Perdue

Les choses avaient changés et c'était peu de le dire. Sans doute à cause de la guerre. Des reconstructions obligatoires suite aux différentes attaques. Mais sans doute aussi parce que sa mémoire n'était plus exactement ce qu'elle était. Six ans de coma, cela ne se gommait pas en un coup de pinceau. Et si le destin lui avait permis de retrouver une amie de son passé, la seule qui avait survécu, sa "mort" avait laissé quelques séquelles difficiles à ignorer.

Ses dossiers en main, elle arpentait donc les différentes ruelles sans réellement savoir où elle se trouvait. En temps normal, sans doute aurait-elle attrapée le premier Shinigami qui passait pour l'interroger. Mais elle cherchait tant à recouvrer ce qu'elle avait perdu qu'elle préférait persévérer.

Seulement l'usure et la fatigue la tenaillaient. Elle finit par s'arrêter au milieu du chemin, s'adossant au mur blanc, se laissant tomber sur le sol. Les larmes aux yeux. Le pire dans tout cela ? C'est qu'elle n'était pas ainsi de base? Et cette simple faiblesse l'agaçait plus que tout. Mais le cercle vicieux étant enclenché, il était difficile de se sortir de la spirale.

Elle était perdue. Et pas que géographiquement parlant.

- Tout ça pour ça. Je fais la forte. Mais je ne suis même plus capable de me souvenir d'un simple chemin. Si Yoru me voyait... Elle aurait honte de moi. Je dois me reprendre.

Elle se parlait comme pour s'encourager. Elle qui était de si bons conseils avec les autres, voilà qu'elle peinait à se remettre en selle. Ses deux mains claquèrent ses joues.

- Allez Miwa. T'es pas n'importe qui après tout. Lève-toi et affronte ce monde.

Elle sentit une ombre la recouvrir. Avait-elle attiré l'attention de quelqu'un ? Si en plus elle commençait à faire pitié, elle était pas dans la mouise.

La nana au Kidō.

Il n’avait pas eu trop de mal à la remettre, plutôt à se convaincre qu’il s’agissait bien d’elle. Qu’il s’agissait bien là de la femme qu’il avait croisé, le dos en charpie quelques lointaines années dans le passé.

A l’époque, le Wandenreich avait pris les devant et ils avaient tous dû prendre les armes. Les doués et les nullards. Les vieux de la vieille, et les petits cons tout juste sortis de l’académie. Les enfants. Les vieillards. Les malades. Et eux, évidemment. En bon petit soldat, le Serpent n’avait pas trop cherché à discuter les ordres. On lui avait dit de trancher, de découper, de s’attaquer à tous ceux qui voulaient réduire à néant leur existence, et il s’y était attelé avec une hargne qui l’avait effrayé. Puis Kasumi s’était révélée à lui. Elle lui avait évité de mourir, mais pas de se retrouver dans un état lamentable.Elle lui avait refusé une douce mort anonyme, pour lui faire passer une demi-douzaine de semaines de douleur dans les services de rééducation du Seireitei. C’était là bas qu’il l’avait rencontrée.

Hana Miwa.

Les patients étaient nombreux, mais on avait, à l’époque, décidé de les regrouper dans des chambrées plus proches de dortoirs que de chambres d’hotel. Il avait fini dans un lit à quelques encablures de celui de la belle. Lui aussi avait été touché au dos. Entre autres. Son Zanpakutō lui avait évité de finir la tête embrochée comme une pomme face à une arbalète, mais par n’avait pas pu faire grand chose contre les zébrures qu’il avait récolté lors de sa dernière opposition. Il avait vraisemblablement gagné le duel, mais au prix de quelques cicatrices supplémentaires.

Ces quelques semaines de cohabitation avaient permis à certains Shinigamis survivants de tisser des liens uniques. Pas au Serpent. Mais il n’oubliait jamais les visages et les noms. Qui plus est, les quelques intéractions qui l’avaient sorti de son mutisme post invasion avaient parfois été initiées par la femme qui lui faisait face. Il n’avait pas particulièrement gardé contact, mais c’était avec un certain plaisir qu’il avait pu la croiser par la suite. Jusqu’à ce qu’il apprenne, par la suite, que la deuxième invasion s’était moins bien passée pour elle.

Apparemment c’était de l’histoire ancienne.

“Hana Miwa.” Dit-il d’une voix stricte, sortant un étui argenté la poche interne de sa veste. Son paquet de cigarettes, évidemment. Il savait pertinemment que la jeune femme n’y touchait pas, mais le tendit toutefois vers cette dernière.

“Une sèche ?”

Son regard se posa sur le borgne. Et la connexion se fit immédiatement. Il faut dire que la belle ne voyait pratiquement que des visages inconnus depuis son réveil. Alors tomber sur une personne qui ne lui était pas étrangère, voilà qui avait de quoi la rassurer. Se redressant d'un bond, elle s'inclina pour le saluer, repoussant de la main la proposition de cigarette. Elle ne touchait pas à ces choses là, pour sa part.

- Serpiente ? C'est bien vous ? Quel plaisir de vous voir. Que faites-vous là ? Moi, je me suis perdue. Je ne sais même pas comment j'ai réussi mon compte. Enfin, qu'importe. Je suis heureuse de vous voir.

Elle semblait le penser. Elle ne le connaissait que trop peu à dire vrai. Ils avaient partagés une partie de leur convalescence ensemble et elle se souvenait avoir initié la conversation quelques fois. Mais elle se souvenait aussi qu'il n'avait pas été le patient le plus bavard qui soit. Le borgne était ainsi et elle s'en était accommodée.

Il faut dire que sa division possédait sa petite réputation et qu'elle avait toujours regardé cela avec un oeil inquisiteur. Le fait que Yane Yoru ait été enfermé dans les prisons du Seireitei ne l'aidait pas à mieux les tolérer évidemment. Même si la concernant, elle estimait que son amie avait clairement dépassé les bornes en s'évertuant à agir comme elle l'avait fait. Mais tout ceci remontait à bien avant les guerres en question, elle n'allait pas ressasser sans raison.

- Que devenez-vous après toutes ces années ? Pardonnez ma curiosité mais j'ai été absente un long moment. La remise à jour n'est pas forcément évidente. Mais je suis ravie de voir enfin un visage connu, à défaut d'être amical.

L'art de mettre les pieds dans le plat et de faire un compliment couplé d'une critique. Miwa dans toute sa splendeur. Mais elle était ainsi. Elle ne calculait pas et disait les choses comme il fallait le dire. Serpiente n'était clairement pas le mec le plus sympa en apparence. Et le côté borgne n'aidait pas à le rendre sympathique.

Les borgnes, c'était plutôt effrayant de base.

Elle ne voulait pas de sèche, tant mieux, elles etaient chères et la plupart du temps, il le faisait plus par politesse qu’autre chose. Les autres shinigamis n’acceptaient que rarement l’offre de toutes manières. Ils étaient plutôt pipe et tabac. Kiseru. Il ne s’était jamais adapté et passait ses paquets en contrebande, y grillant une belle partie de son solde. Mais cela en valait le coup. Elles avaient un goût de liberté. Américaines, comme lui. Fuck yeah.

La jeune femme piqua de son dard, sans probablement s’en rendre compte. C’était là l’un des traits de caractère qu’il avait identifié lors de leurs rapports précédents. Une certaine candeur, se risquerait-il. Une méfiance sans aucun doute. Mais elle avait raison, on vivait plus longtemps en restant prudent. Les attaques successives du Seireitei avaient sans doute laissé une trace indélébile. Cela avait été sans aucun doute le cas pour la majorité des survivants, après tout. “C’est tout un art de sortir des saloperies avec le sourire. J’applaudirais presque.” Marmonna-t-il alors qu’il s’allumait la cigarette de son vieux zippo. Un souvenir de l’une de ses rares incartades dans le monde des humains.

“J’ai cru comprendre oui.” commença-t-il en rangeant étui et briquet dans la poche intérieure de son pardessus en cuir. Qu’avait-il fait de beau ces derniers temps ? Pas mal de choses. Peu de choses communicables, évidemment. Pas mal d’espionnage, et de recoupage d‘informations. Quelques chantages. De la protection de bar, à ses moments perdu, pour se payer du mauvais bourbon. Et quelques missions pour le compte de la deuxième. De communicable, par contre, encore une fois, peu d’informations. Il la regarda de son oeil unique “Oh, rien de très intéressant. Quelques missions sur le terrain. J’ai donné un cours à l’Académie. Pas de Kidō, évidemment.”

Cela avait été un essai assez intéressant. Il avait essayé d’enseigner aux nouvelles recrues la bonne utilisation de la discrétion et des techniques de collecte d’information. Enfin, de celles dont on pouvait divulguer, pas de celles qui impliquaient quelques sévices corporels, il en va sans dire.

“Je ne vous ferai pas l’affront de vous demander de nouvelles, je comprends que votre dernier réveil date d’il y a peu, me trompes-je ? Et surtout, vous cherchez quelque chose ?”

Elle avait l’air perdue. Mais d’un autre côté, n’arborait-elle pas cet air hagard constamment ? D’un autre côté c’était sa spécialité de retrouver des choses. Ou des gens. Ou les deux.