La boite noire

Lorsque je suis arrivée à l’Arcanum, après l’entretien, Tempérance m’a informée de ce que je pouvais trouver à l‘étage des Cups. Elle m’a expliqué qu’ils ont là pas mal de matériel que je pourrais utiliser si je le souhaitais. De la haute technologie et diverses choses qui pourraient booster mes capacités. Si j’ai écouté avec intérêt et noté l’information, cela n’a pas été ma priorité. Si j’avais l’indispensable, mon collier, il me manquait un élément nécessaire et je doutais de pouvoir le trouver ici, ou du moins je n’aurai pas su où chercher dans ces nombreux grands sous-sols. Une fois mes affaires déposées dans la chambre que l’on m’a allouée, je suis aussitôt sortie. On m’a fourni un peu d’argent pour que je puisse m’équiper. Je n’ai pas besoin de beaucoup mais de toute façon l’Ultima Necat ne semble pas en manquer. Pour l’heure je ne me pose pas de question. Je ne m’en suis déjà pas posé lorsque je bossais avec The Fool alors je ne vais pas commencer. Je connais assez bien Tokyo pour savoir où me rendre rapidement.

Il y a cette petite boutique sans prétention qui vend diverses armes blanches des plus classiques aux plus atypiques. Tout juste ce qu’il me faut. C’est là que je m’offre un nouveau kyoketsu shoge. Le mien m’avait été confisqué lors de mon arrestation. Une arme reste une arme mais il y a toujours une petite question d’équilibre et de facilité de maniement surtout avec celle-ci. Il faut que ce soit adapté en poids, en longueur de chaîne et en forme de lame pour que ça me convienne à la perfection. J’en teste plusieurs avant de finalement me décider pour l’un d’eux. Au moins une bonne chose de faite. Autre accessoire qui m’est nécessaire et que je m’achète ce jour là, c’est un masque. Le genre intégral en tissu, sans fioriture avec juste un trou pour les yeux. Je sais qu’à l’organisation je vais croiser mes anciens camarades et je n’ai pas envie d’affronter leurs préjugés, pas avant d’avoir démontré que c’était terminé, que je suis là à présent et que je compte bien rester.

L’étage des petits génies comme je les appelle m’intriguait. Il ne me fallu pas beaucoup de temps pour décider de m’y rendre et j’ai pris le temps d’observer certains Cups en plein travail de recherche ou d’essai. Il y avait de nombreux grands laboratoires dont certains sont inaccessibles et des pièces de stockages sous étroite surveillance. Le genre que j’aurais à protéger maintenant que je suis une Clubs. J’ai trouvé notamment la partie sur les prothèses améliorées fascinantes. Me voyant déambuler dans leurs couloirs, l’un d’eux vint à ma rencontre me demandant si j’avais besoin de quelque chose en particulier. Alors je lui ai expliqué ce que Tempérance m’avait dit à propos de cette science capable d’augmenter mes capacités. Il a semblé tout de suite comprendre ce à quoi je faisais allusion alors que moi même j’ignorais totalement de quoi il s’agissait. Je l’ai suivi jusqu’à l’un des espaces de travail où d’autres de ses collègues travaillaient et il a sorti pour moi une boite de pilules parce que j’étais bien trop frileuse à l’idée d’utiliser l’un de leurs trucs et qu’il l’a bien senti. Je l’ai regardé un peu circonspecte et incrédule. Je n’ai jamais pris de produits dopants et n’avais pas tellement envie de m’y mettre. Mon Fullbring est très bien et n’a de limites que celles de ma créativité pour utiliser au mieux ce qu’il me permet de faire. Il a pris soin de m’expliquer que c’était une forme provisoire pour que je puisse tester les effets et qu’à la fin si je le souhaite, si je suis satisfaite, ces pilules seront remplacées par un implant que je pourrais activer à loisir tant qu’il est chargé.

- Par contre, ne sachant pas quels effets ça pourrait avoir sur vous, étant très dépendant du Fullbring unique que vous avez, les tests se passeront dans une salle blindée spécifiquement adaptée aux test et aux entraînements.

Je suis conduite dans l’une des fameuses salles d’entraînement blindée. Elle me fait penser à celle que l’on voit dans les films des X-men dans les sous-sols de l’école des mutants. Seulement ici ce n’est pas la fiction c’est la réalité, une réalité dont peu ont connaissance, mais une réalité qui a influé sur une majeure partie de ma vie. Je suis laissée seule avec une pilule dans la paume de ma main. Une suffit. Si j’ai besoin j’irai en chercher d’autres. Je n’aime toujours pas l’idée d’avaler un truc inconnu, mais c’est toujours plus acceptable que de se laisser poser un implant avant même d’avoir testé. Je suis méfiante, je ne peux pas faire autrement. Cependant, si leur truc marche vraiment, alors c’est sûr il me le faut ! Je veux être la plus puissante possible pour qu’on ne me fasse pas chier, qu’on me respecte et qu’on m’estime. J’veux pas être la meilleure, ni briller, encore moins être sur le devant de la scène, mais je ne veux pas non plus passer pour une ratée ou un boulet. J’ai eu mon lot d’insultes et de rabaissement dans ma vie c’est assez. Ces bâtards verront bien de quoi je suis capable et ils fermeront leur gueule. Mais commençons par le commencement.

Je prends une grande inspiration et j’effleure mon pendentif en forme de croissant de lune. Je prononce aussitôt les mots-clés « Under the moonlight. » Un chuchotement, pas besoin de plus, je suis seule après tout. Le croissant d’or se transforme peu à peu en lune miniature qui se met à léviter à mes côtés, attendant que j’utilise l’une de ses phases. J’observe la pilule dans ma main un instant, puis l’avale soudainement d’un coup sec. L’effet est quasi immédiat. La tête me tourne comme si je venais de me prendre une cuite monumentale. Je vacille sous la force de cette puissance brute qui déferle en moi. Littéralement ivre, mon esprit peine à se concentrer et ces murs trop lisses et trop uniformes n’aident en rien. Mes pupilles ambrées trouvent ma lune et sa lueur me permet enfin de me focaliser sur quelque chose. Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais.

Je peine à réaliser ce qu’il se passe, mais tout à coup… C’est le noir complet. Rien, il n’y a plus rien, pas le moindre rail de lumière. La tête me tournant, additionné à la panique de ce black-out, je trébuche et me retrouve le cul par terre. Le sol en béton est dur et frais. Sautant sur l’occasion de rafraîchir ce coup de chaleur qui accompagne mon ivresse, je retire mon masque, soulevant l’espèce de cagoule qui me recouvre le visage et je pose ma joue contre le béton. Je dois tellement avoir l’air con comme ça. Aaaaah ils vont m’entendre les petits génies c’est moi qui vous le dis ! Stop. Stop ! STOP ! Répondant à ma volonté, les ténèbres disparaissent et la lumière envahit de nouveau l’espace comme si rien ne s’était passé. C’est la première fois de ma vie que j’ai eu peur du noir. Mais à y réfléchir, ce n’est pas tant les ténèbres en eux-mêmes qui m’ont fait paniquer, c’est plutôt l’état dans lequel ça m’a mit et cette impression de ne plus rien maîtriser du tout. Ma lune redevient pendentif et je file retrouver le charlatan qui m’a filé cette daube, bien remontée.

- ça marche pas vot’ truc c’est d’la merde !

Retour dans la salle d’entraînement, accompagnée du petit génie cette fois. Le pauvre en a pris plein la tronche durant le trajet. Pas de doute sur le fait que j’ai été très contrariée de l’effet grosse cuite que ça m’avait fait. J’ai du mal à être condescendante. Ayant quitté l’école fort tôt, je ne sais pas s’il y peut quelque chose ou pas, c’est trop abstrait pour moi. Il ne dit rien, un bloc-notes dans les mains, placé face à moi. Je lui répète ce qu’il s’est passé, mes impressions le tout de façon moins fleurie que sur le trajet, mais avec un reste d’irritation dans la voix. Je regarde la nouvelle pilule que j’ai en main.

C’est reparti pour un tour. Maintenant que je sais à quoi m’attendre, j’appréhende moins. La claque qu’on se prend après l’absorption du concentré de reishi pur. Je me sens toujours ivre mais j’ai la sensation de mieux le supporter. Au moins je ne titube pas. Comme pour la première fois, ma lune devient toute noire et je me retrouve dans l’obscurité totale. Je me demande moins ce qu’il se passe face à ce déjà vu. Je sais que si je le veux, tout peut s’arrêter et revenir à la normale.

- Intéressant. Ça fonctionne très bien je vous assure.

Je tourne la tête en direction de la voix et j’écarquille les yeux de surprise. Je vois parfaitement bien le scientifique, un peu comme si j’avais été dotée d’une vision infrarouge. Si je le voulais, je pourrais le rejoindre, le frapper ou lui confisquer ses notes.

- Est-ce que tu me vois toi aussi ?
- Absolument pas. Je ne vois… rien du tout.

Il semble enthousiaste et ça me déride. Mon ivresse est plus légère que celle de tout à l’heure mais cela ne m’empêche pas d’être prise d’un gros fou rire. Intéressant oui effectivement. Dès que j’aurai un peu plus de tentatives à mon effectif je sais que tout ira mieux, que je pourrais en tirer parti. J’essaie de comprendre un peu le phénomène. Cela me fait fort penser à une nuit de nouvelle lune sans étoile. A l’époque où l’électricité n’existait pas, cela devait certainement avoir le même effet. C’est un peu à double tranchant avec un côté anxiogène pour qui a peur du noir et reposant pour tous ces stressés de la vie accro aux écrans. Maintenant que je suis convaincue, on retourne à l’étage des labos et on me demande ce que je voudrais comme type d’implant. Je réfléchis un peu, mais l’idée me vient assez facilement. Je ne veux pas d’un truc sur le visage. Il faut que ce soit pratique et facile d’accès alors je demande à ce que ce soit posé sur mon poignet.

Il leur faut plusieurs jours pour me confectionner le truc, mais au bout d’un moment on vient me chercher et sachant de quoi il s’agit, je m’empresse d’aller chercher ce qu’ils m’ont fabriqué sur mesure. L’appareil ressemble à une manchette métallique au style futuriste épuré, comportant un bouton discret. On me dit qu’il faut bien appuyer pour que l’injection se fasse. Le bouton est difficile à presser pour éviter les utilisations accidentelles. Je tends le bras et après quelques instants de pose, je suis enfin équipée. Je suis attentive aux explications surtout pour savoir comment le mettre ou le retirer. Même si c’est waterproof, vaut mieux pouvoir l’enlever lors des douches, question d’hygiène. Je le remercie et la vie reprend. Petit sourire sous mon masque, j’ai été upgrade comme disent les jeunes.

Moon's Darkness. Toutes les sources de lumière sont aspirées, comme si les combattants étaient enfermés dans une boite noire. La Fullbringer y voit comme en plein jour alors que l'adversaire ne voit plus rien.