On ira tous en enfer après tout. Je prends juste un peu d'avance.

La salle était plongée dans les ténèbres. À l’exception de son centre. Cette pièce, personne ne la connaissait au sein de l’Ultima Necat. Et pour cause. Si son existence s’ébruitait, nombreux sont ceux qui s’élèveraient pour la faire fermer. Même l’assistante personnelle du King of Cups, programmée par ses soins, n’était pas autorisée à y pénétrer. C’était ici que se déroulaient les expériences les plus sombres, les plus répréhensibles par la morale, celles qui feraient détourner le regard à Dieu en personne. Mais la science, la vraie, ne connaissait ni éthique ni valeurs. La recherche de la connaissance ne pouvait se permettre d’emprunter des chemins pavés d’or. Elle devait s’enfoncer dans la vase, sans hésiter, jusqu’à être totalement immergée. Ce n’est que là, au fin fond de la lie de l’humanité que l’on pouvait espérer saisir l’essence même de la vie.

Tanjô avançait lentement au milieu des cuves d’incubation. Son carnet à la main, il jetait de rapides coups d’œil à ses créations et inscrivait ses observations. Flottant au milieu d’une solution d’acides aminés, des masses informes de chaires absurdes tentaient tant bien que mal de se maintenir en vie, allant à l’encontre de toutes les lois de la nature. Cela faisait des mois que le scientifique travaillait sur ses propres cellules ayant la capacité de multiplier à l’infini à grande vitesse. Il était difficile de définir exactement ce qu’il avait sous les yeux. Des clones ? Des homoncules ? Des doubles imparfaits ? Peu lui importait, ces choses partageaient son ADN, une partie de ses capacités et surtout... elles étaient en vie. C’était le plus important.

-Continuité des fonctions vitales. La masse des sujets a augmenté de 11 % par rapport à la dernière session d’observation. Augmentation des apports nutritifs en conséquence.

Le système centralisé réagit à la voix de son créateur et une valve s’ouvrit, provoquant des remous dans les cuves. Le directeur de la section scientifique s’approcha de l’être le plus développé. Dans cet amas de chair semblable à un tératome de plusieurs dizaines de kilos, on pouvait discerner ce qui s’apparentait à des bras et des jambes, mais surtout un œil perdu au milieu des replis de peau qui recouvraient le tout. Par endroit, des touffes de cheveux ainsi que des dents pointaient de façon aléatoire hors de l’épiderme. Tanjô leva son stylo et le fit défiler de gauche à droite le long de la paroi vitrée. L’œil suivit le mouvement.

-Système nerveux opérationnel. Les différents tissus se sont dissociés pour mettre en place une structure organisée des organes. Celui-là est intéressant. Sors-le. Copie les paramètres de son bain sur les autres. Température, acidité, oxygénation et conductivité. Cette combinaison semble prometteuse.

Il ratura quelque chose sur son carnet tandis qu’une pince mécanique s’activa. Un instant plus tard, les griffes métalliques se refermèrent sur la créature amorphe pour l’extirper de son bain et la déposèrent sur une table blanche, fortement éclairée. Alors que le scientifique s’approchait de sa création, il aurait juré que celle-ci tremblait en l’observant. Mais c'était impossible. Cela aurait demandé des capacités cognitives bien supérieures à ce qu’elle était parvenue à développer jusqu’à présent.

Le scalpel était sorti. L’éclat de la lame scintillait, réverbérant les lumières artificielles sur la rétine du cobaye. Simple globe oculaire, dépourvu de paupières, il observait ce qui l’entourait sans la possibilité de transmettre la moindre émotion. De toute façon, le scientifique était catégorique. Étant donné le faible développement de son système nerveux, il était impossible qu’il puisse ressentir de la peur, peut-être même pas de la douleur. Peut-être. Ils allaient vite le savoir. Tanjô pressa un bouton et deux plaques s’élevèrent verticalement de la paillasse et se mirent à scanner le sujet. La main s’abattit lentement pour permettre à l’acier inoxydable de pénétrer la chaire, trancher la masse informe. L’ordinateur enregistra immédiatement un afflux nerveux intense.

-Ordinateur. Finalement, il semble ressentir la douleur. Note-le.

Après tout, c’était pour cela qu’il effectuait tous ces tests. Pour savoir. Étonnamment, cela saignait très peu. Le réseau sanguin n’avait visiblement pas suffisamment évolué, ce qui était probablement la principale raison de l’arrêt de sa croissance. Sans apport en oxygène et en nutriments, les cellules mourraient très vite et aucun pouvoir de régénération ne pourrait empêcher cela. Il allait devoir envisager d'ajouter des hormones VEGF pour augmenter la croissance des vaisseaux. D’un geste rapide et précis, Tanjô retira un bloc de quelques centimètres et sortit un chronomètre de sa poche.

La créature se mit à trembler et les cellules se dupliquèrent dans un chaos le plus absolu. Petit à petit, la chair se reforma et la plaie fut refermée. Mais la réaction ne se termina pas là et les cellules continuèrent à se multiplier pour former une tumeur immonde qui ne cessait de grossir. Rapidement, l’œil fut littéralement englouti dans la masse. Après une minute, l’effet s’estompa et la créature resta immobile dans un silence glacial.

-La plaie de trois centimètres cubes s’est refermée en dix-huit secondes. La réaction s’est ensuite poursuivie pendant 1 minute et 23 secondes. Fonction vitale ?
« Épuisement du reiatsu. Sujet décédé. »

Tanjô soupira. Il avait établi de façon évidente que ces homoncules imparfaits avaient les mêmes capacités de soin que lui. Pourtant, en l’absence d’intelligence, ils ne semblaient pas en mesure de le contrôler. Seul l’instinct de survie leur permettait de l’utiliser, ironiquement jusqu’à ce que mort s’ensuive. D’un geste, il enclencha le processus de nettoyage. La paillasse se déplaça et s’inclina pour faire tomber le cadavre dans une trappe. Des jets désinfectèrent le support et les plaques de contrôle rentrèrent dans leurs orifices. En quelques secondes seulement, la zone de travail était aussi immaculée que si rien ne s’était jamais passé.

-Augmente l’apport en VEGF et je repasserai dans quelques jours pour de nouveaux tests.

Il balança son carnet sur son bureau d’un geste las. Encore un qui ne survit pas. À ce rythme, il allait avoir beaucoup de difficultés à atteindre son objectif. Le clonage d’un fullbringer était-il seulement possible ?

Quelques mois plus tard...

Le scientifique avait un sourire au coin des lèvres dont il ne parvenait pas à se défaire. Combien de temps avait-il passé à peaufiner les dosages des solutions ? Combien de nuits blanches passées à surveiller l’évolution de ses créations pour s’assurer de leur bon développement ? Et combien de créatures imparfaites envoyées à l’incinérateur dans le seul but de mettre en évidence les erreurs et d’améliorer le modèle ? Il serait bien incapable de le dire. Mais le résultat était là. Il avait finalement réussi à créer un organisme doté d’un système nerveux opérationnel, d’organes fonctionnels et d’un réseau sanguin suffisant pour alimenter toutes les cellules.

Sur la table de travail, un homme nu reposait, yeux clos. Une réplique parfaite de Tanjô. Enfin presque parfaite. Tanjô s’était assuré d’inhiber la croissance des neurones au maximum, à l’exception du minimum vital. D’un point de vue extérieur, cet homme était dans le coma depuis sa naissance. Derrière lui, des dizaines de clones semblables continuaient à flotter, totalement inconscients de leur situation.

-Ordinateur. Passe le rayon X et effectue une IRM. Je veux être sûr de son intégrité physiologique.

Plusieurs capteurs se mirent à s’agiter autour du corps, relevant de nombreuses données de santé. Pression sanguine, oxygénation, carences, structure osseuse... Chaque petit détail pouvait avoir son importance à ce stade. Les véritables tests allaient pouvoir démarrer. Il allait enfin pouvoir répondre à une question qui le taraudait depuis toujours.

Existait-il quelque chose capable de le tuer ?

Depuis qu’il était enfant, il avait connaissance de ses capacités exceptionnelles de régénération. Il avait traversé les guerres des royaumes, agit dans la police impériale et au sein des troupes ninjas d’élite. Il avait rejoint l’Ultima Necat et avait passé les tests d’Enhanced Fullbring. Il avait repoussé des Arrancars et des hollows. Sabre, balles, hallebardes, poisons, Cero... Son corps a déjà tout subi, même des membres arrachés. Et pourtant, il avait toujours survécu. À tel point qu’il se demandait s’il existait une chose au monde capable de le tuer. N’étant pas suicidaire pour autant, il avait eu cette idée pour effectuer ses tests. Des clones ayant les mêmes capacités que lui. S’il avait un point faible, il comptait bien le découvrir.

-Sujet dénué de défauts physiques. À l’exception de la zone cervicale.
-Ça, c’est normal. Évite les informations inutiles. Activation du protocole n°1. Démembrement.

Des cliquetis se firent entendre et un bras mécanique se pencha vers le sujet d’expérience. Une scie circulaire se mit en marche et entreprit des découper les deux bras et les deux jambes du cobaye. Le corps se mit à convulser et de nombreux voyants se mirent à clignoter en rouge. Tanjô observait la scène en surveillant les différentes données vitales. L’hémorragie était évidemment très importante, mais le pouvoir du sorcier lui permettait de décupler également ses globules rouges de façon à ne jamais finir exsangue. Après plusieurs minutes, les plaies s’étaient refermées et les fonctions de la créature se stabilisèrent. Il ne restait plus qu’un tronc affublé de quatre moignons, mais il était toujours en vie.

-Nous le savions, mais c’est désormais confirmé. Je ne peux pas mourir d’hémorragie. Du moins tant que je ne tombe pas à court de reiatsu. Ordinateur, nettoie-moi ça.

Le plan de travail s’ouvrit pour laisser tomber le corps dans un conteneur et des jets s’activèrent pour effacer toute trace de sang, à l’échelle moléculaire. Il fallait passer à la seconde étape.

Pendant des semaines, les expérimentations s’enchaînèrent à un rythme effréné. Le feu, l’acide, les surpressions, la privation d’oxygène... À chaque fois, les dégâts furent immenses, mais le sujet ne succomba pas à moins de tomber à court de reiatsu. Le détail résidait dans le fait que les clones n’avaient pas été soumis au processus d’Enhanced Fullbring, ce qui expliquait les séquelles qu’ils garaient de chaque expérimentation. À chaque fois, les cobayes devaient être incinérés, ne pouvant être réutilisés. C’était frustrant, mais toute recherche avait un coût.

-Il semblerait que les cellules puissent toujours être remplacées, peu importe la façon dont elles ont été détruites. Passons à la phase deux.
-Initialisation de la phase deux en cours.

Les bras mécaniques extirpèrent deux nouveaux cobayes de leurs cuves respectives et les installèrent délicatement sur le plan de travail. Le scientifique avait deux hypothèses pour répondre à la véritable question : la régénération pouvait-elle être empêchée ? Y avait-il un organe en particulier qui était à la source même de sa capacité ? Ses principales pistes étaient le cœur et le cerveau. Avec une nette préférence pour le cerveau bien évidemment.

Cela ne serait pas simple. Certes, il pourrait se contenter d’arracher le cœur du cobaye, mais il ajouterait alors d’autres facteurs qui viendraient parasiter les résultats, à commencer par l’hémorragie. Il allait devoir utiliser une chirurgie au laser pour parvenir à une conclusion satisfaisante. Ainsi, il allait pouvoir détruire la pompe sanguine sans porter atteinte au reste de la structure corporelle.

La machine se mit en route et le faisceau rouge commença son office, creusant le torse du corps inanimé tout en cautérisant au fur et à mesure les artères et les veines sectionnées. Après une dizaine de minutes, l’aorte, la veine cave et l’artère pulmonaire cédèrent à leur tour. Tanjô plongea alors la main dans la plaie et retira doucement l’organe vital avant de le déposer délicatement à côté. Il n’y avait plus qu’à attendre et voir.

En premier lieu, il ne se passa rien. Mais finalement, les parties qui avaient été cautérisées tombèrent d’elle-même, comme les feuilles en automne, relançant la circulation sanguine dans une gerbe rouge affolante. Dans le même temps, toute la partie amputée commença à se reconstituer. La plaie se refermait lentement, très lentement. Après une minute, le processus s’arrêta.

-Sujet décédé.
-Il semblerait que la capacité à se régénérer soit corrélée à l’afflux sanguin. En l’absence de cœur, le sang ne se renouvelle pas suffisamment et l’effet s’interrompt. Et le sujet n’a pas assez de reiatsu pour créer du nouveau sang et soigner la plaie en parallèle.

Une plaie trop importante du muscle cardiaque pouvait donc le tuer. C’était bon à savoir. Bien qu’avec son Enhanced Fullbring, il pourrait peut-être pallier au manque d’apport sanguin par une efficacité accrue de la cicatrisation. S’il pouvait se soigner plus vite, peut-être pourrait-il le faire avant de s’être totalement vidé. Il n’y avait qu’une seule façon d’en être certain et son amour pour la connaissance n’était pas assez fort pour qu’il tente l’expérience sur lui-même. De plus, les réserves en Reishi étaient trop faibles pour qu’il n’en gâche en faisant subir l’Enhanced Fullbring à un de ses cobayes. Tant pis, il allait considérer que lui non plus ne pourrait se remettre d’un tel traumatisme.

Il allait enfin passer à la dernière étape.