouffre dans les couloirs de Las Noches.

- L'appel du vide ?

- Plutôt celui d'la vengeance ouais !

- Aucun des deux. Une envie pressante de fouiller les cendres de notre histoire.

- Je te jure que je n'y suis pour rien !

- Je sais, c'est un sentiment nouveau on dirait. Je n'aime pas beaucoup ça...

Matryonna ne donne pas l'impression de vouloir s'intéresser aux hypothèses de sa progéniture. Elle se contente d'errer sans prononcer le moindre mot, la tête légèrement penchée vers ses pieds qui la guident en dehors du palais. Une fois sous l'oeil aiguisé du croissant lunaire éternel le vent s'invite dans des chuchotis qui semblent lui indiquer la route. Damian s'interroge, un peu déboussolé. D'habitude c'est lui qui dicte les choses, malheureusement ici son emprise est repoussée nette par un voile d'ombre qui gangrène l'esprit maternel. Il se résigne donc, et leur emboîte le pas.

Au bout de quelques heures de randonnée sur l'échine oscillante du désert de dunes la Tercera marque un premier arrêt. Elle scrute les horizons, renifle l'air tiède puis reporte sa curiosité vers le sol. Son bras gauche se tend, alors que la pression environnante commence à faire danser les grains de sable. Sans aucune raison apparente l'Arrancar fait naître un imposant orbe mauve au creux de sa main qui gagne rapidement en intensité spirituelle avant de percuter le sol comme une balle de fusil, soulevant dans sa course un épais nuage.

Lorsqu'il se dissipe les enfants se mettent à paniquer en s'échangeant des regards inquiets : leur mère n'est plus là. Ils en déduisent qu'elle souhaitait créer une sorte de tunnel donnant sur une poche souterraine, et la rejoigne alors sans discuter. Ils la retrouvent des centaines de mètres plus bas, et le spectacle qu'ils découvrent en arrivant leur vaudra toutes les explications du monde. Devant eux se tient une foret colossale de par la taille des troncs qui la composent mais aussi de leur nombre.

A perte de vue ces gardiens millénaires s'alignent tant bien que mal, et l'on peut même apercevoir ça et là des silhouettes de Hollows progresser entre eux ou qui tentent de se cacher suite à la détonation venant tout juste de briser la tranquillité des lieux. Matryonna se perd dans la contemplation de ce décor qu'elle ne connaît que trop bien. Elle se tourne un instant, à la recherche de quelque chose, puis reprend sa progression. Après plusieurs minutes de marche entrecoupées d'embuscades à l'issue tragique le convoi s'arrête finalement pour de bon.

L'araignée se retrouve prise dans sa toile émotionnelle. Elle pose un genou au sol, puis le second sous l'oeil intrigué de Damian qui ne comprend pas encore le pourquoi de tout ce cirque. Ce n'est qu'après avoir levé les yeux de sa mère qu'il se fige à son tour. L'odeur n'est depuis longtemps plus présente cependant les stigmates de la catastrophe eux n'ont jamais été altérés. Au premier abord on aurait pu s'imaginer qu'une comète était venue se creuser un chemin au travers de la foret, pulvérisant ou embrasant absolument tout dans son sillage. Par endroits, sur des parcelles encore intactes on devinait les restes d'une toile qui devait jadis recouvrir toute la canopée.

- Je crois qu'elle vient se recueillir. Mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi...

Damian est le premier à rejoindre la statue de chair agenouillée sur le tapis de cendres. Il s'assoie sans demander son reste, bientôt suivi par le reste de la portée. Tous restent muets devant la beauté de cette désolation. Les reliques d'un passé lointain et douloureux.

Pouvoir s'accorder du temps à soi était un luxe que beaucoup oubliait une fois qu'ils avaient des responsabilités. Mais l'Empereur avait gardé ses habitudes. Afin de ne jamais oublier qui il était et ce pourquoi il avait pris une pareille décision. Pendant plusieurs générations, ils s'étaient cachés des créatures trop puissantes qui avaient régnés en maîtresses absolues sur les territoires désolées du Hueco Mundo, s'accordant une protection particulière afin de se couper du monde, de limiter sa pression spirituelle. Son pouvoir l'y avait beaucoup aidé. Cet endroit aussi.

Car cette forêt souterraine abritait des démons de toutes sortes. Certains plus terribles que d'autres. Des créatures que l'Immaculé avait soumis à son pouvoir afin qu'elles masquent sa présence. Pourquoi revenir ici de fait ? Par nostalgie déjà. Mais pas seulement. Car ici, c'est sous sa véritable forme qu'il évolue. Laissant libre court à son pouvoir d'agir sur les créatures ne possédant pas de consciences. Et elles sont nombreuses en ce lieu. Les Menos Grande l'observaient, se soumettant à lui à son passage. Ici, il n'était pas le Primera Espada. Ici, il était un Dieu vivant.

Une détonation attira toutefois son attention. Assez éloigné, il n'était toutefois pas difficile d'en cerner la région approximative. Scellant de nouveau son pouvoir, il reprit forme humaine alors qu'il rangeait dans son fourreau sa lame reformée, aussi blanche qu'il l'était lui-même, en dehors des longues boucles blondes qui retombaient sur ses épaules et devant son visage. Tranquillement, il prit la direction des lieux. Ouvert aux énergies, ouvert au potentiel danger. Si son pouvoir ne faisait plus effet, les créatures ne l'approchaient pas pour autant, percevant le danger à son approche. Sans conscience propre ne signifiait pas complètement idiote et les Hollow, du moins pour la plupart, disposaient d'un instinct de préservation assez fort.

Alors qu'il poursuivait son avancée, il perçut plusieurs présences qui n'avaient rien à voir avec les autres. Se rapprochant, il put enfin voir le spectacle qui se dressait face à lui. Une bien étrange procession en vérité, qu'il décide d'approcher. On pouvait le targuer de fou, il était toujours dangereux d'approcher une meute comme celle-ci. Mais El Emperador n'était pas de ceux à prendre des risques pour rien.

Il voyait ici une occasion unique de comprendre. Comprendre ce qui se passait. Comprendre ses congénères. Non pas que ça lui importait, il était au dessus de la masse après tout, mais disons qu'il avait du temps à perdre et qu'il était curieux.

-

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Il ne faut pas perdre de temps. Ses sens arachnéens, vestiges résiduels de sa nature d'antan, lui indiquent qu'une aura inhabituelle s'approche. Qu'à cela ne tienne, il sera l'unique spectateur d'un tour qu'aucun de ses congénères n'a pu garder dans ses souvenirs. Puisqu'ils ont tous, suite à cela, payé cher leur ticket vers un sommeil durable.

Toujours agenouillée et contemplative Matryona baisse les yeux vers sa progéniture qui confirme d'un signe de tête collectif son ressentiment. Elle soupire et se redresse calmement, fixant l'horizon. Sa main main se porte à l'une des quatre gardes qui orne le pourtour de sa ceinture. Dans un chuchotement à peine perceptible suivi du tintement de grelot vissé sur son jingasa elle accompagne le vent entre les arbres morts.

- Escúchalos, Mascarilla.

L'onde qui succède est d'une violence inouïe. Tout disparaît dans un vaste nuage de cendres d'où on semble entendre par moment un bruit régulier, rapide, et sec. En l'espace de quelques secondes une nouvelle vague s'impose, balayant cette fois le voile. Se dessinent alors les premiers éléments d'une scène dérangeante. Suspendu entre deux arbres morts une sorte de toile d'araignée tissée à la hâte, avec en son centre un œuf soigneusement enveloppé dans le hamac improvisé.

Légèrement plus bas une silhouette cauchemardesque offre son échine osseuse au public. Deux paires de bras faméliques la soutiennent dans les airs en prenant appui sur les troncs de part et d'autre, tandis qu'une troisième s'affaire encore sur quelque chose. Le reste de son corps quasiment nu, exception faite d'un Hakama noir, pend à plusieurs mètres du sol. L'escadrille ailée termine d'emmailloter le précieux chrysalide de soie. Un grognement résonne. Une double voix difficilement identifiable se fait écho sur un ton solennel. Cette fois c'est Damian qui est aux commandes.



La créature humanoïde arachnéenne se laisse lentement glisser et, une fois au sol tourne doucement son buste en direction de l'inconnu qui voit une demi douzaine d'yeux d'un jaune incendiaire le fixer sans animosité aucune. Au contraire, elle lui adresse un sourire franc vissé sur son visage de marionnette en porcelaine. Une larme noire coulant le long de sa joue. Elle étend ses bras en pitié, signe d'ouverture et de neutralité. Pour autant, son aura ne tarde pas à nécroser l'air qui devient rapidement putride.



Matryona lui adresse une révérence d'artiste de théâtre, un geste souverain pour appuyer ses propos tirés d'une noblesse illusoire. Son cœur se trouve désormais apaisé. La famille du cirque des horreurs verra très bientôt ses rangs grossir de nouveau.

Quel curieux spectacle que voilà. Borick restait sur ses gardes, préférant mesurer l'ampleur des risques qu'il encourait à approcher plus en avant. Alors que le voile s'était levé pour couvrir une partie de la zone, Borick y avait opposé sa propre énergie. Non pas pour contrer ou repousser mais seulement pour garder contenance. Un Empereur ne pouvait perdre pied, qu'importe la situation. Rapidement une nouvelle vague repoussait ce voile, dévoilant un nouveau spectacle bien particulier.

Silencieux, la main simplement posée sur la garde de son Zanpakutō sans pour autant représenter de menace, il poursuivait son observation. Bien évidemment, sa présence n'était pas passée inaperçue et il adressa un léger signe de tête à la créature arachéenne alors qu'elle tournait ses yeux multiples dans sa direction. Il perçut cet air vicié mais son propre Reiatsu formait autour de lui une barrière protectrice salvatrice.

Il ne voyait en ces actions rien d'autres qu'une aura naturelle d'une créature ancienne, habituée à vivre de la sorte. Ce qui se passait lui échappait toutefois, même si quelques idées lui venaient en tête. Puisqu'elle l'accueillait, il aurait été bien impoli de rester en retrait. C'est ainsi qu'il s'avançait posément pour se rapprocher d'elle. Il exsudait la confiance. Ce qui pouvait paraître étonnant alors qu'il était en sous effectif.

- Et la reine de ce royaume perdu possède t'elle un nom ?

Royaume jalousée ? Il se demandait par qui. Car une reine n'abandonnait pas si aisément la couronne. Beaucoup était attaché au pouvoir, d'une manière ou d'une autre. En cela, il n'était pas si différent d'eux d'ailleurs. Lui aussi était attaché à son propre pouvoir, qu'il avait délaissé pour embrasser de nouvelles aspirations.

- Je suis Borick "El Emperador". Primera Espada et simple spectateur averti. Peux-tu me dire quel était le nom de ce Royaume ?

S'intéresser pour mieux comprendre la situation. Du regard, il était en pleine observation de ce qui se passait autour de lui. S'il avait décliné son identité et ses titres, ce n'était pas tant pour impressionner que pour réellement se présenter, afin de permettre à cette étrange créature humanoide de faire de même.

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Voilà qui explique son insouciance et son air totalement imperturbable. Lui aussi se désigne comme une figure noble d'autrefois. Il en garde des traces, une forme de puissance qui l'a hissé au sommet de cette chaîne illusoire que Matryona répugne tant. Peu importe le numéro qu'on leur prête ses congénères ne sont rien de plus à ses yeux que des cibles potentielles ou des adversaire en devenir. A moins de trouver un arrangement durable.

Elle avait pu en attester avec l'abeille, des intérêts communs peuvent s'unir et calmer les instincts primaires. De façon pérenne, cela reste à définir. L'Arrancar ne perd pas ce Borick des yeux, tentant de sonder son âme. Elle utilise ses bras inférieurs comme des échasses et se soulève ainsi d'un bon mètre avant de se rapprocher calmement de lui. Dans son dos s'affairent toujours ses enfants. Ils n'ont qu'un ordre, et ne s'en détachent pas.



Elle étend une rangée de bras sur le coté, désigne à la fois la foret calcinée et les nombreux reliquats de toile disséminés un peu partout. Il apparaît clairement que la majorité des créatures vivant en ce monde n'ont pas la moindre idée de la tragédie qui s'est écrite ici jadis, pas plus que de l'ère de terreur qui la précéda des siècles durant.

Tout ceci Matryona ne s'en préoccupait plus. Son véritable royaume, vous ne pouvez le voir qu'aux frontières de la mort lorsque votre instinct vous guide vers Los Abismos. Et quand bien même quelqu'un venait à fouler ce sol jonché d'innombrables cadavres que le sa nature profonde leur échapperait totalement. Voilà pourquoi les réminiscences de sa glorieuse ou cruelle devaient prendre corps. Pour mieux les enterrer.



Son visage perd de sa mélancolie pour afficher une innocence enfantine. Le clown triste cherche un cobaye pour son prochain tour. Par chance, son public se résume à une seule personne, le choix sera vite fait.

Il ne partageait pas forcément cette vérité qu'elle assénait mais en comprenait le sens. Il est vrai que lui aussi n'était qu'un chiffre parmi les autres. Qu'il soit numéro 1 ou numéro 10 ne changeait finalement pas grand chose à part le fait que son statut faisait de lui l'ennemi de beaucoup. Par ambition pour certains. Par bêtise pour beaucoup. Il eut toutefois un petit signe de tête dans sa direction alors qu'elle se présentait sous le nom de Matryona. Voilà qui éclaircissait certaines choses.

Quant au territoire, il comprenait mieux. Les mots ne restent pas, ce n'était pas tout à fait vrai. Mais là encore il s'agissait plutôt d'une différence de point de vue. Le genre de différence qui ne se réglait pas par la discussion, pas avec une créature millénaire il le savait. Elle possédait sa propre vérité, implacable, basée sur son expérience. Alors que lui, il se basait sur son savoir et sur la connaissance, des choses qui échappaient clairement à ces créatures. L'instinct primait pour eux en général, alors que lui se focalisait sur sa logique.

Elle était ancienne. Sans doute plus que lui, il n'en doutait pas. Il l'observait alors qu'elle agissait, qu'elle parlait. Il comprenait la peur que les autres pouvaient ressentir à son contact. Elle semblait pouvoir lire au travers de l'âme et cela l'intriguait. Pour autant l'Immaculé ne pouvait craindre une créature qu'il estimait inférieure à lui. Même si celle-ci était ancienne. Bouffonne du roi avait-elle précisée. Il n'y croyait pas complètement.

- Qu'importe l'époque, il y a toujours matière à s'amuser.

Simple fait, qui ne méritait pas qu'on s'y attarde davantage.

- Je suis venu ici attiré par le bruit, comme l'insecte l'est par la lumière. Je n'avais pas l'intention de te déranger. Ni d'assister à la représentation de la Saltimbanque de Las Manadas.

Il ne faisait que reprendre ses propres termes. La comparaison avec l'insecte l'amusait. Il était toujours drôle pour lui de passer pour ce qu'il n'était pas. Souvent, il aimait faire croire qu'il ne comprenait pas. Qu'il était plus faible. Mais le plus fréquent, c'était de faire croire qu'il était doué de compassion et d'écoute. Alors qu'à la vérité, il ne s'agissait là que d'hameçon pour forcer ces petits poissons à sortir de leur zone de confort, facilitant la collecte d'informations. Ces créatures, quelles qu'elles soient, n'étaient que des marches sur le chemin de son ascension. Matryona ne le savait simplement pas encore. Mais elle l'aiderait d'une manière ou d'une autre.

- Mais pas seulement. Je suis aussi venu ici car je suis nostalgique du passé. Je trouve que mon ancienne existence était moins compliquée, qu'il m'était plus facile de comprendre ceux qui parcourent les Terres Désolées du Monde Creux. Je suis toutefois curieux. Curieux de savoir à quel endroit tu fais tes représentations d'ordinaire. Où est-ce que le rideau se lève ? Qui sait, peut-être qu'un jour je m'y rendrais pour voir la Saltimbanque à l'oeuvre.

Il le pensait. Elle l'intriguait. Même s'il restait sur ses gardes, forcément. Il le sentait, ici il n'était pas en territoire allié. La prudence était donc de mise. On ne devenait pas Primera sans se montrer un minimum raisonnable.

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La situation s'apaise. Maintenant que le rapport de force est établi nulle menace ne saurait peser sur sa progéniture en devenir. Les deux créatures dominent chacune à sa manière le paysage creux qui entoure la scène de désolation. Afin de se mettre sur un pied d'égalité Matryona s'efforce de regagner le sol avant de rabattre ses bras inférieurs autour de sa taille et de sa poitrine. Ne reste plus qu'une silhouette vaguement humaine, à peine plus chétive que celle lui faisant face.

Son regard arachnéen se ferme également, à l'exception des deux principales pépites qui ne cessent de fixer le Primera avec une légère teinte d'amusement. Son verbe est parfaitement ciselé, il exprime avec une étonnante justesse ce que les plus anciens monstres comme eux peuvent ressentir au fil des siècles. Une notion commune qui lui arrache un sourire. Elle s'exprime cette fois avec son propre cœur, soulagée de l'émotion qui encombrait son esprit malade.

- Tu ne saurais être plus exact ! Les bêtes ne se préoccupent que de deux choses : manger et survivre. Une existence simpliste, quand on y pense. Mais pour rien au monde je ne serais trop nostalgique d'un temps où je risquais de me faire bouffer par le premier géant qui passe. Triste spectacle ! Mais bon, plus dure sera la chute...

Ces derniers mots ne résonnaient pas comme une menace qui planerait sur la tête de son homologue. Le ton se veut plus fataliste. Avant eux d'autres générations de guerriers supposément invulnérables se sont succédés pour mieux disparaître des mémoires. En témoignent les ruines au delà du désert, les restes du palais de Las Noches, ou les cavités rupestres ornées de dessins cryptiques.

Matryona n'est pas dupe, leur tour viendra. Et que restera-t-il comme preuve de leur puissance inégalée, de la grandeur de leur règne ? Elle compte bien marquer son temps sans laisser comme derrière eux les vestiges calcinés d'une ère dont personne ne se souviendra jamais.

- Enterrons le passé. Il est préférable de glorifier ce que deviendra le notre ! Le mettre en scène, marquer les esprits, répandre la légende ! Je m'y emploie régulièrement, derrière les rideaux du Bistro Mundo ! Etrange que tu n'en ai pas entendu parler, ou alors tu c'est que tu dois être plus souvent sur les dunes qu'entre les murs de Las Manadas pour sûr.

Des bruits attirent soudainement son attention. Ils sont subtils, mais très identifiables. Ses enfant terminent enfin de consolider le chrysalide, et le doux son de leurs ailes articulées parvient jusqu'à ses oreilles. La fin du libre arbitre pour elle, mais une nouvelle rencontre pour eux.

La peur de se faire dévorer était trop éloignée pour lui, il ne parvenait plus à se souvenir de ce sentiment. Le seul qui persistait en dépit des années, c'était cette crainte de ne pas parvenir à atteindre ses propres objectifs. Mais pour le reste, les deux entités semblaient se comprendre. Car elle avait raison sur un point : la chute serait difficile. Quelle que soit la raison véritable.

Il poussa même un léger soupir lorsqu'elle prononça ces paroles, faisant écho à ses pensées. Ils tomberaient le jour venu. Et son seul rêve était de parvenir à atteindre son objectif avant de sombrer. Par pur égo sans doute. Il ne cachait pas ses défauts et en avait pleinement conscience. Il avait entendu un jour quelqu'un lui dire que les rêves survivaient aux êtres. Il y avait un peu de vrai là dedans. Mais il n'y croyait pas pour autant. Lui, il désirait simplement poursuivre son but et s'il devait tomber, alors peu lui importait qu'on se souvienne de lui. Les morts n'ont pas de mémoire.

Alors qu'elle reprenait, expliquant d'où elle venait, l'Empereur ne put réprimer un bref éclat de rire. Qu'il était amusant d'entendre cela de la bouche d'une de ces créatures. Las Manadas ? Le clan de la Panthère ? Il était évident qu'il n'avait jamais mis un seul pied dans cette antre, estimant mériter plus que de partager un moment avec des Arrancars si peu dignes de sa présence. Mais comment amener la chose de sorte à ne pas vexer l'Arachné ?

- Je te confirme que je ne suis pratiquement jamais à Las Manadas. S'il est vrai que j'ai entendu parler de ce bar, je dois admettre ne jamais y avoir mis les pieds. Peut-être reverrais-je ma position. Mais tu n'as pas tort. Ces derniers temps, je suis accaparé par les dunes et par le Palais de l'Hybris, véritable siège des membres de La Cámara. Si tu voyais les splendeurs de ces lieux, je pense que cela pourrait t'inspirer bien des contes.

Las Manadas et La Cámara étaient en compétition, même si cela se faisait sous le radar. Ceux qui voulaient que Grimmjow devienne le véritable Roi. Et ceux qui voulaient qu'il reste à sa place.

Tout ceci alors qu'il n'existait finalement qu'un seul Roi en ce monde. Mais cela, les simples d'esprit ne pouvaient le comprendre. Il percevait les bruits à proximité et l'attention de cette créature partagée entre lui et ce qui se tramait par là bas. Il ne lui avait pas échappé non plus une variation dans le timbre de sa voix.

- En un sens, je t'envie, Matryona. Tu te sers de ton art pour marquer les esprits. J'aimerai posséder ton talent. J'ai toujours été admiratif devant les artistes. J'ai connu par le passé certains Hollows qui disposaient de capacités proprement stupéfiantes. Quelle chance vous avez.

Oui, quelle chance vous avez, vous les moins bien nés. La nature est souvent généreuse avec ceux qui ont moins, sans doute pour compenser cette faiblesse atroce. Matryona sortait néanmoins du lot, il le sentait. Il était bien décidé à comprendre un peu mieux cette créature.

- Si je viens jusqu'au Bistro Mundo, m'accorderas-tu le plaisir de partager une table avec moi ?

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Elle ne comprenait pas vraiment la raison de son hilarité. A vrai dire, Matryona ne parvient que très rarement à cerner ses congénères. Si ses propres sentiments ou ceux de ses cobayes n'ont aucun secret pour elle, il ne peut y avoir autre chose que de la méfiance lorsqu'on bloque le cycle de sa monotonie. Son esprit sépare le monde en deux catégories distinctes : d'une part on trouve le gibier, les proies faciles, les sujets d'expériences ou encore ces monstres qui sortent de l'ordinaire assez que pour nourrir son intérêt personnel voire de futurs projets.

Puis il y a les autres, ceux de sa branche. Tous uniques et complexes, sournois mais assez civilisés pour le dissimuler avec finesse. Dans le cas de Borick ses seules manières dans le défilé des paroles incessant suffisent à soulever le doute. Il cherche probablement une manière de faire bonne figure, c'est souvent comme cela qu'ils procèdent tous. Face à un être de moindre envergure elle se serait certainement permise de sonder son âme à la recherche de la clé malheureusement la manœuvre serait ici bien trop risquée. Elle se contente donc de ravaler son sourire un instant, et de le jauger.

- Il n'y a pas de place pour les artistes en ce monde. Tout n'est qu'ego, violence et chaos. Je compte bien modifier cela. Ce bar n'est que la première étape vers un changement inévitable. Qui sait jusqu'où ma toile s'étendra maintenant que je marche sous les étoiles !

Son regard se perd quelques secondes vers la cimes des arbres puis la voilà qui se tourne une énième fois en direction de ce qui fut jadis son royaume. Plus aucun remord, pas le soupçon d'une amertume ne la traverse. Ces souvenirs sont morts pour de bon, cristallisés dans ce chrysalide qui pend entre deux solides troncs miraculeusement épargnés par l'incendie. Ses autres sentiments gravitent autour mais ne cherche plus à perturber son processus de maturation. Bientôt ce qui est enterré déchirera l'écorce de sa tombe éphémère sous un jour nouveau. La douleur du passé deviendra une force redoutable même pour son interlocuteur insouciant.

Ce dernier ne le sait pas, pourtant il assiste à une renaissance. Ce spectacle n'est pas le sien, les enjeux non plus. Il avait clairement une quête bien à lui, des ambitions secrètes et une soif avide de pouvoir. Personne ne se présente au sommet de la chaîne sans en mesurer les conséquences. Raison pour laquelle sans doute il se montrait si évasif sur ses intentions. Et bien trop amical. L'araignée n'est pas dupe.

- Nous n'avons jamais entendu l'Hybris, des siècles d'errance et pourtant rien. Alors que le Bistro Mundo lui se répand dans le souffle du désert au point qu'il te soit parvenu ! Je t'écouterais narrer ces contes le jour où tu passeras le seuil de notre antre. En échange, nous marquerons ton esprit, d'une encre indélébile...

Damian s'est rapproché en silence et termine sa prose en découvrant son sourire narquois. Lui aussi sait jouer sur la compréhension et les non dits. Il en est même composé. Sa mère glousse innocemment et lui tend une main sur laquelle il vient se poser. La famille se recompose progressivement. Par simple curiosité, ou pour dévoiler l'étendue de sa propre complexité ? Difficile à dire. Aucune tension n'est encore palpable.

- Je ne partage pas nécessairement ton avis, vois-tu. Je suis persuadé qu'il y a belle et bien de la place pour les artistes, même au sein de ce monde. La violence, le chaos ou qu'importe le reste, ce ne sont finalement que des facteurs annexes. Les autres Mondes ne sont pas épargnés eux non plus.

Il le pensait sincèrement. En dépit des défauts de ce monde, Borick l'aimait réellement. Il s'agissait de son territoire après tout et il lui appartenait de pouvoir y vivre le plus sereinement possible. Evidemment, il s'agissait là d'un idéal.

Pour le reste, Borick s'amusait de l'ignorance de cette créature. Elle était puissante et ancienne, respectable même en bien des points. Mais son esprit paraissait tourné vers le passé même si elle s'en défendait, au point de ne pas connaître le Palais des véritables Seigneurs de ce monde. Il trouvait cela attendrissant d'ailleurs. Sur son visage, nulle trace de moquerie. Nulle trace de condescendance. Quel homme irait se moquer de l'insuffisance d'un autre ? Il était l'Empereur, il se devait d'être magnanime.

Et puis comme il l'avait dit, il irait se rendre à ce fameux Bistro. La curiosité était grande, pour autant il n'était pas question de laisser quoi que ce soit marquer son âme ou son esprit. Il répondit avec un doux sourire à ces propos énigmatique. Il adorait ce petit jeu qui se mettait en place. Il était si rare de discuter en toute intelligence sans avoir à sortir une arme ou à déchirer le silence avec des attaques énergétiques.

- Je crois que nous avons un accord. Je comblerai cette ignorance en échange d'un spectacle que j'espère ne pas regretter. Qu'il est plaisant de pouvoir échanger de la sorte. J'aimerai avoir une famille comme celle-ci. Mais le milieu dans lequel j'évolue n'est pas propice à cela.

Il poussa un soupire, visiblement contrit Sa propre famille se limitait à ceux qui le servaient. Sa confiance n'était pas donné à n'importe qui et en cela, Matryona avait de la chance, il le pensait réellement. Seulement un Seigneur se devait d'accepter la solitude, aussi difficile soit-elle. Et puis cette expression. Que disait-elle déjà ? Ah oui. Heureux les simples d'esprits...

Et eux, ils semblaient l'être. Heureux. Pas simple d'esprit, évidemment.

- Enfin. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Ma curiosité a été en partie assouvie et je suis heureux d'avoir pu croiser la route de tels artistes. Il me tarde de venir jusqu'à cette antre dont vous parlez.

Il avait mis ses mains dans les poches. Un autre aurait pu s'inquiéter de la présence de toutes ces créatures. Ces animaux en quelque sorte, même s'il ne s'agissait pas entièrement de cela. L'Immaculé était aussi impatient de pouvoir les éduquer, fier de contribuer à l'amélioration de ce monde à sa manière.

S'il n'y avait aucune relance, alors il quitterait ce charmant paysage de mort et de désolation. Et en profiterait pour se laver les yeux à grandes eaux. De telles horreurs ne devaient pas souiller sa vue. Encore que... Etait-ce du paysage ou d'autre chose à laquelle il pensait ?

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Il apparaît clair que les deux créatures ne partagent pour ainsi dire rien en commun. Pourtant aucune ne lève la lance de la guerre, conscientes peut-être de la lutte vaine que cela engendrerait. L’heure n’est pas au conflit d’idées ni aux conquêtes de royaumes disparus. Sous leurs yeux vides se déroule le fil du temps qui se croise, et doit continuer sa route vers l’infini.

Borick joue merveilleusement bien son tour, sans jamais tomber le masque de complaisance qui trahit malgré tout des pensées divergentes. L’Araignée ne le voit que trop bien, on ne peut tromper celle qui a fait du subterfuge l’essence même de son existence. Cependant la situation l’amuse, elle ne réagit pas déraisonnablement et se promet en secret d’exorciser le doute qui gangrène l’esprit de son interlocuteur.

- Cette famille tu la possèdes déjà. Elle pose un index contre ses tempes. Sans elle tu n’es rien. Il te suffit de lui donner corps, je te montrerais un jour.

Elle lui offre un sourire en demi-teinte, à la fois amusé et mauvais. Nulle parole n’est maintenue en l’air, chaque mot est brodé sur une tapisserie qu’elle exposera un jour sur le mur de son antre. En attendant ce glorieux moment la route qu’il viennent d’emprunter ensemble les dirige vers un précipice. Il serait de bon ton d’apprendre à voler, ou de rebrousser chemin. Elle, choisira l’abîme.

- Il faudra revenir plus tard oui, le spectacle est fini avant même d’avoir commencé. Des choses importantes à faire, oui oui. Bon vent !

Il accompagne ces paroles de larges gestes visant à le balayer de sa vue. Sa mère n’y prête déjà plus attention et se retourne enfin vers le sujet principal de leur venue en ces lieux de désordre. Ses six longs bras se déploient à nouveau et rapidement, une toile se dessine à l’abri des regards. Son œuvre n’est pas encore achevée.

Il saluait les étranges créatures, non sans un sourire aux lèvres. Il savait qu'il lui faudrait se rendre dans ce fameux bar. Pas seulement pour comprendre de quoi Matryona et les siens parlaient mais aussi et surtout pour vérifier une chose. Quelle genre de créature se trouvait là-bas.

Il était de son devoir de s'assurer que l'Acuerdo soit respecté. Mais il était aussi de son devoir de s'assurer que des forces anciennes ne puissent s'associer et devenir un problème pour son propre avenir. Si tel était le cas... Et bien il s'assurerait de faire disparaître ces dites créatures et ce bar en même temps. Une attaque de Menos Grande pouvaient malheureusement arriver à n'importe quel moment non ? Il serait tellement dommage qu'il y ait des dommages collatéraux. Tellement dommage.

C'est sur cette idée enthousiasmante qu'il reprit la route, mains dans les poches. Cette rencontre ne serait pas la dernière mais quelque chose lui disait que la prochaine serait moins sympathique. Comme s'il allait devoir passer un test. Sans savoir à quoi s'attendre, il allait devoir être sur ses gardes. Un sentiment devenu rare pour lui et qui lui plaisait. Ses bas instincts s'étaient comme réveillés en présence d'une Chasseresse aussi ancienne.

- Je sens que cette petite partie va m'amuser.

D'un Sonido, il quittait définitivement la place. Bientôt, petite créature aux multiples pattes, tu ploierais devant l'Empereur de ce monde. Et ce, même si tu n'en as pas envie.

[Fin]