Be obsessed or be average

Au sein de l’Arcānum, il était possible de croiser depuis peu une nouvelle personnalité. Et personnalité était bien le mot, tellement la concernée était exceptionnelle. En vérité, tout ceux la croisant vantait ses louanges, ne tarissant pas d’éloges. Une véritable Princesse adorée de tous. De qui s’agissait-il ?
Et bien de moi, tout simplement ! Vous vous attendiez à quoi ? Bon, peut-être que j’exagère un peu. Les gens ne l’expriment certes pas vraiment, mais je ne doute pas un seul instant qu’il n’en pensent pas moins. Et puis, pour l’heure, je me fais en vérité quelque peu discrète. Le temps de m’acclimater à cette nouvelle vie.
Déjà, je viens à peine de récupérer mes nouvelles tenues. Finis les vêtements ternes et sans identité. Terminé le temps de me cacher, je pouvais enfin être moi-même.
Sibylea Liesith ! Et pas Mikami Rinwa. Il faut que je l’oublie elle…

La jeune Quincy millénaire était en effet toujours en phase d’adaptation. Il n’était pas si évident de changer de vie aussi rapidement. Elle avait rejoint l’Ultima Necat et sa section, mais elle devait encore en saisir toute la portée.
Elle avait encore du mal à saisir le but réel de cette organisation, les enjeux la dépassant quelque peu. Par contre, elle avait bien retenu une chose. Une alliance avait eu lieu avec les Hollow mais celle-ci était maintenant terminé. Le contraire aurait rendu difficile le maintien de la concernée dans ce groupe.
Jamais une entente avec ces monstres n’aurait été possible de sa part.

Donc ! Arrêtons de nous disperser et revenons à l’important. Mon but dans tout cela ? Ma vie ces dernières années n’étaient pas si mal. Et pourtant, j’avais accepté de les rejoindre. Et pourquoi ? POUR DES QUINCY QUE JE N’AVAIS PAS ENCORE VUS !
Bon, prenons le temps de souffler. Si j’en avais vu. A mon arrivée. Depuis, rien. Il fallait que je puisse en apprendre plus. Sur eux. Sur nous. Sur tout. Je n’avais pas encore eu accès à tout ça. Cela viendrait.
Je ferais en sorte que cela soit le cas.

Lorsqu’elle avait une idée en tête, il était difficile de lui faire penser à autre chose jusqu’à ce qu’elle ne s’en lasse.
Hélas, ce qui concernait les siens n’était pas de nature à finir par l’ennuyer. Si bien que, si elle souhaitait obtenir l’information, elle ferait tout pour l’avoir. Ou du moins essaierait. Dans la mesure de ses compétences. Donc… Pas grand-chose en la matière, il fallait bien l’avouer. Et peut-être que tenter de pénétrer dans les archives sans autorisations n’était pas la meilleure des idées.
La discrétion n’étant pas son point fort, ce fut sans surprise qu’elle fut prise sur le fait. Ses capacités acquises durant la période Rinwa furent mise à service afin de trouver une justification, notamment à base de « Je me suis perdue » et « Je ne savais pas que je n’avais pas le droit », le tout avec un visage des plus convaincu, ou convainquant.
Ce qui ne lui permis pas d’accéder à l’objet des désirs. En fait, l’un de ses supérieurs avait même été appelé afin de venir la rencontrer.

D’ailleurs, je le connais pas encore ce Jack of Coins non ?

Si l'Arcānum était une construction des plus impressionnantes, elle n'inspirait somme toute pas une grande confiance à Noda. Le complexe faisant à la fois office de centre de recherche, de banque d'archive, de caserne et de quartier général, et le PDG avait donc bien du mal à imaginer pouvoir y parler librement. Sa suspicion sur l'impossibilité d'y entretenir une conversation privée n'avait jamais vraiment été prouvée, mais il se doutait bien, au vu du nombre de passages secrets qui y pullulaient, que micros et caméras pouvaient aisément tapisser les couloirs sans être repérés.

Pour ces raisons, il ne pourrait ainsi pas dire à la recrue qu'il était venu saluer tout ce qu'il aurait aimé pouvoir lui transmettre, du moins pas directement, mais cette contrainte avait ses avantages. Il pourrait ainsi s'assurer qu'elle était bien à la hauteur du rang qui lui avait été attribué, et de ceux qu'elle était désormais en mesure de convoiter. Encore fallait-il, bien sûr, qu'elle soit capable de lire entre les lignes. Alors seulement pourra-t-il envisager de lui parler plus ouvertement en un lieu plus adapté à l'honnêteté qui s’impose aux plus importants échanges.

Ces considérations en tête, le PDG parcourait les longs couloirs du complexe, vêtu de son habituel costume: un pantalon, des chaussures et un gilet noirs, ainsi qu'une chemise mauve sous ce dernier. L'ensemble pouvait paraître quelque peu extravagant dans le monde des affaires, mais semblait souvent particulièrement fade en comparaison des accoutrements alambiqués arborés par les acteurs du monde spirituel. Noda découvrirait bientôt que si la Quincy dérogeait à beaucoup de normes, elle représentait parfaitement celle-ci.

Une porte, puis un couloir, puis une autre porte. Le Jack se rapprochait peu à peu de sa destination finale, et en ouvrit l'accès avec panache à son arrivée. Elle était là, face à lui, aussi jeune et visiblement insouciante qu'on le lui avait conté. Et pourtant, Noda ne saurait la sous-estimer. Si son âge réel était difficilement identifiable, il gardait bien à l'esprit qu'il s'agissait là d'un être issu d'un autre temps, et qui plus est particulièrement violent. Plus important encore, elle avait été un membre primordial d'un groupe qu'il était possible de considérer comme une sorte de prédécesseur à l'Ultima Necat, tout du moins en ce qui concernait sa posture à l'égard des shinigamis, et il était en soit bien ironique qu'elle se soit fait prendre à essayer de s'introduire dans les archives quand on réalisait qu'elle constituait, qu'elle en ait ou non conscience, l'un des plus profonds puits de savoir de l'organisation.

"Bienvenue chez les Coins, Sibylea Liesith. Je suis Eiichi Noda, le Jack de ta section. Je crois comprendre que tu t'es trouvée bien embarrassée avant mon arrivée, en quoi puis-je t'aider ?"

Et le voilà qui arrivait. Si l’on comparait l’arrivant à celle qu’il venait chercher, il était possible de dire qu’il s’agissait là des deux opposés d’un spectre. L’aspect extravagant et insouciant de la jeune femme paraissait en contradiction complète avec le sérieux que dégageait le Jack of Coins. Un sérieux auquel elle ne s’attendait pas forcément suite à sa rencontre avec Orias.
Sans forcément le critiquer, la première impression qu’elle eut des deux ne fut pas du tout la même. Elle ne serait pas surprise que bon nombre de recrues soient intimidées à la vue de cet homme. Ce n’était pas son cas. Bien au contraire.

Sérieux ? Même dans sa façon de parler ? Il peut pas se décoincer un peu le pauvre ? Mince, je risque d’avoir du mal avec lui. Ou alors… Oui, c’est forcément ça ! Il cherche à bien se faire voir pour une première rencontre ! A coup sûr il finira par se dérider après avoir fait ma connaissance.
Comment ne pas tomber sous mon charme après tout. Pour cela, je lui adressai un franc sourire. Se montrer amicale pour entendre qu’il pouvait l’être, c’était une base. Puis alors vint le moment de prendre à mon tour la parole.

>> Embarassée ? Mais pas du tout ! Agacée peut-être. A CAUSE D’EUX ! Tu te rends compte qu’ils refusent de me laisser entrer ? Soit disant que derrière ces portes sont conservés des secrets, ou je ne sais quoi. C’est l’histoire de mes frères et sœurs !

Bien sûr, la simple idée même que ces archives pouvaient contenir autre chose que l’objet de sa recherche ne lui avait pas traversé l’esprit un seul instant. Comme dit, lorsqu’elle avait une idée en tête… Pourtant, les gardes l’ayant prise sur le fait lui avaient expliqués. Et, alors qu’elle parlait en les assassinant du regard, ils continuaient à le faire.
Sans même faire attention à leurs tentatives de s’exprimer, elle se contenta de leur adresser une grimace afin de témoigner tout ce qu’elle pouvait penser d’eux. Puis, l’instant d’après, comme si de rien était, elle affichait un large sourire à celui venu la tirer de ce mauvais pas.

>> Bon, j’ai compris, inutile d’insister pour le moment. En tous cas, je n’ai plus envie de voir leurs sales têtes. Si on allait ailleurs ? N'importe où, du moment que cela me change l'esprit.

Oui, j’étais agacée, c’était bien le mot. Il était impossible d’en douter, mon ton le trahissant. Mais c’était justifié ! Je n’écartais pas l’idée de revenir plus tard. Ils perdaient rien pour attendre. Pour le moment, je comptais profiter de ce Noda pour m’emmener loin d’ici. Il me semblait même que c’était pour ça qu’il avait été appelé.
Et pour le coup, je l’observais un peu plus attentivement. Ses goûts vestimentaires étaient certes à revoir, mais il semblait avoir du potentiel. Peut-être qu’il pourrait devenir un de mes nouveaux gardes...

L'agacement visible de la quincy parvint à arracher un sourire en coin à Noda. Il était avant tout un être de calcul, mais il avait toujours un faible pour les individus qui, comme lui, savaient se montrer ambitieux. "Vouloir quelque chose te rend légitime à le posséder, tant que tu sais t'en donner les moyens", disait son père. La loi du plus fort, en somme, ou plutôt du plus malin. La simple présence du Jack dans la pièce témoignait du fait que quelque chose dans le plan de sa subordonnée avait dû capoter, mais au moins avait-elle la base: l'ambition.

"Tu serais surprise d'apprendre ô combien le savoir de l'Ultima Necat est réduit. Ta mémoire contient certainement plus d'informations concrètes que la partie des archives accessibles aux Kings et Queens."

Peut-être était-ce là une hyperbole, mais Noda en doutait. Les relevés des Cups apportaient bien sûr une valeur considérable à l'attrait purement technique des archives, mais elles manquaient d'histoires, d'organigrammes déchiffrables ou de profils bien établis. En bref, l'Ultima Necat comprenait très bien ce qu'elle savait, mais ne savait pas grand-chose. L'inverse aurait été plus inquiétant cependant, car la situation actuelle témoignait au moins du dynamisme de l'alliance.

Les élucubrations de la jeune fille le sortirent à nouveau de ses réflexions. Elle disait vouloir partir, quitter l'Arcānum. Un peu tôt, aux yeux du milliardaire, mais il n'avait pas non plus de grandes raisons de vouloir rester en ces lieux.

"Soit. Quittons cet endroit."

Il rebroussa chemin, arpentant les couloirs traversés plus tôt en sens inverse.

"Rendons nous à l'Eiichi Tower. Il serait malvenu pour un homme de ma stature de se retrouver seul dans un lieu public en compagnie d'une jeune fille."

Ce genre d'erreurs, même innocentes, avait brisé plus d'une carrière, et Noda ne comptait pas figurer parmi ces chefs d'entreprises abattus en plein vol à l'ère Metoo, à tort ou à raison. D'autant plus que rien dans le phénotype de Sibylea ne pourrait lui permettre de se faire passer pour une nièce ou une jeune cousine de Noda. Elle pourrait cela-dit, habillée plus formellement, passer pour l'une de ses employées, mais le PDG se doutait bien en quelques échanges que la quincy n'était pas du genre à tolérer le compromis. C'était un trait de caractère finalement assez commun chez les revenants et, s'il s'illustrait chez beaucoup d'entre eux par une prudence excessive à l'égard des contacts entre les mondes spirituels et matériels, cet aspect de leur personnalité pouvait en réalité s'incarner dans de nombreux domaines. Noda se demandait bien où se situait la Seven à ce sujet.

"Bien sûr, nous savons tous deux que ta jeunesse est toute relative, mais ce sont les apparences qui priment dans ce nouveau monde, Sibylea. Peut-être était-ce déjà le cas dans le tien. A ce propos, ai-je raison d'espérer que ton acclimatation se déroule sans accrocs ? Nous sommes après tout ici pour guider et sauver l'humanité, et il nous faut pour cela et en premier lieu la comprendre."

La conversation suivant son cours, le duo traversa l'Arcānum jusqu'à arriver à l'un de ses nombreux ascenseurs donnant sur l'extérieur, ou plutôt sur un parking souterrain dans le cas de celui qu'ils utilisèrent. Là, une limousine noire les attendait. Au volant, un homme à la constitution solide attendait patiemment. Tout le monde dans le service de sécurité de Mitsubishi avait depuis bien longtemps arrêté de questionner Hoang sur les lunettes de soleil qu'il gardait en permanence vissées sur le nez, même en pleine nuit. Il conduisait mieux que n'importe qui, et c'était tout ce qui intéressait Noda.
Près de lui, adossée à une colonne, se trouvait une femme. En dépit du cigare massif que fumait Diatta, c'était probablement l'immense révolver accroché à se ceinture qui attirait en premier lieu l'attention des témoins. La chef de la sécurité, voyant son patron revenir, se dirigea vers les portes arrière, qu'elle ouvrit toutes deux avant d'inviter d'un geste de la main le duo à s'installer sur les luxueuses banquettes. Noda lui annonça leur destination en rentrant.

"On retourne à la tour. Vous pourrez prendre votre soirée après ça."

La garde du corps hocha la tête, puis, après avoir refermé les portes une fois les passagers installés, embarqua à l'avant du véhicule tout en transmettant les consignes au chauffeur. Un très léger vrombissement se fit entendre au démarrage de la voiture, mais il s'estompa immédiatement alors que le conducteur manoeuvrait avec une étrange aisance le véhicule disproportionné hors du parking.

"Nous en avons pour une vingtaine de minutes. Tu trouveras des jus et des sodas dans le minibar."

>> Ma mémoire ne possède rien de ce qu’il s’est passé après ma mort.

C’était logique. Mais en même temps très bizarre à dire ! Franchement, qui pouvait se vanter de pouvoir évoquer sa mort comme d’un simple passage de sa vie ? Ouais, vraiment étrange. Mais marrant. Je m’étais déjà faite à l’idée. Même si j’aurai aimé me souvenir de comment.
Voir ne pas mourir, bien entendu. Mais ça c’était la base. Même que je suis sûre que j’aurai pu faire la différence et permettre la victoire de sa Majesté ! Enfin, j’en savais rien, puisque j’avais aucune info !
Mais calme. Sinon j’allais repartir à insulter les abrutis derrière. Suivons Jack. Je pensais pas forcément sortir de l’Arcānum, mais il avait pas tort. Ça me ferait du bien un peu d’air.

Sans un mot supplémentaire, elle se mit à le suivre. Elle eu simplement un sourire à l’écoute de sa remarque sur le fait de se retrouver dans un lieu public avec elle. Elle comprenait très bien ce qu’il voulait dire. Tout comme elle était consciente de faire plus jeune que son âge. Son âge physique, pas celui de son âme. Il fallait dire que c’était un peu compliqué dans son cas.
Chose qu’il fit remarquer, d’ailleurs. Et, pour le coup, il lui parut un peu décalé par rapport à la réalité de sa situation. Ce qui était normal en un sens s’il n’était pas concerné. Elle-même ne possédait pas les raisons. Mais peut-être était-elle bien moins ignorante qu’elle n’en avait l’air sous son apparence fantasque.

>> J’ai vécu six ans sous un faux nom. Bien sûr que je suis acclimatée. Mais eh, je suis vraiment jeune ! J’ai dix-neuf ans, pas mille ! La mort, ça compte pas !

Un air faussement énervé fut alors adopté par la Quincy, comme si elle était vexée. Ce qu’elle n’était pas vraiment, mais cela pouvait l’amuser de le faire croire. Ce fut donc en faisant comme si elle boudait qu’elle monta dans le véhicule. Entre son apparence, les personnes travaillant pour lui, le véhicule et, surtout, sa façon de parler, elle n’avait aucun doute sur le fait que l’homme était quelqu’un ayant beaucoup de moyen.
Ce qui ne semblait pas la préoccuper un seul instant. Sans un mot de plus, elle se laissa tomber avec force dans la banquette. Ce n’était pas la première fois qu’elle montait dans ce genre de voiture. Ce qui la faisait sourire. C’en était presque plus suspect que de s’afficher en public au final.

>> Jus et sodas ? Tu me prends vraiment pour une gamine.
...
Tu me prends pour une gamine, tu m'emmènes dans ta voiture... Rassure moi Jack, t’as vraiment pas de sales idées derrière la tête hein ? Nan car je connais ça ! Mais je peux me défendre !

Je souriais en tendant le bras gauche, sur lequel se trouvait mon bracelet. Puis un petit mouvement vers le haut accompagné d’un « Piou !: » Il allait comprendre que je faisais semblant de tirer une flèche hein ?

Six années. Il était amusant pour Noda de voir à quel point ce maigre laps de temps semblait paraître important aux yeux d'un être pourtant techniquement si ancien. Certains humains passaient, ici bas, une vie entière à s'adapter à une simple nouvelle ville après leur déménagement, aussi Noda doutait-il de l'affirmation de la jeune fille. Quoi qu'il en soit, au moins avait-elle l'audace et la confiance de l'annoncer comme une évidence. Une moue presque clichée sur le visage, elle le suit, passe la porte du véhicule et s'installe sur l'une des banquettes arrière avant de moquer sa proposition. Ignorant la vaine menace, le PDG répondit du tac au tac.

"Tu l'as dit toi-même, non ? Tu n'as que 19 ans, et la consommation d'alcool est interdite aux mineurs de moins de 20 ans."

Il ricane, puis tapotte légèrement un anecdotique renflement dans le cuir de son siège, qui fait immédiatement émerger, entre les deux banquettes, un minibar chargé de boissons diverses aux prix certainement exorbitants. Un sourire en coin, il les désigne d'un mouvement de la main en fixant la Seven.

"Mais chacun sait que les lois des hommes ne s'appliquent pas aux puissants."

Si la formule s'avérait généralement véridique aux yeux du commun des mortels, elle apparaissait d'autant plus juste pour les fullbringers et quincys, pour qui la notion de puissance était toute aussi importante, mais très différente à bien des égards.

"Tâche tout de même de faire preuve de modérations: certains de ces alcools ont mon âge."

La limousine quitta bien vite l’obscure sous-sol, et à la pénombre souterraine alentour se substitua une autre, plus nuancée car percée çà et là par les lumières de la ville, qui s'intensifiaient en force et en nombre au fur et à mesure que la voiture se rapprochait du coeur de la ville qu’était Shinjuku. Le véhicule de luxe attirait çà et là des regards amusés ou envieux, mais aucuns ne parvenaient à percer, bien heureusement pour Noda, l’opaque teinte des vitres qui conservaient l’intimité des puissants de l’habitacle. Mieux que les murs de l’Arcānum ne saurait certainement jamais le faire.

"S’il t’arrives à l’avenir de vouloir obtenir quelque chose que l’Ultima Necat te refuse, n’hésites pas à passer par Orias ou par moi-même. Nous autres Coins ne partageons pas l’obsession hiérarchique du reste de l’organisation. Nos prérogatives sont larges, nos responsabilités importantes, et nous jugeons que nos agents méritent d’avoir accès aux ressources dont ils ont besoin."

Ces principes avaient bien sûr leurs limites, particulièrement lorsqu’il s’agissait de ressources humaines. Noda en avait récemment fait l’expérience, mais comprenait le scepticisme qu’on lui avait opposé. Il était après tout naturel que l’organisation soit apeurée dans une certaine mesure par un Gotei dont elle ne savait rien si ce n’était qu’il la surpassait de loin sur le plan militaire. Pour apaiser les esprits et aiguiser les ambitions, Noda devrait parvenir à démystifier le potentiel adversaire. Et il avait à ce propos une petite tâche à confier à sa subordonnée.

"Ceci dit, et parce qu’il nous est justement impératif d’acquérir plus de ressources et de savoir sur nos rivaux, j’aimerais te demander une faveur. Il te faudrait consigner tout ce que tu sais sur les shinigamis, leur hiérarchie et leurs capacités."

Noda aurait aimé pouvoir témoigner à la nouvelle arrivante un accueil plus chaleureux qu’une mission de gratte papiers, mais son expérience était, aujourd’hui plus que jamais, particulièrement précieuse, et si elle avait eu connaissance d’une seule information importante dont l’Ultima Necat ne disposait pas encore, alors il était de son devoir de la récolter.

La conversation avançait au rythme des accélérations graduelles et des freinages doux de la limousine. Bientôt, elle arrivera à la tour Eiichi, et se dirigera immédiatement vers son sous-sol, afin d’y pénetrer en toute discrétion.

>> T’es vraiment pas marrant.

Une moue déçue avant de laisser retomber son bras, ainsi que son dos contre la banquette, manquant de faire tomber son chapeau qu’elle rattrapa de l’autre main. Elle avait espéré une autre réaction qu’une aussi terre à terre. Au moins, il semblait coller à son apparence, commençant alors véritablement à devenir un contraire d’elle à ses yeux.
Bien sûr, elle avait à peine entendu le ricanement et avait donc pris sa réponse très au sérieux. Ses deux remarques suivantes, cependant, furent de nature à de nouveau faire naître un léger sourire sur ses lèvres.

>> Waw, ils sont si vieux que ça ?

Le pauvre. S’il espérait que je le laisse tranquille, il se trompait. Lourdement ! J’étais toujours remontée contre les crétins plus tôt. J’aurai peut-être dû leur offrir un Gift… Merde, j’avais loupé l’occasion. Pas grave, je m’en occuperai à mon retour.
Pour le moment, ça serait con de manquer la proposition ! Sans me faire attendre, je pris un verre afin de le remplir. Avec quoi ? Quelle drôle de question. Comme si j’en avais la moindre idée. Tout ce que je sais, c’est que c’était bon. Un peu fort. Mais bon.

Alors qu’elle buvait son verre, elle écouta attentivement son supérieur parler. Visiblement, il semblait avoir une opinion bien formée sur l’organisation à laquelle il faisait parti. Et, de toutes évidence, sa loyauté n’y allait pas entièrement en totalité. Celle de la Quincy non plus en vérité, ne possédant qu’un seul et unique véritable Roi.
Pourtant, elle n’avait pourtant pas mieux pour le moment. Elle n’était pas seule et, si elle souhaitait retrouver sa véritable famille, elle se devait de faire avec ce qui se présentait à elle. A voir dans quel sens le vent allait la porter.

>> Tu disais que les lois des hommes ne s’appliquent pas aux puissants. Bah elle s’appliquent pas à la rue non plus. Je me réveille seule dans un monde que je connais pas. Des choses interdites, j’ai du en faire tu sais. Je retiens la proposition hein, et t’en remercie. Mais j’ai surtout appris à ne compter que moi.

Un air plus sérieux que d’habitude. En cet instant, celle s’étant exprimée était plus Mikami Rinwa que Sibylea Liesith. Elle ne pouvait totalement ignorer celle qu’elle avait entendu pendant une si grande partie de sa vie du jour au lendemain. Elle ne le voulait pas non plus, les enseignements tirés pouvant servir.
Mais tel comportement resterait fugace, reprenant bien vite sa légèreté précédente alors qu’elle buvait une nouvelle gorgée, réprimant in extremis une brève grimace.

>> Ce serait triste que rien n’ait changé depuis mon temps… Mais je risque de te décevoir. Je me souviens pas de grand-chose. Pas même de ma mort. J’évite d’y penser, rien que le faire me donne un sacré mal de tête !

Aucune image me revenait. Juste beaucoup de lumière. Et je tenais à le dire, c’était tout sauf agréable. Donc j’évitais. Quel intérêt à se faire du mal ? Donc y repenser dans les détails ? Aucune chance. C’était inutile. Et je n’avais pas envie. Et je trouvais ça inutile. Sérieusement, je veux bien qu’ils vivent les longtemps, mais même les Shinigami avaient du changer depuis ?
Quoique… Peut-être que celui m’ayant tuée était toujours là. Faudrait que je le tue. Dommage que je puisse pas savoir qui c’était. Je savais pas grand-chose en fait.

>> Tout ce que je peux dire, c’est que Sa Majesté a perdu. Comment ? Les Shinigami existent toujours. Pour le moment…

Un sourire carnassier fit son apparition en prononçant ces mots. Au moins, ses intentions étaient claires…
Cette expression fut cependant brève car déjà elle apercevait la tour au travers au travers de la fenêtre, collant alors presque sa tête contre la vitre en constatant que c’était leur destination.

>> Ah ouais, pas mal. Pas aussi bien que le Palais où se cache notre quartier général. CLAIREMENT moins bien que le Lichtreich. Mais pas mal.

Les derniers instants de sa précédente vie revenaient donc difficilement et douloureusement à Sibylea. Une déception autant qu'une opportunité pour Noda: si ces souvenirs étaient aussi lancinants, c'est aussi parce qu'ils étaient frais. Aux yeux du monde, la défaite des Quincys avait eu lieu il y a 1000 ans. Sybilea, elle, l'avait pratiquement vécu hier. Sa rancœur vivace se sentait dans sa voix, se lisait dans son expression sanguinaire. La demoiselle avait soif de revanche, et il s'agissait là d'une pulsion que l'Ultima Necat ferait bien de contrôler. Il était, de toutes manières, relativement acquis que la hiérarchie éviterait d'aligner des quincys revenants face à des shinigamis, mais Noda se promit tout de même d'en toucher un mot à Orias. La Seven n'avait jusqu'ici pas démontré de merveilles de self-control.

Arrivée à destination, elle complimenta le bâtiment, non sans le remettre tout de même à sa place par rapport au palais des siens. Elle mentionna un mot allemand. Le Lichtreich, disait-elle. Le PDG fit la moue. En dépit des efforts de son paternel, il n'avait jamais été un fin germanophone, aussi ne comprit-il que la seconde partie de ce mot-valise.

"Mitsubishi n'a pas la prétention d'incarner une quelconque grandeur impériale, Sybilea. Il ne s'agit que d'un conglomérat industriel qui nourrit le système tout en en profitant. Dans ce monde, les puissants s'associent plus qu'ils ne s'opposent. Jusqu'à ce qu'une opportunité d'abattre un rival apparaisse bien sûr, mais elles sont rares."

Il marque une pause alors que les larges portes sont ouvertes depuis l'extérieur par le pilote et la garde du corps.

"Tout comme je n'ai d'ailleurs pas la prétention d'être un... quel est le mot ? Kaiser, quoi que puisse en dire la presse financière."

Noda descend du véhicule, remercie d'un signe de tête ses employés, puis se dirige vers un ascenseur non loin, incitant son invitée à le suivre. Arrivé devant la cabine, il la déverrouille par un scanner rétinien, puis y pénètre. A l'intérieur, il n'y qu'un seul bouton, faisant le lien entre sous-sol et dernier étage.

"Les derniers empereurs de ce monde ont un pouvoir de toutes manières bien risible, allant du parfaitement symbolique comme ici au Japon à l'absolu sur une misérable nation au peuple affamée ailleurs sur Terre. Le pouvoir que vous autres Quincys associez à ce mot doit-être bien différent, à n'en pas douter."

La demoiselle ne semblait pas franchement prête à parler des shinigamis, mais peut-être serait-elle plus enthousiaste si la discussion portait directement sur son Seigneur.

Une fausse modestie ? J’aurai pas cru. Au contraire, Jack semblait être le genre de gus à aimer se mettre en avant. Bon, il se casait quand même quelques compliments détournés. Notamment que si lui ne se considérait pas ainsi, la presse semblait dire qu’il était puissant.
« C’est pas moi qui me vante, c’est les autres qui disent que je suis trop fort. »
Voilà, c’était comme ça que je voyais ses paroles. Et je trouvais ça con. S’il était puissant et important, pourquoi s’en cacher ? Bon, peut-être car il ne l’était pas autant au sein de l’Ultima Necat. Sinon, Jack ne serait pas Jack.
Ouais, seule explication.

A peine arrivés à destination, ils descendirent du véhicule, Sibylea ne prêta nulle attention à ce qui l’entourait. Autant la tour, c’était quelques chose à voir, un parking souterrain… Et bien ce n’était pas le premier dans laquelle elle se trouvait. Et il ne s’y passait que rarement des choses intéressantes.
Tout le contraire parfois même. Et si l’on pourrait croire à une légère appréhension liée à de mauvais souvenir, le manque complet d’intérêt était la seule véritable raison pour laquelle elle vint s’adosser contre l’un des murs intérieurs de l’ascenseur.

>> Eh bah, que de sécurité. Donc le seul moyen de monter sans toi, c’est en t’arrachant l’oeil ? Pratique pour être tranquille.

L’on pourrait croire à une menace. Mais il n’en était rien. Une simple remarque lancée en l’air, témoignant surtout que, si elle s’était habituée à plusieurs éléments du monde moderne, les technologies de sécurité n’en étaient visiblement pas.
Les milieux fréquentés par elle étaient de nature moins grandiose, moins élaborée. L’Ultima Necat était assez exceptionnel par nature, cela elle l’avait bien compris. Mais le monde de l’ultra richesse était très clairement différent du sien.

>> Les mots ne sont que des mots. Ils ont un sens certes, mais pas de pouvoir. ‘fin, si. Mais non.

La contradiction dans ses paroles était présente et cassait le sérieux de leur début. Elle était mal placée pour dire que les mots n’avaient pas de pouvoir, même si c’était plutôt les lettres en soi. Mais il s’agissait d’un cas particulier.
De base, ils n’en avaient pas. Un sens oui, comme dit. Kaiser en avait un, et elle ne l’utiliserait pas forcément dans n’importe quel situation. Comme Roi d’ailleurs, ce qui était bien plus notable dans l’organisation dans laquelle elle se trouvait.
Mais elle n’y accordait pas de pouvoir, ça non.

>> Bon, pour être plus claire ! Je suis The Gift ! La lettre « G » gravée en mon âme me confère donc un pouvoir. Mais pour les autres Quincys, c’est un mot comme un autre. Tu comprends ?

Je m’étais un peu embrouillée en fait. Je ne savais même plus quel était vraiment le sujet de ses paroles. Mais c’était de sa faute non ? Il avait qu’à être plus clair ! En fait, peut-être qu’il avait confondu les mots « sens » et « pouvoir ».
Oh merde, c’était ça. Ce pauvre Jack avait des soucis avec les mots. J’en avais déjà rencontré des comme ça. Mais lui semblait éduqué, j’aurai pas cru. Normal qu’il le cache...

"Oh non, il est des yeux plus simples à arracher pour activer cet ascenseur, et bien d'autres moins sécurisés mènent à notre destination. Celui-ci s'avère simplement être particulièrement direct et discret.

A vrai dire, et tant que ses subordonnés civils ne gouteraient pas aux joies du fullbring, Noda demeurait bien la cible la plus difficile pour tout assaillant désireux de s'octroyer l'accès à la cabine. Aujourd'hui, Sybilea est une invitée, et l'ascenseur ne s’oppose ainsi pas à son entrée, après laquelle la machine referme ses portes.

Si elles sonnaient effectivement confuses au départ, les explications de la Quincy devenaient éminemment logiques au fur et à mesure qu'elles avançaient. Ainsi, certains Quincys recevaient une lettre qui, associée à un mot, leur conférait un pouvoir y faisant écho.

"Dois-je comprendre que l’élite Quincy d’antan se limitait donc à 24 membres ? Qu’en est-il de votre placement dans l’alphabet ? La 7ème lettre te rend-elle plus importante que le possesseur de la 8ème ?.

La cabine fuse à toute vitesse vers le sommet de la tour, sans pour autant que la vélocité de l’ascension ne soit ressentie à l’intérieur. La dernière question de Noda s’achève sur l’ouverture des portes, qui révèle une pièce à mi-chemin entre un luxueux penthouse et un espace de travail individuel. Le large panorama donné par la baie vitrée sur la face Sud de la ville n’est interrompu que par la présence d’un large bureau de bois massif disposé en son centre. Près du mur d’en face, on trouve quelques bibliothèques aux ouvrages divers, ainsi que quelques sofas disposés en rectangle autour d’une table basse circulaire.

"Fais comme chez toi.”

Noda réalise avec amusement qu’il n’avait accueilli depuis bien longtemps personne d’autre que des membres de l’Ultima Necat dans cette pièce. Peut-être ferait-il bien d’y inviter d’autres industriels ou politiques, histoire de remettre un peu de normalité dans son bureau. Puis il renonça à l’idée. S’il était vrai que les comportements de ces derniers étaient habituellement et dans un premier moins variables que ceux de ses invités plus récents, il n’avait tout de même pas hâte de recroiser la route de ces dégénérés de politiciens. L’exercice était devenu plus facile avec les années, mais le PDG avait initialement eu bien du mal à recevoir certains d’entre eux après que ses services de renseignement l'ai briefé sur leurs intérêts particuliers.

Un pas après l’autre, Noda se rapproche des vitres, et fixe un instant l’immensité de Tokyo, masqué aux yeux du reste du monde par l’opacité unilatérale de ces dernières. Voyant sans être vu, le PDG se fait en cet instant la métaphore parfaite de l’Ultima Necat. Et pourtant, tout Jack qu’il est, l’héritier est encore assailli de doutes quant aux secrets que pourrait conserver l’organisation à son égard.

"Que sais tu du rapport de l’Ultima Necat aux tiens, Seven ?”

Tout en prononçant ces mots, Noda fait quelques pas jusqu’à son bureau, d’où il saisit une tablette qu’il sangle autour de son bras. Il se rapproche ensuite des sofas en pianotant sur l’appareil, et enchaîne sans franchement laisser le temps à sa subordonnée de répondre.

"Les Quincys sont bien entendu des alliés de choix pour l’organisation, mais ils sont aussi une ressource rare. Un liant inespéré entre le monde des vivants et celui des âmes. Observe donc.”

Sa main libre cesse alors de s’agiter sur l’écran tactile, et, se recroquevillant en pince, semble à la place en extraire des dossiers d’une manière particulièrement organique, avant de les jeter dans le vide derrière le PDG. Immédiatement, les larges vitres s’assombrissent, permettant à plusieurs rapports d’y apparaître.

"A l’heure qu’il est, la majorité des projets scientifiques de l’organisation sont dévoués à trouver un moyen d’extraire et de collecter du reishi, ambiant ou issu d’âmes, et à le stocker. En clair, l’Ultima Necat s’efforce de répliquer les capacités uniques des Quincys.”

Il marque une pause, laissant ainsi à la jeune fille tout le loisir de digérer comme elle le peut ces informations.

"Une certaine partie de ces dossiers t’étaient de toutes manières déjà accessibles, mais il me paraissait important de t’expliquer ce qu’ils signifient pour toi. Ces recherches avancent lentement, Sybilea, peut-être trop si l’on considère que l’Ultima Necat est à deux doigts d’être détecté par les shinigamis. Si l’organisation décide, demain, qu’elle n’a plus le temps de faire dans la dentelle, je crains qu’elle ne décide de chercher des cobayes dans ses rangs, en commençant par ceux que les arcanes majeures considèrent comme des éléments moins fiables.”

Noda fixe son regard sur la Seven.

"L’Ultima Necat nous offre, à tous, de formidables opportunités, mais elle agit aussi selon ses intérêts. S’il est vrai que nous devons tous faire preuve de prudence, cette affirmation s’applique d’autant plus aux tiens. Ce qui s’est passé aujourd’hui ne peut pas se reproduire, Sybilea. Tu ne dois pas les laisser te ranger dans la case des sacrifiables.”

>> Vingt-quatre ? T’es sûr ?

Ouais, il était le genre à aimer se prendre le tête. Clairement. Et avais des conclusions quand même étranges. Rien que sur le nombre de lettres que j’avais évoqué. Il semblait en oublier, mais bon, je ne pouvais pas trop lui en vouloir. L’alphabet pour un japonais, c’était quelque chose de compliqué de toutes évidences.
Je n’allais donc pas insister. Pas sur ce point. Pas trop.

>> De toutes, il pouvait arriver que certaines étaient doublées. Deux avec le même mot, voir deux mots différents. Mais l’ordre n’a aucune importance. On ne change pas de Schrift comme un change de numéro dans un classement. Faudrait être idiot pour empêcher une évolution pour une telle raison.

Si des classements par numéros, comme dans cette organisation, impliquaient plus fortement un classement, ce n’était en rien comparable aux Sternritters. Et l’idée ne lui était tout simplement même pas parvenue tellement elle lui semblait n’avoir que peu de sens.
Mais au moins il était curieux. Elle n’était pas certaine d’apprécier cela, ne pouvant que supposer de motivations cachées, mais il s’intéressait aux siens. Pas à elle directement, mais à ce qu’elle représentait. Si bien que, plus la conversation évoluait, plus elle avait l’impression de ne pas être considérée en tant qu’individue mais en tant que concept.
Et elle n’aimait absolument pas cela.

Arrivée au sommet, elle retint pourtant de laisser quoique ce soit paraître et se contenta de le prendre au mot. C’est à dire de faire comme chez elle et de s’installer sur le fauteuil qui était probablement le sien, un large sourire sur le visage.
Sans arrêter de l’écouter, elle s’imagina quelques instants comme la présidente d’un grand groupe faisant face à ses employés. Ce qui était plus ou moins l’image qu’elle avait de son interlocuteur. D’où l’absence de fun dans sa façon d’être. Pourtant, cela ne dura pas, sa concentration n’étant pas suffisante pour une telle chose.

Ainsi, elle tourna le fauteuil afin de faire face à ce qu’il lui montrait. Sans réellement en saisir la nature pour autant, le Jack n’étant guère d’une grande aide pour lui expliquer. A la place, il se lança dans un long monologue qui, étrangement, retint l’intérêt de celle à qu’il s’adressait.
Peut-être pas forcément comme il aurait pu l’espérer, cette dernière commençant à froncer les sourcils. Quelques mots précédents lui revinrent et le début d’une conclusion vint à elle.

>> Tu n’as pas l’air d’accorder la moindre confiance à l’Ultima Necat…

Il s’agissait d’une évidence même. Cela pourrait s’apparenter à de la prudence, et elle ne serait pas surprise que ce soit l’excuse qu’il ne lui présente. Mais ce n’était pas la première fois qu’il semblait contester le fonctionnement, ou émettait des doutes.
Peut-être espérait-il que, récente comme elle était, elle ne soit facilement influençable ?

>> Un peu plus et j’aurai tendance à penser que tu cherches à me monter contre eux. Mais dis-moi, pourquoi te ferais-je plus confiance ? Qu’as-tu réellement à m’apporter que l’Ultima Necat ne pourrait pas ? Si les chefs ont leurs plans qu’on ne connaît pas ? Probablement. Mais en quoi des Quincy en voie d’extinction seraient plus sacrifiables que des Fullbringer qu’ils peuvent produire ?

Elle ne savait pas grand-chose, certes. Mais ça elle l’avait bien retenu. Des humains obtenaient des pouvoirs artificiellement. Mais nul Quincy. Rien que cela faisait d’elle une personne possiblement plus précieuse que celui lui faisant face.

Le doute semblait s'installer chez Sibylea, et ce à plusieurs niveaux. Noda en était satisfait, car c'était là bien l'objectif visé: instaurer un doute sain dans l'esprit de la "jeune" Quincy. Après que celle-ci ait posé ses diverses questions, Noda se laissait le temps de réflechir à ses réponses.

"Tu te méprends sur ma relation avec l'organisation. Je fais confiance à l'Ultima Necat pour travailler à la réalisation des objectifs qu'elle annonce poursuivre fort et clair. Je crains, en revanche, sa façade à mon sens trop philanthrope. Le pouvoir corrompt, Seven, et celui des Arcanes Majeures est si démesuré qu'il est proprement incalculable, que l'on parle en influence, en fonds monétaires ou même en puissance spirituelle brute."

Si les agents du PDG au quatre coins du monde avaient commencé depuis quelque temps à lui dresser une toile effrayante des ressources et pions de The World, il était en vérité parfaitement incapable d'estimer sa puissance individuelle. En dépit de cela, l'apparente soumission de The Fool à son autorité suggérait que le grand chef de l'Ultima Necat disposait d'une force, ou à minima de capacités de combat globales, proprement renversante, tant il paraissait à Noda improbable qu'une bête du calibre de Koshirō obéisse à autre chose qu'une force bien supérieure.

"Personne ne dédie sa vie à une entreprise aussi charitable que le salut et l'indépendance de l'humanité sans une contrepartie, et j'ai pour l'heure du mal à trouver ce qu'en retire The World, en dehors bien sûr, d'un leadership incontesté."

Il se rapproche à pas lourds des sofas, et s'installe à nouveau en face de sa subordonnée.

"Tu fais bien de douter de moi. Je suis fidèle à l'Ultima Necat et à son objectif officiel, et j'espère aussi que c'est ton cas. Comme les arcanes majeures, j'ai mes propres ambitions, mais mes capacités sont déjà plus proches des tiennes, et moins nébuleuses que celles des chefs. Il nous faut craindre le pouvoir qui nous est invisible, Sibylea."

Il avait beaucoup mentionné The World, bien sûr, mais il n'était pas l'Arcane Majeure qui rendait Noda le plus perplexe. Ce titre ne revenait évidemment pas à The Fool, de loin le plus brut du lot, ni à The Hierophant, bien qu'il ait très certainement ses secrets. Non, le PDG se méfiait avant tout de la numéro 2 de l'Ultima Necat, la bouche de The World: Temperance. L'Eiichi avait eu l'occasion de l'apercevoir quelque fois, et s'était toujours trouvé nerveux quand à l'aura qu'elle dégageait, et l'aisance, parfaitement antagoniste à la réputation de son chef, avec laquelle elle parlait et agissait en public. Elle était autant la plus visible que la plus secrète des Arcanes Majeures, à l'exception bien sûr du grand leader, et cela n'inspirait à Noda qu'une méfiance accrue.

"Ne mésinterprète pas mon propos. Les fullbringers sont évidemment moins précieux aux yeux de l'organisation, et personne ne conteste ce fait. S'il faut sacrifier dix d'entre nous pour qu'un Quincy vive, alors la solution sera probablement envisagée. Mais cet état ne relève pas que de notre nombre, mais aussi de nos capacités. Je te l'ai dit, c'est la capacité unique des Quincys à extraire le Reishi qui passionne l'Ultima Necat. Nos ressources en R&D y sont presque entièrement dédiées, et les progrès sont lents. Tu ne dois pas craindre que l'on sacrifie ta précieuse vie, Sibylea, mais bien ta liberté. Tu ne seras jamais expédiée en première ligne, mais l'insubordination de trop pourrait bien te jeter tout droit dans un laboratoire dont tu ne sortirais jamais."

Noda fixa un instant son regard de fer sur celui de sa subordonnée, désireux d'observer dans le détail ses réactions à ses avertissements. Il espérait ne pas trop l'effrayer, bien sûr, mais il jugeait important de partager ses préoccupations à la nouvelle arrivante, car un Coin en cage était un Coin inutile. Libre à elle ensuite de prendre ou non ses conseils à cœur.

>> Le pouvoir corrompt hein ? Tu me sembles en avoir pas mal du point de vue humain.

Cela l’amusait et ce fait se voyait à sa tête, le large sourire sur son visage ne laissant guère de doute à ce sujet. Il se défendait, mais la moindre de ses paroles s’appliquait également à lui. Pas avec la même ampleur bien sûr, mais cela ne le rendait pas moins suspect. Car si la démesure de la puissance peut rendre fous ceux la possédant, ceux en étant dénués, au contraire, peuvent facilement céder à la tentation de la vouloir, peu importe le prix. Et si nul n’était à l’abri d’une telle faiblesse, n’était-il pas logique de se dire que ceux dont l’âme était déjà teintée seraient les premiers à céder.

Pour autant, je ne pouvais nier la logique de ne pas accorder en totalité sa confiance à quelqu’un dont on ignorait tout. The World n’était pas Sa Majesté. Ce n’était pas par son absence qu’il avait réussi à s’assurer la fidélité de ses soldats. Tous les Quincy le vénéraient et étaient prêts à mourir pour lui.
Nombreux sont ceux à l’avoir fait. Dont moi. Le pire ? Si c’était à refaire, je n’hésiterai pas à un instant. J’étais jeune à l’époque, une gamine ayant toute la vie devant elle. Pourtant, à quoi elle me servirait si trahissais Père ?
Cette mentalité ne m’avait jamais quitté. Pas même dans la mort ! Voilà comme un Roi gagnait le respect absolu de ses fidèles.

Malgré cela, un soupir se fit entendre, émanant de la Seven of Coins. Si elle comprenait en partie, elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il insistait beaucoup trop. Puis une autre chose intriguait la Quincy. Comment en savait-il autant sur les plans de ses supérieurs ? Sur les activités d’une autre section que la sienne ? Ou alors tout cela n’était-il que du bluff ?
Plus cela avançait, plus elle trouvait l’individu suspect. Pourtant, son soupir passé, elle reprit son air plutôt enjoué habituel, doublé cette fois d’un aspect légèrement vexé.

>> Jamais expédié en première ligne ? Ce serait con. Même si j’ignore beaucoup de chose avec ma mort, y a une chose que je peux assurer. Sans Sa Majesté, il ne peut plus exister de Quincy comme moi. Les capacités comme les miennes sont donc précieuses et il serait bien idiot de ne pas les utiliser non ?

Elle se considérait comme une vraie Quincy. Ce terme n’était pas pour manquer de respect à ceux pouvant subsister en cette période, comme celui étant venu la recruter, mais un simple constat de la différence fondamentale existant entre eux.
En vérité, elle ne serait même pas surprise qu’ils ignorent tout de l’histoire qu’était celle de leurs ancêtres. Quelle tristesse. D’où la nécessité de les retrouver afin de les guider.

>> Ne l’ai-je pas dit ? Je suis The Gift, un véritable cadeau pour ce monde, et donc maintenant pour l’Ultima Necat. Quel intérêt de m’avoir à leur côté si c’est pour me laisser dans l’ombre ? Ma place est en pleine lumière !

Toujours installée dans le fauteuil n’étant pas le sien, elle écarta les bras vers le ciel, comme pour se faire voir par une foule inexistante alors que des projecteurs tout aussi irréels étaient braqués sur elle. Le spectacle était son domaine, mais dans des conversations aussi sensibles.

>> Plus sérieusement, car je sais l’être. Tu sembles en savoir beaucoup. T’es-tu renseigner dans le dos de nos alliés pour avoir autant d’informations et de détails sensibles sur leurs façons de faire ?

Noda accueille avec scepticisme la proclamation d'assurance de sa subordonnée. Elle semblait compétente et volontaire. Ne restait plus qu’à espérer qu’elle ne soit pas de ces quelques cadeaux empoisonnés qu’a pu recevoir l’organisation au fil de sa courte histoire. Sa loyauté restait bien entendue conditionnée à l’absence de son Roi, mais c’était avant tout sa personnalité que redoutait Noda. Quelle idée farfelue que de vouloir évoluer hors des ombres chez l’Ultima Necat ! Si cela avait été le cas de quelques Swords avant l’arrivée de l'austère Kyoka, la tendance était plutôt à la discrétion, et les récents remous avec les suspectés shinigamis aperçus à Tokyo ne leur accorderaient certainement pas bien plus de marge de manœuvre.

Ce qu’il n’avait pas anticipé, en revanche, était la curiosité de la Seven concernant ses propres méthodes. S’agissait-il là de la manifestation de ses inquiétudes, ou simplement d’une volonté d'apprendre ? Quoi qu’il en soit, Noda n’avait sur ce plan pas grand chose à cacher.

“Je n’ai fait qu’observer attentivement. Discute donc avec le personnel des Cups. Nul doute qu’ils te confirmeront mes dires quant à leur principale priorité du moment. Du reste, je ne fais que prendre acte de la manière qu’ont les arcanes majeures d’opérer. Ou de ne pas le faire. Les conclusions que j’en tire sont bien sûr purement spéculatives, mais il me semble important de considérer toutes les éventualités, surtout chez nous autres Coins. Nous sommes une division de spécialistes, c’est vrai, mais il faut garder à l’esprit qu’une tâche majeure de notre branche consiste à tout savoir avant les autres.”

C’était d’autant plus vrai pour Noda, qui étendait lentement mais sûrement un tentaculaire réseau d’agents loyaux aux échelons les plus anecdotiques de chaque branche de l’organisation, et qui disposait de relations cordiales avec beaucoup d’officiers de tous bords. A vrai dire, il n’était pour l’heure que peu familier avec les Clubs, mais il comptait bien y remédier au plus tôt, et avait déjà quelques profils en tête qui pourraient se montrer intéressants.

“Il s’agit simplement de savoir garder les yeux ouverts.”

Là encore, tous ne naissaient pas égaux, mais il osait au moins imaginer qu’une élue du Roi Quincy disposait d’un intellect suffisant pour subvenir à ses propres besoins en la matière. Il semblait ainsi évident que la Quincy ne manquait pas tant d’intelligence que de savoir, et c’était justement sa quête désespérée pour celui-ci qui avait amené Noda à la récupérer plus tôt à l’Arcānum. Une lumière se met à clignoter doucement sur son bureau. Le PDG s’en approche, puis la tapote d’un air satisfait pour l’éteindre.

“Tu retrouveras le contenu des archives que tu voulais consulter à l’étage d’en dessous. La partie que j’ai réussi à récupérer, en tous cas, ce qui constitue une grande part d’un minuscule ensemble. Les copies s’autodétruiront dans quelques heures, mais je doute que tu en ai besoin. Comme je te l’ai déjà dit, nos connaissances sont bien maigres. Le mieux que l’on puisse espérer et que ta lecture réveille en toi des souvenirs que tu pourras ensuite consigner.”

Un homme en costume se positionne à l'extérieur du bureau, prêt à guider la Quincy lorsqu’elle décidera de quitter la pièce, qu’elle saisisse ou non l’opportunité.